Intervention de Gilbert Serret au Congrès de la C.G.T. (1938)

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Camarades, c’est au nom de la minorité révolutionnaire, dispersée au sein de la C.G.T., que je m’exprime ici.

Je tiens à déclarer tout d’abord que nous voterons contre le rapport financier de la C.G.T. et contre le rapport moral. Nous ne pouvons pas admettre le rapport financier qui nous est présenté, non pas que nous contestions l’exactitude des additions et des soustractions du trésorier, mais parce que nous désapprouvons de la façon la plus formelle l’emploi des fonds.

Voici, camarades, à ce sujet, des faits précis qui, j’en suis persuadé, s’ils étaient connus des cotisants de base, soulèveraient leurs protestations unanimes. Sachez que sur 54 millions de dépenses au cours de ces deux ans et demi il n’a été versé que 409.000 francs pour venir en aide aux camarades grévistes, soit 7 fr. 50 pour 1.000. Et cela en une période d’intense activité gréviste! La disproportion fabuleuse entre les possibilités financières de la C.G.T. et l’aide à nos camarades grévistes est une infamie!

Je dis, camarades, que le contraste est encore plus saisissant quand on apprend que 404.000 francs ont été versés au R.U.P., à cette organisation qui, sous prétexte de lutter contre la guerre, a fait une propagande en faveur de la guerre! (Applaudissements.)

Donner à ceux qui préparent la guerre de demain la même somme que l’on a donnée pour les grévistes me paraît être la condamnation la plus terrible que l’on puisse prononcer contre la gestion financière de la C.G.T. (Protestations et applaudissements.)

Je suis particulièrement scandalisé aussi quand je vois que les appointements du seul appareil de la C.G.T. s’élèvent à francs et les frais de délégations à 1.527.000 francs; quand je vois qu’on a versé francs pour le film chauvin La Marseillaise, alors qu’il n’a été donné que 500 francs aux pauvres petits orphelins de « l’Avenir social ».

Je m’élève ici avec force contre les centaines de milliers de francs qui ont été versés à l’emprunt de la Défense nationale, contre les 7.300.000 francs versés au Peuple, fermé aux non-conformistes, illisible et pas lu, les 2.437.000 francs versés à Messidor l’organe le plus belliciste que l’on puisse imaginer à l’heure actuelle. (Applaudissements et protestations.)

UN DÉLÉGUÉ. Cochon!

SERRET. On vient de me traiter de cochon. Je sais pertinemment de quel côté de cette salle on nous lance des injures. Je tiens à bien préciser que les injures ne nous ont jamais fait lâcher prise. Nous avons été minorité dans l’ancienne C.G.T.U., les menaces ne nous ont pas fait abandonner notre position. (Brouhaha.)

LE PRÉSIDENT. Si vous voulez permettre à l’orateur de s’exprimer, faites un peu de silence, on entendra ses déclarations.

SERRET. J’aborde maintenant la question du rapport moral. Nous affirmons tout d’abord la nécessité pour la C.G.T. d’en venir à la pratique d’un syndicalisme révolutionnaire, d’un syndicalisme lutte de classe. Nous considérons, aujourd’hui plus que jamais, que le capitalisme a fait faillite en tant que système économique. Il n’est plus capable aujourd’hui que d’apporter la misère et la souffrance aux classes laborieuses. Son rôle progressif est fini. L’heure est venue de travailler de toutes nos forces à le renverser et s’il le faut je crois que ce sera nécessaire à le renverser par la violence révolutionnaire. Mais au préalable, il est nécessaire de bander l’énergie du prolétariat. Il est nécessaire de lui donner conscience de sa mission historique et confiance en sa force. Il est nécessaire, par une saine éducation et par la pratique de l’action syndicaliste, de galvaniser sa volonté révolutionnaire.

C’est dire qu’il faut empêcher à tout prix que la démoralisation gagne la classe ouvrière, démoralisation due aussi bien à la pratique du réformisme qu’à la subordination du mouvement syndical au mouvement politique. En ce qui concerne ce dernier point, affirmons sans plus attendre qu’il est indispensable de repousser ces manœuvres qui ont pour objet d’assurer la domination du parti dit communiste (il faut appeler les choses par leur nom). (Protestations) la domination de ce parti sur la classe ouvrière pour faire de celle-ci l’instrument de la politique étrangère de la castocratie soviétique, qui a usurpé la Révolution d’Octobre. (Bruits.)

