Tract du groupe Spartacus (reprenant notamment les « lignes directrices » pour la délégation du groupe à Zimmerwald rédigées par Rosa Luxemburg en décembre 1915), publié par Ernst Meyer, Berlin, 1927, et traduit en français par une équipe des Cahiers de Spartacus (Lettres et tracts de Spartacus, Éditions de la Tête de Feuilles, 1972).
Camarades ! Vous connaissez tous la division qui règne au sein de l’opposition parlementaire. Beaucoup d’entre vous, qui sont en désaccord avec ce qui se passe aujourd’hui dans le parti officiel et avec sa politique légaliste, seront profondément attristés par cette division. « Encore des scissions ! » s’écrieront certains avec humeur. « Ne serait-il pas indispensable qu’au moins tous ceux qui font front contre la majorité du groupe s’unissent et aient une action commune ! N’est-ce pas affaiblir l’opposition et apporter de l’eau au moulin de la politique de la majorité que de se disputer et faire scission entre ceux qui poursuivent le même but, celui de ramener le mouvement du parti sur la voie d’une politique de classe résolument prolétarienne ? »
Certainement, camarades ! S’il ne s’agissait que de querelles personnelles, que de points mineurs, d’un quelconque entêtement à avoir raison sur des matières sans importance, s’il ne s’agissait que de la volonté de quelques-uns de faire bande à part, ce serait pour tout homme sérieux un crime et une folie de voir se créer au sein de l’opposition une scission pour des bagatelles de ce genre.
Mais ce n’est pas le cas, camarades ! Ce sont les questions politiques fondamentales, toute la conception des moyens à employer et des fins à atteindre qui sont la cause de cette scission. Ce sont elles qui feront sortir le parti de sa situation actuelle désespérée et qui amèneront des circonstances plus favorables.
Réfléchissons un instant à l’enjeu. le 4 août a sonné le glas de la social-démocratie allemande officielle et avec elle l’Internationale s’est lamentablement effondrée. Tout ce que depuis cinquante ans nous avions prêché au peuple, tout ce que nous avions déclaré être nos principes les plus sacrés, tout ce que nous avions sans fin répandu en discours, brochures, en journaux et en tracts, tout s’est révélé brusquement n’être que du vent. Le parti du combat de la classe prolétarienne internationale est devenu d’un coup comme par un mauvais charme un parti national-libéral, notre puissante organisation, dont nous étions si fiers, s’est montrée complètement impuissante et les ennemis mortels et respectés de la société bourgeoise sont devenus l’instrument passif et à juste titre méprisé de notre ennemi mortel, la bourgeoisie impérialiste. Dans tous les pays la même chute du socialisme s’est à peu de chose près produite et le vieux et fier cri: « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » s’est transformé sur les champs de bataille en un ordre: « Prolétaires de tous les pays, égorgez-vous ! »
Jamais l’histoire universelle n’a vu un parti politique faire aussi lamentablement banqueroute. Jamais un idéal aussi élevé n’a été honteusement trahi et ainsi traîné dans la boue !
Des milliers de prolétaires pourraient pleurer des larmes de sang, de honte et de fureur: tout ce qui leur était saint et cher est devenu la risée du monde entier. Des milliers de camarades brûlent de combler la brèche, de laver le parti de sa honte pour pouvoir porter sans rougir et le front haut le nom de social-démocrate.
