Le léninisme dans la révolution russe

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Texte de Démocratie Communiste (Luxemburgiste) :

Pour le marxisme l’histoire doit être analysée et critiquée : c’est la « conception matérialiste et critique »[1] de l’histoire. Connaître l’histoire ne doit pas servir à répéter des formules ou des recettes, mais à comprendre les événements et à ne pas commettre les mêmes erreurs. Notre but est donc de comprendre l’action du léninisme dans la révolution russe, et ainsi d’approcher la nature pratique, réelle, de cette doctrine.

Contrairement aux léninistes, il ne s’agit pas pour nous de défendre tel courant ou telle personne, et déclarer que tout ce qu’il a fait et dit était juste et parfait. Un tel courant « parfait » n’existe pas dans la révolution russe, et certainement dans aucune révolution.

La prise du pouvoir d’octobre 1917

Le mythe répété religieusement est clair : en octobre 1917, les bolcheviks auraient fait une « révolution ». Encore plus fort, cette « révolution » d’octobre aurait été une « révolution socialiste », voire une « révolution marxiste » !

Il est donc nécessaire de rappeler ici une des bases du marxisme : le volontarisme politique ne peut pas se substituer à l’action consciente des masses elles-mêmes. L’action politique ne peut en aucun cas remplacer l’action sociale.

Ce qui a eu lieu en octobre 1917 en Russie, c’est une prise du pouvoir par un parti, le parti bolchevik. Lénine écrit en septembre 1917 au comité central bolchevik : « les bolchéviks peuvent et doivent prendre en mains le pouvoir. »[2] C’est franc : pour Lénine, c’est bien aux bolcheviks seuls de prendre le pouvoir.

Juste après le coup bolchevik, Trotsky le dit sans ambiguïté : « L’habitant dormait tranquillement et ne savait pas que, pendant ce temps, un pouvoir était remplacé par un autre. »[3] Aucun rapport, donc, avec une révolution populaire.

D’où vient alors la confusion ? D’abord la Russie était en révolution depuis février 1917, cette révolution ayant renversé le tsarisme, mais n’arrivant pas à se trouver un nouveau régime, bien que l’aspiration populaire soit clairement pour une véritable démocratie. Le « coup d’Etat d’octobre »[4] n’a été qu’un des événements de la révolution russe, mais des décennies de propagande et de contre-vérités ont fait confondre ce putsch mené de nuit avec la révolution russe, qui est un événement bien plus vaste où les masses ont joué un rôle primordial.

Après octobre, le pouvoir est exercé par un « Conseil des commissaires » dirigé par Lénine (qui n’a jamais été membre d’un soviet), et en pratique encore plus par la petite direction bolchevique.

La pratique du pouvoir léniniste

L’échec des gouvernements provisoires de février à octobre 1917 a constitué le terreau du développement des bolcheviks. Mais il ne faudra que quelques semaines pour que les bolcheviks fassent sur plusieurs points les mêmes reniements que les gouvernements provisoires (les similitudes sont évidentes concernant le rétablissement de la peine de mort, ainsi que le renoncement à la Constituante).

La volte-face de Lénine est ainsi résumée par Boris Souvarine en 1935 : « Après avoir demandé aux socialistes au pouvoir la liberté au nom de leurs principes, il la leur refusait au nom de sa tactique. »[5] Souvarine poursuit : « Dans la mesure où ils théorisent la terreur, Lénine et Trotsky entrent en contradiction avec la pensée marxiste dont ils se croient les fidèles interprètes. Ils n’ont su que répondre quand on leur opposait Engels pour qui la terreur est « la domination de gens eux-mêmes terrorisés », faite de « cruautés inutiles commises pour se rassurer par des gens qui ont peur eux-mêmes ». Opinion nullement fortuite confirmée par Marx »[6].

Rosa Luxemburg constate en septembre 1918 que le pouvoir bolchevik a fait « preuve du mépris le plus glacial à l’égard de l’Assemblée constituante, du suffrage universel, de la liberté de la presse et de réunion, bref de tout l’appareil des libertés démocratiques fondamentales des masses populaires »[7]. Cette politique des bolcheviks constitue l’inverse de ce qui est indispensable selon le marxisme, ce que rappelle Luxemburg quand elle en appelle à « la vie politique active, libre, énergique, de larges masses populaires »[8], à « la démocratie la plus large et la plus illimitée »[9], à « une vie intensément active des masses dans une liberté politique illimitée »[10].

Moins d’un an après le coup d’Etat bolchevik, Rosa Luxemburg constate que « sans l’action internationale de la révolution prolétarienne », le régime russe doit « inévitablement tomber dans un tourbillon de contradictions et d’erreurs »[11], ce que l’histoire a amplement confirmé.

Luxemburg déplore « les 200 victimes expiatoires de Moscou », et « la terreur et l’écrasement de la démocratie »[12]. Les 200 victimes dont il est question étaient 200 militants socialistes-révolutionnaires de gauche, qui avaient été exécutés à Moscou par le pouvoir bolchevik en juillet 1918. Rosa Luxemburg avait été très affectée par cette répression, comme en témoigne cet extrait de sa correspondance : « règne au vrai tout autour de moi un climat de fin du monde. Peut-être sont-ce spécialement les 200 « exécutions d’otages » de Moscou que j’ai lues hier dans le journal, qui m’ont affectée de la sorte… »[13]

Selon Luxemburg le pouvoir léniniste est « un gouvernement de coterie – une dictature, il est vrai, non celle du prolétariat, mais celle d’une poignée de politiciens, c’est-à-dire une dictature au sens bourgeois, au sens de la domination jacobine »[14]. Lénine se revendique lui-même de « l’exemple » du gouvernement jacobin, et en 1920 il reconnaît que le régime n’est dirigé que par quelques chefs bolcheviks : « la plus authentique « oligarchie » »[15] selon ses propres mots.