Camarades, quand nous aurons réalisé cette propagande préalable, il faudra se lancer dans la lutte directe contre le régime, dans les manifestations de rue et, par la grève et les occupations d’usines, aller vers le renversement du Capitalisme. La C.G.T. doit donc rompre immédiatement et sans délai avec cette pourriture électorale qu’on appelle le Front Populaire. (Protestations et applaudissements.) Nous considérons que le mouvement syndical se déshonorerait s’il continuait une seconde de plus à participer à cette comédie infecte, qui nous a conduits à la situation actuelle extrêmement grave du point de vue matériel et qui a failli nous mener à la guerre en septembre dernier.

Camarades, laissez-moi vous dire l’extrême responsabilité qui pèse sur les épaules des dirigeants de la C.G.T., car c’est eux qui ont tenu le Front Populaire sur les fonts baptismaux. Ce sont ses chefs, effrayés par la magnifique combativité ouvrière de juin 1936, qui ont freiné et réprouvé les occupations d’usines; c’est le Parlement unanime qui a condamné cette magnifique forme de l’action ouvrière. Mieux encore, c’est un secrétaire confédéral, Frachon, faisant suivre son nom de son titre de « secrétaire adjoint de la C.G.T. », qui publiait, dans l’Humanité, les lignes ahurissantes que voici :

Nous disons aujourd’hui aux ouvriers, avec la même franchise, que le prolongement .de l’agitation gréviste, que la continuation de l’occupation des usines les desserviraient.

Sous le titre « Une décision de la C.G.T. pour l’issue favorable des conflits en cours », l’Humanité du 16 juillet déclare:

Après une conférence avec le gouvernement issu du Front Populaire, le Bureau confédéral se prononce, avec des garanties précises pour les grévistes, en faveur de l’évacuation des lieux de travail.

Et voici un chef du Front Populaire, Jacques Duclos, condamnant la grève, donnant le coup de grâce à la splendide lame de fond qui, en juin 1936, surgit des profondeurs du prolétariat; ce fut le commencement de la débâcle, un des premiers gestes qui ont transformé le Front Populaire en « frein populaire ». Duclos déclarait, en effet, dans l’Humanité:

C’est pourquoi, sans vouloir renoncer à aucune forme de lutte, y compris la grève, nous considérons qu’en raison de leur force, de l’existence d’une C.G.T., d’une Chambre de Front Populaire et d’un Gouvernement issu de la majorité de cette Chambre, les ouvriers peuvent faire triompher leurs revendications non seulement sans recourir à l’occupation des usines mais même sans faire la grève.

C’est ainsi, par la renonciation à la grève et aux occupations d’usines, que l’on a préparé la Pause, laquelle a précédé la capitulation du mouvement syndical devant les politiciens du Front Populaire.

Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, le Front Populaire, dès sa formation, s’était enfermé dans le cadre du régime capitaliste et; ce faisant, il se condamnait à une action stérile, à la démoralisation des travailleurs, à l’échec le plus cinglant, pour aboutir en fin de compte au Front national, au Front de la réaction sociale!

Camarades, le Front Populaire parlementaire que nous ne confondons pas avec le Front Populaire de combat voulu par les travailleurs n’a absolument rien fait! Le pain est plus cher que jamais, la liberté est fort contestée à l’heure actuelle, quant à la paix, vous savez ce que nous avons failli avoir! Nous avons été en particulier, de par la volonté de certaines fractions du Front Populaire, à quelques millimètres de la guerre. Et si la guerre avait éclaté nous aurions assisté à l’écrasement total de toutes les revendications populaires, à la suppression de toutes nos libertés et couronnement tragique! à l’extermination du prolétariat. Par la grâce des staliniens, de la C.G.T., des socialistes et de la réaction radicale, nous avons failli avoir la guerre la plus atroce qu’on puisse imaginer, la plus formidable duperie qu’on puisse concevoir. Et cela, après avoir promis aux prolétaires le Pain, la Liberté et la Paix!

Il est donc nécessaire de rompre avec cette formation de trahison qu’est le Front Populaire; il est nécessaire de la dénoncer et de remplacer son programme électoral par un programme conforme aux intérêts des travailleurs; il est nécessaire de substituer à la duperie et à l’inaction politicienne l’action virile d’une C.G.T. s’inspirant de la lutte des classes.