Mais chaque militant doit pour ce faire garder une chose présente à l’esprit: seule une politique unie, claire et décidée peut sauver le parti d’une chute aussi grande. Ce ne sont pas les demi-mesures, les hésitations et une politique hésitante de balançoire qui changeront quelque-chose. Chacun doit maintenant se dire: soit l’un… soit l’autre. Soit, nous sommes des moutons national-libéraux dans la peau du lion socialiste, et dans ce cas nous abandonnons toute action dans l’opposition. Soit, nous sommes les combattants de l’Internationale prolétarienne au sens plein du mot, et dans ce cas il faut reprendre tout le travail au sein de l’opposition et déployer au plein jour et sans peur le drapeau de la lutte de classe et de l’internationalisme. Et maintenant, camarades, regardez la soi-disant opposition d’aujourd’hui, telle qu’elle est représentée par Ledebour, Haase et leurs amis. Après avoir toléré complaisamment à quatre reprises l’acceptation des crédits de guerre au Reichstag et s’être ainsi rendu complices de la trahison du socialisme, ils ont finalement pris sur eux le 21 décembre 1915 de voter contre en séance plénière. Enfin ! se sont dit les travailleurs. Enfin un désaveu public de la politique d’escroquerie nationale ! Enfin au moins vingt hommes au parlement qui font honneur au socialisme ! Le rêve fut de courte durée et seuls purent concevoir à cet « acte courageux » une joie sans mélange ceux qui ne voient les choses que superficiellement sans essayer d’un regard critique d’en discerner le fond. Les Geyer et leurs camarades ont joint à leur refus de voter les crédits une déclaration qui anéantit tout ce que leur vote avait de juste. « Nos frontières naturelles sont sûres », disent-ils. Ce que ces bonnes gens visaient par cette déclaration et ceux envers lesquels ils croyaient devoir prendre ces précautions, ce sont leurs affaires. L’observateur extérieur qui n’est pas dans la confidence de la grande diplomatie qui a sans doute conduit dans la coulisse à cette déclaration la comprendra ainsi: les vingt ont apparemment voté cette fois contre les crédits parce que les frontières naturelles de l’Allemagne étaient sûres.
Non pas parce qu’ils sont les adversaires de principe du militarisme et de la guerre, non pas parce que cette guerre est un crime impérialiste envers tous les peuples mais parce que Hindenburg, Macken-sen et autres Kluck ont fait un carnage suffisant de Russes, de Français et de Belges et qu’ils ont pris pied dans leurs pays. C’est pourquoi un social-démocrate allemand peut se payer le luxe
de voter contre les dépenses de guerre ! Par cette déclaration les Geyer et consorts se placent résolument sur le terrain de la politique de la majorité. A posteriori ils justifient l’insolent mensonge selon lequel cette guerre n’a été depuis le début qu’une guerre défensive destinée à s’assurer des frontières nationales. Ce qui les sépare de la majorité n’est donc pas fondamentalement la façon de prendre position face à la guerre mais seulement un jugement différent de la situation militaire au front.
Pour Scheidemann, David et Heine les frontières nationales ne sont pas encore sûres, pour Haase, Ledebour et Geyer, elles le sont déjà. Tout homme de bon sens devra convenir que si on se laisse aller à juger la seule situation militaire, le point de vue de Scheidemann-David-Heine est plus conséquent que celui de Ledebour-Haase. Car qui peut être sûr que le sort des armes restera à l’avenir favorable au militarisme allemand ? Quel général conscient voudrait aujourd’hui jurer que la situation ne peut pas se retourner et que les Russes ne pourraient réoccuper la Prusse orientale ? Et au cas où cela se produirait, que se passerait-il ? Les Ledebour-Geyer et Haase devraient alors pour rester conséquents avec leur déclaration voter de nouveau pour les crédits de guerre. Ce n’est donc pas une tactique de principe mais une politique opportuniste taillée à la mesure de la situation actuelle sur les champs de bataille, c’est la fameuse politique du coup par coup, la vieille politique opportuniste du coup à droite et du coup à gauche qui a précisément conduit le parti au triomphe du 4 août 1914.
L’affaire a encore un côté préoccupant. Si, selon la déclaration de Ledebour-Haase, les sociaux-démocrates pouvaient aujourd’hui voter contre les crédits de guerre parce que les frontières nationales sont sûres, qu’en est-il des camarades français, belges, russes et serbes dont les pays sont occupés par l’ennemi ? L’ouvrier le plus simple comprendra tout de suite que cette phrase de la déclaration apporte sur un plateau aux camarades des autres pays la justification de leur politique nationaliste. De fait, les camarades français de la majorité l’ont immédiatement reprise pour renforcer leur propre position. Nous voici de nouveau devant la division de l’Internationale, la politique que les socialistes des différents pays n’ont pas menée ensemble contre la guerre et les classes dominantes, mais qu’ils mènent les uns contre les autres comme sur un mot d’ordre de l’impérialisme. Nous nous trouvons ici sur le terrain de cette politique de majorité qui a causé notre perte et celle de l’Internationale.
