Le « communisme » est mort, vive le communisme !

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Article de L. Sève paru sur le site des Communistes Unitaires, 12-11-07.

Telle qu’elle me paraît engagée en vue des rendez-vous de fin 2007 puis 2008, la discussion sur le problème capital qui nous préoccupe tous nous confronte à un dilemme de caractère, je le crains, très fallacieux.

D’un côté, pour le dire succinctement, l’évidence semble bien être que le communisme est mort. Mort comme système social avec l’implosion de l’Union soviétique ; mort comme force politique avec, pour ce qui nous concerne, l’irrémédiable 1,93% de l’élection présidentielle ; mort comme proposition intellectuelle avec un effacement public de Marx dont je ne sais si nous mesurons la profondeur, masqué qu’il nous est par un travail de recherche vivace mais confidentiel. Cet état de fait nourrit une conviction susceptible d’être déclinée de diverses façons politiques mais qui toutes optent au fond pour un premier terme de l’alternative : il faut renoncer au communisme.

D’un autre côté, cette supposée évidence est en tout point contestée. Où prend-on que l’implosion de l’URSS sonnerait le glas d’un socialisme foncièrement repensé à partir des rudes leçons d’hier, quand le capitalisme court à l’abîme ? Que le très mauvais résultat du parti à la présidentielle annulerait les forces qu’il conserve et le dynamisme qui l’anime ? Que le silence médiatique sur les fondamentales vues de Marx ôterait sa pertinence au message du Manifeste ? Il y a énormément à réexaminer, à réinventer, à réengager, nul n’en doute, mais le cap vaut plus que jamais, donc l’instrument historique qui fait corps avec lui. Conséquence : il faut garder le parti communiste.

Si tel est bien le dilemme à affronter – avec du vrai des deux côtés, mais dans des perspectives inconciliables -, mieux vaut ne pas se leurrer : il n’a d’issue prévisible que dans une séparation de corps entre les uns et les autres. La dialectique n’efface pas les « ou bien…, ou bien… » de l’histoire. Et la logique de l’émiettement de ce qui fut le communisme français peut aller encore au-dessous de 1,93%.

Mais est-ce le bon dilemme ? Je le conteste pour une double raison. La première est qu’il tourne tout entier autour du communisme – mot et chose – sans que soit vraiment, à mon sens du moins, désamorcé le terrible piège qu’il recèle. De quoi parle-t-on au juste ? A la clarification exigeante du terme « communisme » tient l’issue du débat et donc l’avenir du combat. C’est par elle qu’il est impératif de commencer. La deuxième raison est que, si on veut bien la considérer avec attention, l’alternative ci-dessus formulée – « il faut renoncer au communisme », « il faut garder le parti communiste » – n’épuise qu’en apparence les réponses pensables, pour la simple raison que sont en jeu deux termes et non un seul : « communisme » et « parti ». Je suis quant à moi irréversiblement attaché à une troisième manière de répondre qui me paraît occultée sans raison connue : il faut absolument conserver communisme et radicalement dépasser parti.

I- « Le communisme » : une terrible équivoque

La très grande majorité des Français, y compris sans doute nombre d’électeurs, voire de militants communistes, tiennent pour une parfaite évidence que, selon une formule connue, « le communisme a été essayé, et il a radicalement échoué ».

Dans cette phrase-clef, que veut dire « le communisme » ? _ Pour simplifier, disons : trois choses :
- 1) la sorte de société qu’ont représentée, par-delà leurs différences, l’Union soviétique, les pays d’Europe de l’Est, une demi-douzaine d’autres dont le Cambodge de Pol Pot (le cas de la Chine fait problème pour tout le monde) ;
- 2) le type d’organisation politique qu’avec des variantes ont pratiqué les partis composant le mouvement communiste, le PCF en étant tenu pour une exemplaire illustration ;
- 3) le mode de pensée qu’a longuement donné à voir le« marxisme-léninisme » sous ses diverses figures doctrinales, celles notamment du matérialisme dialectique et historique comme du socialisme scientifique.

On peut longuement épiloguer sur l’appréciation historique à porter sur « le communisme » ainsi défini, en faisant valoir à bon droit ce qu’on doit aussi lui reconnaître d’apports théoriques, de mérites politiques, d’avancées sociales. Bien rares sont ceux qui pour autant ne l’associent pas à l’idée d’un radical échec d’ensemble, et si pénible que ce puisse être il faut bien en convenir. Sans même parler des crimes, les sociétés qui se sont construites plus ou moins à l’image de l’URSS n’ont semble-t-il eu à terme le choix historique qu’entre disparaître ou s’ouvrir au capital. Les partis nés de la IIIe Internationale – pour ne rien dire ici de la IVe – apparaissent sauf rares exceptions voués eux-mêmes à l’auto dissolution ou à la marginalisation. Et si des lectures renouvelées de Marx en donnent à voir toute l’actuelle fécondité, nombre de certitudes doctrinales proclamées par ce qui s’est appelé le marxisme n’ont pas résisté elles-mêmes au temps et ont perdu tout crédit. Seuls des autistes politiques peuvent affecter de le nier : « le communisme » est bien mort.