Camarades, un programme et une méthode s’imposent donc. Je dirai même qu’après les déclarations de Paul Reynaud et la publication des décrets-lois, ce programme et cette méthode s’imposent plus que jamais.

Nous assistons à une agression de très large envergure de la part du Gouvernement d’un homme que les staliniens appelaient au pouvoir certain 14 juillet et de la part d’une bourgeoisie à laquelle les grèves de 1936 donnèrent le frisson de la peur, contre les classes laborieuses de ce pays.

Le plan Daladier-Reynaud d’asservissement des travailleurs et de consolidation du régime bourgeois se caractérise:

1° par l’anéantissement de toutes nos conquêtes sociales;

2° par la surexploitation de la classe ouvrière, des paysans, des artisans et des petits commerçants;

3° par une course aux armements sans précédent dans l’Histoire.

J’attire votre attention sur ceci en plus des 20 milliards pour le budget de la guerre il y aura, l’an prochain, à solder 8, 10 ou 12 milliards pour payer la préparation à la guerre de septembre dernier; il y aura ensuite 25 milliards, d’après Reynaud lui-même, pour préparer la guerre de demain, c’est-à-dire que l’an prochain nous aurons à verser, à suer 5o à 55 milliards pour la préparation à la guerre!

Ce programme du Gouvernement devrait dresser dans un mouvement de révolte la totalité de la classe ouvrière.

Et qu’il nous soit permis d’affirmer, à ce sujet, que le plan Daladier-Reynaud ne saurait être condamné seulement pour ses décrets de servitude et de misère. C’est aussi et en même temps contre les odieux crédits militaires qu’il réclame que nous devons nous dresser. Il faut se lever contre la totalité de ce programme et en particulier contre les crédits qui sont destinés à préparer la boucherie de demain et qui, dans une large mesure, motivent les décrets-lois.

Au plan gouvernemental, nous devons opposer un programme simple et clair répondant au désir et à la volonté des ouvriers. Nous entendons que soient respectées toutes les conquêtes ouvrières; nous entendons que ces conquêtes soient élargies encore et consolidées.

Et pour faire reculer,la bourgeoisie, une vigoureuse et rapide riposte s’impose par les manifestations, la grève et l’occupation des lieux du travail.

Mais attention, camarades, quand je dis grèves, je n’entends point parler de ces grèves partielles, sauvages, qui ont éclaté ces temps derniers. II ne faut pas -laisser partir, paquets par paquets, des Fédérations ou des Syndicats. Ce que nous voulons, pour faire reculer le Gouvernement et la bourgeoisie, c’est une action d’ensemble, une grève générale et englobant non seulement les travailleurs des usines, mais encore les travailleurs des transports, les cheminots, les postiers, les fonctionnaires. Ce qu’il faut, c’est une réplique formidable qui dresse l’ensemble du prolétariat contre la bourgeoisie. Voilà ce que nous voulons! Mais, pour que la C.G.T. soit puissante, pour qu’elle soit à même d’entreprendre cette action, il est nécessaire tout d’abord de lui donner confiance en elle- même. Et cette confiance n’existera réellement que dans la mesure où la C.G.T. sera à l’abri des influences extérieures, où la C.G.T. ne sera pas inféodée au parlementarisme, d’une part, et, d’autre part, colonisée par le parti stalinien. (Protestations.)

Il est absolument indispensable de se garder de ces deux dangers qui menacent le mouvement syndical. Nous n’admettons pas la collusion de la C.G.T. avec les Gouvernements bourgeois et leurs institutions; nous condamnons les Comités et les Cours d’arbitrage; nous ne voulons pas que la C.G.T. participe au Conseil national économique, organe de la bourgeoisie; ni au B.I.T., organe du capitalisme international. Nous ne voulons pas non plus que la C.G.T. soit colonisée par le parti stalinien.

Sur cette colonisation, le camarade Froideval, ce matin, a insisté longuement. Il a raison; c’est un chancre qu’il faut extirper, sinon le mouvement syndical en crèvera. La C.G.T. d’aujourd’hui subira le triste sort de la C.G.T.U. d’hier. Elle sombrera dans le sectarisme et l’impuissance jusqu’au moment où elle ne sera plus qu’un cadavre puant que la bourgeoisie méprisera. Voilà ce qu’il faut éviter à tout prix.

