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Mattick: une vie communiste

20 janvier 2016

Traduction par nos soins d’un article de Felix Baum paru dans The Brooklyn Rail (déc. 2015/janvier 2016). Quelques courts extraits de la biographie de Mattick par Roth seront traduits en français dans le prochain numéro de Critique sociale.

Le mot « communisme », qu’on avait cru discrédité à jamais par l’expérience en Russie et dans ses pays satellites au XX° siècle, semble bénéficier d’un retour en grâce ces dernières années avec le retour des crises économiques et des luttes sociales à travers le monde. Des conférences sur « l’idée du communisme » attirent du monde, des livres d’auteurs se réclamant communistes comme Alain Badiou et Slavoj Žižek trouvent des lecteurs et l’attention des médias. Mais le plus souvent ce retour (limité) ne semble pas poussé par un véritable désir de retrouver le contenu émancipateur du mot comme dans les écrits de Karl Marx et les mouvements du XIX° siècle. Les maîtres-penseurs (*) Badiou et Žižek préfèrent se poser en enfants terribles (*), défendant le maoïsme et flirtant avec la terreur bolchevique, réaffirmant précisément une tradition avec laquelle le « communisme » du XXI° siècle devrait rompre.

Dans sa nouvelle biographie de Paul Mattick, travailleur d’origine allemande émigré aux États-Unis en 1926 qui devint l’un des plus important critiques radicaux de son temps, Gary Roth parle d’un courant largement oublié du XX° siècle qui a dès le début rompu avec les caricatures étatistes du communisme dans lesquelles sont encore les intellectuels de gauche médiatiques. [Gary Roth, Marxism in a Lost Century. A Biography of Paul Mattick (Brill, 2015).] Notant que cette histoire relève d’ « époques révolues où une classe ouvrière radicalisée constituait encore un espoir pour l’avenir », Roth évite la mélancolie et la nostalgie, cherchant à justifier son travail dans une reconfiguration récente « de la population mondiale en une vaste classe ouvrière s’étendant aux classes moyennes dans les pays industrialisés et aux travailleurs agricoles sous-employés partout ailleurs ». Tout en étant loin de constituer une offensive soutenue et cohérente contre les conditions existantes, quelques luttes récentes de cette classe, notamment les “square movements” qui se sont propagés de l’Afrique du Nord vers l’Europe et Istanbul, montrent une auto-organisation horizontale, sans dirigeants, une action de masse directe contre les forces d’État, un intérêt pour les occupations qui relève bien moins de la tradition léniniste que ne le dit Roth mais plus du communisme de conseil, sans en exagérer pour autant les ressemblances. [1]

Né en 1904 dans une famille de la classe ouvrière de Berlin, Mattick chemine vers ce courant pendant les bouleversements de la fin de la Première Guerre mondiale, quand il était encore un adolescent. Alors que le rôle infâme du Parti social-démocrate allemand (SPD) dans cette période (notamment son implication dans l’assassinat de ses anciens membres Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht par les Corps francs) est largement reconnu, même par les historiens libéraux, le radicalisme ouvrier de ces années-là est resté une affaire de spécialistes. Même en Allemagne, beaucoup à gauche ne savent quasiment rien du KAPD, le Parti communiste-ouvrier qui rompit avec le Parti communiste nouvellement fondé (KPD) quand celui-ci abandonna son abstentionnisme initial et son boycott des syndicats traditionnels. Surfant sur une vague d’agitation prolétarienne, ce parti a été capable d’entraîner vers lui une majorité de militants du KPD, ce dernier devenant une organisation croupion transformée lentement mais sûrement en annexe locale des bolcheviks victorieux en Russie. Bien que fascinés au début, non seulement par l’Octobre rouge mais aussi par le rôle qui jouèrent les bolcheviks, les communistes de conseils prirent bientôt une distance critique vis-à-vis de l’U.R.S.S., y voyant l’établissement d’un capitalisme d’État sous contrôle strict du parti unique. Opposant l’activité auto-dirigée des travailleurs à la dictature du parti, ils ont compris que les conseils qui étaient apparus en Russie en 1905 étaient non seulement une forme de lutte sous le capitalisme, mais aussi le germe d’une nouvelle société sans classe sous contrôle direct des producteurs, et ont fait de l’abolition du salariat leur cri de ralliement.

C’étaient ces perspectives de base, forgées dans le feu de luttes qui étaient parfois à la limite de la guerre civile, qui ont façonné les activités et les écrits de Mattick jusqu’à la fin de sa vie. En suivant Mattick dans les grèves d’usine, dans ses activités comme militant de l’organisation de jeunesse du KAPD et dans sa vie personnelle, Roth dresse un portrait coloré du milieu entourant le KAPD et les Unionen qui ont compté plusieurs centaines de milliers de membres au début des années 20, ainsi que des cercles d’intellectuels d’avant-garde qui gravitaient autour de revues comme Die Aktion.

Avec le fléchissement des luttes et le déclin rapide du KAPD, Mattick décida de partir aux États-Unis en 1926. Il était ici, à Chicago, pour le second évènement majeur de sa vie militante. Tandis qu’il continue d’écrire pour la presse radicale en Allemagne et, lisant, se forme en autodidacte sur les questions théoriques pour devenir bientôt un auteur exceptionnel, il se lie aux I.W.W. (Travailleurs industriels du monde) et à la communauté socialiste allemande émigrée. Là encore, Roth redonne vie à un milieu d’une époque révolue, celui de travailleurs politisés et de leurs organisations secouées de querelles et scissions constantes. A partir de 1932, Mattick ayant perdu son travail à l’usine Western Electrics, a participé au mouvement des chômeurs à Chicago. Il a décrit plus tard ces années comme les meilleures de sa vie, celles où il pouvait militer à plein temps. Il est intéressant de lire la description que donne Roth de ce mouvement, qui contraste avec la tranquillité sociale aux Etats-Unis lors de la dernière crise. Bien que moindre que l’effervescence sociale en Europe après la Première guerre mondiale, le mouvement des chômeurs radicaux auquel a participé Mattick se caractérisa par des formes d’action directe qui combinaient l’entraide matérielle et l’activisme politique:

The unemployed began to use abandoned storefronts for their own purposes. Locks were broken, and the stores became meeting places, with chairs taken from deserted movie houses. Mattick estimated that there were some fifty or sixty such locales in Chicago [ … ]. Mimeograph machines were installed for the production of leaflets and movement literature. Paper was contributed by those still employed, who stole office supplies from their workplaces. [ … ] Gas lines were tapped without setting off the meters [ … ] Makeshift kitchens were set up in the storefronts and meals cooked around the clock.

Cependant, ces tendances les plus radicales furent déjouées par les organisations de chômeurs des partis de gauche plus grands, tandis que le développement de l’aide sociale et de l’emploi public dans l’administration Roosevelt amenait une éclipse finale du mouvement d’ensemble.

Avec un groupe de communistes de conseils à Chicago, Mattick a commencé à publier la revue International Council Correspondence (ICC) en 1934, rebaptisée plus tard Living Marxism et enfin New Essays. Avec Karl Korsch (un ancien membre du SPD et du KPD, celui aurait enseigné le marxisme à Bertolt Brecht) Mattick en a été le principal contributeur en textes. Mettant l’accent sur les développements contemporains comme la Grande Dépression et le New Deal, la guerre civile espagnole et la montée du fascisme et du nazisme en Europe et débattant de questions théoriques plus générales, ICC est un excellent exemple de critique sociale indépendante sans affiliations universitaires ou à un parti , produite par quelques intellectuels précaires et des théoriciens autodidactes comme Mattick. Avec de nombreuses traductions de textes des radicaux européens, ICC a également servi de pont entre l’Amérique et le vieux continent à une époque de rivalité impérialiste accrue. [2]

Pendant les mêmes années, Mattick a eu des relations plutôt difficiles avec l’Institut de Francfort (Frankfurt Institute of Social Research) en exil. L’Institut, surtout connu par ses plus célèbres membres Max Horkheimer, Theodor Adorno et Herbert Marcuse, lui a commandé une analyse détaillée du chômage et du mouvement des chômeurs aux États-Unis mais a répugné à la publier, sans doute parce qu’elle exposait clairement une orientation marxiste que l’Institut se pressait désormais de minimiser afin de ne pas compromettre son statut aux États-Unis. Cette analyse lucide fut publiée pour la première fois en 1969 par un petit éditeur allemand et ne fut jamais traduite en anglais. Les relations entre Mattick et l’Institut de Francfort durant les années de guerre font partie des sujets pour lesquels une étude plus approfondie que celle qui peut l’être dans le cadre d’une biographie serait intéressante. Alors que certains membres de l’Institut commencèrent à travailler pour l’Office of Strategic Services, apportant des analyses du fascisme nazi à l’appareil d’État américain et contribuant donc à l’effort de guerre de celui-ci, Mattick appartenait à une petite minorité de radicaux qui rejetaient les deux bords, pour la Seconde guerre mondiale comme pour la première.

D’un côté, cette position semble logique, comme le rappelle Roth:

Under the banner of anti-fascism, the Communist Party embraced Roosevelt and the New Deal, egged forward the country’s economic and military policies, and found a new audience among intellectuals and professionals for whom Russia offered a means to appreciate the accomplishments of state planning. The more patriotic the party became, the more members it attracted.

D’un autre cependant, elle semble s’être basée sur des notions problématiques, comme celle d’une tendance générale vers l’État autoritaire, une incompatibilité générale du capitalisme et de la démocratie, conduisant à l’idée que l’issue de la guerre ne ferait aucune différence. « Si Hitler gagne, il est vrai (écrit Mattick dans le numéro de l’hiver 1941 de Living Marxism) qu’il n’y aura ni paix, ni socialisme, ni civilisation, rien que la préparation de plus grandes batailles à venir, pour une destruction à venir. Mais s’il y a victoire des « démocraties », la situation ne sera pas différente ». Cela s’étendra à une équation entre le système des camps de concentration nazis et la politiques des Alliés en Allemagne occupée: impressionné par des rapports d’amis et de la famille en Allemagne sur la pénurie dramatique de nourriture (et se référant au camp de Bergen-Belsen), Mattick écrit dans une lettre que si les nazis ont privé de nourriture une minorité à Bergen, les Alliés ont mis presque toute la population à ce régime.

En même temps, il faut le dire, la discussion sur la guerre et le fascisme dans Living Marxism et New Essays était très complexe; la revue a été l’un des rares endroits où des esprits indépendants pouvaient tenter de se confronter à une situation déconcertante et inconnue. Korsch, par exemple, notait que le slogan de la Première guerre mondiale « A bas la guerre impérialiste ! » avait désormais perdu son ancienne force révolutionnaire, quand il correspondait aux tendances des isolationnistes bourgeois, tandis que le slogan « Défaite de son propre pays » était devenu la pratique politique de cette importante fraction de la classe dirigeante de divers pays européens qui préférait la victoire du fascisme à la perte de sa domination. La note un peu triomphaliste par laquelle termine Korsch – ce n’est ni la Grande-Bretagne ni la « démocratie » mais le prolétariat qui est le champion de la lutte de l’humanité contre le fléau du fascisme – s’est avérée un vœu pieux. Mais il est hors de portée de cette note de lecture d’approfondir ces questions. Dans les paragraphes qui leur sont consacrés, Roth, qui semble partager le point de vue de Mattick, ne parvient pas à mon avis à régler le problème.

En tout cas, la fin de la Seconde guerre mondiale n’a pas donné lieu à de grands bouleversements sociaux comme l’avait fait la précédente. Dans la période d’après-guerre, Mattick s’est abstenu la plupart du temps d’activité politique, se retirant temporairement avec sa femme Ilse et son fils Paul dans la campagne du Vermont. Pourtant, c’est pendant cette seconde partie de sa vie qu’il est finalement apparu comme l’un des principaux penseurs de l’émancipation sociale inspirés par Marx, justement en rejetant à peu près toutes les variétés de marxisme académique ou encarté de l’époque. Plus important encore, Mattick a repris la théorie des crises de Marx qui était démodée pendant les Glorieuses quand la plupart des marxistes croyaient que la gestion par l’Etat de l’économie avait apporté une éternelle « société d’abondance »en neutralisant la tendance du capitalisme à la crise. Le principal travail de Mattick, Marx et Keynes, publié en 1969, a dissipé ces illusions avant qu’elles ne deviennent indéfendables, et lui a assuré un lectorat plus large. Ayant raconté (parfois un peu trop en détail) les difficultés de Mattick à faire publier ses textes, Roth a aussi évoqué son succès posthume, notamment en Europe de l’Ouest, où certaines parties de la Nouvelle Gauche qui n’avaient pas d’appétences néo-bolcheviques ou maoïstes ont développé une Mattick-mania pendant quelques années. Des événements comme mai 68 à Paris et les luttes autonomes des travailleurs en Italie ont fourni un terrain fertile pour une redécouverte de la tradition du communisme de conseils dont Mattick était l’un des rares partisans vivants.

En suivant Mattick à travers ce « siècle perdu », Roth livre un riche récit d’une tradition radicale qui, après une certaine renaissance dans les années 60 et 70, est de nouveau tombée dans l’oubli. La biographie exclut naturellement un examen en profondeur des questions politiques et théoriques en jeu. Roth déclare explicitement qu’il ne veut pas mettre l’accent sur le travail théorique de Mattick parce qu’il voit « peu de raisons de résumer un travail qu’il vaut mieux lire dans l’original » (et dont des parties importantes peuvent se trouver sur internet aujourd’hui.) Pourtant, dans certains cas, les contours et la signification contemporaine de cette théorie auraient pu être rendus plus clairement, tandis que certains détails biographiques semblent plutôt dispensables. Pour les lecteurs qui se sentent inspirés à poursuivre la lecture dans les écrits de Mattick et de ses camarades, les points forts du livre l’emportent de loin sur cette lacune.

Felix Baum

Notes:

[*] en français dans le texte (Note du traducteur de la BS)

[1] Voir l’entretien avec Charles Reeve en 2012 (Note de la BS)

[2] Greenwood Press a réédité les textes des trois revues dans leur intégralité en 1970 dans une édition en six volumes aujourd’hui épuisée. L’auteur ne semble pas connaître leur mise en ligne récente sur internet.

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Biographie de Georg Scheuer (1915-1996)

10 octobre 2015

Biographie de Georg Scheuer , animateur des R.K.D. pendant la seconde guerre mondiale, par Philippe Bourrinet:

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Jean-Baptiste Clément, chansonnier populaire (Vérecque, 1933)

29 mai 2014

Publié dans le Populaire, huit mois avant la mort de Charles Vérecque.

Notre ami Charles Vérecque nous a adressé une intéressante étude sur J.-B. Clément, dont la Fédération de la Seine vient de célébrer le trentième anniversaire de la mort.
Nous donnons les extraits suivants du remarquable article de Vérecque, en nous excusant de ne pouvoir le publier in extenso :

La première chanson de Clément

Durant quelques années, Clément mena une vie de travail et de privations, tout en étudiant les savants et les littérateurs. Dès qu’avec beaucoup de peine il eut économisé la somme de cent  francs, il abandonna le chantier et s’en fut à Paris pour taquiner la Muse et y chercher la fortune. Mais encore, il éprouva des déboires et des désillusions. Vivre de sa plume n’était pas chose facile. Il ne perdit cependant pas patience, et dès qu’il eut bien compo sa première chanson, « Si j’étais le  Bon Dieu », il alla la présenter, comme  il l’a écrit lui-même, avec « une extrême timidité, avec cette émotion inséparable d’un premier début » à l’éditeur Vieillot, qui la lui acheta 15 francs.  En vendant sa première chanson, Clément ressentit vraiment une violente  et sincère émotion :

« J’ai encore dans les oreilles, a-t-il  écrit, le son mélodieux des trois pièces  de cent sous, que l’éditeur me mit dans  la main, et que je serrai fiévreusement  comme si je venais de commettre un  abus de confiance ou un vol par effraction. »

Et Clément courut à son domicile qui n’était qu’une petite chambrette et tout heureux, il écrivit à la craie sur la porte :

« Ici on joue au bouchon avec des  pièces de cent sous. »

Je dois à l’extrême obligeance de la veuve du chansonnier, Thérèse Clément, de posséder cette chanson, écrite sous l’Empire vers 1862, et qui n’a jamais été rééditée. Elle n’est pas connue. En voici le texte que les lecteurs liront avec curiosité :

Si j’étais le bon Dieu

Juste ciel que j’aurais à faire
Si je n’étais l’humble mortel
Qui doit s’incliner et se taire
Devant le sublime Eternel!
Mais cesserai-je d’être sage
En pinvoquant un peu ?
Car, j’aurais tant et tant d’ouvrage,
Si j’étais le bon Dieu.