Maintenant, revenons un instant à Marx. Chose stupéfiante : ce que lui n’a cessé de penser sous le mot communisme n’a à peu près rien à voir avec « le communisme », c’est même sur nombre de points plutôt le contraire. Avant tout, le communisme n’est ni un état social à instaurer ni un idéal à réciter mais le « mouvement réel qui dépasse l’état de choses existant ». Premier point crucial : un mouvement par quoi avance l’histoire au présent. Mouvement vers quoi ? Vers le complet dépassement du capitalisme, forme la plus extrême des sociétés de classes, le passage à une forme sociale sans classes où s’achève la préhistoire humaine pleine de bruit et de fureur. Mouvement par quoi ? Par la résorption de toutes les grandes aliénations historiques du genre humain – l’aliénation n’étant pas pour lui, comme on semble croire, une disgrâce parmi d’autres mais l’appellation la plus globale de tous les dessaisissements à quoi nous condamne la société de classes dans les domaines les plus divers quoique intimement communicants – économique, écologique, sociétal, politique, éthique, idéologique, culturel, existentiel… Le communisme, c’est l’immense processus, nécessairement mondial bien que nationalement enraciné, par quoi les humains associés se réapproprient leurs puissances sociales de tous ordres et émergent enfin ainsi d’un monde d’horreurs qui n’a rien de naturel.

Une chose et son contraire sous une même phrase

Il n’est pas besoin d’être long pour établir que « le communisme » n’a pas eu grand chose du communisme visé par Marx. Les « pays communistes » ? Pas un seul ne s’est jamais dit lui-même communiste, et pour cause : en aucun d’eux, quels qu’aient pu en être les mérites partiels, les travailleurs associés n’ont été maîtres de leurs puissances sociales ni libérés de formes classiques ou inédites d’aliénation – à mille lieues du « à chacun selon ses besoins ». Stalinisé ou brejnévisé, « le socialisme » n’a nulle part été l’antichambre annoncée du communisme, il lui a au contraire tourné le dos jusqu’à se vouloir « rattrapage du capitalisme ».Les « partis communistes » ? Même ceux qui se sont nommés ainsi ont retiré il y a longtemps le communisme de leur visée réelle au profit d’un« socialisme » supposé plus réaliste, alors que la conquête du pouvoir censée en ouvrir l’accès s’avérait, elle, inaccessible, de sorte que leur activité de plus en plus alignée sur le calendrier électoral a fait d’eux des partis comme les autres, mais sans chance crédible de devenir jamais dirigeants, les vouant ainsi à une implacable désaffection. Les « idées communistes » ? Une enquête montrerait que sous ce qualificatif est massivement placé par l’opinion commune le contraire même des vues de Marx – productivisme, étatisme, dédain de la démocratie et de l’individu… Mais nous-mêmes ? S’il m’est permis de le dire, menant depuis vingt-cinq ans un effort de pensée et de proposition pour que le communisme de Marx prenne place au centre de notre culture, j’ai pu mesurer à quel point son contenu effectif nous est en général resté peu familier.

On en vient ainsi à un constat aussi décisif que paradoxal : ce que l’idéologie dominante, celle de l’adversaire, appelle « le communisme » – et nous aussi hélas, trop souvent – a si peu de rapport avec le communisme marxien qu’il en est sur plus d’un point le contraire. En résulte un terrible malentendu : le même énoncé – « le communisme est mort, il faut l’abandonner » – est passible de deux significations politiques opposées. Premier sens : « le communisme », tel que l’entend le parler courant – étatisme généralisé, bureaucratisme de parti, doctrinarisme de pensée… – a été décisivement invalidé par l’histoire et c’est dans un tout autre sens qu’il faut désormais chercher – je ne vois pas quant à moi qui peut le contester. Deuxième sens : le communisme, tel que l’a entendu Marx, n’est plus d’aucune pertinence et c’est dans un tout autre sens qu’il faut aujourd’hui s’orienter – avec cela on est fondé à être, et je suis pour ma part, en désaccord radical.

Que « le communisme » soit mort n’est plus à débattre : c’est un fait massif et têtu ; que le communisme soit obsolète n’est en rien établi avant débat : c’est au contraire la question à examiner, et à expérimenter. L’idée si répandue selon laquelle « le communisme a été essayé, et il a échoué »relève de la totale équivoque. Si l’on a en vue ce que le parler courant nomme « le communisme », c’est flagrant ; si l’on pense au communisme de Marx, c’est absurde : en ce sens, le communisme n’a aucunement échoué pour la bonne raison qu’il n’a jamais existé nulle part. Même le PCF n’a, sauf exception, jamais encore fait de la politique avec le communisme. On peut certes se demander si le communisme est susceptible de devenir un « mouvement réel », sous quelles formes et par quelles voies au 21e siècle – voilà une question cruciale. Mais se demander s’il faut « abandonner ou conserver la référence au communisme », sans plus de précision, n’a aucun sens clair. Laisser s’engager le débat dans une telle confusion serait à mon sens un désastre.

Je suis pour ma part de ceux, très nombreux, qui constatent que « le communisme » est mort – et ne nous laissons pas abuser par des apparences : même chez un mort la barbe continue un certain temps à pousser – et qu’il faut non pas simplement « y renoncer » mais en faire très attentivement notre deuil. En même temps je suis de ceux – hélas bien moins nombreux qu’il ne faudrait – qui jamais n’abandonneront le communisme dans l’authenticité et la plénitude de son acception marxienne, et qui considèrent même qu’un tel abandon constituerait la plus impardonnable des fautes historiques.

II- Communisme : pourquoi ?