Sur le plan économique, les bolcheviks mettent en place les méthodes d’exploitation capitaliste : « salaire aux pièces » et « système Taylor »[16], notamment.

Le 29 avril 1918 Lénine déclare au comité exécutif central de Russie : « Etablir à présent le capitalisme d’Etat, c’est appliquer le recensement et le contrôle qu’appliquaient les classes capitalistes. »[17] En mai 1918, Lénine confirme que son but est d’« organiser la grande production à l’échelle de l’Etat, sur les bases du capitalisme d’Etat » ! Il s’agit là d’un point central pour comprendre le léninisme : la mise en place dès 1918 du capitalisme d’Etat (perspective qui était auparavant unanimement condamnée par les marxistes, et qui était désormais revendiquée et appliquée par Lénine). Ce système économique sera par la suite appliqué par l’ensemble des régimes d’inspiration léniniste.

Dans le même article, Lénine ajoute : « notre devoir est de nous mettre à l’école du capitalisme d’Etat des Allemands, de nous appliquer de toutes nos forces à l’assimiler, de ne pas ménager les procédés dictatoriaux pour l’implanter en Russie »[18]. Rosa Luxemburg n’eut pas connaissance de cet éloge par Lénine du système qu’elle avait tant combattu, qu’avaient durement subi des millions de prolétaires en Allemagne, et que maintenant un « marxiste » voulait… copier. Lénine a donc, effectivement, appliqué le système économique de la monarchie allemande, et l’a fait avec les méthodes de la monarchie allemande.

Au bout de trois ans, en avril 1921, Lénine persistait dans sa défense du capitalisme d’Etat : « Puisque nous ne sommes pas encore en état de réaliser le passage immédiat de la petite production au socialisme, le capitalisme est, dans une certaine mesure, inévitable […] aussi devons-nous l’utiliser (surtout en l’orientant dans la voie du capitalisme d’Etat) »[19]. Découvrant au printemps 1921, trois ans et demi après la prise du pouvoir, que le capitalisme est inévitable étant donné l’état de développement de la Russie, Lénine décide néanmoins de se maintenir comme chef d’un Etat capitaliste. Seule modification du système économique : la NEP, qui consiste en l’injection d’une dose de capitalisme privé au sein du capitalisme d’Etat, lequel reste malgré tout la base du mode de production de la Russie léniniste.

Le 28 mars 1922 à la tribune du congrès du parti bolchevik, il reconnaît encore que l’économie russe est un capitalisme d’Etat, et il déclare que « le capitalisme d’Etat […] c’est un capitalisme toléré par nous », ajoutant : « le capitalisme d’Etat est toléré par notre État prolétarien : or, l’Etat, c’est nous. Si nous nous y sommes mal pris, nous sommes les coupables, inutile d’en chercher d’autres ! ». Au delà de la formule absurde « État prolétarien », Lénine emprunte ici à Louis XIV sa conception de l’Etat (« l’Etat, c’est moi »), le souverain russe s’associant cependant la direction du parti bolchevik en un « l’Etat, c’est nous » qui pousse le reniement jusqu’au ridicule.

Enfin, Lénine affirme qu’il ne veut pas d’un « débat sur la façon dont les professeurs allemands comprenaient le capitalisme d’Etat et dont nous le comprenons. Depuis lors, nous avons subi bien des épreuves et il n’y a absolument aucune raison de regarder en arrière »[20]. Et pour cause : un « regard en arrière » permettrait de s’apercevoir que les marxistes et les autres socialistes ont toujours rejeté le capitalisme d’Etat ; et les épreuves russes ne justifient en rien qu’au nom du « socialisme » soit menée une politique capitaliste.

Faire de nécessité vertu est une chose, déjà peu acceptable pour un marxiste, mais mentir de façon aussi nette pour couvrir ce retournement en est une autre, encore plus grave. C’est ce mensonge sur lequel est bâti la légende de l’« URSS socialiste » – alors que c’était en réalité l’inverse : l’URSS capitaliste d’Etat. En effet, les rapports de production y ont du début à la fin été basés sur le travail salarié, la forme marchandise, et le capital. Ces trois éléments sont décrits par Karl Marx dans Le Capital comme les trois bases du capitalisme.

Fin 1922 encore, Lénine affirme : « l’instauration du capitalisme d’Etat dans notre pays n’est pas aussi rapide que nous le voudrions. […] si le capital étranger ne participe pas au développement de notre économie on ne peut espérer la rétablir rapidement. »[21]

Comme l’écrivit le marxologue Maximilien Rubel : « En Russie, Lénine, son parti et la bureaucratie assumèrent le rôle dévolu partout ailleurs à la bourgeoisie […] Cette économie prétendument socialiste n’est autre qu’une forme particulière du type de production et de distribution déjà décrit dans le troisième livre du Capital : le capitalisme directorial, variété du capitalisme privé surgie grâce à l’expropriation des petites entreprises et à leur absorption dans des oligopoles et monopoles. »[22].

L’exploitation du travail contraint étant restée la règle sous le régime léniniste, les travailleurs russes sont donc restés exploités de la même façon. La production était dirigée par la nouvelle classe dominante : la bureaucratie d’Etat (laquelle n’était pas plus élue que les possesseurs du capital en régime de capitalisme privé). Les privilégiés de cette classe dirigeante obtenaient leurs privilèges économiques par l’exploitation de la majorité, tout comme les autres classes capitalistes dans les autres formes d’économies capitalistes.

Déjà, en renonçant à la démocratie, les léninistes renonçaient de fait à toute tendance vers le socialisme. Lénine tenta en 1920 de justifier son « pouvoir personnel », par ces propos clairement opposés au marxisme : « la volonté d’une classe est parfois réalisée par un dictateur, qui parfois fait à lui seul davantage et est souvent plus nécessaire. »[23] Difficile d’être plus clair, et de renier encore plus la pensée de Marx.