Je réveillerais mon tonnerre,
Et je punirais les méchants.
Les peuples n’auraient plus la guerre,
Et l’onde arroserait les champs.
Détruisant ces fausses idoles,
Par ma flamme et mon feu,
L’on respecterait mes paroles.
Si j’étais le bon Dieu.

L’on ne verrait plus d’indigence,
Ni les pauvres mourir de faim.
Et semant tout sans différence,
les malheureux auraient du pain.
Et quand l’Hiver glace notre âme,
Les orphelins sans feu,
Se réchaufferaient à ma flamme,
Si j’étais le bon Dieu. 

Ces gens avides de richesses,
Qu’on voit courir à la grandeur,
Me paieraient bien cher leurs bassesses
Et leur trafic avec l’honneur.
Je récompenserais le sage,
En son plus humble vœu,
L’on ne vendrait plus mon image,
Si j’étais le bon Dieu.

Et s’aimant comme de bons frères,
Tout le monde vivrait cent ans.

Nos pères et nos pauvres mères,
Pourraient voir leurs petits enfants
Comme les fleurs de la nature.
Ou l’aurore au ciel bleu.
L’âme des humains serait pure,
Si j’étais le bon Dieu.

Et pour user cette chimère,
Le monde entier serait heureux.
Le Paradis serait sur terre
Et les délices dans les cieux,
Ah! que ne puis-je, pour le monde,
Comparaître en tout lieu?
Ah! que ne puis-je, une seconde.
Devenir le bon Dieu ?

La Commune vaincue

Un ami sûr fit cacher Clément pendant deux mois dans une mansarde chez des personnes qu’il ne connaissait pas. On sait aujourd’hui qu’il fut caché chez Picouel, marchand de bois, quai de la Rapée. C’est durant son séjour dans cette cachette, en juin 1871, qu’il écrivit la chanson « La semaine sanglante », que l’on trouvera dans le recueil édité en 1885. Voici le premier et le second couplets, ainsi que le refrain, de cette chanson :

Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus sur les chemins
Que des vieillards tristes aux larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux même sont tremblants;
La mode est au conseil de guerre,
Et les pavés sont tout sanglants.

Oui, mais…
Ça branle dans le manche.
Ces mauvais jours-là finiront,
Et gare à la revanche,
Quand tous les pauvres s’y mettront,

Le peuple au collier de misère,
Sera-t-il donc toujours rivé ?
Jusques à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé?
Jusques à quand la sainte clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
A. quand, enfin, la République
De la Justice et du Travail?

Le départ pour l’exil

Des amis purent enfin lui procurer un passeport. Il se dirigea vers l’Allemagne. Mais avant d’arriver à la frontière, Clément s’aperçoit que le signalement du passeport ne correspond pas au sien. Il ne se trouble pas cependant; il espère qu’une chance le sauvera.

Dans son compartiment se trouve une vieille femme. Elle aussi doit descendre à la frontière. La gare est pleine de soldats et de gendarmes. Des officiers vérifient les passeports. Dès l’arrêt du train, la vieille femme demande à Clément de l’aider à descendre et de lui donner le bras pour sortir de la gare. Clément prend le bras
de la bonne vieille et l’accompagne jusqu’à la sortie comme si c’était sa mère.

-€” Votre passeport, demande un gendarme.

Clément montre la vieille femme et répond :

-€” Le voilà, mon passeport…

On le laisse passer. Tous deux sortent de la gare. La frontière est franchie. Et comme la vieille femme veut le remercier, Clément l’interrompt :

Ne me remerciez pas. Vous ne savez pas quel service vous venez de me rendre.

Dans les Ardennes

Au cours des manifestations du 1er mai 1891, J.-B. Clément, fut arrêté et condamné à deux ans de prison et à cinq ans d’interdiction de séjour. En appel, devant la Cour de Nancy, sa peine fut réduite à deux mois.

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La chanson dans la prison

Il purgea sa peine à la prison de Nancy, et c’est dans cette prison qu’il lui arriva de connaître l’émotion la plus douce de sa vie. Un jour, le directeur de la prison le fit appeler dans son bureau :

-€” Clément, lui dit-il, un industriel de Nancy, qui a pour vous la plus grande sympathie, voudrait vous causer. Je vous engage à ne pas refuser. Pour que vous puissiez causer en toute liberté, je vous offre mon jardin.

Quoique étonné, Clément accepta de se rencontrer avec l’industriel nancéen. Il pénétra dans le jardin du directeur. Cet industriel fit connaître à Clément l’estime qu’il avait pour lui, et lui offrit de lui faire parvenir du tabac, des friandises, toutes choses qu’il pourrait désirer ou qui lui seraient utiles. ,

La conversation durait depuis quelques secondes, quand une fenêtre de l’appartement du directeur de la prison s’ouvrit sur le jardin. Et ce qu’entendit alors Clément, venant de la fenêtre ouverte, chanté avec la voix la plus pure par la fille même du directeur, ce fut le « Temps des cerises »…

Clément écouta sa chanson, qu’il ne s’attendait pas à entendre dans ce milieu, et il se prit à pleurer.

L’industriel qui s’entretint avec Clément se nommait Charles Keller. Il avait des idées très avancées. Sous le pseudonyme de Jacques Turbin, il fit paraître des articles et des poésies d’avant-garde. A la mort de Clément, il fit parvenir à sa veuve un secours de 200 francs.

La vie et l’œuvre de J.-B. Clément

Son existence fut celle des hommes de talent qui ne savent pas acheter la célébrité par des platitudes envers les gouvernants ou les Crésus capitalistes.

J.-B. Clément était de cette génération de militants socialistes qui ne veulent pas « arriver » et qui meurent comme ils ont vécu, c’est-à-dire pauvres.

***

L’œuvre de Clément est assez considérable. Il a écrit des chansons qui correspondent, les unes à la première période de sa vie, les autres à la seconde période de sa vie.

Dans la première période, qui va jusqu’en 1871, jusqu’à la Commune, Clément a composé des chansons rustiques, des chansons d’amour, des pastorales, etc., des chansons qu’il a appelées des chansons du morceau de pain.

Dans la seconde période, Clément a écrit des chansons pour le peuple, des chansons de combat, des chansons qu’il a appelées des chansons des grands jours de colère.

On peut affirmer que sa popularité aurait éclipsé celle de Béranger et de Pierre Dupont s’il n’avait été pris dans les filets de la politique.

Clément, avec la générosité et la délicatesse de son cœur, a chanté les ‘beautés de la nature, le travail des champs, les joies et les chagrins de l’amour, les misères et les espérances du peuple.

Charles VERECQUE.

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Biographies de Rühle, Pannekoek et Korsch (Mattick, 1960-64)

13 avril 2014

Brochure pdf de 42 pages:

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Lissagaray (Dunois, 1929) [1]

9 février 2014

Première partie de la préface d’Amédée Dunois à l’Histoire de la Commune de 1871 (Librairie du Travail).

Un soir de 18 mars, dans une section du vieux parti, socialiste, des camarades me firent observer que l’Histoire de la Commune de Lissagaray cette chanson de geste du prolétariat français dont je venais de leur lire le chapitre le plus chaud et le plus coloré (1), était en librairie à peu près introuvable. Et comme ils me demandaient : « Pourquoi le parti socialiste ne le réédite-t-il pas? », je répondis, narquois : « Parce  que le parti socialiste est composé de bons chrétiens qui pratiquent à l’envi le mépris des richesses! »

Ce n’était qu’une boutade. A dire vrai, nous ne les méprisons pas, nos richesses. Nous faisons mieux, ou pis : nous ignorons superbement leur existence. Nous ignorons Lissagaray. Mais nous ignorons aussi (je cite un peu au hasard) Rogeard, Vallès et Delescluze, et le fulgurant Ribeyrolles, et Godefroy Cavaignac, et Proudhon, étonnant assembleur d’idées, et Auguste Blanqui, le plus châtié des polémistes, ne vous en déplaise, et Tillier, et Courier; nous ignorons Pottier, Dupont, Moreau et ranger; et je ne parle même pas du Renan de l’Avenir de la Science, cet évangile des temps nouveaux, ni du Michelet de la Révolution française, qui serait le plus grand de tous, et de beaucoup, s’il n’y avait le Hugo des Châtiments et des Misérables… Ah! qui nous donnera pour ranimer, dans les générations  nouvelles qui se cherchent, la foi dans la « Justice » et dans la « Liberté », une Anthologie de la littérature « démocratique et sociale « ! Par ces temps de réaction cynique et de fascisme insinuant, il est devenu de mode de railler les idéologies chaleureuses dont tout le XIXe siècle a subi le prestige. L’heure est venue de réagir et d’arracher à l’oubli tant de pages excellentes où s’accusèrent des sentiments et des idées dont nous n’avons pas à rougir : l’esprit de libre examen, la haine de l’oppression, l’amour de l’humanité.

Voici, sans plus attendre, une édition nouvelle du beau livre de Lissagaray. La Librairie du Travail a bien voulu me confier le soin de relire le texte de l’édition de 1896, d’en expurger les coquilles, d’en régler la ponctuation, d’ajouter au besoin quelques notes (je n’ai pas abusé de l’autorisation),  d’améliorer, en un mot, une présentation matérielle assez souvent défectueuse.

J’ai saisi avec empressement l’occasion qui m’était offerte de rendre, hommage à la mémoire d’un homme, d’un écrivain, d’un militant que je n’ai point connu, mais dont je suis, en quelque sorte, l’obligé. L’Histoire de la Commune de 1871, je l’ai lue sur les bancs du collège, en même temps, je crois, que Germinal et les Vingtras, empruntés au même cabinet de lecture. L’impression fut si forte que j’en fus comme bouleversé, et je pense encore  aujourd’hui que Lissagaray, Zola et Vallès — et l’historien plus que les romanciers — ont décidé de ma vocation et de ma vie. Je n’étais qu’un  adolescent, nourri de la moelle de Quatre-vingt-treize, de Quarante-huit et de Cinquante-et-un; mon cœur battait au nom de la République. Lissagaray, Zola et Vallès ont ouvert les premiers mes yeux à des visions de misère et de mort, mais aussi d’espérance, de salut et de gloire qui jamais
jusque-là ne les avaient frappés; ils m’ont introduit dans un monde, obscur et lumineux tour à tour, que j’ignorais. Avant que Kropotkine, Proudhon et plus tard Marx devinssent mes maîtres, Lissagaray, Zola et Vallès m’ont dévoilé des choses dont je n’avais pas même l’idée : l’exploitation capitaliste, la classe ouvrière, ses luttes, ses grèves et ses insurrections, et puis le socialisme, annonciateur de liberté réelle, et puis le drapeau rouge, symbole de la future révolution.

Qu’on me pardonne ces réminiscences. Et qu’on me permette un voeu : je voudrais que ce livre fût, pour quelques jeunes gens d’aujourd’hui des classes privilégiées, ce qu’il a été pour moi : un éveilleur de conscience, et qu’en les amenant à méditer cette tragique histoire d’une insurrection écrasée, il déterminât en eux la volonté de se consacrer sans retour au service du Prolétariat et du Socialisme, qui sont — chair et cerveau — l’Humanité de demain. (more…)

Chronologie d’Amadeo Bordiga (Agustin Guillamón)

18 octobre 2013

Article publié dans « Balance », Cahiers du mouvement ouvrier et de la Guerre d’Espagne, Cahier nº1, série en langue française, Octobre 2002

Introduction

« … Les marxistes révolutionnaires n’apprécient ni les commémorations ni les souvenirs. L’individu naît et meurt, il est transitoire : seule l’espèce survit. La personne n’a pas d’histoire ; l’espèce oui. C’est l’histoire humaine, une histoire de classes, de divisions et de luttes entre les classes.

L’individu, tant que l’humanité vit sa préhistoire classiste, peut s’identifier à la classe quand les impulsions déterministes, irrationnelles et irrépressibles le catapultent sur la scène de l’histoire. Il est télécommandé.

En avoir conscience est la seule chose dont il a besoin pour fonctionner du mieux possible.

Les révolutions que se sont déroulées depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui ont été des révolutions bourgeoises ou doubles, c’est-à-dire bourgeoises au plan économique et prolétariennes au plan politique, à la seule exception de la Commune de Paris en 1871. La Commune a éclaté sans nom de personnes illustres : elle a été massacrée en même temps que ses militants anonymes. On se souvient, cependant, de ses fossoyeurs sanguinaires, les méprisables démocrates style Thiers et des prétoriens à la Mac Mahon. Le prolétariat n’a pas besoin de mythes individuels. Il a lutté et il est mort pour la Commune, c’est tout.

La révolution de demain sera ainsi : univoque, anonyme, avec un seul et grand chef invincible : le parti marxiste révolutionnaire.

Nous laissons aux ennemis qui commémorent leurs grands chefs dans la  bataille, pendant qu’ils ont le temps et la possibilité de le faire.

Le romantisme révolutionnaire est mort avec la victoire du contre-révolutionnaire Staline. Le communisme, maintenant, n’a plus besoin de phrases romantiques. Lui conviennent mieux le langage logarithmique et le costume guerrier.

Amadeo et avec lui les générations passées de communistes révolutionnaires ne sont pas morts. Leurs corps sont retournés à la terre dont ils avaient surgi.

Son travail, sa lutte quotidienne vivent en fusion dans la continuité du communisme, dans la direction où va, inconsciente, l’humanité travailleuse, déshéritée et opprimée.»

Il Programma comunista n°15 (01/09/1970)

Quel sens peut avoir, dans l’Espagne ou la France  de 2002, une biographie sur le militantisme et la pensée politique Amadeo Bordiga ? Il ne s’agit pas de commémorer le equis(e) anniversaire de sa mort. Il ne s’agit pas de faire un panégyrique ou un hommage, il s’agit plus modestement d’une façon d’expliquer qui fut Amadeo Bordiga, ce qu’il a représenté dans le mouvement ouvrier révolutionnaire et, surtout, quel fut son combat et quel est son héritage.

Si l’ignorance volait comme les nuages, on ne verrait jamais le soleil. Même ceux qui ont entendu quelques fois le nom de Bordiga ne connaissent pas très bien sa trajectoire militante et théorique. D’autre part, il y a ceux qui confondent la situation minoritaire (alors inévitable) avec le silence monastique et l’intransigeance sur les principes (les principes sont l’arme de la révolution) avec le sectarisme d’un anachorète qui prêche dans le désert du haut d’une colonne, angoissé à l’idée qu’un autre ermite essaie un jour de se situer à la même altitude que lui et ne change la solitude stérile en monastère.

La chronologie que nous proposons est perfectible. Et il ne fait pas de doute qu’elle n’apportera pas de grandes connaissances sur la pensée de Bordiga. Pour cela, il est nécessaire de lire Bordiga. Et c’est là le premier objectif de cette chronologie : inciter le lecteur à connaître et à approfondir les thèses de la Gauche Communiste. Le second objectif est de faciliter un abord, ici et aujourd’hui, d’une tradition et d’une expression révolutionnaire de la pensée marxiste qui, confrontée au stalinisme, a tenté de sauvegarder, de restaurer et de continuer le marxisme comme théorie révolutionnaire du prolétariat.

Et ce n’est pas peu, étant donnée la misère théorique et pratique qui, aujourd’hui, nous avilit, nous anéantit et nous enterre. «AUJOURD’HUI est le disciple d’HIER.»

CHRONOLOGIE DE BORDIGA

1872

Fondation de la Fédération italienne de l’AIT.

1892

Fondation à Gênes du Parti dei Lavatori Italiani, avec exclusion des anarchistes. Parmi les fondateurs, on remarque Filippo Turati, Ana Kulischof et Enrico Ferri.

1895

Le Congrès de Parme change le nom du parti pour celui de Partito Socialista Italiano (PSI).

Le PSI apparaît comme un parti fragmenté, constitué de la somme de quelques sections très jalouses de leur propre autonomie. Cette caractéristique, qui plus tard démontrera ses faiblesses, lui donne au niveau immédiat une grande force puisque cela lui permet de pénétrer tous les aspects de la vie locale : les Bourses du Travail (Camera del Lavoro), les coopératives, les Maisons du Peuple, les universités populaires, qui débouchent sur les municipalités rouges ou l’administration socialiste de la commune, doté d’instruments d’autogestion et avec une volonté morale propre.

Une autre caractéristique notable du PSI est la facilité, et même l’impulsion organisative qu’il donne à la formation de fractions, surtout pour la préparation de motions à présenter au Congrès du parti.

1896

Publication des thèses révisionnistes de Bernstein.

1903

Les bolcheviks en Russie et les «étroits» en Bulgarie s’organisent comme gauche de la social démocratie.

1906

Fondation à Milan de la Confederazione Generale del Lavoro (CGL) en étroite collaboration avec le PSI.