Parce que c’est la seule alternative vraie à ce capitalisme qui sur un rythme accéléré conduit l’humanité à sa perte. En quoi est-ce la seule alternative vraie ? Pour dire en trois phrases ce qui exigerait un gros livre :en ceci que le capitalisme est fondamentalement la mise en privé universelle ; il prive ainsi les humains de la maîtrise collective sur leurs puissances sociales – les avoirs, les savoirs, les pouvoirs. Il est la forme extrême de l’aliénation humaine. Sortir vraiment du capitalisme, c’est donc aller vers la mise en commun universelle de tout ce qui est social en en développant l’appropriation par tous : communisme.

Preuve contraire : l’échec partout du « communisme » sans communisme, ce « socialisme » mensongèrement donné pour « première phase du communisme » quand il lui tournait le dos sur tous les points essentiels – pas d’appropriation collective des moyens de production parles travailleurs associés mais leur confiscation par une nouvelle couche privilégiée, pas de dépérissement de l’État mais l’instauration d’un despotisme, et en fait d’émancipation des consciences, une mystificatrice idéologie officielle dépolitisante. Ce qui a été disqualifié par l’histoire n’est pas un communisme qui jamais ne fut « essayé » mais le socialisme sous toutes ses variantes, sans oublier les variantes social-démocrates, c’est-à-dire la promesse intenable d’une désaliénation ne s’en prenant pas au fond même des aliénations majeures. Un seul dirigeant a vu clair au20esiècle dans cette cruciale question du communisme : Lénine, mais dans un contexte où n’existait aucune de ses pré conditions nécessaires. Après quoi tout a été enseveli dans le « socialisme scientifique » stalinisé.

Le concept du communisme nous est encore si peu familier que beaucoup d’entre nous ne peuvent s’empêcher d’y voir un « idéal », une « utopie », oubliant l’essentiel : il s’agit avant tout d’un mouvement réel. On objecte : mais comment dire réel un mouvement qui n’existe pas encore ? C’est simple : il n’existe pas encore, hélas, comme mouvement conscient de forces sachant en faire leur visée concrète, mais comme mouvement inconscient de l’histoire, sa réalité crève les yeux. Exemple : « à chacun selon ses besoins », utopie ? Mais les révolutions en cours de la productivité réelle annoncent en clair comment une production de prodigieuse efficacité, à condition d’être délivrée des colossaux gâchis capitalistes et réorientée vers les besoins de tous, peut en faire au cours même de ce siècle une réalité naissante. De semblables pistes de réflexion s’entrouvrent partout – rôle décisif des savoirs dans le travail et dépassement du salariat, Internet et démocratie, révolution biomédicale et santé pour tous, métissage étendu et émergence concrète d’un genre humain… Le capital est à la fois le pire ennemi de toute avancée communiste et le très involontaire fourrier de ses pré conditions – Marx et Engels l’avaient déjà bien vu dans le Manifeste. Oui, le communisme n’attend que nous pour devenir mouvement consciemment réel.

Des vues stratégiques d’une foncière nouveauté.

Un texte individuel comme celui-ci ne peut bien entendu se proposer de faire ce que seule produira une vaste élaboration collective. Mais simplement considérer de façon attentive l’idée de base que le communisme est le mouvement réel dépassant toutes les grandes aliénations historiques de l’humanité, on voit se dessiner plusieurs vues stratégiques cardinales en rupture avec ce que furent trop longtemps les nôtres.

Dépassement de toutes les aliénations historiques : le communisme est désaliénation universelle ou n’est pas, non pas seulement parce que chaque aliénation est à résorber mais parce que toutes s’entrecroisent – ainsi l’exploitation économique a vitalement besoin de s’étayer sur la domination étatique et la mystification idéologique. _ Conséquence : le mouvement réel du communisme, s’il a un caractère de classe, n’est pas celui d’une classe en particulier – même si le peuple ouvrier y est au premier chef concerné – mais de toutes les forces collectives et individuelles avides de quelque désaliénation. Pour reprendre une formule à mes yeux judicieuse, la force communiste dont il est besoin doit être celle non d’une classe mais d’un projet un et divers à la fois : tout ce qui renvoie même de façon très indirecte à la logique infectieuse du capital, tout ce qui constitue un présupposé négatif ou positif de son dépassement possible peut et doit être source de mouvement communiste réel. Le champ des initiatives à prendre est immense.

Dépassement de toutes les aliénations historiques : si l’on entend bien ce terme-clef d’aliénation – métamorphose de nos activités sociales en puissances étrangères écrasantes, telles les dictatures de la rentabilité financière, de la raison d’Etat sarkozyenne, de l’évidence néolibérale… -, en résulte une vue stratégique encore plus cruciale. Car rien ici ne peut-être octroyé : toute réappropriation est l’œuvre propre des personnes elles-mêmes ou n’est pas. _ Faire aujourd’hui de la politique avec le communisme exige donc de rompre avec ce qui fut l’essence de la culture révolutionnaire traditionnelle, aujourd’hui caduque : conquête du pouvoir d’Etat comme préalable d’une transformation sociale par en haut avec organisation verticale de parti en conséquence. C’est là qu’est le plus essentiel à repenser du tout au tout. Car cette façon d’envisager la désaliénation conduisait droit au maintien dans l’aliénation – c’est le drame du « socialisme réel » et des partis communistes.
Si les meilleurs esprits d’hier – Lénine, Gramsci – l’ont pourtant adoptée, c’est qu’il n’y en avait pas d’autre quand manquaient tragiquement les présupposés objectifs et subjectifs d’un mouvement communiste. Le fait capital de ce siècle commençant est que le niveau de développement des forces productives et des individus rend envisageable, et pour une part déjà effectif en dehors même de nous, ce qui ne l’était pas naguère : un multiforme processus de réappropriation engagé au présent sur tous les terrains possibles. Le communisme sort de l’« idéal » pour devenir réel.