Cette domestication apparaît sous plusieurs aspects. (Brouhaha.) D’abord, c’est la conquête des postes dirigeants. On s’efforce, à la faveur de la naïveté de la masse, de conquérir les postes syndicaux et lorsqu’on détient ainsi ces postes syndicaux on a la possibilité de tenir les ouvriers. Inexpérimentés et confiants, les ouvriers sont alors aisément trompés, bernés, dévoyés. On peut ainsi, à la faveur de cette possession des postes syndicaux, asservir la C.G.T. à la politique stalinienne. Cela, nous ne le voulons pas, nous ne le permettrons pas, parce que c’est profondément dégradant et extrêmement dangereux pour le mouvement syndical d’être le jouet des agents de l’U.R.S.S. stalinisée. Lorsque la fraction stalinienne détiendra la majorité des postes de la C.G.T., la colonisation vous apparaîtra alors dans toute sa nocivité.

Relisez le discours et les directives de Dimitrov, dans l’Humanité d’hier!  Moi qui suis un ancien minoritaire de la C.G.T.U. (Bruits.)

UN DÉLÉGUÉ. – On le sait!

SERRET. – Je tiens à le répéter, même si cela peut faire honte à ceux qui ont trahi l’idéal révolutionnaire commun. Moi qui ai connu et combattu la subordination de la C.G.T.U. au P.C., je vous dirai qu’à la veille de tous les Congrès, l’Internationale communiste envoyait des ukases auxquels se soumettaient servilement les tenants de la « ligne » communiste. Ainsi, on violait la démocratie syndicale de la façon la plus cynique, on décourageait, on dégoûtait les camarades ouvriers, tous ceux qui n’étaient pas asservis au parti stalinien. La maison devenait inhabitable.

Si vous n’y prenez garde il en sera bientôt de même pour la C.G.T. Après les manœuvres tortueuses et hypocrites viendront les brutalités physiques, vous entendez bien! Vous serez discrédités, déshonorés, injuriés, atteints en vous-mêmes, dans votre personne. Il faudra ou bien plier et vous soumettre ou bien subir en permanence la calomnie car, sachez-le bien, la doctrine stalinienne n’a de comparable que la doctrine des Jésuites. (Brouhaha, protestations, sifflements.)

La domestication du mouvement syndical se réalise d’une autre manière, plus indirecte que la précédente. Des secrétaires syndicaux, fédéraux et confédéraux qui jouissent, du fait de leur situation syndicale, d’un prestige légitime, militent ensuite dans leur organisation politique, écrivent dans les journaux de leur parti et même se présentent comme candidats à la députation, au « députanat » pour reprendre l’expression de Gustave Hervé. On les voit utiliser au profit de leur parti le prestige qu’ils ont conquis dans l’action syndicale, on les voit en particulier donner leur temps et leur effort, temps et effort payés avec nos cotisations syndicales, à un parti politique.

Il faut, dans les circonstances présentes, réagir avec fermeté. Il faut interdire à tout fonctionnaire de Syndicat, d’Union, de Fédération ou de Confédération, qu’il soit rémunéré ou non, de militer de quelque façon que ce soit dans une organisation autre que l’organisation syndicale. Si vous ne prenez pas ces mesures énergiques, les staliniens se « foutront » complètement de toutes vos motions, de votre charte. Ils seront patelins et conciliants jusqu’au jour où ils seront les maîtres ‘incontestés; alors ils proclameront le rôle dirigeant du parti sur les organisations syndicales. (Protestations.)

Certains camarades, dans la salle, en ont marre de m’entendre. J’en suis infiniment heureux. -S’ils ont marre de moi, qu’ils soient bien persuadés que nous, nous avons marre aussi de ceux qui ont trahi l’idéal révolutionnaire dont ils se sont réclamés pendant quinze ans.

J’en arrive, camarades, à la question de la guerre. (Exclamations.)

Nous avons eu, non pas la surprise, mais la douleur de constater que le bellicisme, le chauvinisme, avaient fait de singuliers ravages dans la C.G.T. Je dis que ce n’est pas avec surprise que nous avons constaté cela, attendu que depuis une .certaine déclaration de M. Staline nous savions très bien que le parti qui se réclame le plus bruyamment du mouvement ouvrier avait tout trahi, avait tout abandonné de son passé. (Protestations.)

