Le « Groupe ouvrier » russe

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Extrait de Lénine et la Révolution, d’Anton Ciliga (Spartacus, rééd° série B, N°92, 1978). Le même passage se trouve dans Dix ans derrière le rideau de fer: Au pays du mensonge déconcertant (1950).

Dans la critique du Lénine de la période révolutionnaire, le ton fut donné par « l’Opposition ouvrière », pour mieux dire par son aile gauche qui se forma en 1922 en organisation et prit le nom de « Groupe ouvrier ». Dans le langage courant, les partisans de ce groupe étaient appelés les « Miasnikoviens », du nom de leur leader, Miasnikov, ouvrier bolchevik connu.

Celui-ci est l’une des figures les plus marquantes de la révolution bolchevique. « L’Opposition ouvrière » et le « Groupe ouvrier » étaient, par leurs origines, des groupes de la vieille garde bolchevique. Mais, à l’encontre des « décistes », ils critiquaient l’action de Lénine dès le début et non pas dans les détails, mais dans son ensemble. « L’Opposition ouvrière » s’élevait contre la ligne économique de Lénine. « Le Groupe ouvrier » allait encore plus loin et s’attaquait au régime politique et au parti unique, instaurés par Lénine, avant la N.E.P. En la personne de Serge Tigounov, le « Groupe ouvrier » possédait dans notre isolateur un représentant très instruit, très actif et très rigoureux Il n’était pas dépourvu non plus, à ce qu’on disait, de traits fort « netchaieviens » .

Ayant mis à la base de son programme le mot d’ordre de Marx pour la I° Internationale, « L’Émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », le « Groupe ouvrier » entra en guerre dès le début contre les conceptions léninistes de la « dictature du parti », et de l’organisation bureaucratique de la production., énoncés par Lénine dans la période initiale de décadence de la révolution. A l’inverse de la ligne léniniste, il réclamait une organisation de la production par les masses elles-mêmes, en commençant par les collectifs d’usine. En politique, « Le Groupe ouvrier » réclamait le contrôle du pouvoir et du parti par les masses ouvrières. Celles-ci, véritables chefs politiques du pays, devaient avoir le droit de retirer le pouvoir à tout parti, fût-ce le parti communiste, si elles estimaient que ce parti ne défendait pas leurs intérêts. A la différence des « décistes » et de la majorité de « L’Opposition ouvrière », dont la revendication de la « démocratie ouvrière » se limitait pratiquement au domaine économique, et qui tentait de la conjuguer avec le « parti unique », le « Groupe ouvrier » étendait sa lutte pour la démocratie ouvrière à la revendication de la liberté pour les ouvriers de choisir parmi les partis politiques concurrents du milieu ouvrier. Le socialisme ne peut être qu’une œuvre de libre création des travailleurs. Tandis que ce que l’on édifiait par la contrainte, en lui donnant le nom de socialisme, ne fut pour eux, dès le début, qu’un capitalisme d’Etat.

En 1923, au plus fort des grèves dirigées par le « Groupe ouvrier » celui-ci s’adressa au prolétariat russe et au prolétariat international par un Manifeste dans lequel il exposait ses vues, clairement et sans circonlocutions inutiles. Il y stigmatisait la tendance naissante du bolchevisme à ne plus s’appuyer sur la classe ouvrière, mais sur le « culte du chef ». Ce Manifeste est l’un des documents les plus remarquables de la révolution russe. Il apparaît, au moment de l’effondrement interne de la révolution russe, comme ayant la même signification que le Manifeste des Égaux au moment de l’effondrement interne de la révolution française.

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10 Réponses to “Le « Groupe ouvrier » russe”

  1. Neues aus den Archiven der radikalen (und nicht so radikalen) Linken « Entdinglichung Says:

    […] Bataille socialiste Le « Groupe ouvrier » russeRiot, Revolt and Rebellion in the Pre-Modern worldInterpol au service des […]

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  2. Lucca Toni Says:

    Magnifico material imprescindible para la clarificación teórica del proleteriado.

    Tenéis información sobre si está publicado en lengua española?

    Je pense que vous m’entendez.

    Santè.

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  3. lucien Says:

    No conozco textos de Miasnikov o sobre Miasnikov en español en la red. No sé.

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  4. Aubert Says:

    Belle figure de révolutionnaire professionnel à la mode russe.

    En italien que je ne lis pas, il existe une bio de Miasnikov dont j’ai lu quelques extraits traduits.

    Après la deuxième guerre M. retourna en URSS à l’invitation de Staline.

    Quelles furent ses raisons?

    Une capitulation politique? Autre chose?

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  5. lucien Says:

    Quand on traduit la bio russe sur http://revarchiv.narod.ru/miasnikovbiogr.html on lit que, selon une version (??), son retour ne se serait pas fait volontairement…

    On peut lire en ligne en italien une partie de Mjasnikov e la rivoluzione russa de Roberto Sinigaglia sur Google Books: http://books.google.fr/books?id=lJn2HoH1o3kC

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  6. lucien Says:

    traducido en castellano en http://prol-dissidenten.blogspot.com/2009/12/el-grupo-obrero-de-rusia.html

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  7. From the archive of struggle, no.41: Anarchist poster special « Poumista Says:

    […] * Jules Guesde: Au congrès national des mineurs de France * Le machinisme (1913) * Ante Ciliga: Le « Groupe ouvrier » russe […]

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  8. Une lettre de G. Miasnikov (1929) « La Bataille socialiste Says:

    […] destinées  à être publiées dans l’Ouvrier communiste, où, comme représentant du Groupe ouvrier russe, notre camarade prononce la condamnation sans équivoque de « l’opposition sans […]

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  9. Oppositions ouvrières en Russie en 1923 (Souvarine) « La Bataille socialiste Says:

    […] Le « Groupe ouvrier » russe (Anton Ciliga, vers 1938) […]

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  10. Le dossier Miasnikov des archives de la Préfecture de Police de Paris « La Bataille socialiste Says:

    […] 1930 et 1945, Gavril Ilitch Miasnikov, l’un des animateurs du Groupe ouvrier, l’opposition communiste la plus radicale au pouvoir soviétique, a vécu en France. En 1942, […]

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