Dépassement de toutes les aliénations historiques : à son tour, le mot dépassement – celui même de Marx (en allemand : Aufhebung) quand il parle du communisme comme « mouvement réel » – ajoute encore de l’essentiel à ce qui précède. Une désaliénation est inévitablement un processus en temps long, hors de portée d’un acte révolutionnaire soudain même si des décisions de pouvoir peuvent le favoriser, mais c’est un processus que rien ne peut empêcher de s’engager aujourd’hui même. Ceci condamne tout renvoi du dépassement du capitalisme à un après-conquête du pouvoir qui n’est jamais venu dans aucun pays développé, et dans la supposée préparation duquel c’est en fait la subalterne bataille électorale qui accapare sans cesse les forces. Le mouvement du communisme s’engage aujourd’hui dans de tout autres batailles qu’électorales ou ne s’engagera jamais. Par-delà les vieilles images d’Epinal de « la révolution » – du moins pour ce qui concerne les pays les plus développés -, il faut réfléchir à l’idée forte d’évolution révolutionnaire, processus multiforme et inégal mais poursuivi avec esprit de suite d’initiatives engagées, de succès partiels remportés, de rapports des forces modifiés, d’élévation d’enjeu des initiatives dès lors possibles… Oui, on peut faire dès aujourd’hui de bonne politique avec le communisme. Et à moins du communisme, au point où en est le capitalisme, je ne vois pas quelle bonne politique est possible.

Abandonner la référence au communisme ?

Supposons qu’une certaine entente se manifeste sur une vision de cet ordre. Mais pourquoi tenir à l’inscrire sous l’emblème du communisme ? Est-ce bien voir, demande-t-on, à quel point le mot, fût-ce par malentendu, est décrié, donc combien de forces potentielles on risque d’éloigner à vouloir le maintenir ? Voilà qui pose bien trop petitement la question d’un mot aussi puissamment symbolique. Si on mesure toute sa portée, je tiens qu’il y a au moins trois raisons déterminantes de persister à nommer communisme le mouvement transformateur à déployer, et communiste la force organisée s’y consacrant.

- 1 – Un mouvement politique qui se veut grand doit dire en toute clarté ce qu’il est et ce qu’il vise. Vous prétendez dépasser le capitalisme ? Dites-nous sans faux-fuyant par quoi vous comptez le remplacer. Exigence irrécusable, qui exclut l’échappatoire d’une caractérisation purement formelle comme « transformation sociale profonde » – en quel sens ? Sarkozy aussi engage une « transformation sociale profonde » – ou négative comme « antilibéralisme » ou même « post capitalisme » – qui peut se contenter de pareil chèque en blanc ? Il faut un mot disant sans équivoque vers quelle sorte de société profondément nouvelle on veut dépasser le capitalisme. Le seul mot juste est communisme : au ravage de l’universelle mise en privé, il s’agit d’opposer le processus où se met en commun la maîtrise de toutes les grandes activités sociales. Que malgré tout ce qui au 20esiècle en a révélé les failles profondes le « socialisme » puisse retrouver demain en Amérique latine une certaine crédibilité ou non, l’avenir nous le dira. Pour ce qui nous concerne en tout cas, il est crucial de marquer clairement, en récusant la référence au « socialisme », la rupture délibérée avec ses formes stalinisées aussi bien que la radicale insuffisance de ses variantes social-démocrates.

Hésiter à placer notre action sous le signe du communisme, ne serait-ce pas en fait gravement méconnaître à quel point il est déjà tard dans l’histoire du capitalisme ? L’implosion du camp soviétique l’a rendu fou – même des hommes du grand capital s’en inquiètent fort : seul au monde, il fonce désormais vers un abîme, y entraînant avec lui l’humanité. Les Verts ont réussi à faire une grande cause politique du souci écologique ; n’avons-nous pas à faire une tout aussi grande cause politique du souci anthropologique, à l’heure où la frénésie schizophrène du taux de profit financier pousse à un point inouï la déshumanisation de nos vies et engage un tragique holocauste du sens de toutes les activités humaines ?Que maints artistes flairent la venue d’un fascisme économique porteur d’autres horreurs que celles même du 20e siècle donne à penser. Beaucoup commencent à le sentir : devient urgente une insurrection générale en faveur du bien commun. Et c’est en un tel moment que nous trouverions judicieux de mettre à la poubelle le drapeau d’une telle insurrection, le mot communisme ? Serions-nous en train de devenir fous nous-mêmes ?