Permettez-moi, pour ceux qui contestent ce que j’exprime ici. de faire quelques citations. Je les tirerai notamment de cette petite brochure, qui est d’ailleurs introuvable parce que passée- au pilon, et dans laquelle l’un des grands chefs du Front Populaire, le secrétaire général du parti communiste français, déclarait Les communistes ne croient pas au mensonge de la défense nationale en régime capitaliste. Par tous les moyens ils lutteront contre le déclenchement de la guerre impérialiste et au cas où, malgré leurs efforts, la guerre éclaterait, les travailleurs, suivant l’exemple des bolchevicks et de Lénine, n’oublieraient pas la résolution de Stuttgart de 1907, qui recommandait d’utiliser la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. Détachons du même texte, qui date de trois ans seulement,. cette affirmation non moins nette :

L’ennemi est dans notre propre pays, le cri de lutte de Karl Liebknecht reste celui des communistes. Ici, ajoutait Maurice Thorez dans son discours à la Chambre des Députés, je veux répondre à l’affirmation que Léon Blum a produite à cette tribune selon laquelle les travailleurs de France se lèveraient pour résister au fascisme.

Écoutez, camarades. la réponse de nos donneurs de leçons, écoutez ce que déclarait Thorez, le 15 mars 1935, alors que le fascisme était instauré en Allemagne (brouhaha), alors que Mein Kampf était connu depuis longtemps. Thorez, le leader de ceux qui, aujourd’hui, me chahutent parce que je rappelle certaines vérités gênantes, ripostait à Blum en ces termes :

Nous ne permettrons pas qu’on entraîne la classe ouvrière dans une guerre dite de défense de la démocratie contre le fascisme. Nous rappeFerons aux travailleurs l’erreur tragique de Nous leur dirons « En Allemagne, on a conduit les prolétaires à la guerre contre le tsar en disant qu’il fallait défendre, contre le tsar réactionnaire, les conquêtes d’un pays plus avancé dans la voie du progrès, par conséquent dans la voie du socialisme. » Ici, en France, on a dit « Il faut défendre la République contre Guillaume II, il faut défendre le pays le plus démocratique contre l’empereur réactionnaire. » (Brouhaha.)

Dans la salle. – Unité ! Unité ! Unité  !

SERRET. Et Maurice Thorez, en conclusion. (Brouhaha.)

JOUHAUX. Camarades, nous sommes ici pour discuter le rapport moral et l’activité de la Confédération Générale du Travail. (Applaudissements.)
Quelles que soient les formules dont on se sert à cette tribune, entendez-les, nous les entendons, nous qui sommes plus visés que vous. (Applaudissements.)
Par conséquent, nous vous demandons de faire acte de délégués qui, ayant entendu, pourront réfléchir et décider en connaissance de cause. (Applaudissements.)
Nous ne sommes pas ici une réunion publique; nous sommes un Congrès. Nous demandons à chacun de conserver ses opinions particulières pour mieux apprécier les critiques qui peuvent être faites. (Applaudissements.)

SERRE. – Je termine donc la conclusion de ce paragraphe, qui n’est pas de moi, qui est formulé par quelqu’un de respectable, de respecté à l’égal du Dieu Soleil, Staline, qui règne sur un sixième de l’univers!…

Je déclare très nettement que les communistes ne laisseront pas propager un pareil mensonge, une telle illusion.

Puisque aussi bien je suis dans les textes sacrés, voulez-vous que j’apporte à cette tribune l’opinion émise par les secrétaires confédéraux, actuellement en fonction, qui s’appellent Frachon et Racamond, au Congrès confédéral de 1933, alors qu’Hitler était au pouvoir, que l’on connaissait ses intentions et son programme et que Mein Kampf était écrit? Ils disaient, dans une résolution qui fut adoptée:

Les dirigeants réformistes cela s’adressait à Jouhaux et à l’ancienne C.G.T. sont également des soutiens précieux de la bourgeoisie dans la préparation matérielle et morale à la guerre, non seulement ils mènent une lutte acharnée contre le Comité d’Amsterdam de lutte contre la guerre, mais ils participent directement à la campagne d’excitation chauvine, poursuivant ainsi leur politique de défense nationale et d’union sacrée.

Il y a même mieux, écoutez, ils disaient ceci qui est tout à fait actuel:

C’est ainsi également qu’il faut expliquer la position des réformistes dans la lutte contre le fascisme. Leur mot d’ordre de défense des pays de démocratie contre les dictatures n’a d’autre objet que de servir les intérêts de l’impérialisme français contre l’irnpérialisme allemand, en utilisant la haine légitime des masses françaises contre le fascisme.