Au niveau de l’appareil répressif d’Etat, la tchéka s’est développée dès les premiers mois du pouvoir léniniste, se comportant en continuatrice de l’okhrana (la tentaculaire police politique tsariste). Le schéma de la continuité du tsarisme par le régime léniniste est pour l’essentiel le même concernant les camps de prisonniers.

Avec la suppression de la liberté de la presse et de la démocratie politique (qui étaient des conquêtes de la révolution des masses de 1917), ainsi qu’avec le maintien de la répression, Lénine renie ses promesses antérieures. C’est cet ensemble de reniements que des générations de léninistes ont approuvé.

Le 30 décembre 1922, Lénine estime que l’appareil de l’Etat russe est « emprunté au tsarisme »[24], lucidité dont l’immense majorité de ses « disciples » seront incapables.

Concernant le soulèvement de Kronstadt de février-mars 1921, on se limitera ici à citer quelques éléments relevés par Boris Souvarine en 1935, soit avant que la controverse concernant Trotsky ne se déclenche[25] : « Le mouvement de revendication des ouvriers et des marins, d’aspect absolument pacifique à l’origine, correspondait à l’agitation du prolétariat de Pétrograd excédé de privations, de déceptions et des brutalités de la « commissarocratie ». […] Si les matelots et les ouvriers de Cronstadt avaient ourdi un complot ou dressé un plan, ils eussent attendu le dégel qui rendrait leur forteresse imprenable et mettrait Pétrograd sous le tir de la flotte. Mais ils espéraient gain de cause par la seule puissance de leur droit et grâce à la solidarité de la Russie laborieuse. […] ils se savaient les interprètes des doléances populaires. Leur candeur politique reste hors de doute comme leur fidélité à la révolution. Mais le lourd « appareil » du parti bolchéviste n’était déjà plus sensible à la pureté des meilleures intentions. […] Par une sinistre ironie de l’histoire, la Commune de Cronstadt périt le 18 mars 1921, cinquantième anniversaire de la Commune de Paris. »[26]

Une pratique ossifiée en… « théorie »

D’un point de vue théorique, Lénine était inspiré par Plekhanov et Kautsky, bien plus que par Marx ou Engels. Il ne fut par ailleurs jamais lui-même un théoricien et, avant de devenir chef d’Etat, ne fut pas considéré comme tel. Il a fallu tout le pouvoir de persuasion de l’Etat qu’il dirigeait pour réussir à faire croire à un « Lénine théoricien » voire, plus absurde encore, à un « Lénine théoricien marxiste » !

Suivant Lénine, les principaux dirigeants bolcheviks (Trotsky, Zinoviev, Staline, Boukharine…) avaient des formules justifiant la situation politique et économique qu’ils menaient en Russie, cela au nom du « marxisme » – mentant ou se fourvoyant ainsi de façon grotesque. Le léninisme s’est souvent présenté comme étant « le marxisme », contribuant ainsi à recouvrir le marxisme de dogmatisme, de nombreux mythes, et d’innombrables déformations. En « remplaçant » le marxisme, le léninisme a ainsi participé à l’ignorance très répandue vis-à-vis du marxisme réel, aboutissant à la situation – qui perdure aujourd’hui encore – où le marxisme n’est le plus souvent « connu » qu’au travers de quelques formules vidées de leur sens, voire absentes des écrits de Marx.

Le léninisme appliquant la « realpolitik », les divers courants léninistes se sont nourris de cet opportunisme, allant jusqu’à croire que ce serait une qualité… « marxiste » ! Loin de la rigueur et de l’esprit critique marxiste, le léninisme fonctionne à base de sentences aussi définitives que fausses, de jugements aussi arrêtés qu’inexacts, d’argumentaires aussi pauvres qu’insultants.

La base du léninisme, ce « volontarisme politique » se substituant à la libre œuvre émancipatrice des masses, consiste dans une foi irrationnelle en un gouvernement « socialiste », naturellement dirigé par des léninistes, qui mènerait la transformation sociale. En vérité, un gouvernement « socialiste » ne permet en aucun cas un passage au socialisme. C’est seulement un mouvement populaire massif qui peut bouleverser les structures de la société, passant d’une société hiérarchique-capitaliste à une société démocratique-socialiste, par la victoire du champ social sur les champs économique et politique.

Ignorant cette réalité, on retrouve la même illusion d’un « gouvernement socialiste » chez Lénine comme chez Ebert en Allemagne à la même époque, et finalement la même trahison dans les deux cas (que cette trahison se fasse en conscience ou « malgré eux » étant une autre question).

Des bolcheviks contre le léninisme

Même chez les bolcheviks, dès le début nombreux sont ceux qui s’opposent à telle ou telle des fautes de Lénine : Victor Serge rappellera « la lutte de Maxime Gorki contre la Terreur, l’insistance de Riazanov à réclamer l’abolition de la peine de mort, les efforts de Kaménev en vue de sauvegarder un minimum de liberté pour la pensée imprimée »[27].

Par la suite, des courants, tendances ou fractions s’opposent encore à la conception léniniste ou à certains de ses aspects : les communistes de gauche de la revue Le Communiste au printemps 1918, l’Opposition Ouvrière à partir de 1919, le Groupe du Centralisme Démocratique (dit « déciste »), la Vérité Ouvrière, le Groupe Ouvrier de Miasnikov… Mais l’interdiction des tendances par le congrès bolchevik en mars 1921 empêche cette contestation de s’exprimer librement, et elle devient essentiellement clandestine[28].