1909

Les tribunistes apparaissent en Hollande comme gauche de la social démocratie.

1910

Rupture de Lénine avec Kautsky.

Turati est nommé président du PSI. Intégration Amadeo Bordiga dans le PSI.

A Naples, se constitue un bloc électoral dominé par les francs-maçons et auquel participent des socialistes et des syndicalistes révolutionnaires. Jusqu’à 1912, ce bloc «laïc» maintient sa domination électorale sur le bloc «clérical».

1911

Février

Le groupe parlementaire socialiste vote contre l’annexion de la Libye.

Avril

Bordiga fonde le Cercle Socialiste Karl Marx. Le Cercle considère que la section napolitaine du PSI a cessé d’être socialiste. Le Cercle présente des candidats socialistes aux élections face à la coalition électorale des socialistes et des francs-maçons. Ruggero Grieco (futur membre de la CE du PCI à partir de 1921), Ortensia di Meo (compagne d’Amadeo Bordiga) et Mario Bianchi (futur leader syndicaliste) font partie de ce Cercle.

Mai

Les députés socialistes Bonomi, Bissolati et Cabrini félicitent le roi d’être sorti sain et sauf d’un attentat anarchiste. Mussolini exige l’exclusion de ces députés réformistes.

Juillet

XII(e) Congrès du PSI a Reggio-Emilia : le groupe formé autour de Bissolati, Bonomi et Cabrini qui soutient la guerre est exclu des rangs du PSI. Mussolini, un des leaders de la gauche du PSI, est nommé directeur de Avanti à la place du réformiste Claudio Treves. Le PSI décide d’inclure dans son programme la république, la lutte de classes et le rejet de toute forme de collaboration avec le réformisme bourgeois.

Septembre

Début du débat au sein de la Jeunesse socialiste, entre Amadeo Bordiga et Angelo Tasca, sur la question des socialistes face à la culture et à l’éducation. Tasca défend des thèses favorables à l’assimilation de la culture bourgeoise par les jeunes socialistes et s’oppose à l’orientation antimilitariste, anticléricale et anti-réformiste de la presse socialiste des jeunes. Bordiga défend cette orientation de la presse comme organe de la lutte de classes et s’oppose à sa transformation en un périodique culturel. Par rapport à l’éducation, Tasca propose une réforme du système éducatif italien dans le sens laïc et démocratique. Bordiga conteste que cette réforme puisse changé le caractère bourgeois et anti-socialiste de cette éducation. Bordiga caractérise la culture et l’éducation bourgeoises d’anti-solidaire, compétitive, individualiste et darwiniste. La culture socialiste devra être solidaire et altruiste et ne pourra naître que comme négation de la culture dominante, dans la pratique de la lutte de classes. La polémique confère à Amadeo Bordiga une grande notoriété au sein de la jeunesse socialiste.

1913

Importantes luttes ouvrières, dans toute l’Italie, en protestation contre le décret du président (libéral) Giolitti sur quelques impôts de guerre qui enchérissent le coût de la vie de 25 %.

Généralisation du suffrage universel (pour les hommes) en Italie.

1914

Avril

XIV(e) Congrès du PSI à Ancone : Amadeo Bordiga et Mario Bianchi représentent le Cercle Karl Marx. Mussolini propose et obtient l’exclusion des francs-maçons du PSI. Débats sur les blocs électoraux et sur la nécessité d’unifier la politique du PSI aussi bien au Nord qu’au Sud de l’Italie. Pas de débat sur la position des socialistes en cas de guerre.

Mai

L’union Socialiste Napolitaine quitte le PSI. Le Cercle Karl Marx reconstitue la section napolitaine du PSI il a atteint ses objectifs, à savoir l’exclusion des francs-maçons.

Juin

La semaine rouge. Le 7 juin, jour de la commémoration du Statut Royal, c’est-à-dire de la constitution italienne, se déroulent des manifestations antimilitaristes. La troupe ouvre le feu contre les manifestants. Ce fut le début sanglant de ce que l’on appela la semaine rouge. L’insurrection populaire se propage aux principales villes : Turin, Parme, Milan, Florence, Naples. Le 12 juin la CGL ordonne la fin de la grève générale sans consulter le PSI. Conflits entre réformistes et révolutionnaires.

28 juillet

L’Autriche déclare la guerre à la Serbie pour l’assassinat, à Sarajevo, du successeur de l’empereur.

29 juillet

Le Bureau Socialiste International, convoqué à Bruxelles, lance un manifeste contre la guerre.

31 juillet

Assassinat du socialiste et pacifiste Jaurés

2 août

Le gouvernement de Salandra .déclare la neutralité des l’Italie.

4 août

Les socialistes français et allemands votent les crédits de guerre. C’est le début de la Première Guerre Mondiale et la faillite de la Deuxième Internationale. Turati et Mussolini lancent des consignes contre une guerre contre la France, mais pas contre l’Autriche.

16 août

Bordiga publie dans Avanti un article intitulé «A notre poste» dans lequel il attaque les sympathies pro-françaises de beaucoup de socialistes, ainsi que la fausse distinction entre guerres défensives et guerres offensives. L’article paraît avec des notes de Mussolini qui qualifie les principes exposés par Bordiga de justes mais abstraits, en même temps qu’il dénonce l’agression allemande comme cause de la guerre.

D’août à octobre 1914

Dans le PSI apparaissent trois positions :

1.        Celle de l’absolue neutralité de Bordiga, favorable à la lutte de classes et à la guerre civile contre sa propre bourgeoisie : en cas de mobilisation, il faudra répondre par la grève générale nationale.

2.        La francophilie de Mussolini, favorable à une entrée de l’Italie dans la guerre.

3.        La neutralité de Lazzari, partisan de la non-adhésion à la guerre et du non-sabotage des efforts de guerre de sa propre bourgeoisie.

27 septembre

Rencontre à Lugano entre socialistes suisses et italiens.

18 octobre

Mussolini publie dans Avanti un article intitulé «De la neutralité absolue à la neutralité active et opérante» , clairement interventionniste et pro-français.

22 octobre

Bordiga s’oppose aux thèses de Mussolini avec un article publié dans Il Socialista et intitulé «Pour l’antimilitarisme actif et opérant».

31 octobre

Gramsci, dans Il Grido del Popolo publie un article qui appuie les thèses interventionnistes de Mussolini.

Novembre

Exclusion de Mussolini du PSI. Paraît le premier numéro de l’organe fasciste Il Popolo d’Italia dirigé par Mussolini et financé par le gouvernement français et quelques industriels italiens.

Novembre 1914 à février 1917

Le PSI oscille entre une droite, dirigée par le groupe parlementaire et le syndicat, et une GAUCHE CONFUSE qui contrôle la direction et le secteur de la jeunesse. Cette ambiguïté entraîne l’émergence d’une aile gauche marxiste. Gramsci et Togliati sont interventionnistes. Gramsci quitte le PSI pendant quelques mois. Togliati pendant quelques années, jusqu’en 1919. Il rejoint l’armée, s’inscrit à la Croix Rouge et poursuit des études pour être officier. Bordiga, à partir de 1913 jusqu’à la fin de la guerre ne cesse de publier des articles dans la presse socialiste sur le caractère IMPÉRIALISTE de la guerre développant, dans le cas italien, les thèses luxembourgistes qui établissent une relation de causalité entre la crise économique et la guerre.

1915

Janvier

Réunion des socialistes scandinaves avec la participation d’Oddino Morgari comme observateur du PSI.

Mai

Conférence du PSI à Bologne : le PSI vote contre la guerre de façon unanime.

L’Italie déclare la guerre à l’Autriche (le 24) et prétend récupérer Trente et Trieste. La CGL ne déclare pas la grève générale qui, pourtant éclate à Turin.

Septembre

Le PSI convoque, avec les socialistes suisses, une conférence antibelliciste qui se réunit à Zimmerwald. Oddino Morgari et Angelica Balabanoff sont élus à la Commission Socialiste Internationale. A la conférence se délimitent deux positions ; celle de gauche dirigée par Lénine et la centriste, qui obtient la majorité et à laquelle adhère le PSI.

En dépit des divergences on publie un Manifeste, rédigé par Trotsky, qui condamne le social patriotisme et définit la guerre comme produit de l’impérialisme.

1916

février / juillet

La bataille de Verdun. Elle durera six mois et provoquera la mort de deux cent cinquante milles morts dans chaque camps. Seront tirés un million d’obus. Guerre de tranchées. Désertions massives et exécutions sommaires. L’horreur de la guerre moderne se manifeste dans toute sa cruauté. Fin, dans les deux camps, des illusions sur une guerre rapide. La bataille se termine sans vainqueur clair.

Avril

Le PSI participe à la seconde conférence des adversaires de la guerre, convoquée par la Commission socialiste internationale à Kienthal. La gauche, dirigée par Lénine et qui soutient la thèse de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, peut constater les progrès de son influence ; elle obtient la moitié des voix. Le parti socialiste italien est le seul à être représenté par sa direction majoritaire, les autres ne sont que des fractions minoritaires de diverses partis socialistes.

1917

Février

Conférence du PSI à Rome. Emerge, enfin, une aile de gauche marxiste dans le PSI. Bordiga présente une motion favorable à une action révolutionnaire contre la guerre qui obtient quatorze mille voix contre dix-sept milles à la motion pacifiste (qui défendait des principes démocratiques vides : paix sans annexions ni indemnités, droit des peuples à l’autodétermination et Société des Nations) représentée par Turati, Treves et Modigliani. Ce vote précipite, en quelques mois, la création d’une Fraction Intransigeante Révolutionnaire.

Révolution de février en Russie, chute du Tzar et gouvernement provisoire de Kerensky.

Avril

Thèses d’avril de Lénine : la situation est mûre pour passer de la première phase démocratique de la révolution à la seconde. On lance le mot d’ordre : ‘Tout le pouvoir aux soviets’.

Juillet

Création de la Fraction Intransigeante Révolutionnaire du PSI.

Août

Insurrection à Turin causée par la faim et l’exemple russe : quelques mois auparavant une délégation du Soviet de Petrograd a rendu visite à la ville. Il y a 50 morts et 200 blessés.

Octobre

Le mot d’ordre de défaitisme révolutionnaire est lancé par Bordiga face à la grave défaite des troupes italiennes face aux autrichiens à Caporetto (le 25)Il y a 40 000 victimes entre les morts et les blessés. Sur les fronts militaires se multiplient les désertions de soldats italiens, ainsi que les pelotons d’exécution contre les déserteurs.

Novembre

Révolution d’octobre en Russie.

Réunion illégale de la Fraction Intransigeante Révolutionnaire à Florence (le 18). Première rencontre entre Gramsci et Bordiga. Au cours de cette réunion se reproduit la division, au sein du PSI, entre réformistes et révolutionnaires. Cette indécision débouche sur l’abandon de la perspective insurrectionnelle défendue par Bordiga (et appuyée par Gramsci).

Toute action révolutionnaire est remise jusqu’à la fin de la guerre.

De novembre 1917 à septembre 1918

Le gouvernement libéral, face à l’impossibilité d’imposer la politique d’Union Sacrée aux socialistes, opte pour la répression de toute critique antibelliciste, ainsi que de toute manifestation de mécontentement.

Dans tous les pays en guerre on voit un interventionnisme croissant de l’État dans l’économie pour assurer la production de guerre, on recourt à une utilisation massive de la main d’oeuvre féminine ; le blocage des salaires et la répression syndicale se généralisent.

1918

24 janvier

Détention du secrétaire du PSI, Lazzari, et du sous secrétaire, Bombacci, qui sont condamnés à deux années de prison pour leur opposition à la guerre. Le PSI ne participera pas au gouvernement d’union nationale, malgré les tentations du groupe parlementaire et de la CGL.

Septembre

Victoire des maximaliste au XV(e )congrès du PSI, qui se tient à Rome. La proximité de la fin de la guerre et l’éclatement de la Révolution russe provoquent parmi les socialistes italiens, au cours d’une situation révolutionnaire, une confusion généralisée et un verbalisme révolutionnaire des différentes tendances du parti.

Octobre

Victoire italienne à Vittorio Veneto.

Novembre

Armistice entre l’Italie et l’Autriche (le 4). Insurrection révolutionnaire  en Allemagne. Chute du Iie Reich. Proclamation de la République.

Prise du pouvoir par les social-démocrates.

Décembre

Parution du n°1 de Il Soviet, dirigé par Bordiga. Ce journal défend la révolution russe, la dictature du prolétariat et la direction du processus révolutionnaire par le parti communiste. (De 1918 à 1921, il publie des articles des leaders les plus en vue de la gauche communiste internationale : Pannekoek, Lukacs, Gorter, Sylvia Pankhurst.)

d’octobre 1918 à janvier 1921

Conséquences de la fin de la guerre en Italie : 700 000 morts, 500 000 mutilés, des régions entières dévastées par la guerre, traités de paix défavorables, énormes dettes de guerre. Avec la fin de la guerre, l’activité économique diminue : augmentation du chômage et de l’inflation. Débute un processus de reconstruction dans lequel LA COLLABORATION DU PSI est indispensable. La révolution russe et l’agitation révolutionnaire en Allemagne ont fait craindre à la bourgeoisie italienne le triomphe du prolétariat en Italie. Crise de la démocratie et début du fascisme.

Données statistiques avant et après la guerre :

Le PSI : 50 000 à 200 000 inscrits, de 50 à 156 députés. La CGL compte 2 millions de membres.

La capital de FIAT est passé de 30 à 500 millions. La population ouvrière de Turin approche les 200.000 travailleurs et la ville compte un demi million d’habitants.

Les fractions existants dans le PSI

1.        Les gradualistes ou réformistes : Turati, Mondolfo, Modigliani. Le socialisme ne peut pas être amené par un coup de main, il doit être atteint par les moyens d’une conquête GRADUELLE du pouvoir et de la puissance politique.

2.        Les maximalistes ou intransigeants : Serrati, Lazzari.

Ils se caractérisent par l’incohérence idéologique, l’ambiguïté politique et l’hétérogénéïté. Cela les mène au verbalisme révolutionnaire et à un pur patriotisme de parti. Selon les mots de Lénine « Serrati préférerait perdre la révolution que de perdre le syndicat de Milan »

3.        Les ordinovistes : Gramsci, Terracini, Leonetti, Togliatti. L’idée force du groupe est le mouvement des conseils de fabrique comme base du « pouvoir ouvrier » conquis dans l’entreprise. Le mouvement prolétarien dans la révolution s’exprime sous ses formes propres, donnant naissance à des institutions prolétariennes qu’il commence à construire AVANT LA PRISE DU POUVOIR, les engrenages d’une nouvelle machine étatique dont les ouvriers, dans leurs usines, doivent être les artisans. Ils renoncent à la lutte pour la création d’une fraction propre à l’échelle nationale, ce qui les conduit à un isolement grave et croissant qui limite leur influence à la ville de Turin.

4.        Les abstentionnistes : Bordiga, Grieco.

La conquête du pouvoir politique et la destruction du pouvoir bourgeois sont une condition requise avant le processus de transformation économique. Ils insistent sur la nécessité de créer un parti révolutionnaire. Ils luttent donc pour l’extension et la consolidation à l’échelle nationale de leur fraction. L’«abstentionnisme» n’est pas tant un principe idéologique qu’un critère tactique de sélection des militants révolutionnaires.

5.        La gauche milanaise : Fortichiari, Repossi.

Appelée aussi les maximalistes de gauche. Très proche des thèses de la Fraction abstentionniste, dont ils refusent justement la tactique abstentionniste. Sa force réside dans la solide organisation ouvrière de la ville industrielle de Milan. Leur moindre capacité théorique les a conduit à se soumettre à la Fraction communiste abstentionniste.

1919

Janvier

Insurrection spartakiste en Allemagne. Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont assassinés par la troupe au service du gouvernement social démocrate de Noske.

Fondation en Italie du Parti Populaire (catholique) par le prêtre Luigi Sturzo.

Mars

Congrès fondateur de l’Internationale Communiste (le 4). Les troupes bolcheviks avancent, pendant les sessions du Congrès, sur Varsovie. Le PSI vote en faveur de son adhésion à la Troisième Internationale. La révolution en Europe est à l’ordre du jour. Les bolcheviks misent sur l’extension internationale de la révolution communiste comme seule possibilité de survie de la révolution en Russie.

Mussolini fonde sur la place du Santo Sepulcro, à Milan, les Fascii italiens de combat (le 23).

Bela Khun proclame la République des Soviets en Hongrie (le 24).

Avril

En Bavière on proclame une République des Conseils.

A Milan les Fascii attaquent une manifestation de grévistes et donnent l’assaut au journal socialiste Avanti (le 15). La première action des fascistes fait 4 morts et 39 blessés.