Et posons maintenant la question, camarades, si nous considérons les choses de façon critique : le vote de Ledebour-Haase et consorts le 21 décembre a-t-il fait avancer les choses ? Etait-ce l’acte salvateur que nous attendions tous, le cœur serré, que les masses espéraient ? Non, cent fois non ! Ce vote et cette déclaration étaient un pas en avant et un pas en arrière, c’était encore une fois l’agréable illusion de voir les choses prendre une bonne tournure derrière laquelle se cachait une déception d’autant plus vive qu’elle était inévitable.
Et la déception ne tarda pas. Il est évident que ce vote contre les crédits de guerre, même s’il n’avait pas été remis en cause par cette malheureuse déclaration, n’est pas représentatif de la politique entière de l’opposition. Il pouvait être le premier pas dans une nouvelle direction, le premier signal perceptible que devait suivre une action soutenue et conséquente sur toute la ligne dans le sens combat de classe. Il s’est produit tout le contraire. Ledebour, Haase et consorts se reposent depuis lors sur les lauriers de leur refus de voter les crédits.
Prenons quelques exemples. Dans la fameuse « affaire Baralong » (*) la fraction social-démocrate s’est couverte, par le discours de Noske et la fureur avec laquelle il a réclamé de sanglantes représailles contre les Anglais, d’une honte encore jamais vue. Même les libéraux bourgeois honnêtes rougiraient de nous s’il existait encore en Allemagne une telle race. Il semblait qu’après le 4 août et tout ce qui a suivi que notre parti avait atteint le fond du trou et ne pouvait tomber plus bas. Mais les social-impérialistes « recyclés » nous préparent toujours de nouvelles surprises. Leur corruption politique et morale ne paraît plus pouvoir se mesurer à l’aune habituelle. Dans 1′ « affaire Baralong » ils ont dépassé et ridiculisé les conservateurs en excitant des instincts bestiaux d’agressivité. Et qu’a fait le camarade Ledebour, membre de l’opposition, après cet incident inconcevable ? Au lieu d’attaquer comme la foudre et de refuser devant le monde entier au nom du prolétariat allemand toute solidarité avec Noske et ses semblables, Ledebour se mit à hurler avec les loups, accepta le principe de la politique de représailles de Noske et consorts et ne réussit qu’à supplier que l’on applique ce principe bestial avec modération.
Le sténogramme du 15 juin rapporte ainsi les incroyables paroles de Ledebour :
« Messieurs, en ce qui concerne l’appréciation du cas Baralong en lui-même, de ce crime que les marins anglais ont commis en mer contre les courageux marins allemands, je suis pleinement d’accord avec ceux qui m’ont précédé à la tribune. Je renonce donc à revenir sur leurs déclarations pour les compléter. »
Ces orateurs étaient : Noske, social-impérialiste, Spahn, du centre, Fischbeck des libéraux et exécuteur des hautes œuvres des conservateurs. Avec eux tous, Ledebour était « d’accord » pour apprécier l’affaire.
De nouveau donc les socialistes traîtres ont soutenu sans faillir la politique de la majorité, de nouveau un glissement dans l’union sacrée avec les partis bourgeois et ce, trois semaines après avoir fait le simulacre de lever l’étendard de la lutte de classes.