Anton Ciliga, communiste yougoslave anti-stalinien arrêté en URSS en 1930, a côtoyé des militants bolcheviks emprisonnés appartenant aux différents courants d’opposition. Il explique notamment les positions du Groupe Ouvrier, qui « entra en guerre dès le début contre les concepts léninistes de la « dictature du parti », et de l’organisation bureaucratique de la production » ; pour ce Groupe, « le socialisme ne peut être qu’une œuvre de libre création des travailleurs. Tandis que ce que l’on édifiait par la contrainte, en lui donnant le nom de socialisme, ne fut pour eux, dès le début, qu’un capitalisme bureaucratique d’Etat. »[29]. L’ouvrier « déciste » Procopénia estime que « Lénine, à la fin de sa vie, persistait à se méfier des masses ouvrières »[30]. Ciliga estime pour sa part que « dès l’instant où l’édifice ancien se fut écroulé et où Lénine prit le pouvoir, le divorce tragique commença entre lui et les masses »[31].

Les faits désavouent les deux mythes centraux concernant le léninisme, qui disent que ce serait un courant « marxiste » et « ouvrier ». En réalité, au sein même du parti bolchevik les très rares ouvriers associés à la direction s’opposèrent tous à Lénine (Chliapnikov, Sapronov, Loutovinov) ; de même concernant le seul véritable spécialiste de Marx parmi les bolcheviks : David Riazanov[32].

Le léninisme après Lénine

La propagande mensongère menée par la presse de droite et d’extrême-droite, avec ses clichés anti-communistes et anti-marxistes, a contribué à légitimer le léninisme : de nombreux militants de gauche ont, en réaction, défendu le régime bolchevik, qui était dans ce cas attaqué pour des raisons absolument fausses, sur la base d’arguments fallacieux.

Plus tragique encore, la répression anti-communiste des dictatures d’extrême-droite, touchant tant les communistes réels que les staliniens, contribua à faire passer les différences fondamentales au second plan, amenant au fait que des dirigeants du Komintern sont devenus des victimes aux côtés de véritables tenants du marxisme et de la démocratie.

La guerre civile menée par les « blancs », en réduisant l’alternative politique à seulement tsarisme ou bolchevisme, a donné une légitimité aux bolcheviks comme opposition au régime d’avant février 1917 – faisant oublier que février aurait pu déboucher sur un autre résultat, plus conforme aux aspirations des masses (même s’il est évident que ce régime se serait également trouvé face à de nombreuses difficultés). En réalité dans les premières années du pouvoir léniniste, même au niveau des pouvoirs concurrents on trouve certes des tsaristes et des bolcheviks, mais aussi des groupes de paysans indépendants, ainsi que des gouvernements locaux mencheviks, socialistes-révolutionnaires, ou encore anarchistes. S’ajoutent à cela les SR de gauche, les bolcheviks oppositionnels, et les possibilités de coalitions (l’idée d’une coalition de tous les socialistes avait rencontré de nombreux avis favorables au cours du 2e semestre 1917, mais elle fut rejetée par Lénine).

La direction léniniste de l’Etat russe n’est évidemment pas seule responsable de la stérilisation de la vie politique russe après octobre 1917, mais sa responsabilité ne saurait être minimisée.

Par la suite, on peut parler de divers léninismes : en fait essentiellement le trotskisme et le bordiguisme – le stalinisme, et son dérivé le maoïsme, bien que se revendiquant du léninisme, sont des courants décomposés et opportunistes qu’il est difficile de rattacher réellement au léninisme en tant que doctrine. Après Lénine, c’est officiellement au nom du « léninisme » que va être dirigée l’URSS, mais c’est en réalité le stalinisme qui va s’imposer.

L’étatisme intégral est instauré avec le premier plan quinquennal en 1928, et l’étatisation de l’agriculture en 1929 (qu’on trouve encore parfois désignée comme « collectivisation », qui était le terme utilisé par la désinformation stalinienne). L’exploitation salariale est systématisée dans les campagnes par les sovkhozes et kolkhozes, qui sont des systèmes d’étatisation de la paysannerie[33]. A partir de 1935, la doctrine du stakhanovisme renforça encore l’exploitation des salariés.

Il est évident à partir de ces faits que la logique du stalinisme était de « n’invoquer le socialisme que pour en illustrer l’antithèse. »[34]

Fernand Loriot écrivait en 1929 que pour « les pseudos-communistes » de l’IC et du PC, « l’ennemi n’est plus, depuis longtemps, le capitaliste, c’est l’ouvrier syndiqué, c’est l’ouvrier communiste lui-même, s’ils ne sont pas stalinistes. »[35]

En 1936, l’écrivain André Gide rapporta ses observations sur l’URSS stalinienne. Il écrit notamment : « Qu’il y ait divergence de l’idéal premier, voici qui ne peut être mis en doute. » Observant en particulier la situation politique, il constate : « Dictature, évidemment ; mais celle d’un homme, non plus celle des prolétaires unis, des Soviets. Il importe de ne point se leurrer, et force est de reconnaître tout net : ce n’est point là ce qu’on voulait. Un pas de plus et nous dirons même : c’est exactement ceci que l’on ne voulait pas. » Ces observations faites, Gide conclue que « Les erreurs particulières d’un pays ne peuvent suffire à compromettre la vérité d’une cause internationale, universelle. Le mensonge, fût-ce celui du silence, peut paraître opportun, et opportune la persévérance dans le mensonge, mais il fait à l’ennemi trop beau jeu, et la vérité, fût-elle douloureuse, ne peut blesser que pour guérir. »[36]

Au delà du stalinisme, qui constitue en quelque sorte la trahison d’une trahison, s’est également formé le trotskisme, comme continuation du léninisme. L’intervention de Trotsky au 13e congrès bolchevik, en mai 1924, est révélatrice : « Personne d’entre nous ne veut ni ne peut avoir raison contre son parti. En définitive, le parti a toujours raison »[37]. Le trotskisme a ainsi conservé telles quelles les tares du léninisme, alors que le stalinisme les a aggravées jusqu’à l’extrême, tout en ajoutant de nouveaux crimes, de nouvelles trahisons, et de nouveaux « emprunts » à la dictature tsariste.