- 2. A côté de cette capitale raison stratégique, j’en vois une autre non moins décisive : politique au sens direct du terme. Depuis bientôt un siècle est marqué dans la vie politique nationale un emplacement profondément original, celui d’une force tenant une notoire place à part dans l’éventail de « la gauche » : inconfondable d’origine avec le socialisme réformiste, à plus forte raison depuis qu’il s’est mis à tenir le capitalisme pour définitif, mais inconfondable aussi avec l’extrême-gauche trotskiste et toute forme de gauchisme en ce que, refusant le stérile enfermement sectaire, elle ne renonce jamais aux plus larges ententes susceptibles à tous niveaux de faire avancer les choses. Cet emplacement correspond dans la conscience, voire l’inconscient de tous à l’étiquette : communiste. Dans la perspective même, foncièrement inédite, d’un mouvement communiste réel, un tel positionnement politique n’est en rien obsolète ; il ne fait que prendre plus encore de pertinence. Abandonner communiste et par là l’identification à cet emplacement nécessaire gravé dans les consciences et les pratiques politiques relèverait à mes yeux du plus aberrant des non-sens. On peut du reste être certain que si nous commettions cette insigne erreur, l’étiquette communiste ne tarderait pas à être brandie par d’autres, et vu ce qu’ils en feraient nous risquerions bien de terriblement le regretter – mais trop tard, car un tel abandon est aussitôt irréversible.

- 3. Ma troisième raison est une contre-raison. A ce qui vient d’être dit, je ne connais qu’une vraie objection, d’allure modeste mais souvent jugée irrésistible : quoi qu’on dise, le mot communisme demeure massivement évocateur de Staline et du Mur de Berlin, de la « dictature du prolétariat » et du « bilan globalement positif », de cent autres choses de même résonance qu’il est superflu d’énumérer ici, et désormais, en plus, du terrible 1,93%. C’est un mot empoisonné, répulsif, inemployable. Nous avons perdu notre crédibilité à un point tel qu’aucune remontée n’est concevable sans un acte symbolique de radicale innovation – cet acte, ce ne peut être que le solennel abandon de la référence communiste.

Ce qui frappe en premier dans l’audience que paraît avoir cet argument chez nombre de communistes avec ou sans carte, c’est la profondeur du désarroi qu’elle traduit. Oui, alors que nous avons voué nos vies à la plus haute des causes humaines, il y a eu Staline et Pol Pot pour la déshonorer, il y a eu aussi un long cortège de sottises historiques en tous genres pour la discréditer. Il y a eu tout ce qui fait que « le communisme » est bien mort. Quel communiste peut ne pas le ressentir au plus profond ? Mais ce qui relèverait à mon sens d’une extraordinaire inconséquence, ce serait qu’en renonçant au communisme de Marx parce que « le communisme » l’a odieusement trahi nous mettions ainsi nous-mêmes un incroyable signe d’égalité entre les deux. J’ai eu bien des occasions de parler devant des auditoires divers du communisme tel que l’entend Marx : j’ai bien sûr rencontré plus d’une fois de l’incrédulité – « ce serait trop beau » – mais pas une fois, j’en témoigne, la moindre hostilité. La seule raison de renoncer au communisme serait donc qu’il est le plus souvent confondu avec « le communisme », à plus d’un égard son contraire ? Et par notre abandon nous contresignerions cet invraisemblable malentendu ? Aberrant.

La paille des choses et le grain des mots.

Certes, dira-t-on, si « communisme » est irrécupérable, il est vrai qu’à communisme il n’y aurait pas de raison de renoncer. Mais c’est que nous savons faire toute la différence entre les deux ; l’opinion, de façon massive, ne le sait pas, au point que vouloir disculper le communisme des fautes du « communisme » passerait pour une pitoyable argutie. Voici justement le point où l’argument se retourne contre lui-même. Car en somme il revient à dire : la bataille pour détromper nos concitoyens sur un point d’importance aussi cardinale est perdue d’avance, mieux vaut y renoncer. Et c’est ce défaitisme fondateur qui donnerait le coup d’envoi à une combative novation politique ? On pourrait dire tout aussi bien – tout aussi mal : la bataille est perdue d’avance pour convaincre nos concitoyens que le capitalisme est dépassable, mieux vaut y renoncer. Terrible est la logique de pareils renoncements : enclenchée, elle devient sans rivage.

Veut-on oui ou non engager pour de bon le dépassement du capitalisme ? Si oui, il faut se préparer à bien des batailles « perdues d’avance » en se créant les moyens de les gagner. L’une des plus décisives est de donner à comprendre ce qu’a été le drame du 20e siècle : ayant commencé en un temps et un lieu où ses préconditions essentielles faisaient défaut, le communisme s’est dénaturé en « communisme » voué à terme au plus noir échec. Aujourd’hui, dans des conditions bien plus mûres et forts des rudes leçons de cet échec, nous pouvons mettre pour la première fois à l’ordre du jour le communisme en son authenticité et sa plénitude. Faire entendre largement cela au peuple français, et aux autres, ne sera ni aisé ni rapide ; tous les bâtons nous seront mis dans les roues – raison de plus pour développer sans délai cette bataille incontournable. Car qui ne comprend pas le drame du 20e siècle ne saura jamais s’orienter correctement dans le 21e. C’est pourquoi retirer le mot communisme en croyant supprimer la difficulté serait un vrai marché de dupes. Le garder nous contraint au contraire à l’indispensable effort suivi d’explication avec les autres et avec nous-mêmes.

La droite ne nous a-t-elle pas donné une éclatante leçon en la matière ? Dans l’après-guerre, le mot droite était si discrédité par tout ce qu’il avait couvert durant l’Occupation allemande qu’à part une poignée d’extrémistes personne ne voulait s’avouer de droite. Et puis il y a eu Thatcher, Reagan, Giscard, l’offensive néolibérale, une vraie campagne de réhabilitation du mot, et aujourd’hui un Sarkozy a pu s’en faire un triomphal drapeau. Aurions-nous moins d’audace que la droite ? Au reste, si l’adjectif communiste devait, par notre carence, rester captif de son acception répulsive, il faudrait être d’une grande naïveté pour s’imaginer que l’adversaire de classe aurait le bon goût de ne pas stigmatiser une formation authentiquement anticapitaliste en lui collant quand même l’étiquette « communiste », sa répudiation étant dénoncée comme pure hypocrisie.