Mai

Paraît le numéro 1 de l’Ordino Nuovo (hebdomadaire de culture socialiste) dirigé par Gramsci.

Juin

Le président italien Orlando démissionne devant l’échec italien dans les conférences de paix. L’inflation ne cesse d’augmenter.

Juillet août

Des luttes importantes contre la cherté de la vie éclatent dans toute l’Italie.

Occupations de terres dans le sud. Grève internationale en appui à la révolution russe (les 20 et 21). La grève est suivie massivement et pacifiquement dans toute l’Italie. La bourgeoisie craint que la grève se transforme en une «grève expropriatrice». Les socialistes sont absents de la majorité de ces luttes qui sont menées par les anciens combattants qui réclament que soient tenues les promesses faites au front.

La Fraction Intransigeante Révolutionnaire est maintenant dirigée par Lazzari. Serrati quitte cette Fraction pour construire et diriger la Fraction Communiste Electoraliste (en opposition à la Fraction Abstentionniste, NDLT). Congrès de la Fraction communiste abstentionniste, dirigée par Bordiga.

Octobre

Au XVIe Congrès du PSI, réuni à Bologne, les abstentionnistes exigent le changement du programme du parti datant de l’année 92. Les abstentionnistes pensent que la scission entre les réformistes et les révolutionnaires dans le parti socialiste est inévitable : dans la réalité il existe deux programme dans un seul parti. On décide de la constitution permanente et autonome de la Fraction Abstentionniste au sein du PSI. Le PSI approuve l’adhésion à l’Internationale Communiste et la participation aux élections imminentes. Les abstentionnistes renoncent à la scission immédiate ainsi qu’à lancer une propagande abstentionniste dans la campagne immédiate, ils engagent un travail de fraction. Il Soviet assume la fonction d’organe de la Fraction abstentionniste. LA FONDATION DU PARTI COMMUNISTE EST DIFFÉRÉE EN Italie pour des raisons internationales : Moscou veut récupérer le PSI (adhérant à l’I.C.) avec la seule exclusion des réformistes. Gramsci publie un article contre toute possibilité de scission dans le PSI (le 18).

Novembre

Le PSI obtient aux élections (du 16) 1 800 000 voix et 156 députés. Le succès électoral renforce la position du groupe parlementaire et des réformiste dans le PSI.

Décembre

Grève générale contre l’agression des députés socialistes.

1920

Mars – avril

Premières occupations d’usines à Turin. La direction du PSI interdit le mouvement turinois. Réunion de la Cofindustria – association patronale ‘ (le 8) qui parraine la création d’un gouvernement fort qui préfigure déjà une politique fasciste. La CGL s’oppose à la grève turinoise et interdit la solidarité avec Turin qui reste isolée du reste du pays. Les troupes affluent sur la ville et la grève échoue. Dispersion des éléments ordinovistes qui s’affrontent entre eux.

Mai

Thèses de la Fraction Communiste Abstentionniste. Unique apport NON RUSSE sur les problèmes du mouvement communiste international discutés au II e Congrès de l’I.C.

Juillet

Second Congrès de l’I.C. Intervention de Bordiga pour durcir les 21 conditions d’admission : il est le rédacteur de la thèse numéro 21 et le défenseur de l’inclusion de la numéro 20, rédigée par Lénine et qui avait été retirée.

Parution du pamphlet de Lénine «Le ‘Gauchisme’, maladie infantile du communisme». Coïncidence des principes programmatiques entre les bolcheviks et les abstentionnistes et désaccord sur les questions tactiques secondaires du parlementarisme. Face au danger de confusion entre les positions des abstentionnistes et celles des anarchistes, des tribunistes ou des kapédistes, Bordiga renonce à sa propre tactique abstentionniste. Lénine appuie les positions de l’Ordine Nuovo, publiées le 8 mai, qui sont le fruit d’un compromis transitoire entre abstentionnistes et ordinovistes de la section turinoise.

Rupture entre Gramsci et Tasca. Terracini et Togliatti se rapprochent de la direction maximaliste. Gramsci reste isolé au sein du groupe ordinoviste après l’éloignement des abstentionnistes.

Novembre ( me parece que debe ser août, NDLT)

Les partisans de la fondation d’un parti communiste en Italie se réunissent en Conférence nationale de la Fraction communiste du PSI à Imola.

Septembre

La FIOM (syndicat des métallurgistes) demande une augmentation de salaire en rapport avec l’augmentation du coût de la vie. Les industriels refusent l’augmentation, apparemment dans le but de PROVOQUER la grève. Les travailleurs engagent une lutte sous forme de grève du zèle. L’entreprise Romeo répond par le lock-out. La FIOM réplique à son tour par les occupations d’usines qui s’étend à toutes les industries de Turin. La CGL s’oppose à la grève. Le PSI ne veut pas diriger une lutte révolutionnaire à laquelle s’opposent les syndicats.

Le président libéral Giolitti s’oppose à l’envoi de troupes et propose une négociation salariale et un projet de contrôle ouvrier. Commence le soutien des industriels au mouvement fasciste.

Octobre

Réunion des abstentionnistes, des ordinovistes et des maximalistes de gauche qui approuvent un Manifeste-programme qui décident du changement de nom du parti, l’expulsion des réformistes, comme Turati, et la scission-fondation du parti communiste lors du prochain Congrès du PSI, au cas où ils seraient en minorité. Se constitue un Comité provisoire de la Fraction communiste formée par Bordiga (pour les abstentionnistes), Gramsci et Terracini (pour les divers groupes ordinovistes), Bombaci et Misiano (pour les maximalistes de gauche) et Repossi et Fortichiari (pour la gauche milanaise).

Novembre

Dans la section de Turin fusion des abstentionnistes (Parodi, Boero), les communistes électoralistes (Togliatti, Tasca, Terracini) et le groupe «éducation communiste» (Gramsci, Bianco). Les partisans de la fondation d’un parti communiste en Italie se réunissent en une Conférence nationale de la Fraction communiste du PSI à Imola. Y participent les abstentionnistes, les deux groupes ordinovistes, des maximalistes de gauche et la Jeunesse socialiste. On prépare une motion pour fonder le parti communiste lors du prochain congrès du PSI. Les ordinovistes abandonnent leurs thèses conseillistes.

1921

Janvier

XVII(e) Congrès du PSI à Livourne. Scission des communistes.

Participation de Bordiga dans la fondation du Parti Communiste d’Italie. (Gramsci ne parle pas pendant toute la durée du Congrès et il est défendu par Bordiga quand il est attaqué pour son interventionnisme. Togliatti ne parvient même pas à faire parti du Comité Central). Le Comité exécutif est formé de Bordiga, Repossi, Terracini et Grieco. Le PSI ratifie son adhésion à la 3 (e) Internationale. Le nombre de militants communistes après la scission se monte à 100 000 : les 58 000 adhérents à la motion communiste de Livourne, plus les 42 000 des Jeunesses qui se sont fondus dans la masse du PCI.

LE PARTI COMMUNISTE A ÉTÉ CRÉE ASSEZ TARD : en 1919 il existait une situation révolutionnaire mais il n’existait pas de parti révolutionnaire ; en 1921 existait le parti mais la situation révolutionnaire était passée.

Février-mars

Congrès de la CGL. Tactique d’unité syndicale des communistes. La motion communiste obtient un demi million de voix contre un million pour les socialistes. Troubles révolutionnaires dans le bassin de la Rhur.

Avril-juin

Résistance ouvrière spontanée face aux attaques fascistes. Apparition des «arditi del popolo» qui regroupent des anciens combattants républicains, des socialistes, des communistes et des anarchistes qui s’organisent militairement pour affronter les escadrons fascistes.

Publication de l’article de Bordiga (le 15 avril) ‘Parti et classe’ : «On ne peut même pas parler de classe quand il n’existe pas une minorité de cette classe tendant à s’organiser en parti politique». La classe n’est pas, pour Bordiga, un rassemblement d’individus ayant des conditions sociales homogènes, mais un mouvement collectif allant vers la réalisation d’objectifs historiques.

LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS HISTORIQUES DE LA CLASSE ne peut être que le patrimoine d’une minorité, organisée en parti.

Mai

Aux élections, le PSI obtient 123 députés et le PCI 15.

Publication (le 31) de l’article de Bordiga ‘Parti et action de classe’ : «Personne ne crée les partis et les révolutions. Les partis et les révolutions se dirigent à la lumière des expériences révolutionnaires valables». «Le parti communiste (‘) ne peut pas forcer ou inverser l’essence fondamentale des situations». Selon Bordiga le parti ne tire pas son efficacité du nombre de ses militants mais de son programme et de sa discipline.

PROGRAMME, PARTI ET CLASSE CHEZ BORDIGA : Dans le mode de production capitaliste, le prolétariat est l’unique classe révolutionnaire. Par ses conditions de vie, il incarne la société communiste dans le sein de la société capitaliste. Comment s’effectue le pas dialectique de la classe en soi, exploitée par le capital et réduite à une déplorable misère physique et intellectuelle, à la classe pour soi, qui transforme le monde de manière révolutionnaire ’ La réponse se trouve dans l’organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique. Le prolétariat est révolutionnaire ou il n’est rien. Du point de vue sociologique et statistique, la classe ouvrière est un conglomérat d’individus soumis aux rapports de production sociaux du capitalisme. Quand le prolétariat s’organise en classe et s’attache à l’exécution de ses objectifs historiques, on se trouve face à un point de vue dialectique de la classe qui se transforme et transforme les rapports sociaux de production, se niant en tant que catégorie économique du capital : valeur, salaire, plus-value, ‘

La fonction primordiale du parti est d’incarner et de défendre le programme communiste. Le parti est une médiation, c’est un organe de la classe. La classe, dans le cours de la révolution, se constitue en parti. Le prolétariat, à travers le parti affirme son être révolutionnaire. Il y a une relation dialectique entre le prolétariat et le parti.

Le parti ne se crée pas dans une période défavorable ou contre-révolutionnaire.

Le parti surgit du sol de la classe dans une période de radicalisation de la lutte de classes, quand s’impose le dépassement des objectifs immédiats et économique de la classe et que se pointe la conquête des objectifs historiques et la conquête du pouvoir politique.

Le programme communiste se trouve clairement délimité dans l’’uvre de Marx, qui n’est pas seulement une analyse scientifique du mode de production capitaliste mais aussi un appel constant au dépassement de ce mode de production et aussi une anticipation des caractéristiques du communisme.

Le programme communiste se définit comme la réalisation pratique de la théorie marxiste. Dans une période défavorable, les marxistes doivent défendre et restaurer le programme communiste qui est attaqué et réformé par les diverses tendances sociales démocrates et révisionnistes.

Juin-juillet

SPECTACULAIRE CHANGEMENT DE TACTIQUE DU COMINTERN.

Troisième congrès de l’I.C. On constate un reflux révolutionnaire au niveau mondial. Les discussions sur l’Action de Mars, de la Rhur, se font omniprésentes. Deux tactiques s’affrontent : la première, présentée par Thalheimer et Bela Kun défend l’offensive révolutionnaire des communistes. La seconde, défendue par Radek et appuyée par Lénine, défend la proposition d’un front unique aux partis et syndicats sociaux démocrates, afin de gagner la majorité de la classe ouvrière. La différence tactique se radicalise en un choix entre la formation de partis minoritaires de révolutionnaires ou partis de masse. Pendant le Congrès, Lénine ridiculise les thèses défendues par Terracini et la gauche internationale, favorables à la tactique «offensive». Le PCI n’appliquera cette tactique que dans le front syndical, jamais politique ; comment aurait-il pu appliquer la tactique de front unique avec le PSI après Livourne ’ LA SCISSION DE LIVOURNE N’EST PAS REVOCABLE.

Juillet

Violences massives et quotidiennes des escadrons fascistes.

Août

Signature (le 3) d’un pacte de pacification entre les socialistes, la CGL et les fascistes. Les communistes rejettent aussi bien le pacte de pacification que l’entrée du ¨CI dans les «Arditi del popolo». Début d’un désaccord entre la direction du PCI et le Comintern à cause du refus de Bordiga de conclure un pacte national avec d’autres partis pour entrer dans les «Arditi del Popolo», organisation militaire d’unité antifasciste qui échappe au contrôle du parti.

Novembre

Le PSI quitte l’I.C.

Au troisième Congrès national fasciste (du 7 au 10), réuni à Rome, se produit la transformation du mouvement fasciste en parti. Les 30 000 fascistes réunis à Rome provoquent de sérieux désordres, causant cinq morts et 200 blessés.

L’assassinat d’un cheminot (le 9) le peuple de Rome répond par une grève générale qui ne prendra fin que le 14, le Congrès fasciste étant déjà terminé.

1922

février

Depuis la fin de l’année 1920, les ouvriers sont confrontés à une double offensive : fasciste et patronale. D’une part, la violence quotidienne des escouades fascistes contre les organisations ouvrières : syndicats, maisons du peuple, secours rouge, chambre du travail ou bien attaques individuelles contre les leaders ouvriers. D’autre part l’offensive patronale : suppression du prix contrôlé du pain, réductions des salaires, liquidation des représentations syndicales dans les entreprises.

Les communistes défendent un front unique syndicale, devançant la tactique du Comintern, tandis qu’ils rejettent le front unique politique. C’est ainsi que se constitua l’Alliance du travail (le 20), qui n’est rien d’autre qu’un front unique syndicale.

Bordiga publie (le 28) «Le principe démocratique» : «La liberté et l’égalité politique contenues dans le droit de vote n’ont de sens que sur une base qui ne contient pas de disparités économiques». Pour Bordiga, la division de la société en classes antagoniques ayant des intérêts économiques opposés transforme nécessairement l’État en défenseur des intérêts de la classe dominante. LE PRINCIPE démocratique se convertit en MÉCANISME démocratique, instrument au service des prétentions d’universalité d’un État qui exerce la dictature minoritaire de la classe dominante, indépendamment du fait aléatoire qu’il y ait vote ou pas ou de qui vote.

Février mars

Premier exécutif élargi de l’I.C., centré sur l’approbation de la tactique de front unique. Opposition des délégués italiens (Terracini, Roberto et Ambrogi) qui obtiennent l’appui des délégations française et espagnole. On accepte la convocation d’une réunion conjointe des trois internationales existantes.

Mars

Second Congrès du PCI. Approbation des Thèses de Rome. Ces thèses fixent la position du PCI face à la tactique de front unique défendue par l’I.C. Opposition frontale des délégués de l’I.C. à l’approbation de ces thèses.

D’après les THÈSES DE ROME, la tactique a des limites imposées par le programme communiste fondateur et qui, si elle sont dépassées, changent la nature et la fonction du parti communiste. La direction du PCI pose la question de sa démission. Le nombre de militants est descendu à 43 000 à cause des exigences militantes et des persécutions fascistes.

Avril

Bordiga participe à la Conférence des trois internationales (la deuxième, la troisième et la deux et demi) réunie (du 2 au 5) à Berlin et qui se solde par un échec retentissant. Réunion pour traiter des questions italiennes entre Bordiga, Silone, Radek et Boukharine qui se transforme en une rencontre âpre et constate l’ampleur des divergences du PCI avec l’I.C.

Signature (le 16) du Traité de Rapallo entre les bolcheviks et les allemands.Le Traité consacre l’Etat russe comme une grande puissance et signifie le retour aux techniques classiques de la diplomatie secrète et l’alliance avec les puissances capitalistes. Rapallo constate les contradictions entre l’éclatement de la révolution mondiale et le renforcement progressif de l’Etat soviétique. Le Comintern a été transformé en un instrument de la politique extérieure russe.

Juin

Bordiga représente l’I.C. au Congrès du PCF qui se tient à Marseille. Second Exécutif Élargi de l’I.C. La délégation italienne est formée de Bordiga, Ambrogi, Gramsci et Graziadei. Ultimatum de Zinoviev au PCI pour qu’il applique la consigne de gouvernement ouvrier comme plate-forme de lutte contre le fascisme.

Juin juillet

Grande offensive fasciste. Les escouades occupent des villes comme Bologne et Ferrara. Les expéditions fascistes s’étendent au Lazio, aux Marches, Emilie-Romagne, Vénétie et Toscane. La mobilité géographique des escouades fascistes contribue largement à leur succès. Les réactions armées des ouvriers se révèlent insuffisantes. Impunité absolue pour les violences fascistes, appuyées par les forces de police et l’armée.