Prenons un autre exemple. Avec ce qu’on appelle « les petites interpellations » les députés du Reichstag ont à leur disposition une arme inappréciable pour mener dans cette assemblée de bénis-oui-oui
et d’obéissants mameluks de la dictature militaire une résistance soutenue contre le gouvernement et la majorité bourgeoise, pour inquiéter sans relâche la phalange impérialiste et agiter les masses populaires. Ces petites interpellations pourraient devenir entre les mains de vingt représentants du peuple décidés la mouche du coche qui viendrait battre sans trêve le dos de la meute impérialiste. Et que voyons-nous ? Les Ledebour, Haase et consorts ne songent pas un instant à utiliser cette arme importante. Ils n’ont pas une seule fois tenté de l’utiliser. L’esprit tranquille, ils laissent à K. Liebknecht seul le soin de se battre et de se protéger de tous côtés de la meute hurlante. Apparemment ils ont peur de leur propre courage et n’osent pas regimber sous l’aiguillon ni se libérer de la férule de la majorité de groupe.
Bien plus encore ! Lorsque la majorité impérialiste au Reichstag alliée à la majorité du groupe social-démocrate prit l’initiative de réduire à néant l’arme des petites interpellations en les soumettant à la censure arbitraire du président du Reichstag, Ledebour, Haase et leurs camarades ne firent rien pour s’y opposer. Ces soi-disant chefs de l’opposition soutenaient le coup de force contre le droit démocratique de représentation populaire, contre un moyen important d’agitation des masses. Ils participèrent à cette nouvelle trahison de la majorité du groupe.
Et que se passa-t-il le 17 juin lorsque les questions militaires vinrent en débat devant le Reichstag et que se présentait une excellente occasion de critiquer impitoyablement toutes les menées de la dictature du sabre et la bestialité de la guerre, d’éclairer l’ensemble de la situation et d’exposer les principaux
problèmes de la crise mondiale ? Une fois de plus Ledebour, Haase et consorts échouèrent lamentablement. A peine quatre semaines après leur apparente déclaration des hostilités et leur changement de ligne politique du 21 décembre ce fut le lamentable fiasco.
Quelques petites phrases creuses sur des lapalissades superficielles comme c’est d’usage dans la grisaille du train-train parlementaire en temps de paix, c’est tout ce que les chefs de l’opposition ont pu se soutirer sur la question militaire.
Voici, camarades, la soi-disant opposition telle que la conçoivent Ledebour, Haase et leurs amis. Aucune trace d’esprit de suite, d’énergie, de mordant et de décision, rien que des demi-mesures, des faiblesses et des illusions. Mais nous en avons assez de ces demi-mesures, de ces faiblesses et de ces illusions, nous savons où elles nous ont menés.
Personne ne mettra en doute la bonne volonté d’un Ledebour, d’un Haase, d’un Adolf Hoffmann. Le chemin de l’enfer est lui aussi pavé de bonnes intentions. Ce qu’il nous faut à présent, c’est la force, l’endurance et le mordant. Puissions-nous avoir un peu de la force, de l’endurance et du mordant avec lesquels nos ennemis, les classes dominantes, nous maintiennent sous le joug de l’impérialisme dégoûtant de sang. Des hommes entiers, des combattants résolus et fermes, voilà ce qu’il nous faut et non pas des politiciens volages, des faibles ou des chefs comptables hésitants.
Que la prétendue opposition ne remplisse pas ces conditions, le tract que les camarades Ledebour et Adolf Hoffmann viennent de sortir est là pour le prouver.
Ils y expriment leurs critiques vives et cinglantes
des principes qu’un grand nombre de camarades de toutes les parties de l’Allemagne ont choisi comme base de leur position et de leur action dans la phase historique actuelle. Nous les présentons intégralement à la fin de ce texte pour que chaque camarade puisse les juger de lui-même. Ces principes ne sont rien que la formulation simple, honnête et ouverte des faits et des événements que la guerre mondiale a causés dans le mouvement ouvrier ; ils sont de plus l’application conséquente et résolue des principes de notre ancien parti dans la situation présente et les devoirs qui en résultent pour tous si nous voulons enfin mettre sérieusement en pratique le socialisme international.