De cet argument ne subsiste au fond qu’une chose, mais importante : la nécessité d’une très forte rupture symbolique avec une façon de faire de la politique qui n’en peut plus et dont la plupart ne veulent plus. Je tiens pour fondée cette exigence de rupture. Mais ce avec quoi il faut emblématiquement rompre n’est pas communisme, c’est parti.

III- Communisme : comment ?

Donner vie à la perspective communiste esquissée plus haut implique des façons essentiellement nouvelles de faire de la politique et de s’organiser cette fin. Questions déterminantes qui ne trouveront réponse appropriée que dans le mouvement réel – c’est une formidable expérimentation politique en vraie grandeur qu’il s’agit d’engager. A titre exploratoire, essayons d’en dire d’avance un peu davantage en acompte personnel sur une réflexion collective.

Faire de la politique avec le communisme, c’est avant tout multiplier les initiatives transformatrices désaliénantes sur tous les terrains et avec la participation de qui veut. On mesure la maturité objective d’un mouvement communiste aujourd’hui dans un pays comme le nôtre à la spectaculaire abondance des occasions de telles initiatives qu’offre sans cesse l’actualité. Enquêtes accusatrices sur l’insupportable charge de travail chez Renault ou IBM jusqu’à pousser des salariés au suicide, réactions d’enseignants à l’idéologie pédagogique peu croyablement rétrograde sous la démagogie qui traverse toute la « Lettre aux éducateurs » de Sarkozy, refus montant des révoltantes franchises en matière de soins médicaux, adresse de Michel Platini aux chefs d’Etat contre le pourrissement du foot par le fric, sensibilité croissante des professionnels à l’asservissement de la presse, refus massif chez les chercheurs scientifiques de voir réduire le CNRS à une agence de moyens, énormes scandales de gestion à répétition pointant la nécessité de droits nouveaux des salariés dans l’entreprise, profondeur des remous éthiques suscités par l’affaire du test ADN d’appartenance familiale… : il suffit de reprendre une collection récente de l’Humanité pour remplir des pages entières avec les exemples d’initiatives possibles, les plus opportunes étant celles qui touchent au cœur des logiques du capital tout en disposant au départ de quelque atout favorable – reconstruire une confiance dans le succès possible du combat anticapitaliste est de première urgence.

Mais qu’y a-t-il là de neuf ? S’emparer d’une actualité révoltante pour en clarifier le sens et en dénoncer les causes, montrer la possibilité de faire autrement en avançant des contre-propositions et en engageant des actions, n’est-ce pas à quoi le PCF s’efforce depuis toujours ? Oui bien entendu, il s’y efforce avec mérite selon la façon de faire de la politique qui est la sienne en tant que parti. Le résultat en est connu : affaiblissement continu depuis maintenant près de trois décennies jusqu’à un niveau tel qu’en bien des lieux et domaines la survie même de sa capacité d’initiative est en cause. Impossible d’échapper à la conclusion que quelque chose d’essentiel est à reconcevoir dans cette manière de faire de la politique. Quoi donc ?

En quel sens « faire de la politique autrement » ?

Comment se présente en général une initiative du PCF sur un sujet d’importance majeure ? La direction nationale étudie la question, adopte des décisions, lance l’action en invitant toutes les cellules à s’impliquer, à appuyer, à relayer une initiative élaborée au-dessus de leur tête. Dans son principe même, et quelques correctifs secondaires qu’on puisse s’efforcer d’y apporter, ce mode d’initiative à visée désaliénatrice trouve donc moyen d’être aliénant en lui-même : on y saisit l’adhérent en le dessaisissant. Contradiction structurelle, puisque la cellule, organisme territorial « de base » – au sens de tout en bas – n’a ni la taille ni les moyens d’élaborer et animer par elle-même d’amples initiatives transformatrices, alors que son statut généraliste lui fait en principe devoir de les prendre toutes en charge. Quelle que puisse être la bonne volonté des individus, c’est forcément « le sommet » qui décide de ce compte. Sans doute était-ce naguère la seule manière de faire de la politique émancipatrice avec un peuple largement immature ; elle est aujourd’hui d’un intenable archaïsme. La crise flagrante de la forme même qu’est un parti – avant tout instrument de conquête du pouvoir impliquant du même coup pouvoir de la direction sur les militants – fait éclater cette antinomie : le combat pour l’émancipation sociale ne peut absolument plus se mener dans la sujétion militante. Les femmes et les hommes d’aujourd’hui, dans leur masse, exigent le plein exercice de leurs responsabilités. Là n’est pas la moins forte des raisons qui expliquent la mort du « communisme », ni le moindre indice de maturation du communisme.