Août

Grève générale légale. Elle est lancée par le PSI et la CGL pour résoudre une crise gouvernementale, de façon précipitée, son déclenchement est annoncé par la presse. Les aspects légaux et pacifistes prédominent. Le principale objectif est la défense de la démocratie. Les fascistes lancent un ultimatum au gouvernement pour que mettre fin à la grève sous 48 heures. La grève obtient un succès initial de caractère partiel. Le troisième jour, elle se transforme en lutte armée qui couronne la guerre civile (1921/1922) des fascistes, secondés par l’armée et la police contre les masses ouvrières. Malgré quelques résistances héroïques, comme celle de Parme face aux troupes fascistes de Italo Balbo, la grève se solde par un échec sévère. Elle signifie la fin de toute résistance armée importante contre le fascisme. Le fascisme illégal et subversif s’est transformé en une force d’ordre.

1921-1922

Divers articles de Bordiga dans lesquels il expose son analyse du fascisme que l’on peut résumer dans les points suivants :

1.        Le fascisme défend l’État démocratique contre un prolétariat révolutionnaire qui veut le détruire

2.        Depuis la Grande Guerre, le respect des droits et libertés démocratiques, qui constitue le fondement de l’idéologie libérale, est entré en contradiction avec la défense des intérêts du capital de la part de l’État.

3.        Cette contradiction conduit la bourgeoisie à renoncer à sa propre idéologie libérale et dévoile le caractère répressif de l’État qui consiste à défendre les intérêts de classe de la bourgeoisie par TOUS LES MOYENS, y compris ceux qui supposent l’abolition des droits et libertés démocratiques.

4.        La démocratie et le fascisme ne s’opposent pas mais des complètent, que ce soit de façon alternative ou à l’unisson.

5.        LE DÉDOUBLEMENT POLITIQUE de la bourgeoisie, face à la menace révolutionnaire du prolétariat, sous ses deux aspects de violence fasciste et de démocratie parlementaire, convergent en une stratégie commune de la bourgeoisie en défense de ses intérêts historiques de classe.

6.        La fonction de la social démocratie est de dévoyer les luttes du prolétariat de leur objectif révolutionnaire pour les entraîner vers la défense de la démocratie bourgeoise.

7.        Le fascisme n’a pas de programme. Sa fonction est de réprimer le prolétariat à la place de l’État, qui parvient, de cette façon, à conserver l’illusion démocratique parmi les masses.

8.        Le fascisme n’est pas le produit des couches réactionnaires de la bourgeoisie, ni le produit d’un système féodal, mais au contraire, il est le produit d’un capitalisme industriel avancé qui, face à la menace révolutionnaire, passe à l’offensive.

9.        L’anti-fascisme est la conséquence la plus grave du fascisme. Il substitue à l’ALTERNATIVE révolutionnaire CAPITALISME /COMMUNISME l’option (toujours bourgeoise) DEMOCRATIE /FASCISME.

10.     Bordiga affirme la continuité essentielle entre démocratie et fascisme, de la même manière qu’il existe une continuité de base entre libéralisme et démocratie. Les méthodes social démocrates et fasciste, au lieu d’alterner au gouvernement, tendent à fusionner.

Septembre

La conséquence immédiate de l’échec de la grève générale fut la chute du nombre de militants communistes à 24 000. Dans les usines, les licenciements massifs de communistes étaient fréquents. Face à la répression et au manque de travail, du fait des listes noires, on a compté par milliers les communistes qui, dans les mois qui ont suivi, ont été obligés d’émigrer en France et en Belgique pour motif politico-économiques.

Octobre

La Marche sur Romede Mussolini (28/10/1922). Facta, le président du gouvernement, demande au roi la déclaration de l’état de siège et la mobilisation de l’armée. Face au refus du roi, il démissionne. La Marche sur Rome se transforme en une promenade. Le roi nomme Mussolini comme nouveau président du gouvernement. Les fascistes s’emparent du pouvoir, sans tirer un coup de feu, par des moyens constitutionnels.

Serrati exclus les réformistes du PSI. Ceux-ci, dirigés par Matteoti, Turati et Treves, fondent le Parti Socialiste Unifié (PSU). Après cette scission, le PSI ne compte plus que 25 000 militants. Le PSI décide d’envoyer une délégation au IV(e) Congrès de l’I.C.

Novembre

L’ambassadeur allemand arrive à Moscou. Quatrième Congrès de l’I.C. (du 5 novembre au 5 décembre). On insiste sur la tactique de front unique et sur le mot d’ordre de gouvernement ouvrier. Le Comintern exige la fusion entre socialistes et communistes en Italie. Le PCI s’y oppose totalement. Le Comité Exécutif du PCI se déclare démissionnaire (le 8). Bordiga parle du danger de révisionnisme dans l’I.C. Les débats arrivent à un point de rupture de la majorité du PCI avec l’I.C. Le 24, la résistance de la majorité du PCI est confronté à une lettre du Comité Central du PC russe, signée par Lénine, Trotsky, Radek et Boukharine et qui communique au PCI la décision unanime de la commission nommée par le congrès international : fusion immédiate avec le PSI.

La direction du PCI, qui considère comme IRRÉVOCABLE LA SCISSION DE LIVOURNE, renonce à continuer de défendre son point de vue, par discipline, s’engage à ne rien dire contre la fusion et à ne pas la saboter. Mais à partir de ce moment elle se considère comme démissionnaire. Bordiga propose de laisser à l’aile droite la direction du parti, tandis que Gramsci est partisan de durcir les négociations jusqu’à rendre la fusion impossible.

Décembre

Mussolini donne personnellement l’ordre d’arrêter les délégués italiens au IVe Congrès de l’I.C., à l’exception de ceux qui jouissent de l’immunité parlementaire.

On attaque les locaux et les imprimeries communistes et on fait obstacle à la diffusion de leur presse.

1923

Février

Arrestation de Bordiga (le 3), suivie d’une rafle massive de militants communistes. Togliatti et Terracini le remplacent à la direction du parti.

Mars

Arrestation de Serrati (le 1 er), dirigeant du PSI et partisan de la fusion avec les communistes. Avec la détention de Serrati, le contrôle de Avanti passe dans les mains de l’anti fusionniste Nenni. Face à ces faits, Zinoviev ordonne le changement de tactique : on renonce à la fusion et on donne la consigne de former un bloc politique entre les deux partis. On prétend ainsi EMPECHER le départ des terzini du PSI, comme il a été décidé au IVème Congrès, au cas où la fusion effective ne se ferait pas. Grieco, indigné devant le non-respect des accords du VIème Congrès, écrit une lettre (le 14) dans laquelle il présente la démission de l’exécutif du PCI, lettre dont le Comintern ne tient pas compte. Arrestation de Grieco (le 31).

Avril mai

Terracini coopte des nouveaux membres à l’exécutif pour remplacer les membres détenus : Togliatti, Tasca, Scoccimarro, Ravera, Graziadei.

Correspondance entre Gramsci, Togliatti, Terracini en vue de la formation d’un nouveau groupe dirigeant (du centre) du PCI, qui se substituera à la direction (de gauche) de Bordiga et empêchera l’accès de Tasca (de droite) à cette direction.

Situation critique du parti qui compte 5 à 6 000 militants en activité. Le parti agit dans la clandestinité et ses militants sont majoritairement exilés (quelque 100 000) ou en prison.

Les syndicat ont perdu 60 à 80% de leurs membres. Le PSI qui n’est pas préparé pour passer à la clandestinité est pratiquement inopérant. Les réductions de salaire oscillent entre 20 et 50 %. Le nombre des chômeurs atteint le demi million.

Juin

Troisième exécutif élargi de l’I.C. Le Comintern accuse les communistes (Zinoviev accuse personnellement Gramsci) de saboter la fusion avec les socialistes. On rend le PCI responsable de la prise du pouvoir par le fascistes. On n’accepte pas la démission de l’exécutif italien , mais on nomme de façon autoritaire un nouvel exécutif mixte, composé de trois membres de la majorité : Fortichiari, Togliatti, Scoccimarro et deux de la minorité : Tasca, Vota. On accepte le PSI comme parti sympathisant. On critique Bordiga, l’accusant d’indiscipline, en même temps qu’on lui propose une vice ‘présidence de l’IC.

Juillet septembre

Discussions au sein de la majorité. Gramsci constitue un nouveau groupe dirigeant de Centre. Bordiga rédige un Manifeste, qui ne sera pas publié, à cause de la rupture au sein de l’ancienne majorité entre une Gauche (Bordiga, Fortichiari, Repossi) et un nouveau groupe de Centre (Gramsci, Togliatti, Terracini, Scoccimarro, Leonetti).

Gramsci fut le premier à refuser de signer le Manifeste et il a entraîné les autres membres du Centre à ne pas le signer.

Octobre

Procès contre les communistes arrêtés en février. Mémoire de Bordiga qui retourne les accusations de complot, pour lesquelles sont jugés les communistes, et les dirigent contre les fascistes.

Acquittement général des accusés et liberté pour Bordiga (le 26). Malgré la surprise de la sentence judiciaire, la répression policière se renforce contre les communistes.

1924

Janvier

Mort de Lénine. Bordiga fonde la revue Prometeo. A cette revue collaboreront Grieco, Leonetti, Girone, Mastrapaolo et Polano et seront publiés des articles de Zinoviev, Manuilski et Staline.

Février

Bordiga refuse de se présenter comme candidat aux élections. Le délégué de l’IC (Humbert-Droz) qualifie ce refus d’acte d’indiscipline de la part de Bordiga qui se considère comme étant dans une opposition d’extrême gauche au sein du PCI. Article de Bordiga contre l’abstentionnisme de quelques militants communistes. Intervention marquante de Bordiga dans la campagne électorale à

Naples.

Conférence («Lénine sur le chemin de la révolution») prononcée par Bordiga (le 24) à la Maison du Peuple à Rome, pour commémorer Lénine, décédé le mois précédent. Dans cette conférence, Bordiga délimite ses rapports avec Lénine : coïncidence PROGRAMMATIQUE totale et désaccords sur les questions TACTIQUES.

Bordiga revendique, en outre, la nécessité et le droit de discuter les questions tactiques et refuse la dogmatisation de la pensée de Lénine, de ce que l’on appellera le léninisme.

Avril

Aux élections (du 6), les listes fascistes, et leurs alliés libéraux, obtiennent 65% des voix émise et 374 sièges. Le Parlement est déjà un instrument docile et légal dans les mains de Mussolini. La démocratie n’est pas un obstacle mais un tremplin pour l’ascension du fascisme.

Mai

Conférence clandestine du PCI à Como. La Gauche du PCI obtient la majorité : surgissent trois fractions dans le PCI (Droite : Tasca, Centre : Gramsci, Gauche : Bordiga).

Juin

Cinquième Congrès de l’IC (du 17 juin au 8 juillet). Bordiga critique la bolchevisation des partis communistes et la consigne de gouvernement ouvrier.

L’IC accepte enfin la démission de l’ancien exécutif du PCI, c’est à dire de Bordiga, Fortichiari, Repossi et Grieco.

Zinoviev offre à Bordiga une vice-présidence de l’IC avec l’intention de l’éloigner d’Italie. L’éclatement de l’insurrection d’octobre en Allemagne provoque un nouveau virage de  la tactique de l’Internationale, cette fois-ci à gauche. Enlèvement (le 12) et assassinat du député socialiste Matteotti.

L’opposition à Mussolini abandonne le parlement pour former l’Aventino qui est une tentative d’isoler les fascistes à travers la création d’une opposition démocratique antifasciste.

De juin à décembre

Bordiga critique la tactique antifasciste ou de front unique appliquée par Gramsci et défendue par l’IC. Bordiga propose une tactique de parlementarisme révolutionnaire et l’abandon de l’Aventino. Gramsci oscille, indécis, entre le soutien à l’Aventino et son abandon. Gramsci applique simultanément la tactique antifasciste de front unique, la massification ‘bolchevisation du PCI avec l’entrée en masse de nouveaux militants ayant un bas niveau politique mais une fidélité aveugle aux consignes de la direction centriste, et la fusion avec les socialistes (terzini).

LE PCI DOIT SE TRANSFORMER A TOUT PRIX EN PARTI DE MASSE :l’entrée massive de militants sans capacité ni maturité politique facilite la collaboration politique avec les partis libéraux et social démocrates, avec l’objectif manifeste de DÉFENDRE la démocratie, en complète contradiction avec le programme communiste fondateur de Livourne et le II(e) Congrès de l’IC.

Juillet

Avec le numéro double de juin/juillet, Prometeo cesse de paraître par décision de l’exécutif du PCI. La mesure s’inscrit dans le nouveau cadre de bolchevisation des partis communistes. A partir de ce moment, on ne tolère la parution d’aucun article, ou l’intervention en assemblée, venant d’un quelconque militant de la Gauche. Et dans le cas de ceux qui seront autorisés ce sera toujours avec un commentaire critique qui détruira, interprétera mal ou affaiblira les arguments exposés. DANS LE PCI LA CONFRONTATION POLITIQUE EST REMPLACEE PAR LA REPRESSION, LA CALOMNIEOU LES EXCLUSIONS DES MILITANTS DE LA GAUCHE.

Octobre

Au congrès fédéral de Naples, Bordiga et Gramsci s’affrontent dans un débat qui dure plus de quatorze heures.

Novembre

Excellentes relations économiques entre la Russie et l’Italie. Mussolini est invité (le 7) à l’ambassade soviétique à Rome pour célébrer l’anniversaire de la révolution russe. Naissance de la légende sur la collaboration fascisme communisme, qui contribue à l’isolement du PCI.

Intervention (le 12) du parlementaire communiste (de la Gauche) Luigi Repossi qui accuse les fascistes d’être les assassins du député Matteotti. Gramsci reconnaît l’échec de  l’Aventino et de la tactique de front unique.

Nouvelle Loi Electorale (Loi Acerbo) qui accorde les deux tiers du total des sièges à la liste qui dépasse 25% du total des voix exprimées : les libéraux, les populistes et les fascistes préparent la voie démocratique pour le contrôle du parlement par Mussolini.

1925

Janvier

Mussolini assume la pleine responsabilité des crimes fascistes (3/1/25). Fin de l’Aventino et du parlementarisme en Italie. Les partis entrent dans une phase de semi-clandestinité, dépendante de la tolérance oscillante du régime fasciste.

Trotsky démissionne de la charge de président du Comité Militaire Révolutionnaire.

Février

Le Comité Central adopte une résolution qui condamne l’opposition de Trotsky au sein du parti russe (le 6).

Bordiga écrit un article intitulé ‘La question Trotsky’, qu’il remet (le 8) pour sa publication dans L’Unita, il est bloqué par la direction gramscienne du PCI.

Mars

Conférence de Bordiga à Milan (le 22). Manifestation massive de sympathie de la fédération communiste de Milan à l’égard de Bordiga et de la Gauche, organisée par Fortichiari.

Mars avril

Cinquième Exécutif Elargi de l’IC (du 21 mars au 5 avril). Bordiga ne se rend pas à Moscou. Nouvelle oscillation de la tactique de l’Internationale.

Maintenant, Zinoviev donne une interprétation droitière de la tactique de front unique (face à l’interprétation de gauche qu’a donnée le (e) Congrès de l’IC). La théorie du socialisme en un seul pays est la réponse russe à l’isolement international de la révolution. La lutte contre le trotskisme s’internationalise. Scoccimarro identifie trotskisme et bordiguisme, prenant comme acte d’accusation l’article non publié de Bordiga sur Trotsky. On dénonce l’idéologie de Bordiga comme le principal obstacle à la bolchevisation du PCI. Grieco annonce son abandon de la défense des positions de la Gauche pour s’intégrer dans le groupe du Centre.

Avril juillet

Constitution et dissolution du Comité d’Entente de la Gauche. Bordiga s’oppose à la rupture avec le PCI. Il n’appuie pas la fondation du Comité d’Entente mais il se solidarise avec lui quand il est attaqué. La direction du Centre destitue Fortichiari comme secrétaire de la fédération de Milan en représailles pour la manifestation favorable à la Gauche. Le groupe dirigeant du Centre repousse la discussion et le débat politiques à quoi il substitue l’usage méthodique des moyens disciplinaires et organisatifs. On impose une discipline aveugle aux militants d’une Gauche qui voient la trahison des bases programmatiques de Livourne. On lance une campagne de diffamation et l’accusation de fractionnisme contre la Gauche. Passivité de Bordiga à cause de la crainte de l’exclusion, de la surveillance et la censure auxquelles il est soumis et de son analyse déterministe de la situation contre-révolutionnaire mondiale qui n’ouvre pas de voie à un virage à gauche de l’IC.

Juin

Dans les débats internes du Comité d’Entente de la Gauche, Bordiga s’oppose à la rupture avec le PCI. Damen, Fortichiari et Repossi sont favorables à une rupture immédiate. Bordiga en arrive à être minoritaire. Seule son opposition décidée à ne pas participer à la scission a décidé les autres à dissoudre le Comité d’Entente. Le Comité d’Entente a été la tentative manquée des dirigeants les plus en vue de la Gauche (Damen, Perrone, Venegoni, Fortichiari, Repossi, Girone), organisés en Fraction, de sortir Bordiga de sa passivité qu’ils jugeaient erronée et suicidaire, pour l’amener sur leurs position et provoquer la scission, car Bordiga aurait entraîné avec lui un grand nombre de militants.