Les léninistes sont essentiellement dans un rapport d’imitation par rapport à la révolution russe ; il faudrait selon eux prendre exemple sur ce qu’y ont fait les bolcheviks. Une perspective marxiste se doit au contraire d’analyser et de tirer toutes les leçons des multiples erreurs et renoncements du pouvoir léniniste, et ce dès les premières années.

Le léninisme est la théorie d’un parti « d’élite », auto-proclamé, qui cherche à prendre le pouvoir au nom de la classe salariée, et à sa place.

Marxisme ou léninisme : il s’agit là d’un choix décisif à faire, entre deux conceptions politiques très différentes.

Signalons quelques autres textes, non cités dans cet article : Rosa Luxemburg : « Centralisme et démocratie » (1904) ; Alexandra Kollontaï : « L’Opposition Ouvrière » (1921) ; Rudolf Rocker : « Les Soviets trahis par les bolcheviks » (1921) ; Simon Zagorsky : « Où va la Russie ? Vers le socialisme ou vers le capitalisme ? » (1928) ; Henri Dollet : « Vive l’unité ! Critique révolutionnaire de quelques idées fondamentales du léninisme » (1934) ; Anton Pannekoek : « Lénine en philosophe » (1938) ; Anton Ciliga : « Dix ans au pays du mensonge déconcertant » (1938) ; Leonard Schapiro : « Les Bolchéviques et l’Opposition (1917-1922) – du musellement des partis à l’interdiction des fractions dans le parti » (1955) ; Maurice Brinton : « Bolsheviks and Workers’ Control, 1917-21 : The State and Counter-revolution » (1970) ; Claude Berger : « Marx, l’association, l’anti-Lénine – vers l’abolition du salariat » (1974) ; Socialisme Mondial : « Comment le capitalisme d’Etat est arrivé en Russie » et « Les Travailleurs en Russie » (1978) ; Rafael Clemente : « Lenin, padre del arribismo y del oportunismo » (2007).

Notes

[1] Karl Marx, L’Idéologie allemande, 1845-1846.

[2] Lénine, Les bolcheviks doivent prendre le pouvoir, 12-14 septembre 1917, dans Lénine, Œuvres, Editions sociales, tome 26, 1958, p. 10 (souligné dans l’original).

[3] Rapport de Trotsky du 25 octobre 1917, reproduit par Léon Trotsky en 1930 dans Ma Vie, chapitre 27 (« La nuit décisive »).

[4] Pour reprendre l’expression employée par Rosa Luxemburg en septembre 1918 dans La Révolution russe. La formule « coup d’Etat d’octobre » n’est pas écrite au hasard, puisqu’elle revient à trois reprises dans ce texte assez court : La Révolution russe, dans Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou révolution ? (et autres textes politiques), Spartacus, 1997, pp. 155, 164 et 170.

[5] Boris Souvarine, Staline – Aperçu historique du bolchévisme, Ivrea, 1992 (première publication : 1935), p. 191.

[6] Idem, p. 225. Souligné par nous.

[7] Rosa Luxemburg, La Révolution russe, op. cit., p. 165.

[8] Idem, p. 174.

[9] Idem, p. 179.

[10] Idem, p. 180. Elle résume l’ensemble par un mot d’ordre clair : « activité sociale des masses, liberté politique illimitée » (Idem, p. 181).

[11] Idem, p. 154.

[12] Idem, p. 170.

[13] Rosa Luxemburg, lettre du 25 juillet 1918, dans : Rosa Luxemburg, J’étais, je suis, je serai ! (correspondance 1914-1919), Maspero, 1977, p. 351.

[14] Rosa Luxemburg, La Révolution russe, op. cit., p. 179.

[15] Lénine, La Maladie infantile du communisme, mai 1920, chapitre 6, dans Lénine, Œuvres, Editions sociales, tome 31, 1961, p. 42.

[16] Lénine, Les Tâches immédiates du pouvoir des soviets, Pravda n° 83, 28 avril 1918, Œuvres, tome 27, 1961, p. 268.

[17] Lénine, Intervention au comité exécutif central de Russie, 29 avril 1918, Œuvres, tome 27, 1961, p. 305.

[18] Lénine, Sur l’infantilisme « de gauche » et les idées petites-bourgeoises, Pravda n° 88-89-90, 9-11 mai 1918, Œuvres, tome 27, 1961, pp. 355-356 (souligné dans l’original).

[19] Lénine, L’Impôt en nature, brochure éditée en mai 1921, Œuvres, tome 32, 1962, p. 373.

[20] Lénine, Conclusions sur le rapport politique du CC du PC(b)R, 28 mars 1922, Œuvres, tome 33, 1963, pp. 317-319. Dans le même discours, Lénine soutient Staline (p. 320) – lequel sera nommé secrétaire général du parti unique à l’issue de ce congrès.

[21] Lénine, A la colonie russe d’Amérique du nord, 14 novembre 1922, Œuvres, tome 42, 1969, p. 451.

[22] Maximilien Rubel, Le Mythe d’octobre [The relationship of Bolchevism to Marxism, 1968], dans Marx critique du marxisme, Payot, 2000, pp. 177-178.

[23] Lénine, Intervention au 9e congrès bolchevik, 31 mars 1920, Œuvres, tome 30, 1969, p. 489.

[24] Lénine, La question des nationalités ou de l’ »autonomie », 30 décembre 1922, Œuvres, tome 36, 1959, p. 619.

[25] La polémique concernant la responsabilité de Trotsky a été soulevée en 1937 par le révolutionnaire allemand Wendelin Thomas ; les articles de Trotsky sur la question datent de 1937 et de 1938. Trotsky est bel et bien impliqué dans la répression, même si la responsabilité est en fait partagée collectivement par les dirigeants bolcheviks.

[26] Boris Souvarine, Staline – Aperçu historique du bolchévisme, op. cit., pp. 248-249.

[27] Victor Serge, Le Nouvel impérialisme russe [1947], Spartacus, 1972, p. 40.