Est-il concevable de mener tout autrement des initiatives communistes ? Imaginons. Impératif de base : que jamais leurs acteurs n’en soient dépossédés. Ce qui vaut dès le départ : l’initiative donc naît sur le terrain – groupe d’entreprises ou de services, arrondissement urbain ou grand ensemble, région rurale… – et y demeure. Concrètement : les adhérents d’une section – au sens actuel du terme – décident ensemble des initiatives qu’ils jugent les plus judicieuses dans le contexte qui est le leur – décision révisible, évolutive -, chacun choisissant lui-même à quel collectif d’initiative – nommons-le ici par convention atelier – il veut prendre part. L’atelier a tout pouvoir pour élaborer son initiative : étude de données, appropriation de connaissances, fixation d’objectifs, engagement d’actions… Dans d’autres sections, d’autres régions, des ateliers mènent une initiative analogue : des informations et expériences sont échangées, des problèmes communs mis à l’étude, des objectifs plus ambitieux adoptés… Sans perdre ses racines, sans échapper à la responsabilité plénière de ses acteurs, l’initiative devient l’affaire commune de toute une famille d’ateliers, elle peut se nationaliser, voire s’internationaliser ; elle devient pépinière de compétences et de porte-parole, instrument de transformation à taille efficace comme jamais cellule n’a pu l’être.

Les ensembles d’ateliers aux objectifs les plus variés s’interconnectent eux-mêmes en fonction des besoins : une initiative contre les insupportables charges de travail recoupe celles qui visent à de nouveaux droits des salariés, au pluralisme de l’information médiatique, au développement de la prévention sanitaire… Un mouvement politique communiste s’esquisse, dans le prolongement des « mouvements sociaux »de la dernière décennie, mais dépassant par construction leur triple difficulté structurelle : limitation du champ travaillé, absence de débouché politique, par là-même risque récurrent d’instrumentalisation par un parti. Le centre de gravité de l’action politique passe des faits et gestes d’une direction à l’initiative sur le terrain, sur tous les terrains : on commence à rendre palpable une sorte vraiment différente de politique. Est-ce « utopie » que de voir commencer ici à se dissoudre le rapport aliéné du dirigé au dirigeant, à changer de sens le mot « base », à émerger la politique hors de la forme-parti où elle s’asphyxie ?

N’est-ce pas pourtant en revenir au décevant « culte du spontané »,incapable de produire une vraie cohérence ? Sous cette affleure une conviction ancestrale que chacun porte pour une part au fond de lui-même : la cohérence ne pourrait être produite que par une direction. Qui dit cohérence dirait verticalité, donc maintien nécessaire de la forme-parti. Je tiens que cette conviction est hantée à son insu par un préjugé de classe qu’a relayé dans la tradition communiste un bolchevisme stalinisé : il faudrait toujours un chef. C’est faux. Partout autour de nous fonctionnent des cohérences sans verticalité. Les équilibres biologiques ne sont régulés d’en haut par aucun dieu. Le cerveau humain, explique le prix Nobel Gerald Edelman, produit d’extraordinaires cohérences que n’assure aucun poste de commande, fût-ce cortical. Nombre de chercheurs scientifiques refusent en ce moment même à infiniment juste titre qu’on prétende leur imposer toute autre cohérence que celle du libre mouvement des savoirs fondamentaux. La vérité est qu’il y a deux moyens opposés de produire de la cohérence : une verticalité externe ou une horizontalité interne. En politique, la première est la formule même de l’aliénation, la seconde celle d’une possible désaliénation. C’est celle qu’il nous faut absolument explorer en matière d’organisation s’il est bien vrai que le 1,93% nous condamne à changer de façon radicale sous peine d’entrée dans un coma irréversible. C’est celle qui est déjà à l’œuvre, trop souvent sans nous, dans tant d’efforts au présent sur les terrains les plus divers de la transformation sociale.

Du parti au mouvement.

Regardons de près ce que requiert pour sa cohérence un mouvement communiste tel qu’on vient de l’esquisser. Les militants à l’initiative dans le maillage général en ateliers n’ont nul besoin d’instances décidant à leur place ; ils apprennent eux-mêmes à décider de façon experte, selon le principe communiste : « Que chaque cuisinière apprenne à gouverner l’État ! ». Ce qui répond à leur besoin n’est pas la délégation de pouvoir à une direction mais la centralisation de savoir au service des acteurs directs – une capitale revalorisation et réanimation du travail d’idées communiste est à tous égards urgente. La cohérence de leurs initiatives repose sur d’incessants échanges : d’informations, de questions, d’analyses, de propositions… Organiser ces échanges avec une efficacité économe, produire une visibilité de l’ensemble, préalable de toute prospective pertinente : c’est le rôle de centres à divers niveaux. Des centres – appelons-les par exemple conseils – ne confisquant rien du pouvoir de décision des ateliers et de leur maillage, redécentralisant sans cesse au contraire des moyens élaborés de mieux décider. Ceci oriente vers une sorte d’organisation politique en rupture avec le parti.

L’idée a prévalu dans les années 90, malgré des avis contraires inécoutés, qu’on résoudrait la crise du PCF en s’en prenant à la centralité – entreprise qui serait foncièrement néfaste si elle n’était impossible : aujourd’hui comme hier continuent bien sûr d’exister à tous niveaux des organismes centraux dans le PCF. Ce n’est pas la centralité qui fait la crise mortelle de la forme-parti mais la verticalité qu’elle recouvre, celle d’une direction détenant seule, par position, les moyens de décider pour tout ce qui compte et qui, voulût-on le contraire, dépossède les militants de la maîtrise des initiatives dont ils ont pourtant à être les acteurs. Disons-le sous une forme provocante mais imparable : la verticalité est anti-communiste. Tant qu’on n’aura pas surmonté l’angoisse directionnelle à l’idée d’une radicale élimination de la verticalité, la façon « communiste » de faire de la politique continuera d’apparaître à tous, non sans motif, semblable à celle des autres partis – préjugés anti-communistes en plus et crédibilité de l’accès au pouvoir en moins. Qui veut venir aujourd’hui dans une organisation politique à vocation émancipatrice pour y être dirigé ? Nous venons de payer horriblement cher d’avoir trop peu senti combien se reconnaître dans un dirigeant national de parti, même personnellement sympathique, répugne aujourd’hui à beaucoup. Croire sauver le parti en s’accrochant à la verticalité, ce serait travailler à perdre sans retour le communisme politique.