Juillet

Publication de l’article de Bordiga sur Trotsky dans L’Unità (4/7/25), écrit en février, en plein c’ur de la campagne de diffamation et sous l’accusation de fractionnisme lancée contre la Gauche.

Publication dans L’Unità (18/7/25) du document de dissolution du Comité d’Entente, sous forme diffamatoire et insultante, sous un épigraphe qui dit : «Un document indigne de communistes», et joint à une résolution du Comité Central du parti qui s’intitule : «Les membres du Comité d’Entente contre l’Internationale. Dégénérescence politique et misère morale».

Le lendemain, réponse de Bordiga, qui ne fut jamais publiée et dans laquelle il dénonce la campagne de diffamation, la manipulation de documents et l’absence de débat politique de la part de la direction gramscienne.

Juillet décembre

La campagne de dénigrement contre la Gauche, grâce à l’épisode du Comité d’Entente, rencontre un succès notable, favorisé par l’impossibilité pour la Gauche de défendre ses positions dans la presse ou dans les assemblées. Débat préparatoire du congrès manipulé qui continue la campagne de diffamation et de dénigrement contre la Gauche. Gramsci se félicite de la défaite fractionnelle de Bordiga. Il en vient à affirmer que la campagne de diffamation a été plus efficace qu’aurait été une discussion dans laquelle on aurait débattu des différentes positions politiques. Pour la Gauche, il est évident que l’on ouvre la porte à l’opportunisme et à l’abandon des principes. Gramsci et Togliatti appliquaient les méthodes staliniennes dans le PCI : la bolchevisation supposait la russification de tous les partis communistes.

1926

Janvier

Troisième Congrès du PCI, réuni à Lyon (du 20 au 26). Défaite organisationnelle de la Gauche du PCI. La Gauche présente les THESES DE LYON rédigées par Bordiga. Les Thèses de Lyon rejettent la possibilité de transformer le parti communiste en parti de masses dans une période contre-révolutionnaire : la tentative des centristes ne peut conduire qu’à l’opportunisme, c’est à dire à l’abandon des principes programmatiques communistes. Les Thèses de Lyon exaltent le minoritarisme : IL EST PREFERABLE D’ETRE UN PARTI MINORITAIRE , SANS INFLUENCE OU PRESQUE SUR LES MASSES, MAIS REVOLUTIONNAIRE, QU’UN PARTI DE MASSES SANS PRINCIPES NI OBJECTIFS REVOLUTIONNAIRES. Le Congrès admet la manipulation des votes (les abstentionnistes et les absents sont comptabilisés comme votes en faveur du Centre) et le filtrage des militants. Intervention de trois heures de Gramsci et de sept heures de Bordiga qui termine son intervention en s’adressant à Gramsci en ces termes : «on est sous la même bannière politique seulement quand on a une même conception de l’univers, de l’histoire et du travail de l’homme en son sein». Bordiga et Venegoni sont obligés, sous menace d’exclusion, de faire partie du comité central du PCI, comme représentants de la Gauche. Face à cette menace qui n’offre pas d’autre

alternative que l’exclusion ou la corresponsabilité dans la direction du parti, Bordiga accepte la charge après la formulation d’une déclaration très dure qui constitue un acte de rupture avec les centristes.

LE CONGRES DE LYON EST UNE RUPTURE ORGANISATIONNELLE ET PROGRAMMATIQUE AVEC LE PARTI FONDE A LIVOURNE : les staliniens parleront toujours de Lyon comme de la refondation du PCI.

Février mars

Sixième Exécutif Elargi de l’IC. Discussions entre Bordiga et le reste de la délégation italienne à cause de la dénonciation de celui-ci, devant l’IC, des méthodes caporalistes (caciquiles) du Centre et son refus de publier la déclaration de Bordiga après le Congrès de Lyon.

Bordiga se réunit avec Trotsky, Togliatti et Staline (la nuit du 21 février). Affrontements très durs entre Bordiga et Staline l(le 22 février) sur le droit pour l’Internationale de discuter de la question russe. Opposition et critique de Bordiga à la théorie du socialisme en un seul pays.

DE FAIT, L’INTERNATIONALE ETAIT DEJA DIRIGEE PAR LE PARTI RUSSE ET LES INTERETS DE LA REVOLUTION MONDIALE DEVAIENT COINCIDER AVEC CEUX DE L’ETAT RUSSE.

Bordiga, pendant les débats du congrès, dénonça l’instauration d’un régime de terreur au sein des partis communistes et prononça une défense de l’apparition de fractions, à cause de ce régime de terreur avec des phrases lapidaires comme celles-ci : «l’histoire des fractions, c’est l’histoire de Lénine», ou bien «l’histoire des fractions n’honore pas les partis dans lesquels elles se forment, mais elle honore les militants qui les créent». Bordiga met en question la capacité du parti russe à diriger l’Internationale et expose la très connue image de la pyramide inversée comme critique du processus de bolchevisation : l’IC est une pyramide instable appuyée sur son sommet ; il est nécessaire de lui faire faire un demi tour pour qu’elle repose sur sa base, c’est-à-dire que ce n’est pas le parti russe qui doit diriger l’Internationale mais l’Internationale qui doit diriger et intervenir dans la problématique du parti russe.

Bordiga termine son intervention au congrès en constatant l’échec de la nouvelle tactique antifasciste propagée par Moscou et en dénonçant l’opportunisme régnant dans l’IC comme étant le principal danger de dégénérescence et qui annonce le changement de nature des partis communistes, c’est-à-dire leur transformation de partis révolutionnaires en partis sociaux-démocrates ou antifascistes.

Janvier mars

LE SIXIEME EXECUTIF ELARGI FUT LA DERNIERE POSSIBILITE POUR LA GAUCHE DE DEFENDRE SES POSITIONS. Bordiga savait que le sort de la révolution ne se décidait pas dans les débats du Congrès de Lyon ou au sixième Exécutif Elargi, parce que la stabilisation capitaliste et l’éloignement de toute perspective révolutionnaire immédiate étaient déjà une réalité évidente. Mais il savait aussi que cette bataille devait être livrée pour laisser au générations futures le témoignage de la continuité d’une ligne marxiste en lutte contre la dégénérescence de l’IC et contre la théorie du socialisme en un seul pays. Continuité qui favoriserait la restauration de la théorie et de l’organisation marxiste dans l’avenir.

Avril octobre

Isolement progressif de Bordiga et de la Gauche au sein du PCI.

Octobre

Lettre de Gramsci au CC du PCUS dans laquelle il critique les désaccords existant au sein du parti russe. Correspondance et rupture avec Togliatti, ce qui vaut à Gramsci la marginalisation au sein du PCI pendant toute la durée de son séjour en prison, parce qu’il est «suspect» d’hérésie. Lettre d’Amadeo Bordiga à Karl Korsch (28/10/26). C’est la réponse de la Gauche du PCI à l’invitation de la Gauche allemande de construire une fraction de gauche internationale. La lettre refuse la formation d’une nouvelle Internationale qui ne se fonderait que sur la critique du processus de bolchevisation ou de stalinisation des partis communistes, et qui ne serait pas réellement homogène. Bordiga relève d’autres divergences importantes entre la gauche italienne et la gauche allemande, comme la nature de la révolution russe (que Korsch caractérise comme bourgeoise) ou la nécessité d’une scission rapide avec l’IC.

Attentat (le 31) d’Anteo Zamboni contre Mussolini.

Novembre

Interdiction en Italie de tous les partis politiques à l’exception des fascistes. Arrestation massive de militants communistes. La maison de Bordiga est saccagée par les fascistes. Manque absolu de préparation du parti contre la répression. Maffi, Fortichiari, Damen, etc. sont arrêtés ‘ (Terracini et Oberti le sont déjà). Quasiment toute la direction du PCI, à l’exception de Togliatti, Grieco, Tasca, Ravera’ se retrouve sous les verrous.

LE PCI SE TRANSFORME EN PARTI CLANDESTIN AVEC LA MAJORITE DE SES MILITANTS ACTIFS EXILES, RELEGUES OU EN PRISON.

Grieco et Tasca, réunis à Milan, devant la situation catastrophique du parti décident sa dissolution : décision révoquée quelques jours plus tard par Ravera et le même Grieco, sous l’insistance du Comintern.

1923 / 1926

Le mérite et la force de Gramsci et de Togliatti dans le PCI, entre 1923 et 1926, ne fut rien d’autre que d’être les hommes de confiance de l’Internationale en Italie. Ce fut aussi leur misère, parce que cela suppose la pleine identification et la complicité avec le stalinisme naissant. L’inévitable déroute et la faiblesse de Bordiga résidait dans son opposition intransigeante à l’opportunisme et à la dégénérescence de l’Internationale. C’est aussi sa grandeur et la raison d’être du bordiguisme comme courant marxiste différencié et exclusif.

1926 / 1929

Bordiga reste relégué à Ustica et Ponza. Du 5/12/26 au 20//01/27, Bordiga et Gramsci sont ensemble à Ustica).

1927

Un groupe d’exilés italiens s’organise, dirigé par Pappalardi et d’idéologie bordiguiste mais très près des thèses de Karl Korsch, qui plus tard évoluera vers l’anarchisme. Il ne participe pas à la fondation de la Fraction à Pantin. Ils prennent le nom de « Groupe d’avant-garde communiste ».

Ils publient Il Risveglio Comunista et L’Ouvrier communiste, dans lesquels paraissent des critiques intéressantes du volontarisme de Trotsky et de la passivité de Bordiga. Ils publient un pamphlet de la Gauche communiste russe Avant Thermidor, qui est une plate-forme de gauche au sein du parti bolchevik.

1928

Avril

Congrès de fondation de la Fraction de Gauche du PCI à Pantin (banlieue industrielle de Paris). La Fraction se revendique des positions politiques défendues par Amadeo Bordiga depuis le 2(e) Congrès de l’IC jusqu’au Congrès des Lyon et au sixième Exécutif Elargi ainsi que de tous les écrits du camarade Bordiga. L’appellation de bordiguiste n’est pas vraiment

approprié dans la mesure où les militants de la Fraction ont toujours rejeté une telle appellation. D’autre part, toute l’activité et la pensée de la Fraction se sont déroulés sans aucun contact avec Bordiga.

LES POINTS FONDAMENTAUX DE LA GAUCHE COMMUNISTE ITALIENNE (que les autres partis ont qualifiée comme  bordiguisme), sur lesquels se fonde la Fraction de Gauche du PCI en 1928 sont les suivants :

1.        Rejet de la tactique de front uniqueet du mot d’ordre de gouvernements ouvriers et paysans.

2.        Rejet de la direction de l’Internationale par le parti russe. Rejet de la théorie du socialisme en un seul pays.

3.        Rejet de tout type de défense de la démocratie bourgeoise.

4.        Rejet de l’antifascisme et de toute doctrine politique étrangère à la lutte de classes.

5.        Considération de la démocratie et du fascisme comme deux formes de domination bourgeoises, équivalentes et interchangeables.

6.        Rejet du principe démocratique au sein du parti communiste. Rejet, donc, du centralisme démocratique.

7.        Lutte et critique contre l’opportunisme compris comme l’abandon des principes programmatiques fondamentaux.

8.        Le parti est défini comme un organe de la classe, de façon non immédiatiste, centralisé, qui défend son programme de façon intransigeante, opposant la défense des intérêts historiques du prolétariat face au réformisme.

9.        La tactique a des limites imposées par le programme communiste. Une tactique inadéquate débouche inévitablement sur des changements programmatiques et peut mener à changer la nature même du parti.

10.     Rejet de la fondation d’une nouvelle internationale construite sur le dénominateur commun d’expériences de critiques à la Troisième Internationale ou au stalinisme. Nécessité, avant cela, de faire un BILAN historique des erreurs de l’IC et d’élaborer une plate forme programmatique commune.

Juin

Premier numéro de Prometeo, périodique bimensuel publié par la Fraction en italien.

1928 – 1932

La Fraction travaille comme une section de l’opposition trotskiste. Polémique avec Trotsky et l’Opposition sur la question allemande et sur le front unique, sur la question espagnole et les mots d’ordre démocratiques, la nature de l’Union Soviétique et la nécessité de se doter d’un programme qui évite le personnalisme.

1929

Exil de Trotsky à Prinkipo après son expulsion de l’URSS.

Septembre

Angelo Tasca (leader de l’aile droite du parti) est exclu du PCI. Onorato Damen, Luigi Repossi et Bruno Fortichiari, de l’aile gauche, sont exclus du PCI.

Octobre

Crack de la Bourse de New-York.

1930

Mars

Le Comité Central du PCI décide l’exclusion de Bordiga (leader de l’aile gauche du parti) du PCI, à quelques mois de sa libération de relégation.

Exclusion d’Ignazio Silone.

1930 / 1943

Inactivité militante de Bordiga. Bordiga reconnaît la défaite historique subie par le prolétariat dans le monde entier. Rejet de toute mystique de l’avant-garde et de l’activisme. Il embrasse une conception strictement déterministe sur les possibilités révolutionnaires et, personnellement, considère comme inutile son activité militante dans la clandestinité imposée par le fascisme (il rejette aussi la possibilité de s’exiler).

1931

Discussion entre la Fraction (bordiguiste) et l’Opposition (trotskiste) sur la question espagnole et les mots d’ordre démocratiques. Correspondance entre Nin et Ambrogi. Début de relations entre la Fraction italienne et l’Opposition Communiste Espagnole.

1932

Février

La Fraction n’est pas invitée à la conférence convoquée par l’Opposition (trotskiste) à Paris : cela équivaut à son exclusion.

Novembre

Premier numéro de Bilan, revue théorique mensuelle publiée par la Fraction en français. Avec cette revue, la Fraction prétend faire un BILAN de la défaite historique du prolétariat après la révolution d’Octobre, à travers la discussion avec d’autres groupes proches des ses positions politiques, après son exclusion des rangs de l’Opposition trotskiste.

Décembre

Onorato Damen (un des leaders de la Gauche Italienne) est libéré, après douze années de prison grâce à une amnistie. Il reprend son activité militante.

1933 / 1937

Analyse de l’antifascisme comme une optioncapitaliste en défense de la démocratie bourgeoise. L’option fascisme/démocratie dessine les deux fronts idéologiques qui justifient une nouvelle guerre mondiale, qui se présente déjà comme la seule issue possible face à la dépression économique des années trente, en absence d’une ALTERNATIVE révolutionnaire.

1935

Congrès de la Fraction à Bruxelles. La Fraction change de nom : elle cesse d’être la Fraction de Gauche du PCI pour se changer en Fraction italienne de la Gauche communiste. Appel à l’abandon des partis communistes.

1936

Juillet août

La guerre civile espagnole provoque un débat au sein de la Fraction. La minorité s’engage dans les Milices du POUM. La Majorité lance le mot d’ordre de défaitisme révolutionnaire et d’abandon des fronts militaires : elle définit la guerre d’Espagne comme une guerre impérialiste, comprise non pas comme un conflit pour conquérir de nouveaux marchés mais comme une lutte entre la bourgeoisie fasciste et la bourgeoisie républicaine et démocratique dans laquelle le prolétariat ne peut jouer d’autre rôle que celui de chair à canon.

La déroute et l’écrasement du prolétariat espagnol sont la condition nécessaire pour le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, en même temps qu’un champs d’expérimentation pour la justification idéologique des deux camps opposés : le fasciste et l’antifasciste (ou démocratique).

Conférence de Genève au cours de laquelle est fondé le Mouvement de la IVe Internationale.

Premier procès de Moscou (du 24 au 26 août) : Zinoviev, Kamenev et Smirnov sont condamnés et exécutés. Trotsky et son fils Sedov sont condamnés à mort par contumace.

Septembre

Une délégation de la Majorité composée de Mitchell (qui militait encore à la Ligue Communiste Internationaliste de Belgique), Aldo Lecci et Candoli rencontre des membres de la Minorité à Barcelone et sur le front de Huesca pour tenter d’éviter la scission.

Août octobre

La colonne internationale Lénine du POUM, composée de quelques 30 bordiguistes et 20 trotskistes, sous les ordres du capitaine Russo (membre du Comité exécutif de la Fraction) combat sur le front de Huesca.

22 octobre 1936 : décret de militarisation des Milices. Dissolution de la Colonne Lénine.

Novembre décembre

Exclusion de la Minorité.

1937

Janvier

Jehan (Mitchell) écrit l’article «La guerre en Espagne». Trotsky part à Mexico.