[28] Toutes les oppositions citées ici sont antérieures à l’opposition de Trotsky, et sont plus radicales.

[29] Anton Ciliga, Lénine et la révolution, Spartacus, 1947, p. 8.

[30] Idem, p. 9.

[31] Idem, p. 13.

[32] Tous furent arrêtés, puis assassinés par le pouvoir stalinien dans les années 1930 – sauf Loutovinov qui, désespéré, s’était suicidé en 1924.

[33] « En réalité un kolkhoze est un organisme étatique qui tend à transformer les paysans en ouvriers agricoles accomplissant leur tâche par peur des sanctions pénales » (Ida Mett, Le Paysan russe dans la révolution et la post-révolution, Spartacus, 1968, p. 49). Les kolkhoziens étaient donc, eux aussi, exploités par la classe bureaucratique d’Etat.

[34] Boris Souvarine, Le Stalinisme, Spartacus, 1972, p. 30.

[35] Fernand Loriot, La Faillite de l’Internationale Communiste et l’indépendance du mouvement syndical [15 novembre 1929], La Révolution prolétarienne n° 95, 1er janvier 1930, p. 8.

[36] André Gide, Retour de l’URSS, Gallimard, 1936, pp. 17, 74, 76-77. Retour de l’URSS et Retouches à mon Retour de l’URSS seront interdits en France par les nazis – c’est l’époque du pacte germano-soviétique. Sur la même liste de livres interdits et rien que pour Gallimard, on trouve entre autres : Sigmund Freud, HG Wells, Anton Ciliga, Daniel Guérin, Karl Marx… (cf Album NRF, 39e album de La Pléiade, Gallimard, 2000, pp. 132-133).

 

[37] Cité par B. Souvarine, Staline – Aperçu historique du bolchévisme, pp. 315-316.

(source : Le léninisme et la révolution russe)

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6 Réponses to “Le léninisme dans la révolution russe”

  1. pons bernard Says:

    article magnifique;

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  2. Aubert Says:

    Bref, en gros et en détail, il ne fallait surtout pas prendre le pouvoir en octobre 17.
    Laissez les mains libres à Kerensky, à Kornilov, aux grandes puissances?

    Une politique pas trop difficile à mettre en oeuvre somme toute.

    Les révolutionnaires ont-ils ce genre de choix?

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  3. Mondialiste Says:

    Vraiment excellent! Il faut que cet article ait une plus grande diffusion. Le léninisme et tous ces dérivés ont toujours été un leurre pour classe travailleuse.

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  4. L’opposition syndicale russe en 1920 « La Bataille socialiste Says:

    […] Le léninisme dans la révolution russe (DC-L, 03-2008) […]

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  5. marcos Says:

    Stalin On State Capitalism

    The Fourteenth Congress of the C.P.S.U.(B.)
    December 18-31, 1925

    7. Concerning State Capitalism

    (Sokolnikov was the Finance minister, you would think he should have known better!)

    Connected with this question is Bukharin’s mistake. What was his mistake? On what questions did Lenin dispute with Bukharin? Lenin
    maintained that the category of state capitalism is compatible with the system of the proletarian dictatorship. Bukharin denied this. He was of the opinion, and with him the « Left » Communists, too, including Safarov, were of the opinion that the category of state capitalism is incompatible with the system of the proletarian dictatorship. Lenin was right, of course.

    Bukharin was wrong. He admitted this mistake of his. Such was Bukharin’s mistake.
    But that was in the past. If now, in 1925, in May, he repeats that he disagrees with Lenin on the question of state capitalism, I suppose it is simply a misunderstanding. Either he ought frankly to withdraw that statement, or it is a misunderstanding; for the line
    he is now defending on the question of the nature of state industry is Lenin’s line. Lenin did not come to Bukharin; on the contrary, Bukharin came to Lenin. And precisely for that reason we back Bukharin. (Applause.)

    The chief mistake of Kamenev and Zinoviev is that they regard the question of state capitalism scholastically, undialectically, divorced from the historical situation. Such an approach to the question is abhorrent to the whole spirit of Leninism.

    How did Lenin present the question? In 1921, Lenin, knowing that our industry was under-developed and that the peasantry needed goods, knowing that it (industry) could not be raised at one stroke, that the workers, because of certain circumstances, were engaged not so much in industry as in making cigarette lighters — in that situation

    Lenin was of the opinion that the best of all possibilities was to invite foreign capital, to set industry on its feet with its aid, to introduce state capitalism in this way and through it to establish a bond between Soviet power and the countryside.
    That line was absolutely correct at that time, because we had no other means then of satisfying the peasantry; for our industry was in a bad way, transport was at a standstill, or almost at a standstill, there was a lack, a shortage, of fuel. Did Lenin at that
    time consider state capitalism permissible and desirable as the
    predominant form in our economy? Yes, he did. But that was then, in 1921. What about now?
    Can we now say that we have no industry, that transport is at a standstill, that there is no fuel, etc.? No, we cannot. Can it be denied that our industry and trade are already establishing a bond between industry (our industry) and peasant economy directly, by their own efforts? No, it cannot.
    Can it be denied that in the sphere of industry « state capitalism » and « socialism » have already exchanged roles, for socialist industry has become predominant and the relative importance of concessions and leases (the former have 50,000 workers and the latter 35,000) is minute? No, it cannot. Already in 1922 Lenin said that nothing had come of concessions and leases in our country.

    What follows from this? From this it follows that since 1921, the situation in our country has undergone a substantial change, that in this period our socialist industry and Soviet and co-operative trade have already succeeded in becoming the predominant force, that we have already learned to establish a bond between town and country by our own efforts, that the most striking forms of state capitalism — concessions and leases — have not developed to any extent during this period, that to speak now, in 1925, of state capitalism as the predominant form in our economy, means distorting the socialist nature of our state industry, means failing to understand the whole difference between the past and the present situation, means approaching the question of state capitalism not dialectically, but scholastically, metaphysically.