A la lumière de ces textes saints, de ces textes sacrés, qu’il me soit permis de dire que je ne comprends pas, ou plutôt que je comprends trop, l’attitude actuelle de ceux qui ont adopté le drapeau tricolore, qui ont collé la Marseillaise à l’Internationale, qui ont tendu la main à l’Église et redoré son blason, qui ont essayé de réaliser le Front des Français avec M. Paul Reynaud, en août Permettez-moi de vous rappeler que ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, voudraient nous donner, à nous qui sommes restés fidèles à notre idéal, une leçon de pacifisme. Non! Nous ne l’acceptons pas. (brouhaha) et malgré vos criailleries, je persisterai à dire ce que vous disiez autrefois, ce que vous avez proclamé pendant de nombreuses années. Je dirai, malgré vous, mais avec toute la classe ouvrière et paysanne de ce pays que nous ne voulons pas la guerre, que nous ne la voulons en aucun cas, même si elle se présente sous le masque de la lutte des démocraties contre le fascisme; nous n’acceptons pas la politique poursuivie par la C.G.T. nous trouvons inacceptables les dérogations aux 40 heures en faveur de la défense nationale; nous trouvons écœurant qu’on brise une grève parce qu’elle pouvait nuire à la défense nationale; nous trouvons intolérable que la C.G.T., qui avait refusé d’examiner au Congrès de Toulouse la motion Biso sur la guerre, se soit permis d’envoyer un ukase aux U.D. pour les empêcher de prendre une position différente de la position du bureau confédéral; nous trouvons inadmissible qu’on suive la politique de fermeté, car la politique de fermeté c’est, si vous êtes francs, la politique qui, en définitive, nous conduit directement à la guerre, c’est la réédition du vieil adage nationaliste si vis pacem, ¢ara hélium. La politique de fermeté exige des armements. Vous savez que les armements pèsent presque exclusivement, pour ne pas dire exclusivement, sur le dos de la classe ouvrière. La politique des armements est incompatible avec une politique sociale en faveur de la classe ouvrière.

De plus, cette politique de fermeté nécessite la recherche d’alliances. Or, ces alliances, oit les trouverez-vous? Vous acceptez l’hypothèse d’une guerre antifasciste et vous ferez alliance avec l’Angleterre, qui est la nation la plus férocement colonialiste qu’on puisse imaginer? Vous voulez faire l’alliance avec la Pologne qui est fasciste? avec la Roumanie qui est fasciste? avec la Yougoslavie qui est fasciste? Singulier front des démocraties!

Si vous acceptiez cette politique, si vous alliez jusqu’au bout, vous feriez donc, camarades, la plus monstrueuse politique qui consiste à s’allier à une forme du fascisme pour combattre un autre fascisme.

Au surplus, même en supposant que tout ceci soit réalisé, qu’arriverait-il? C’est que le jour de la déclaration de guerre vous seriez obligés de vous mettre sous la botte de l’état-major et du capitalisme français qui n’admettraient pas que la classe ouvrière use de ses libertés. Vous vous mettriez par conséquent sous la botte du fascisme français pour combattre le fascisme allemand!

Mieux encore, camarades, rendez-vous compte Dans une pareille guerre, que se passerait-il? Vous n’auriez pas devant vous Hitler, Gœbbels ou Goering; devant vous, dans les tranchées, vous trouveriez les prolétaires allemands; par vos avions vous iriez bombarder des villes peuplées de femmes allemandes, d’enfants, de travailleurs comme vous. Vous participeriez par conséquent à cette monstrueuse duperie qui consisterait à réaliser l’écrasement du prolétariat allemand et français au nom précisément de la libération allemande et française. Vous rééditeriez l’erreur tragique de 1914, lorsque nos .aînés partirent pour défendre la liberté, le droit et la civilisation, alors qu’ils édifiaient sur les ruines du monde le plus sanglant des impérialismes, le plus féroce des nationalismes.

Cette politique-là, nous ne la voulons pas; nous n’en voulons à aucun prix. Nous ne voulons pas marcher pour maintenir dans l’État bourgeois tchécoslovaque une minorité nationale dont Péri, il n’y a pas bien longtemps, réclamait le rattachement à l’Allemagne. Nous ne voulons pas sacrifier des millions d’hommes pour régler des conflits impérialistes. A ce propos, faut-il donc que je rappelle qu’après une certaine grève de Strasbourg, certains dirigeants communistes ici présents au bureau confédéral affirmaient, pour l’Alsace et la Lorraine, le droit de se séparer de la France et de réintégrer l’Allemagne de Hitler! (Bruit.) Que ceux qui, hier, étaient d’ardents antipatriotes et antimilitaristes ne viennent pas contester ce que nous affirmons nous en avons la preuve matérielle!