Et c’est précisément à la tendance qu’expriment ces principes que s’adresse le veto définitif de Ledebour et Hoffmann : II serait déplacé de faire de l’Internationale socialiste le centre du mouvement ouvrier tout entier. Il serait déplacé de limiter la liberté des instances régionales du parti quant à leurs libres décisions sur le problème de la guerre, il serait déplacé et irréalisable de placer l’Internationale au-dessus du parti allemand et des autres partis. L’Internationale ne devrait être qu’un lien fédératif lâche qui laisserait aux partis ouvriers nationaux complètement indépendants une liberté de tactique en temps de paix comme en temps de guerre comme c’était le cas avant l’éclatement de la guerre.
Camarades ! C’est ici qu’est le nœud de toute la situation, la question vitale du mouvement ouvrier. Notre parti a reculé le 4 août comme les partis des autres pays parce que l’Internationale s’est révélée n’être que des mots vides et les décisions des congrès internationaux des mots d’ordre creux et impuissants. Si nous voulons mettre un ternie à cette situation honteuse, si nous voulons éviter qu’à l’avenir ne se répète la banqueroute du 4 août 1914, il n’y a qu’une voie et qu’un salut : faire sortir la solidarité internationale du prolétariat de ce verbiage complaisant, se donner des règles d’action sérieuses et crédibles, faire de l’Internationale socialiste une force réelle dégagée des discours pour la galerie et en faire un rempart inébranlable contre lequel viendront se briser à l’avenir les assauts de l’impérialisme capitaliste. Voulons-nous nous relever de cet abîme de honte ? Alors il faut éduquer les Allemands, les Français et tous les autres prolétaires qui ont un sens de classe dans l’idée que :
« La fraternisation mondiale des ouvriers est mon devoir le plus saint et le plus haut sur cette terre, elle est mon étoile, mon idéal, ma patrie ; je préfère mourir plutôt qu’être infidèle à cet idéal. »
Mais justement les camarades Ledebour et Haase préfèrent ignorer tout ceci. Tout ce qu’ils veulent est rétablir après la guerre la cause de tous les maux : chaque parti national doit comme auparavant avoir les mains libres de faire ce qu’il veut des décisions de l’Internationale ; on aura tous les trois ou quatre ans de magnifiques congrès, de beaux discours, des feux d’artifice d’enthousiasme, des manifestes ronflants et des résolutions hardies, mais dès qu’il s’agira de passer à l’action l’Internationale sera de nouveau impuissante et devra reculer comme un fantôme devant le mensonge de la « défense du territoire » et la réalité sanglante. Ledebour et ses camarades n’ont donc rien appris de cette guerre effroyable ! Camarades, il n’est pas de pire témoignage contre un homme politique et un combattant que le fait qu’il n’ait rien su apprendre de la dure école de l’Histoire. Aucun de ceux qui ont à prendre des décisions dans la confusion et la précipitation du combat historique n’est exempt d’erreurs. Mais qu’ils ne puissent voir les erreurs commises et les corriger, qu’ils sortent de leur abaissement comme ils y sont entrés sans avoir rien appris — c’est presque un crime. Camarades, si cette mer de sang dans laquelle nous pataugeons, si la terrible chute morale de l’Internationale ne nous conduisent pas sur un chemin plus ferme, à une conscience plus claire, il n’y a plus qu’à se laisser enterrer. Alors assez de mots creux et internationaux, assez de la vieille rengaine mensongère, assez de la tromperie des masses populaires qui seraient les premières à nous cracher au visage si nous reprenions après la guerre, nous les vieux héros inéducables des congrès, l’idée de la fraternisation des peuples sans jamais vouloir l’appliquer.
Là aussi, camarades, c’est : ou bien … ou bien ! Ou bien une trahison pure et simple et éhontée de l’Internationale, comme le font Heine, David et Scheidemann ou bien une foi profonde et sainte dans l’Internationale qui devra être consolidée comme une puissante forteresse et transformée en rempart du prolétariat socialiste mondial et de la paix internationale. Il n’y a aujourd’hui plus de place pour un troisième chemin, pour les hésitations et les demi-mesures.