    Would you care to hear Sokolnikov? In his speech he said:
    « Our foreign trade is being conducted as a state-capitalist enterprise. . . . Our internal trading companies are also state-capitalist enterprises. And I must say, comrades, that the State Bank is just as much a state-capitalist enterprise. What about our monetary system? Our monetary system is based on the fact that in Soviet economy, under the conditions in which socialism is being built, there has been adopted a monetary system which is permeated with the principles of capitalist economy. »

    That is what Sokolnikov says.
    Soon he will go to the length of declaring that the People’s Commissariat of Finance is also state capitalism. Up to now I thought, and we all thought, that the State Bank is part of the state apparatus. Up to now I thought, and we all thought, that our
    People’s Commissariat of Foreign Trade, not counting the state-capitalist institutions that encompass it, is part of the state apparatus, that our state apparatus is the apparatus of a proletarian type of state. We all thought so up to now, for the proletarian state is the sole master of these institutions.

    But now, according to Sokolnikov, it turns out that these institutions, which are part of our state apparatus, are state-capitalist institutions. Perhaps our Soviet apparatus is also state
    capitalism and not a proletarian type of state, as Lenin declared it to be? Why not? Does not our Soviet apparatus utilise a « monetary system which is permeated with the principles of capitalist economy? » Such is the nonsense a man can talk himself into.

    Permit me first of all to quote Lenin’s opinion on the nature and significance of the State Bank. I should like, comrades, to refer to a passage from a book written by Lenin in 1917. I have in mind the pamphlet: Can the Bolsheviks Retain State Power? in which Lenin still held the viewpoint of control of industry (and not nationalisation) and, notwithstanding that, regarded the State Bank in the hands of the proletarian state as being nine-tenths a
    socialist apparatus. This is what he wrote about the State Bank:

    « The big banks are the ‘state apparatus’ we need for bringing about socialism, and which we take ready-made from capitalism; our task here is merely to lop off what capitalistically distorts this excellent apparatus, to make it still bigger, still more democratic,
    still more all-embracing. Quantity will be transformed into quality.
    A single State Bank, the biggest of the biggest, with branches in every volost, in every factory, will already be nine-tenths of the socialist apparatus. That will be nation-wide bookkeeping, nation-wide accounting of the production and distribution of goods, that will be, so to speak, something in the nature of the skeleton of socialist society » (see Vol. XXI, p. 260).

    Compare these words of Lenin’s with Sokolnikov’s speech and you will understand what Sokolnikov is slipping into. I shall not be surprised if he declares the People s Commissariat of Finance to be state capitalism.
    What is the point here? Why does Sokolnikov fall into such errors?

    The point is that Sokolnikov fails to understand the dual nature of NEP, the dual nature of trade under the present conditions of the struggle between the socialist elements and the capitalist elements; he fails to understand the dialectics of development in the
    conditions of the proletarian dictatorship, in the conditions of the
    transition period, in which the methods and weapons of the bourgeoisie are utilised by the socialist elements for the purpose of overcoming and eliminating the capitalist elements.

    The point is not at all that trade and the monetary system are methods of « capitalist economy. » The point is that in fighting the capitalist elements, the socialist elements of our economy master these methods and weapons of the bourgeoisie for the purpose of
    overcoming the capitalist elements, that they successfully use them against capitalism, successfully use them for the purpose of building the socialist foundation of our economy.

    Hence, the point is that, thanks to the dialectics of our development, the functions and purpose of those instruments of the bourgeoisie change in principle, fundamentally; they change in favour of socialism to the detriment of capitalism. Sokolnikov’s
    mistake lies in his failure to understand all the complexity and contradictory nature of the processes that are taking place in our economy.

    Permit me now to refer to Lenin on the question of the historical character of state capitalism, to quote a passage on the question as to when and why he proposed state capitalism as the chief form, as to what induced him to do that, and as to precisely under what
    concrete conditions he proposed it. (A voice: « Please do! »)

    « We cannot under any circumstances forget what we very often observe, namely, the socialist attitude of the workers in factories belonging to the state, where they themselves collect fuel raw materials and produce, or when the workers try properly to
    distribute the products of industry among the peasantry and to deliver them by means of the transport system. That is socialism.
    But side by side with it there is small economy, which very often exists independently of it. Why can it exist independently of it?
    Because large-scale industry has not been restored, because the socialist factories can receive only one-tenth, perhaps, of what they should receive; and in so far as they do not receive what they should, small economy remains independent of the socialist
    factories.

    The incredible state of ruin of the country, and the shortage of fuel, raw materials and transport facilities, lead to small production existing separately from socialism. And I say: Under these circumstances, what is state capitalism? It will mean the amalgamation of small production. Capital amalgamates small production, capital grows out of small production. It is no use closing our eyes to this fact. Of course, freedom of trade means the growth of capitalism; one cannot get away from it.

    And whoever thinks of getting away from it and brushing it aside is
    only consoling himself with words. If small economy exists, if there is freedom of exchange, capitalism will appear. But has this capitalism any terrors for us if we hold the factories, works, transport and foreign trade in our hands? And so I said then, and
    will say now, and I think it is incontrovertible, that this capitalism has no terrors for us. Concessions are capitalism of that kind » (see Vol. XXVI, p. 306).
    That is how Lenin approached the question of state capitalism.

    In 1921, when we had scarcely any industry of our own, when there
    was a shortage of raw materials, and transport was at a standstill, Lenin proposed state capitalism as a means by which he thought of linking peasant economy with industry. And that was correct. But does that mean that Lenin regarded this line as desirable under all
    circumstances? Of course not. He was willing to establish the bond through the medium of state capitalism because we had no developed socialist industry. But now? Can it be said that we have no developed state industry now? Of course not.

    Development proceeded along a different channel, concessions scarcely took root, state industry grew, state trade grew, the co-operatives grew, and the bond between town and country began to be established through socialist industry. We found ourselves in a better position than we had expected. How can one, after this, say that state capitalism is the chief form of managing our economy?