Nous disons que nous ne voulons pas sacrifier l’avenir de l’humanité pour des colonies, que nous ne voulons pas sacrifier l’avenir du prolétariat pour la nation, pour la patrie et le reste, nous ne voulons pas être les sénégalais de Staline nous ne voulons pas sacrifier notre vie, ni pour un impérialisme matériel, ni pour un impérialisme intellectuel contre l’impérialisme russe. (Bruits divers.) Les injures que l’on me prodigue ici ne m’arrêteront pas, soyez-en bien persuadés! Nous disons, camarades, qu’au cours de ce mois de septembre, si la C.G.T. n’avait pas trahi la mission que lui a confiée le prolétariat, au lieu de rester placide tout d’abord et ensuite d’appuyer par son journal Messidor et par ses déclarations, la poussée belliciste, elle aurait dû lancer un avertissement à tous les gouvernements et en particulier au nôtre; elle aurait dû organiser dans le pays ce que nous avons fait à quelques-uns, dans des conditions très difficiles manifestations publiques, meetings, manifestations de rue; elle aurait dû, au surplus, organiser une grève générale de démonstration contre la guerre elle aurait dû faire toute cette action que nous avons tenté de réaliser. C’est notre gloire et notre fierté d’avoir essayé de la faire et c’est votre honte de ne l’avoir pas engagée avec nous.

Camarades, il faut en revenir à l’antimilitarisme qui est aujourd’hui abandonné, à l’internationalisme prolétarien. Nous devons proclamer que les prolétaires n’ont plus de patrie; que, pour nous travailleurs, il n’y a qu’une frontière, celle qui sépare les travailleurs internationaux du capitalisme international; pour nous, il n’y a pas de frontière entre l’Allemagne et la France, il n’y a pas entre ces deux peuples de raison de s’entretuer. Nous ne pouvons pas accepter une guerre qui, sous le masque de la liberté, serait le massacre des peuples.

Nous ne voulons plus, camarades, revoir à l’avenir l’erreur tragique que la C.G.T. a failli commettre en septembre. Nous disons qu’elle doit condamner toutes les guerres impérialistes sans exception. Pour barrer la route à la guerre, nous devons organiser la propagande antiguerre, nous devons déclarer que pour faire reculer la guerre il faut préparer et réaliser la grève avec occupation d’usines, il faut redoubler d’efforts dans la bataille contre le capital et ses soutiens; nous devons affirmer notre fidélité à la résolution de Stuttgart qui disait que si la guerre éclatait néanmoins le prolétariat international devait intervenir pour la faire cesser promptement en la transformant en guerre de révolution.

Camarades, j’en ai terminé. Je me permettrai, en conclusion, de lire les deux motions suivantes, l’une sur l’indépendance du syndicalisme et l’autre sur la  guerre. Elles émanent de la Commission Exécutive des Métallos de la Société Française de Radio et le Syndicat de l’Enseignement de l’Ardèche les a acceptées.

Sur l’indépendance dtc syndicalisme. Le Congrès affirme à nouveau la raison d’être du syndicalisme l’action de classe pour la disparition du patronat et du salariat. Il se déclare pour l’indépendance du syndicalisme à l’égard des partis politiques, de tous les groupements extérieurs (franc-maçonnerie et autres), des gouvernements, des Etats, contre la défense nationale.

Cette indépendance s’étend aux coalitions politiques telles que le Front Populaire. En conséquence, il se prononce pour l’interdiction à tous les échelons du mouvement syndical du cumul des mandats syndicaux avec les mandats politiques ou fonctions dirigeantes dans les partis, ainsi que les délégations syndicales dans les organismes du patronat et de l’Etat.

Opposé à la mainmise de toute bureaucratie dans le mouvement syndical, au gaspillage et à l’arbitraire qui en résultent, il s’affirme pour la réduction du nombre des permanents et leur non-rééligibilité.