Et c’est pourquoi une action commune avec des gens qui partagent le point de vue des camarades Ledebour et Hoffmann est impossible pour des éléments réellement oppositionnels.
Camarades ! Ne vous laissez pas prendre dans le vieux piège de l’unité qui serait la force. C’est avec une phrase de ce genre que les Scheidemann et Ebert de la direction du parti font du porte à porte. Bien sûr l’unité fait la force, mais l’unité des convictions fortes et profondes, non pas celle de l’addition mécanique et superficielle d’éléments qui profondément sont divergents. Ce n’est pas dans le nombre qu’est la force mais dans l’esprit, dans la clarté et dans la décision qui nous animent. Nous nous pensions forts, nous mettions en avant nos quatre millions d’adhérents avant la guerre et toute notre force s’est effondrée au premier obstacle comme un château de cartes. Là aussi il s’agit de tirer les leçons des déceptions passées et de ne pas retomber dans les vieilles erreurs ! Si nous voulons faire front énergiquement contre la politique actuelle des instances officielles du parti et la majorité du groupe, il nous faut une ligne claire, énergique et suivie, il ne faut regarder ni à droite ni à gauche mais nous rassembler autour d’une bannière visible comme la proposent les mots d’ordre que Ledebour et ses camarades viennent de critiquer. Assez d’hésitations et de demi-mesures ! Avoir le but clairement à l’esprit et faire sien sur toute la ligne et sans réticences le combat de classe dans l’esprit de l’Internationale ! C’est notre devoir, c’est le terrain sur lequel nous devons nous rassembler. Qui désire sérieusement et honnêtement la résurrection du socialisme viendra vers nous, aujourd’hui, sinon demain.
Rassemblez-vous, camarades, de toutes parts autour des mots d’ordre qui nous montrent le long chemin et mettez toute votre énergie à transformer vos idées en actes ! Les masses prolétariennes asservies et saignées à blanc de tout le pays et de tous les pays souhaitent ardemment une politique prolétarienne décidée qui seule peut les sauver de l’enfer de la situation actuelle. Notre tâche et notre devoir est de hâter l’heure du salut en rassemblant nos dernières forces en un combat de classe sans concessions !
C’est pourquoi vive la lutte de classes ! vive l’Internationale !
UN GRAND NOMBRE DE CAMARADES DE TOUTES LES REGIONS D’ALLEMAGNE ONT ADOPTE LES PRINCIPES D’ACTION SUIVANTS QUI NE SONT QUE L’APPLICATION DU PROGRAMME D’ERFURT AUX PROBLEMES ACTUELS DU SOCIALISME INTERNATIONAL !
1. La guerre mondiale a anéanti les résultats de quarante ans de travail du socialisme européen en réduisant à néant la signification de la classe ou vrière révolutionnaire comme force politique et le prestige moral du socialisme. Elle a fait éclater l’Internationale prolétarienne, dressé ses sections les unes contre les autres en un combat fratricide et enchaîné les désirs et les espoirs des masses populaires dans les pays capitalistes les plus développés, à la barque de l’impérialisme.
2. Par l’acceptation des crédits de guerre et la proclamation de l’union sacrée les leaders officiels des partis socialistes en Allemagne, en France et en Angleterre (à l’exception du parti ouvrier indépendant) ont renforcé l’impérialisme, encouragé les masses populaires à supporter avec patience la misère et l’horreur de la guerre et ainsi contribué à déchaîner la folie impérialiste, à prolonger le massacre et à en augmenter les victimes. Ils ont pris la responsabilité de la guerre et de ses conséquences.
3. Cette tactique des instances officielles du parti des pays belligérants, et en premier lieu de l’Allemagne, pays qui était jusque-là à la tête de l’Internationale, est une trahison des principes élémentaires du socialisme international, des intérêts vitaux de la classe ouvrière et des intérêts démocratiques de tous les peuples. La politique socialiste des pays où les dirigeants du parti sont restés fidèles à leur devoir (Russie, Serbie. Italie et, avec une exception, la Bulgarie) a été par là-même réduite à l’impuissance.