Second procès de Moscou (contre Radek, Piatakov, etc.)

Février

Scission dans la Ligue Communiste Internationaliste de Belgique à cause du débat sur la guerre d’Espagne. La Minorité, dirigée par Jehan, est exclus et se constitue en Fraction belge de la Gauche communiste.

Mars

Congrès de la Fraction.

Constitution de la commission d’enquête sur les procès de Moscou, présidée par John Dewey.

Avril

Mort de Gramsci à Formia. Bordiga qui, à cette époque vit à Formia, lui a rendu visite assidûment depuis sa libération. (Une grande amitié personnelle les unissait malgré les désaccords politiques insolubles).

Mai

Manifeste de Bilan sur les événements de Mai à Barcelone : «Le 19 juillet, les prolétaires de Barcelone, les mains nues, ont repoussé l’attaque des bataillons de Franco, armés jusqu’aux dents. Le 4 mai 1937, ces mêmes prolétaires, armés, ont laissé sur le pavé beaucoup plus de victimes qu’en juillet.

Juin

Tract d’un «Groupe de Travailleurs Marxistes du Mexique» sur Mai 37, avec une analyse très proche de celle de la Gauche Communiste : groupe dirigé par Eiffel (Paul Kirchhoff).

Interdiction du POUM et arrestation de ses dirigeants (le 16). Séquestration et assassinat de Nin par Orlov et Gero de la GPU, selon un plan établi par Vittorio Vidali. Campagne de diffamation du PCE et du PCUS, dirigée par Togliatti, qui justifie les persécutions politiques contre les POUMistes.

Juillet

Arrestation (le 31) et disparition du militant trotskiste Erwin Wolf, à Barcelone ; assassiné par le GPU.

Août

Arrestation (le 2) et disparition du militant trotskiste Hans David Freund ‘Moulin’, à Barcelone ; assassiné par le GPU.

Septembre

Arrestation (le 23) et disparition du militant poumiste Kurt Landau, à Barcelone ; assassiné par le GPU.

1938

Février

Premier numéro d’Octobre, qui remplace Bilan. Le changement de nom indique une nouvelle analyse de la Fraction  sur le cours historique qui est qualifié de révolutionnaire.

Arrestation à Barcelone (le 13) des dirigeants trotskistes Munis, Carlini et Jaime Fernandez, accusés de l’assassinat d’un agent du GPU infiltré dans le POUM. Pendant un mois, ils sont isolés, torturés et soumis à des simulacres d’exécution. Julian Grimau obtint quelques ‘confessions’ mais il n’obtint rien de Munis.

Assassinat par le GPU du fils de Trotsky, Leo Sedov, dans une clinique de Paris (le 16).

Mars

Troisième procès de Moscou. Son condamnés à mort et exécutés Boukharine, Rykov,

etc.

Juillet

Défection d’Orlov, qui demande l’asile politique aux USA.

Disparition à Paris de Rudolph Klement.

Septembre

Conférence de fondation de la IV(e) Internationale.

Octobre novembre

Procès oral et jugement contre le POUM, ce qui suppose un revers pour les staliniens qui voulaient faire un procès de Moscou à Barcelone.

1939

Janvier

Prise de Barcelone (le 26) par les troupes franquistes. Fuite de Munis et des dirigeants du POUM inculpés.

Août

Pacte germano-soviétique, dans lequel ils se partagent la Pologne.

Septembre

Hitler ordonne l’invasion de la Pologne. La frontière orientale de la Pologne est envahie par les troupes soviétiques. Le pacte Hitler /Staline donne ses premiers fruits. La seconde guerre mondiale commence.

1940

Dissolution de la Fraction.

Août

Assassinat de Trotsky par Ramon Mercader (militant du PCUS).

1942

Dans le nord de l’Italie, Onorato Damen, Bruno Maffi, Fausto Atti, Lecci, Stefanini et d’autres constituent le Parti Communiste Internationaliste. Les militants de la Fraction qui reviennent en Italie intègrent individuellement le nouveau parti.

Octobre

Première grève à la FIAT de Turin.

1943

Mars

Grève générale dans les grandes villes du nord de l’Italie, contre la guerre et le fascisme.

Mai

Dissolution de l’IC

10 au 23 juillet

Les alliés occupent la Sicile.

24 juillet

Le Grand Conseille Fasciste provoque la chute du fascisme en votant le passage du pouvoir militaire de Mussolini au roi.

Du 25 juillet au 8 septembre

Les 45 jours du gouvernement Badoglio.

Les militants de la Gauche communiste sortent de prison ou reviennent d’exil pour renforcer l’organisation communiste internationaliste : Onorato Damen, Bruno Maffi, Mario Acquaviva, Fausto Atti, Secondo Comune, Gigi Danielis, Vittorio Faggioni, Attilio Formenti, Rosolino Ferragani, Giovanni Battaioli, Antonio Gabassi, Guido Gasperini, Bruno Bibbi, Luigi Gilodi, Aldo Lecci, Carlo Mazzucchelli, Ciccio Muraca, Renato Pace, GianCarlo Porrone, Guido Torricelli,, Gino Voltolina, et tant d’autres.

Le 8 septembre

L’armée allemande occupe l’Italie.

27 au 30 septembre

Insurrection à Naples.

1(er) novembre

Premier numéro de Prometeo (périodique clandestin). Ce périodique, qui reprend le nom du mensuel édité par Bordiga en 1924, se propose de diriger les luttes qui s’approchent vers des objectifs révolutionnaires.

1943 / 1945

La deuxième guerre mondiale est une guerre impérialiste dans laquelle le prolétariat ne doit prendre parti pour aucun des camps en présence. Il faut transformer la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaires, comme pendant la Grande Guerre. Le PCInt dénonce la lutte nationale anti-allemande des partisans comme dévoiement de la lutte de classe des travailleurs italiens contre la bourgeoisie italienne.

Les partis antifascistes jouent en Italie le même rôle qu’en Espagne : émasculer et dénaturer la lutte de classes vers des objectifs démocratiques et nationalistes qui sont tous propres à la bourgeoisie. Cette analyse de la guerre provoque un rejet et une incompréhension généralisés. Jusqu’à la Libération de l’Italie, l’activité du PCInt fut minime. D’autre part, beaucoup de sympathisants de la Gauche décidèrent de s’inscrire au PCI pour y mener une tactique d’entrisme (Fortichiari, Repossi).

Le PCInt ne parvint pas à unir la lucidité de ses analyses théoriques avec une pratique adéquate. Il fut incapable de se hisser à la hauteur concrète des exigences du prolétariat italien.

1943 / 1949

Bordiga reste dans l’anonymat le plus absolu, malgré que se soit à lui que l’on doive la majeure partie de l’élaboration théorique et de la presse du parti. Il n’intervient pas directement dans les Congrès du PCInt, ni par des actes ou manifestations publiques, de même qu’il n’assume aucune charge. Pourquoi ?

1.        Volonté de ne pas créer de surhomme comme les trotskistes l’ont fait avec Trotsky.

2.        Revendication de l’anonymat et rejet de tout personnalisme qui conduit à la croyance dans des Messies ou des sauveurs du prolétariat.

3.        Raisons de sécurité.

4.        Bordiga était opposé à la création du Parti dans une phase qu’il continuait à considérer comme contre-révolutionnaire.

5.        Les divergences avec Damen sur la nature de l’Union Soviétique, la participation aux élections et la fonction même du parti.

1944

Mars

Grève générale dans le nord de l’Italie. Togliatti se rend à Naples.

Virage tactique du PCI connu sous le nom de «Svolta di Salerno» : le PCI abandonne toute perspective révolutionnaire pour contribuer à la reconstruction nationale et à l’instauration de la démocratie. Le PCI renonce au socialisme, se propose d’éradiquer les racines du fascisme et de reconstruire économiquement le pays. Togliatti demande le concours de l’initiative et du capital  privés  et apporte son appui à l’instauration d’un régime monarchique.

Avril

Nouveau gouvernement Badoglio (le 22). Togliatti vice-président. D’autres staliniens sont au gouvernement : Gullo ; agriculture, Pesenti ; sous secrétaire aux Finances. Le PCI sera représenté au gouvernement jusqu’à mai 1947.

Avril 1944 / mai 1945

Le grand capital italien finance les troupes des partisans. Il maintient de bonne relations avec l’occupant allemand pour éviter la destruction des industries italiennes. Il ouvre des relations avec les alliés qui l’assurent de la participation de l’Italie au camp occidental. Le prolétariat urbain et rural voit dans la chute du fascisme la fin à court terme du régime capitaliste.

Juin 1944

Tarsia, Natangelo, Bordiga et d’autres, constituent la Fraction de Gauche des communistes et des socialistes dans le sud de l’Italie (la guerre divise l’Italie en deux moitiés).

Août 1944

Insurrection à Florence.

Nouvelle direction provisoire du PCI dans laquelle se détachent Togliatti, Scoccimarro, Secchia, Amendola, Longo, Pajetta, Roveda, Di Vittorio, Li Causi.

Décembre

Nouveau gouvernement présidé par le libéral Bonomi. Quatre ministres du PCI : Togliatti, vice-président, Scoccimarro, Gullo et Pesenti.

Insurrection communiste à Athènes, écrasée par les troupes britaniques avec la bénédiction de Staline. La direction du PCI voit dans l’épisode grec la confirmation de sa politique modérée et de contrôle de toute potentialité révolutionnaire en Italie.

1945

Janvier

Mutineries en Sicile, suivies d’une violente répression. Droit de vote pour les femmes (le 30).

Avril

Insurrection et libération de l’Italie du nord. Les partisans et le CLN sont les seules autorités existantes jusqu’à l’arrivée des troupes anglo-américaines.

Mai

Réédition allemande en Italie. Exécutions sommaires de patrons et de dirigeants fascistes ‘au nom du peuple italien’.

Juin décembre

Protestations, grèves, occupations de terre dans toute l’Italie contre la vie chère, pour le contrôle des prix et les augmentations de salaires. Climat de tension sociale et d’attente de CHANGEMENTS SOCIAUX IMPORTANTS qui seront déçus.

Croyance massive dans un double jeu de la part du PCI. Les militants ouvriers du PCI amassent les armes lourdes dans les usines en attente de l’assaut révolutionnaire du pouvoir.

Le PCI craint d’être débordé par sa gauche. Il applique une tactique de diffamation des partis situés à sa gauche et de séduction individuelle des militants célèbres. Propagande basée sur la mythification de l’Union soviétique, la participation à la lutte armée dans la Résistance et les origines révolutionnaires du PCI en 1921. Le PCI est la synthèse d’un mouvement de masses ample et confus qui compte des militants caractérisés par leur grande capacité organisative et leur limitation politique et théorique. Le groupe dirigeant du PCI base son programme sur deux points :

1.        Union étroite avec l’Union soviétique avec les avantages d’une aide réelle et la mythification révolutionnaire que cela suppose

2.        Etre un parti de masses avec un nombre de militants et une influence marquante sur la classe ouvrière italienne, qui se manifeste dans les syndicats, aux élections et dans l’administration de quelques villes importantes.

Juin

Ample amnistie (le 2) proposée par Togliatti, qui provoque un grand malaise dans la mesure où les criminels fascistes resteront impunis et que cela met fin à l’épuration des fascistes dans l’administration.

Gouvernement Parri (le 12) : Nenni, vice-président ; De Gasperi, Affaires étrangères et, pour le PCI, Togliatti, Justice ; Scoccimarro, Finances.

Fait divers à Schio : les partisans donnent l’assaut à la prison et exécutent sommairement 53 dirigeants fascistes qui pouvaient bénéficier de l’amnistie.

Juillet

Fusion de la Fraction de Gauche et du Parti communiste internationaliste. Assassinat de Mario Acquaviva, militant du PCInt et beau-frère de Felice Platone, par les staliniens.

Septembre

Accord entre la Cofindustria et les syndicats sur des licenciements massifs dans l’industrie, nécessaires pour mener à bien les réformes structurelles de l’économie italienne.

Novembre

Nouveau cabinet De Gasperi. Trois staliniens dans le gouvernement : Togliatti ; Justice, Scoccimarro ; Finances, Gullo ; Agriculture.

Décembre

Conférence de Turin du PCInt.

1946

Janvier

Cinquième Congrès du PCI (29 décembre/7 janvier). Togliatti confirme la ligne d’unité nationale démocratique et la conception du PCI comme parti de masses, national et de gouvernement. Se prononce pour la république et propose un programme économique de réformes de structures, de nationalisations et de coopératives.

Juin

Référendum (le 2) favorable à la république.

Juillet

Prometeo n° 1, revue mensuelle du Parti communiste internationaliste (première série).

Dans ce premier numéro on publie ‘Tracciato d’impostazione’ (éléments d’orientation) qui critique la soumission des partis staliniens, qui se nomment eux-mêmes communistes, à la stratégie du bloc antifasciste, avec les consignes de collaboration nationale dans la guerre anti-allemande, la participation dans les comités de libération nationale et la collaboration ministérielle qui ont confirmé la seconde défaite du mouvement révolutionnaire mondial. Face à ces positions politiques, le mouvement révolutionnaire ne peut se manifester que dans une série de positions qui sont l’antithèse des positions défendues par

l’opportunisme stalinien. Ces positions sont les suivantes :

1.        Rejetde la perspective selon laquelle, après la défaite de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon, se serait ouverte une phase de retour à la démocratie. AFFIRMATION, au contraire, du fait que la fin de la guerre entraîne une transformation des gouvernements des Etats vainqueurs dans un sens fasciste, avec des méthodes fascistes. REFUS de présenter comme revendication propre à la classe ouvrière le retour aux illusions démocratiques.

2.        DECLARATION SELON LAQUELLE LE REGIME RUSSE ACTUEL A PERDU TOUT CARACTERE PROLETARIEN. Une involution progressive a conduit les formes économiques, sociales et politiques russes à reprendre des structures et un caractère bourgeois.

3.        REFUS de tout type de participation à la solidarité nationale des classes et des partis, sollicités hier pour combattre l’Axe et aujourd’hui pour reconstruire l’économie d’après guerre.

4.        REFUS DE LA MAN’UVRE ET DE LA TACTIQUE DE FRONT UNIQUE, c’est à dire, sortir de la coalition gouvernementale pour passer à une opposition d’unité prolétarienne.

5.        LUTTE CONTRE TOUTE MOBILISATION DE LA CLASSE OUVRIERE DANS LES FRONTS PATRIOTIQUES, qui conduit à une nouvelle guerre impérialiste, que ce soit pour soutenir le camp russe ou que ce soit pour soutenir le camp anglo-saxon.

1947

Janvier

La direction du PCI se transforme en un triumvirat : Togliatti, Secchia, Longo.

Mai

Formation d’un gouvernement sans ministre communiste. Fin du tripartisme et début de quarante années de gouvernement monocolore DC.

Le PCInt analyse la crise gouvernementale qui a délogé les parti de gauche du gouvernement comme une conséquence du renforcement de l’appareil d’Etat dans les mains de la bourgeoisie et comme un reflet du duel USA/URSS.

Novembre

Article dans Battaglia Comunista qui fait litière des accusations de trahisons portées contre Togliatti : «Nous, nous ne croyons pas que Togliatti ait commis des erreurs, il a indiqué à son parti la seule politique qu’il pouvait suivre, et le parti non plus n’a pas failli. Pour un parti révolutionnaire, l’objectif est la prise du pouvoir mais, étant donné que le PCI n’est pas un parti révolutionnaire, on ne peut pas l’accuser de ne pas avoir poursuivi de tels objectifs. Pour un parti de la gauche bourgeoise, comme le PCI, avec une idéologie et un programme démocratiques progressistes, l’objectif est la conquête démocratique du pouvoir et cela étant l’objectif, le PCI n’a pas failli. Au passif de sa politique, et à celui de Togliatti, il y a le fait d’être parvenu à entrer au gouvernement, si, pris dans l’illusion d’avoir pris le pouvoir sans se rendre compte que, de cette façon, ils avaient fondé les prémisses de leur éloignement de ce même gouvernement. Le PCI n’a jamais compris la différence entre le gouvernement et le pouvoir effectif, trompant les masses avec le langage d’un pouvoir inexistant.».

A cette époque, nombreux étaient les militants qui se rendaient compte que quelque chose n’allait pas dans le PCI, mais ils préféraient continuer à se tromper dans le parti que de ne pas se tromper en dehors du parti.

Mais, d’autre part, le PCInt ne se faisait aucune illusion sur l’opposition surgie au sein du parti et dirigée par Terracini, et qu’il qualifiait comme une lutte purement personnelle pour prendre la place de Togliatti à la direction du PCI.

1948

Janvier

Entrée en vigueur de la constitution, signée par Terracini, De Gasperi et De Nicola. Le IVème Congrès du PCI déclare 2 300 000 adhérents.