Attaché en fait et non en paroles au respect de la démocratie syndicale, à la liberté d’expression et de représentation des tendances dans les organes et organismes syndicaux, il reconnaît

– le droit d’existence des minorités;

– la représentation de celles-ci dans les différents organismes de direction et de contrôle;

– l’utilité des tribunes libres dans tous les bulletins et journaux syndicaux;

– la représentation directe des Syndicats aux Congrès départementaux, fédéraux et confédéraux;

– la souveraineté des assemblées syndicales de base, en particulier pour le déclenchement et la conclusion des actions revendicatives.

Ces conditions réalisées sont la garantie de l’unité dans la C.G.T.

La C.G.T., libérée de la tutelle des Partis, de l’Etat et de la bureaucratie paralysante, s’affirme résolue à lutter sur son terrain spécifique pour les revendications urgentes des salariés :

– Défense du pouvoir d’achat par l’échelle mobile des salaires, traitements, pensions, retraites et allocations de chômage;

– Retraite pour les vieux travailleurs et constitution d’un fonds national de chômage à charge du patronat et de l’Etat;

– Maintien et extension des avantages acquis, conventions collectives, congés payés, droits des délégués d’atelier, etc.;

– Respect intégral des 40 heures, contre toute dérogation ou récupération et pour la généralisation de la loi à toutes les industries et administrations;

– Pour le contrôle ouvrier sur la production, contrôle sur l’embauchage et le débauchage, abolition du secret commercial;

– Contre l’arbitrage obligatoire, le « Statut moderne du Travail », la réquisition;

– Pour la reconnaissance du droit syndical et de grève aux fonctionnaires;

– L’exercice du droit de grève sans restrictions

– La défense du droit d’asile, le soutien de l’action des travailleurs immigrés et coloniaux, la reconnaissance du droit syndical à ces travailleurs;

– La solidarité effective à l’égard des victimes de la répression capitaliste, gouvernementale et administrative.

Le Congrès de la C.G.T. se prononce contre tout plan de collaboration de classes;

– Pour la rupture avec le Front Populaire;

– Pour un programme d’action ouvrière aux traditions et aspirations du syndicalisme de lutte de classe.

Contre la guerre. Considérant que le militarisme, le fascisme et la guerre sont les produits naturels du capitalisme et de la concurrence impérialiste, que la lutte contre la guerre est inséparable de la lutte de classe contre le capitalisme, qu’il revête une forme démocratique ou fasciste.

Le Congrès rappelle :

– Que la lutte contre le capitalisme dans notre propre pays suscite et renforce la lutte de classe dans les autres pays;

– Que la lutte contre la guerre est indissolublement liée au principe de l’internationalisme prolétarien;

– Que la défense nationale est la défense des intérêts capitalistes et que la sauvegarde des libertés ouvrières et leur élargissement ne peuvent être assurés que par le maintien et l’élargissement des conquêtes sociales;

En conséquence, il déclare :

Que toute tentative visant à entraîner les travailleurs dans une guerre impérialiste, sous les prétextes de défense nationale ou de défense des démocraties bourgeoises contre le fascisme, doit être combattue énergiquement

D’autre part, considérant :

– Que la préparation à la guerre conduit à la réduction progressive des libertés jusqu’à leur suppression par la mobilisation;

Le Congrès confédéral se prononce :

– Pour l’accentuation des luttes revendicatives et notamment contre toute heure supplémentaire pour la « défense nationale »;

– Pour la libération des peuples coloniaux et sans accepter ni justifier la servitude militaire;

– Pour la réduction immédiate du temps du service militaire et pour l’amélioration du sort des encasernés;

Il dénonce les phrases trompeuses sur le « désarmement général et simultané » et sur la tenue d’une Conférence des Gouvernements capitalistes capables de régler pacifiquement leurs antagonismes insolubles. Comme le montre la faillite de la S.D.N. ce désarmement et cette procédure pacifique sont, en effet, incompatibles avec l’exploitation de l’homme par l’homme.

La lutte contre la guerre et le fascisme se confond avec la lutte pour la révolution sociale; elle ne sera menée dans tous les pays que par une Fédération syndicale internationale et des Centrales syndicales ayant un programme révolutionnaire et réalisant ainsi une véritable unité syndicale internationale.

Cette unité ne saurait se comprendre avec des organisations soi-disant syndicales directement inféodées à l’Etat.

La C.G.T. fera reculer la guerre en affaiblissant le capitalisme et, se refusant à toute guerre. impérialiste, elle déclare que. pendant et après la mobilisation, la lutte de classe continue.

nantes38

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