Pour engager sur tous les terrains un dépassement du capitalisme au présent, ce dont il est besoin comme force organisée n’est plus un parti mais un mouvement – donnons-lui ici par hypothèse un nom qui dise en clair à la fois sa raison et son mode d’être : Initiative communiste (IC). I C est avant tout dès le départ un maillage naissant d’ateliers qui engagent des initiatives transformatrices dans l’intense échange horizontal qu’ont à tâche de favoriser des conseils de divers niveaux, de la section à l’échelon national. C’est un ensemble de chantiers auxquels participe qui veut, la responsabilité des décisions restant aux adhérents du mouvement. IC n’a pas de direction mais un conseil national travaillant à centraliser l’expérience, cerner les problèmes, organiser le débat, en décentraliser les résultats dans leur pluralité. Des divergences d’orientation se manifestent : on les traite sur le mode de l’expérimentation ouverte soumise au critère de la pratique. Résorption du pouvoir vertical dans la centralité horizontale : nous sortons du parti pour passer à un tout autre type de force organisée, inédit dans la vie nationale, propre à renouveler en profondeur l’attitude des milieux populaires, des intellectuels, de la jeunesse envers la politique.

Déplacer résolument le centre de gravité de la politique sur les terrains de la transformation sociale n’équivaut en rien à négliger les exigences de la politique institutionnelle, mais à les aborder comme des aspects subordonnés de l’action d’ensemble. Les fortes spécificités de ces tâches dictées par le système institutionnel – batailles électorales, participation à des pouvoirs, relations extérieures… – peuvent suggérer d’en confier l’exécution à des délégations mises en place par le conseil national d’IC. Ces délégations, disposant d’une réelle autonomie d’initiative et d’une forte visibilité publique, ne sauraient pour autant – point capital – jouer le rôle d’une direction : elles se verraient fixer leur orientation par le conseil national et à travers lui l’ensemble des ateliers dont il n’est qu’un organe, restant responsables devant eux de l’accomplissement de leur mandat. Avec la disparition d’un Secrétariat national – mais non de plusieurs porte-parole attitrés -, on passe de très voyante manière au-delà de la forme-parti.

Par-delà celles et ceux qui se veulent expressément communistes, beaucoup, partageant telle ou telle des mêmes visées anticapitalistes, font dans les conditions présentes un choix différent. La criante nécessité du « tous ensemble » oblige donc à se prononcer sur le mode d’entente à rechercher entre les uns et les autres.
Deux hypothèses se présentent :
- 1) la constitution d’une force alternative unique fédérant des entités distinctes dont l’une seulement se référerait au communisme ;
- 2) la conclusion d’un pacte entre formations diverses, dont la communiste, chacune conservant son autonomie. Je soutiens quant à moi cette deuxième formule, pour la raison qu’à mon sens ne peuvent durablement cohabiter des forces politiques n’ayant pas sur les points essentiels un même projet historique. La spécificité du projet communiste en sa pleine acception est à mes yeux trop forte pour se plier à une vision commune n’y faisant que très incomplètement droit. Préférable me paraît une association à buts concertés en commun – expression publique, initiatives politiques, stratégies électorales… – réservant à chaque partenaire une entière liberté de jugement et une responsabilité plénière sur ses démarches propres.

Ultime question, non la moindre : comment parvenir à cette nouvelle organisation ? Cela suppose de satisfaire à deux exigences contradictoires.
- 1) Il est exclu que le PCF soit son creuset, pour cette décisive raison de fond que la verticalité ne peut donner naissance à l’horizontalité. Le croire possible est précisément ce qui conduit à 1,93%.Il faut admettre sans réticence de se placer d’emblée au-delà des organisations existantes pour faire exister une force de nouvelle génération.
- 2) Mais il est non moins exclu que les adhérents du PCF acceptent de renoncer à leur parti sans garantie majeure quant à l’authenticité communiste de la formation où ils se retrouveraient avec d’autres. Si cette lourde décision devait leur apparaître comme une aventure, ils ne seraient pas nombreux à s’y impliquer. Je ne le ferais pas moi-même. Or le principe d’une telle garantie n’est pas difficile à concevoir : il faut, entre co-fondateurs motivé-e-s de la nouvelle organisation communiste, travailler à un clair manifeste de ses buts et moyens jusqu’à susciter l’accord de tous, ce document de référence servant de préalable aux assises ouvertes qui en constitueront l’acte de naissance. Il ne peut s’agir de demander à quiconque un saut dans l’inconnu, mais bien à tous un saut vers l’avenir.

Garder le PCF ou renoncer au communisme : ce dilemme condamne à un double désastre. L’issue est d’inventer une force inédite pour donner vie à un communisme du 21e siècle. »

Lucien Séve,
7 novembre 2007

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