Sur les impôts (Théret & Wieviorka, 1978)

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Extrait du livre de Bruno Théret et Michel Wieviorka, Critique de la théorie du ‘Capitalisme Monopoliste d’Etat’ (Maspero, 1978, pp. 73-74).

Prenons d’abord, et à titre d’illustration, le cas de l’impôt sur le revenu : dans le mode de production capitaliste, où la force de travail est payée à sa valeur [1], tout nouvel impôt de ce type vient momentanément faire baisser le prix de la force de travail au-dessous de sa valeur. Mais, tendanciellement, les capitalistes en tant qu’employeurs soumis à la pression sociale de la classe ouvrière doivent, tôt ou tard, compenser ce désajustement et augmenter en conséquence les salaires. Une des rares indications de Marx sur l’impôt capitaliste porte d’ailleurs sur ce point particulier :

« L’existence économique de l’État, ce sont les impôts. L’existence économique des travailleurs, c’est le salaire. II s’agit de déterminer le rapport entre les impôts et le salaire. Le salaire moyen est, par la concurrence, nécessairement réduit au minimum, c’est-à-dire à un salaire qui permet aux ouvriers d’assurer tant bien que mal leur existence et l’existence de leur race. Les impôts constituent une fraction de ce minimum, car la vocation politique des ouvriers consiste précisément à payer des impôts. Si l’on supprimait radicalement tous les impôts qui pèsent sur la classe ouvrière, la conséquence nécessaire en serait que le salaire serait diminue de tout le montant des impôts qui y entre aujourd’hui. Et alors de deux choses l’une : ou bien le profit des employeurs croîtrait immédiatement dans la même mesure, ou bien il n’y aurait qu’une simple modification dans la forme de la perception de l’impôt. Au lieu d’avancer directement, comme il le fait aujourd’hui dans le salaire, les impôts que l’ouvrier doit payer, il ne les paierait plus par cette voie détourée, mais directement à l’État. »

Et plus loin : « Pour la bourgeoisie au contraire, le mode de répartition et de perception, aussi bien que le mode d’emploi des impôts, constitue une question vitale autant pour son influence sur le commerce et l’industrie que parce que c’est la le garrot d’or avec lequel on étrangle la monarchie absolue. » (K. MARX, La Critique moralisante et la Morale critique, textes de 1842-1847, Éditions Spartacus, p. 112)

Pour Marx, il est clair que ce sont bien les capitalistes qui paient les impôts, même s’ils paraissent frapper les salaires ouvriers [2]. C’est alors la bourgeoisie qui est vitalement intéressée à la répartition et à l’emploi de ces prélèvements.

Les contradictions essentielles d’intérêts sur la base de l’impôt n’opposent donc pas travailleurs et État des monopoles, mais capitalistes particuliers et État, et capitalistes entre eux, de même qu’à propos de la rente foncière urbaine elles n’opposent pas locataires et propriétaires, mais capitalistes et propriétaires fonciers.

Notes de la BS.:

[1] Voir les commentaires.

[2] Lorsque le prélèvement fiscal se fait à la source, que le salarié ne doit pas lui-même reverser comme « contribuable » un impôt sur le revenu au fisc, cela est plus évident. Cela n’empêche que toute richesse, y compris celle utilisée pour payer les impôts, a son origine dans le travail productif des travailleurs.

Voir aussi:

4 Réponses to “Sur les impôts (Théret & Wieviorka, 1978)”

  1. dante Says:

    Les deux Auteurs commencent par dire que « dans le mode de production capitaliste, où la force de travail est payée à sa valeur »… Or, si les choses seraient ainsi (et elles ne le sont pas!) il n’y aurait pas de problème. Le fait est que la force de travail n’est pas payée « à sa valeur » mais à son prix de marché, c’est à dire à son salaire. Le prix de la force de travail (son salaire) « paye » simplement le « travail nécessaire », et non sa valeur. Cela l’écrit Marx, si on veut parler de Marx.

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  2. admin Says:

    Oui Dante, un travail n’est jamais payé à sa « valeur » sous le capitalisme, au sens commun du mot « valeur ». Il faut donc lire l’extrait soit:
    – 1 comme si on parlait plutôt d’ «une certaine « valeur », un coût salarial » pour le capitaliste qui doit dégager une plus-value.
    – 2 au sens même que Marx donnait au mot: la force de travail est payée précisément à sa valeur (ce qu’il faut pour la produire et reproduire), mais c’est que l’exercice de la force de travail produit plus de valeur que sa propre valeur. D’où la « plus-value » qui est accaparée par l’employeur.

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  3. Neues aus den Archiven der radikalen (und nicht so radikalen) Linken « Entdinglichung Says:

    […] (1938) * Maximilien Rubel: Engels, éditeur du Capital (1968) * Bruno Théret/Michel Wieviorka: Sur les impôts (1978, Auszug aus Critique de la théorie du ‘Capitalisme Monopoliste d’Etat’) * Karl Marx: […]

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  4. From the archive of struggle no.47 « Poumista Says:

    […] (1938) * Maximilien Rubel: Engels, éditeur du Capital (1968) * Bruno Théret/Michel Wieviorka: Sur les impôts (1978, Auszug aus Critique de la théorie du ‘Capitalisme Monopoliste d’Etat’) * Karl […]

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