4. En sacrifiant la lutte des classes à la guerre et en la reportant à la fin des hostilités la social-démocratie des principaux pays a fourni aux classes dominantes de tous les pays un délai pour améliorer considérablement leurs positions économiques, politiques et morales face au prolétariat et à ses dépens.
5. La guerre mondiale ne sert ni la défense nationale, ni les intérêts économiques ou politiques des masses populaires quelles qu’elles soient. Elle n’est qu’une fausse couche des rivalités impérialistes entre les classes capitalistes de différents pays pour la domination mondiale et le monopole de l’exploitation et de l’oppression de territoires pas encore dominés par le capital. Dans l’ère de cet impérialisme déchaîné il ne saurait plus y avoir de guerre nationale. Les intérêts nationaux ne servent que de leurre pour amener les masses populaires des travailleurs à servir leur ennemi mortel, l’impérialisme.
6. La politique des États impérialistes et la guerre impérialiste ne sauraient apporter à aucune nation opprimée la liberté ou l’indépendance. Les petites nations, dont les classes dominantes ne sont que les appendices et les complices de leurs camarades de classe des grands États, ne sont que des pions sur le jeu d’échecs impérialiste des grandes puissances et elles sont manœuvrées tout comme les masses travailleuses pendant la guerre avant d’être sacrifiées aux intérêts capitalistes après la guerre.
7. Dans ces conditions, toute victoire ou toute défaite dans le conflit présent signifie la défaite du socialisme et de la démocratie. Il contribue, quelle qu’en soit l’issue — à moins de l’intervention révolutionnaire du prolétariat international — au renforcement du militarisme, des contradictions internationales et des rivalités économiques. Il renforce l’exploitation capitaliste et la réaction en politique intérieure, il affaiblit le contrôle des affaires publiques et réduit les parlements au rôle d’instruments dociles du militarisme. La guerre mondiale actuelle développe ainsi simultanément tous les germes de nouvelles guerres.
8. La paix mondiale ne peut être obtenue par des plans utopiques et au fond réactionnaires comme les instances internationales des diplomates capitalistes et les accords diplomatiques sur le « désarmement», la «liberté des mers», l’ « abolition du droit de prise en mer », la « confédération des états européens», les «accords douaniers de l’Europe centrale », « les prétendus états nationaux » et tout le reste. II ne sera pas possible de contenir le militarisme, l’impérialisme et les guerres ni de les prévenir tant que les classes capitalistes exerceront sans résistance leur pouvoir de classe. Le seul moyen leur résister avec succès, la seule garantie de la paix mondiale est la capacité d’action politique et la volonté révolutionnaire du prolétariat international, qui doit jeter tout son poids dans la balance.
9. L’impérialisme en tant qu’ultime phase et plus haut degré de développement de la domination politique mondiale du capital est l’ennemi mortel commun au prolétariat de tous les pays. Mais il partage avec les phases antérieures du capitalisme le même destin: celui de développer les forces de son ennemi mortel au même rythme qu’il se développe lui-même. Il accélère la concentration du capital, le laminement de la moyenne bourgeoisie et la multiplication du prolétariat; il provoque la résistance grandissante des masses et conduit à une radicalisation intensive des contradictions de classe. C’est contre l’impérialisme que le combat de classe prolétarien doit être en premier lieu concentré en temps de paix comme en temps de guerre. Ce combat pour le prolétariat international est simultanément le combat pour le pouvoir politique au sein de l’État, l’épreuve de force décisive entre le capitalisme et le socialisme. Le but socialiste du prolétariat international ne sera atteint que s’il fait front sur toute la ligne contre l’impérialisme et s’il fait du mot d’ordre « guerre à la guerre » le centre de sa pratique politique de toutes ses forces et de tout son esprit de sacrifice.