    The trouble with the opposition is that it refuses to understand these simple things.

    http://www.marxists.org/reference/archive/stalin/works/1925/12/18.htm
    #7._Concerning_State_Capitalism_

    Trotsky on State Capitalism
    The First Five Years of the Communist International Volume 2

    The New Economic Policy of Soviet Russia and the Perspectives of the World Revolution Delivered at the November 14, 1922 Session of
    the Fourth World Congress of the Comintern

    (Part I)

    The Course of the Civil War

    The Forces and Resources of the Two Camps

    (towards the end)

    The alleged « capitulation » of the Soviet power to capitalism is deduced by the Social Democrats not from an analysis of facts and figures, but from vague generalities, as often as not from the term « state capitalism » which we employ in referring to our state
    economy. In my own opinion this term is neither exact nor happy.
    Comrade Lenin has already underscored in his report the need of enclosing this term in quotation marks, that is, of using it with the greatest caution.

    This is a very important injunction because not everybody is cautious enough.

    In Europe this term was interpreted quite erroneously even by Communists.

    There are many who imagine that our state industry represents genuine state capitalism, in the strict sense of this term as universally accepted among Marxists. That is not at all the case, If one does speak of state capitalism, then this is done in very big quotation marks, so big that they overshadow the term itself. Why? For a very obvious reason. In using this term it is impermissible to ignore the class character of the state.

    It is not unhelpful to bear in mind that the term itself is socialist in its origin. Jaurès and the French reformists in general who emulated him used to talk of the « consistent socialization of the democratic republic ».

    To this we Marxists replied that so long as political power remained
    in the hands of the bourgeoisie this socialization was not socialization at all and that it would not lead to socialism but only to state capitalism. To put it differently, the ownership of various factories, railways and so on by diverse capitalists would be superseded by an ownership of the totality of enterprises, railways and so on by the very same bourgeois firm, called the state.

    In the same measure as the bourgeoisie retains political power, it
    will, as a whole, continue to exploit the proletariat through the medium of state capitalism, just as an individual bourgeois exploits, by means of private ownership, « his own » workers. The term « state capitalism » was thus put forward, or at all events, employed polemically by revolutionary Marxists against the reformists, for the purpose of explaining and proving that genuine socialization begins only after the conquest of power by the working
    class.

    The reformists, as you know, built their entire program around reforms. We Marxists never denied socialist reforms. But we said that the epoch of socialist reforms would be inaugurated only after the conquest of power by the proletariat. There was a controversy over this. Today in Russia the power is in the hands of the working class. The most important industries are in the hands of the workers’ state. No class exploitation exists here, and consequently,
    neither does capitalism exist although its forms still persist. The industry of the workers’ state is a socialist industry in its tendencies of development, but in order to develop, it utilizes methods which were invented by capitalist economy and which we have far from outlived as yet.

    Under a genuine state capitalism, that is, under bourgeois rule, the growth of state capitalism signifies the enrichment of the bourgeois state, its growing power over the working class. In our country, the growth of soviet state industry signifies the growth of socialism itself, a direct strengthening of the power of the proletariat.

    http://www.marxists.org/archive/trotsky/1924/ffyci-2/20.htm

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  6. marcel Says:

    « le développement du capitalisme, contrôlé et réglé par l’Etat prolétarien (c’est à dire du capitalisme “ d’État ” pris dans ce sens) est avantageux et indispensable (bien entendu dans une certaine mesure seulement) dans un pays de petits paysans, ruiné et arriéré à l’extrême, puisque ce développement est susceptible de hâter l’essor immédiat de l’agriculture paysanne.  » Lénine (Thèses du rapport sur la tactique du P.C.R., 1921)

    Dans ses propos, Lénine choisit le capitalisme d’Etat pour développer les forces productives. C’est à la fois un aveu édifiant de renoncement à une économie socialiste pour le faire, et à la fois une limite à la possibilité de fonder ce qui allait vraiment devenir le capitalisme d’Etat russe sur la logique de l’époque: la NEP comme solution de reconstruction provisoire.
    Lénine, comme beaucoup de socialistes de son époque, assimile socialisme et étatisation et autorise une dose de capitalisme du moment que ça reste sous contrôle de l’Etat. Ça pose la question de l’Etat réellement ouvrier (1921 c’est aussi la fin des élections libres dans les soviets, Cronstadt et l’interdiction des fractions dans le PC) sensé « contrôler », mais surtout ça signe (avec la fin du contrôle ouvrier et la direction uninominale des usines) une logique capitaliste de développement. C’est dans cette logique que pourra désormais s’installer la bureaucratie stalinienne, et la législation anti-ouvrière des années 30. L’argument de départ, l’aspect concession provisoire aux paysans, devait s’avérer non-essentiel: la collectivisation n’apportant rien de plus en termes socialistes, elle ne fait qu’intensifier la recherche de développement des forces productives sous contrôle de l’Etat. La citation du dossier URSS de votre cite le dit bien d’ailleurs: « Le gouvernement russe, à la lumière non pas des méthodes, qui ne sont jamais bonnes ou mauvaises dans l’absolu, mais à celle des fonctions historiques, fût véritablement un gouvernement prolétarien occupé à construire le capitalisme. » (A. Bordiga, 1952). Je trouve qu’il y a à la fois une continuité de Lénine à Staline dans la construction du capitalisme d’Etat, et à la fois des niveaux de compréhension (limites théoriques de l’époque), d’enjeux (guerre civile ou industrialisation), de rapport de forces (la classe ouvrière a disparu de la scène dans les années 30), de matériel humain (les bolcheviks de 1921 sont d’ex-révolutionnaires qui discutent vraiment, les bureaucrates qui vont leur succéder sont d’une autre graine), de niveaux de non-retour (bureaucratisation) qui posent malgré tout la question de façons différentes.

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