10. Pour réaliser cet objectif la mission actuelle principale du socialisme est de regrouper le prolétariat de tous les pays en force révolutionnaire vivante et d’en faire, grâce à une forte organisation internationale douée d’une vision complète de ses intérêts et de ses devoirs, d’une tactique commune et d’un pouvoir d’action politique en temps de guerre comme en temps de paix, un facteur décisif de la vie politique. C’est d’ailleurs le rôle qui lui est dévolu par l’histoire.
11. La guerre a fait éclater la seconde Internationale. Elle a prouvé son inefficacité en étant incapable de faire sérieusement obstacle à l’éclatement nationaliste de la guerre, et de promouvoir une tactique et une action commune du prolétariat dans tous les pays.
12. Face à la trahison des buts et des intérêts de la classe ouvrière par les représentants officiels des partis socialistes dans les pays principaux, face à la déviation qui les a fait passer du terrain de l’Internationale prolétarienne à celui d’une politique bourgeoise et impérialiste, il est de toute première urgence pour le socialisme de créer une nouvelle Internationale des travailleurs qui reprendra l’union et la direction du combat de classe dans tous les pays.
Pour résoudre sa tâche historique, elle doit reposer sur les bases suivantes:
1. La lutte des classes à l’intérieur de l’État bourgeois contre les classes dominantes et la solidarité internationale des prolétaires de tous les pays sont deux règles essentielles et inséparables de la classe ouvrière dans son combat historique et mondial de libération. Il n’y a pas de socialisme hors de la solidarité internationale du prolétariat ni hors de la lutte de classes. Le prolétariat socialiste ne peut, ni en temps de paix, ni en temps de guerre renoncer à la lutte de classes et à la solidarité internationale sans aller au suicide.
2. L’action de masse du prolétariat de tous les pays doit être orientée en temps de paix comme en temps de guerre avant tout contre l’impérialisme et la guerre. L’action parlementaire, l’action syndicale et la totalité des activités du mouvement ouvrier doivent être subordonnées à la lutte du prolétariat dans chaque pays contre la bourgeoisie nationale, elles doivent mettre en lumière pas à pas les contradictions politiques et spirituelles entre ces deux forces et simultanément pousser au premier plan et renforcer la communauté internationale d’intérêts des prolétaires.
3. C’est dans l’Internationale que réside le centre de gravité de l’organisation de classe du prolétariat. C’est elle qui décide en temps de paix de la tactique des sections nationales en ce qui concerne les questions du militarisme, de la politique coloniale, de la politique commerciale, de la fête du premier mai et de toute tactique à suivre en cas de guerre.
4. Le devoir d’exécuter les décisions de l’Internationale passe avant tous les autres devoirs des organisations. Les sections nationales qui s’opposent à ses décisions s’excluent d’elles-mêmes de l’Internationale.
5. Dans les luttes contre l’impérialisme et la guerre la seule force décisive est celle de la masse compacte du prolétariat de tous les pays. Le point principal dans la tactique des sections nationales est donc dans cette perspective d’éduquer de larges masses et les préparer à se mobiliser politiquement et de les rendre capables d’initiatives résolues, de s’assurer de la coordination internationale des actions de masse, de construire les organismes politiques et syndicaux de telle sorte que par leur intermédiaire on pourra agir rapidement et efficacement sur toutes les sections et qu’ainsi la volonté de l’Internationale débouchera sur l’action des plus larges masses de travailleurs de tous les pays.
6. La prochaine tâche du socialisme est la libération intellectuelle du prolétariat de l’emprise de la bourgeoisie qui se reflète dans l’influence de l’idéologie nationaliste. Les sections nationales devront orienter leur propagande dans les parlements et la presse vers la dénonciation de la phraséologie nationaliste comme instrument de domination de la bourgeoisie. La seule défense de toute vraie liberté nationale est aujourd’hui le combat de classe révolutionnaire contre l’impérialisme. La patrie des prolétaires à la défense de laquelle doit être subordonnée tout le reste de l’Internationale Socialiste.
15 janvier 2012 à 00:04
[…] Reproduite intégralement dans le tract “ Soit l’un… soit l’autre “ (document […]
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