Le PCInt comptait environ 15 mille militants.

Avril

Damen défend la participation aux élections. Les élections (le 18) mettent fin aux illusions sur la conquête pacifique du pouvoir.

6 au 9 mai

Premier Congrès national du PCInt à Florence. Début de la division du parti en deux groupes dirigés l’un par Bruno Maffi et Ottorino Perrone (influencés par Bordiga), l’autre par Onorato Damen. Damen concevait le parti comme éducateur et conscience de la classe. Maffi proposait au parti l’abandon de toute illusion de parvenir à influencer le prolétariat de quelle que façon. LA SEULE MISSION QUE LE PARTI PUISSE REALISER EST :

1. Formation des cadres

2. Promouvoir l’analyse marxiste de la réalité sociale et historique

3. Intervenir dans les luttes pour clarifier la conscience et les objectifs de la classe.

4. Rien ne justifie la participation aux élections.

Perrone, reprenant les analyses de Bordiga en 1921-1922 sur le parti et dans les Thèses de Rome (1922) affirme que le parti ne peut pas influer sur le cours HISTORIQUE DANS UNE SITUATION CONTRE REVOLUTIONNAIRE, et l’intervention dans les luttes immédiates n’est pas la mission du parti. Damen voyait dans les interventions de Maffi et Perrone l’influence de Bordiga et résumait les positions de celui-ci de la façon suivante : le prolétariat est inexistant comme classe et donc il ne peut pas exister de parti révolutionnaire.

La scission était inévitable, mais elle ne se produisit pas avant 1952.

Juillet

Attentat contre Togliatti. Grèves et climat insurrectionnel.

Juillet- décembre

Violente répression des luttes sociales. Perte d’influence définitive du mouvement des partisans et des Conseils de gestion. Renforcement de l’appareil d’Etat. Polarisation USA-URSS.

Janvier 1949 à mai 1955

Parution d’une série d’articles intitulés ‘Sul filo del tempo’ (sur le fil du temps) écrits par Amadeo Bordiga, qui appliquent l’analyse marxiste à la réalité sociale et historique. Les articles se caractérisent pour être divisés en au moins deux parties fixes intitulées ‘Hier’ et ‘Aujourd’hui’, qui analysent le thème, objet de l’article, dans le passé et dans l’actualité, soulignant toujours l’immuabilité («invariance») de la théorie et de l’analyse marxiste.

1949 – 1966

Mars

Adhésion de l’Italie à l’OTAN

1950

Juin

Début de la guerre de Corée.

1951

janvier

Bruno Maffi remplace Onorato Damen à la direction de Battaglia Comunista.

Février

Circulaire du PCInt qui centralise l’organisation autour de Bruno Maffi.

Mars

Grève générale contre la hausse des tarifs des transports à Barcelone. Damen et Bottaioli sortent d’un Comité Exécutif dans lequel ils sont minoritaires.

Lettre de Damen à Bordiga (14/3/51) dans laquelle il expose les divergences au sein du PCInt.

1952

Début du boom économique de reconstruction d’après guerre.

Crise généralisée dans tous les groupes révolutionnaires.

Dissolution de la Fraction Française (prédécesseur du CCI) qui annonce l’éclatement d’une nouvelle guerre mondiale en Corée et opte pour la sauvegarde des cadres et la dissolution ; détention à Barcelone du Groupe communiste internationaliste (Munis); rupture dans la IVe internationale, apparition du pablisme.

Septembre

Réunion de Milan du PCInt. THESES DE BORDIGA SUR L’«INVARIANCE» DU MARXISME. On utilise l’expression «marxisme» non pas pour se référer à la doctrine de l’individu Karl Marx, mais pour se référer à la doctrine qui surgit avec le prolétariat industriel moderne et qui l’accompagne pendant toute son existence, jusqu’à sa disparition comme classe dans la révolution communiste. Il y a trois groupes d’adversaires du marxisme :

a) les NEGATEURS (bourgeois) qui affirment le caractère ETERNEL du capitalisme et défendent l’économie libérale et la démocratie politique.

b) les falsificateurs (staliniens, syndicalistes et gauchistes) qui disent accepter la doctrine économique et historique marxistes, comme la lutte de classes, EN THEORIE, mais qui, DANS LA PRATIQUE (y compris dans les pays industrialisés) appliquent des revendications non révolutionnaires, de caractère démocratique et réformiste, pour l’amélioration et la préservation du système capitaliste.

c) LES RENOVATEURS qui se déclarent marxistes et révolutionnaires mais qui attribuent l’actuel abandon de la révolution par le prolétariat à des défauts ou des imperfections de la théorie marxiste, qui doit être actualisée et révisée. L’histoire du marxisme consiste en une résistance aux diverses vagues du révisionnisme qui ont attaqué la formation organique et monolithique que marxisme depuis 1848 à nos jours. Le marxisme n’est pas une théorie en élaboration continue et il ne se modifie pas au fil des événements historiques.

Si l’on accepte que l’idéologie de classe est une superstructure du mode de production, on ne peut pas admettre que cette idéologie se forme graduellement, avec des grains de sable accumulés au cours des années, mais qu’il surgit dès le premier affrontement violent, défini et déclaré de la lutte de classes (depuis 1848 avec le Manifeste), et il est valide jusqu’au triomphe et à la disparition du prolétariat.

Le marxisme ne cherche pas la «vérité absolue», mais il voit dans la doctrine une arme de combat. Et, au milieu de la bataille, on n’abandonne pas l’arme, parce que l’on combat avec elle. Une nouvelle doctrine ne peut pas surgir en un moment quelconque de l’histoire. Pour le prolétariat moderne cela se situe au milieu du XIXe siècle. Le marxisme surgit donc avec tous les éléments fondamentaux qui lui sont nécessaires pour se former, et seul le déroulement des siècles pourra confirmer sa validité, à travers des luttes acharnées.

LE MARXISME EST TOTALEMENT VALIDE OU TOTALEMENT OBSOLETE. Remplacer des parties, des articles ou des chapitres du corpus du marxisme l’affaiblit plus que ne le font ceux qui le renient complètement.

Quand la lutte de classes se revitalise, la théorie revient, avec des affirmations mémorables, à ses origines et à son expression première ; assez de se rappeler de la Commune de Paris, de la révolution bolchévik ou des débuts de la Troisième Internationale.

Nous sommes dans un moment de dépression maximale du potentiel révolutionnaire. La période de contre révolution couvre une période supérieure à celle d’une génération et on peut, peut-être, parler d’une rupture de la continuité de la tradition marxiste. Etant donnée la situation défavorable actuelle, il est logique que ce ne soient que des petits groupes  qui maintiennent et défendent le fil conducteur du cours révolutionnaire, à condition que de tels groupes ne CHERCHENT PAS A AJOUTER QUELQUE CHOSE D’ORIGINAL ET QU’ILS DEMEURENT ETROITEMENT FIDELES  aux formulations traditionnelles du marxisme.

[COMMENTAIRE : l’«invariance» n’exclut pas l’innovation, comprise comme l’application de l’analyse marxiste aux nouvelles situations sociales et historiques, non plus que la restauration, comprise comme défense de la théorie marxiste face aux attaques révisionnistes. Par exemple : les analyses de Lénine sur l’impérialisme ou celles de Bordiga sur le stalinisme et l’économie soviétique.]

Octobre

Il programma comunista n° 1, organe du Partito comunista internazional, dirigé par Bruno Maffi.

La scission du Parti communiste international en deux groupes est consommée. Le groupe Battaglia comunista dirigé par Damen et le groupe «Il programma comunista» dirigé par Maffi et Bordiga.

1948 / 1952

A la base de le scission du PCint, il y a la conception de Bordiga sur la fonction du parti dans une situation défavorable : la tâche du parti ne peut pas être autre chose que LA RESTAURATION PROGRAMMATIQUE ET LA DEFENSE DU MARXISME CONTRE LES ATTAQUES REVISIONNISTES. Dans cette phase, le parti ne peut être que très minoritaire. On en arrive à exalter ce minoritarisme, auquel est confronté la scission, avec la formule fameuse de Lénine : «Mieux vaut moins mais mieux». Selon Bordiga, le pire danger qui menace le parti et sa mission de restauration programmatique est l’activisme et l’immédiatisme.

1953

Reparution de Battaglia comunista, organe du Partito comunista internazionale, dirigé par Onorato Damen (Damen avait obtenu, grâce aux tribunaux, la propriété du périodique).

1946 / 1957

Divers articles, livres et réunions du PCInt consacrés à l’analyse de l’économie soviétique. Bordiga applique les catégories économiques utilisées par Marx dans Le Capital à l’étude du système économique russe. Bordiga ne définit pas le système russe comme un capitalisme d’Etat, bien que, dans certaines occasions il utilise ces termes. Le stalinisme, c’est à dire la théorie du socialisme en un seul pays, depuis 1926, est l’expression de la contre-révolution. Bordiga constate l’existence, en URSS, de la valeur, du salaire, de la plus-value, du marché, du capital. Il ne définit pas la bureaucratie comme une nouvelle classe mais comme un instrument de domination.

Le capitalisme est un processus social dans lequel la dépersonnalisation est déjà implicite dans le processus d’accumulation du capital. Le système économique soviétique est défini comme capitaliste. Les grands traits et les caractéristiques qui le différencient peuvent se constater dans le retard industriel russe et le manque de compétitivité de la planification étatique par rapport au capitalisme occidental. Il définit le socialisme non comme l’édification d’un nouveau système économique et social, mais comme le démantèlement effectif des catégories économiques capitalistes : valeur, salaire,  capital, marchandise, etc.

1951 / 1966

Réunions du PCInt. Bordiga est généralement L’AUTEUR ET L’ANIMATEUR des thèmes abordés dans les réunions annuelles du parti et, la plupart du temps, il est aussi le rédacteur des du contenu des publications du parti.

1956 / 1969

Bordiga, qui professionnellement est ingénieur et architecte, est expert en calculs de probabilités et en statistiques. Il a étudié pendant des décennies l’oeuvre de Marx. Il est, avec Rubin, Rosdolsky et Rubel (comme en témoignent les commentaires aux textes de Marx encore inédits en Italie : les Grundrisse ou le Vie chapitre inédit du Capital) un des meilleurs experts contemporains de Marx.

1957 / 1958

A partir des données économiques fournies par la revue nord-américaine FORTUNE, Bordiga calcule le taux de plus-value des principaux pays industrialisés. Appliquant la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, découverte par Marx, Bordiga prévoit le début d’une crise économique cyclique du capitalisme en 1975.

1958 / 1959

Articles sur la conquête russe de l’espace : plus les soviétiques s’approchent de la lune, plus ils sont loin d’atteindre le socialisme.

1964

Scission du groupe «Rivoluzione comunista».

1965

Dans «Considérations sur l’activité organique du parti quand la situation est défavorable», Bordiga établit une différenciation, dont il affirme qu’elle était déjà dans Marx, entre PARTI HISTORIQUE ET PARTI FORMEL.

Le parti historique ne se formalise qu’épisodiquement, dans les phases historiques brèves. Le parti historique exprime la continuité du programme communiste. Dans les situations défavorables, le parti historique disparaît comme parti formel et se réduit à une petite minorité qui continue à défendre le programme communiste. L’ORGANISATION DU PROLETARIAT N’EST PAS PERMANENTE. Le parti historique traverse de longues périodes pendant lesquelles son influence sur la classe est nulle. En conséquence, dans les périodes contre-révolutionnaires, l’activité des communistes se concentre quasi

exclusivement dans le travail théorique. Ils ne peuvent utiliser que l’arme de la critique. Est-ce que cela suppose un divorce entre la théorie et la pratique. Non. Sans théorie révolutionnaire, il n’y a pas de révolution. La théorie est indispensable pour l’action, même si entre l’une et l’autre il peut y avoir un intervalle de plusieurs décennies. Rien n’est plus étranger au déterminisme marxiste que l’activisme volontariste ou l’immédiatisme. Dans la mesure où la théorie communiste est une théorie pratique, elle est un programme révolutionnaire communiste. Il ne s’agit pas seulement de comprendre le monde, il s’agit aussi de le transformer. Le parti communiste, avant d’être facteur de l’histoire, est un produit de

l’histoire. Il est le résultat de longues périodes de luttes prolétariennes sur le terrain immédiat et sur le terrain politique. En premier lieu naît le parti historique, c’est à dire le programme communiste, puis apparaît le parti formel, c’est à dire l’organisation de militants qui se proposent de réaliser ce programme et cette théorie.

1966

Sortie de Camatte et Dangeville qui forment les groupes «Invariance» et «Le fil du temps». Une grave maladie interdit à Bordiga un militantisme pleinement actif.

1968

Le PCInt s’intéresse à peine au Mai français, si ce n’est pour le qualifier de lutte étudiante, étrangère au prolétariat, propre aux classes moyennes en processus de prolétarisation.

1970

Mars-juin

Bordiga accorde la première et seule interview de sa vie à quelques journalistes qui préparent une émission pour la RAI. Il intervient dans une émission télévisée sur les origines du fascisme : «Nascità di una dittatura».

Juillet

Bordiga s’éteint à Formia

Agustín Guillamón

 BordigaHumanit9021923

Alexandra Kollontai – A Biography (Cathy Porter, 1980)

1 août 2013

Une biographie en anglais d’Alexandra Kollontaï disponible ici au format pdf:

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Cliquer sur l’image de couverture pour accéder au pdf

Biographie d’Ante Ciliga

25 février 2013

Philippe Bourrinet vient de republier sa biographie d’Ante Ciliga (1898-1992), largement corrigée et augmentée.

ciliga

cliquer sur l’image pour ouvrir le pdf externe (43 pages)

Autobiographie d’Alexandre Bogdanov

10 janvier 2013

Notice extraite de l’encyclopédie Granat (Moscou, 1927), traduite une première fois dans Les bolcheviks par eux-mêmes (Haupt & Marie, 1969) puis dans La science, l’art et la classe ouvrière (Bogdanov, 1977).

Alexandre Alexandrovitch Bogdanov (Malinovski) (autobiographie)

Je suis né le 10 août 1873, le second de six enfants. Mon père, d’abord maître d’école, devint rapidement instituteur-inspecteur de l’école de la ville. Grâce à quoi, dès l’âge de 6 ou 7 ans, je pus avoir accès à la bibliothèque de l’établissement et ensuite à son petit cabinet de physique. J’étudiais au lycée de Toula. Boursier et interne, je vivais dans des conditions qui ressemblaient fort à celles des prisons et des casernes. C’est là que l’expérience de la méchanceté et de la stupidité de la direction me poussa à combattre et à haïr les détenteurs du pouvoir et à nier l’autorité. Mes études terminées avec la médaille d’or, j’entrai à l’université de Moscou pour y étudier les sciences naturelles. je fus arrêté en décembre 1894 comme membre du Comité d’union des « amicales » et déporté à Toula, où l’ouvrier armurier I.I. Savelevitch m’entraîna dans les cercles clandestins comme propagandiste. V. Bazarov et I. Stépanov m’y rejoignirent bientôt. En 1896, je passai des idées populistes du mouvement « Narodnaïa Volia » à celles des Social-Démocrates et, à partir des conférences faites dans les cercles  j’écrivis le Manuel abrégé de science économique. Ce livre fut publié sous une forme mutilée par la censure à la fin de 1897. Lénine le salua chaleureusement dans son compte rendu dans Mir Boji, 1898, numéro 4.

Je passai une partie de l’automne 1895 à Kharkov comme étudiant à la Faculté de médecine. J’y fréquentai les cercles de l’intelligentsia social-démocrate, dirigés par Revanine. Je m’en séparai cependant pour une question concernant la morale à laquelle ils donnaient une signification indépendante. En 1898, désirant donner une réponse aux nombreuses questions de nos travailleurs sur la conception générale du monde, j’écrivis mon premier livre philosophique Eléments fondamentaux d’une vision historique de la nature. En automne 1899 je terminai l’université. Ensuite, je fus arrêté pour mes activités de propagandiste. Six mois de prison à Moscou, déportation à Kalouga, puis trois ans à Vologda. J’écrivais et j’étudiais beaucoup. En 1902, je préparai et je rédigeai un recueil contre les idéalistes, Étude sur la conception du monde réaliste. Je fus six mois médecin dans un hôpital psychiatrique. A partir de fin 1903, je rédigeai la revue marxiste Pravda, publié à Moscou.

En automne 1903, j’adhérai au bolchévisme. Après ma période d’exil, au printemps de 1904, je pars rejoindre Lénine en Suisse. A la réunion des 22, je suis élu au buireau des comité de la majorité, le premier centre bolchevik. A peu près à la même époque, je suis exclu pour la première fois du « marxisme » par l’Iskra menchevique (un des articles d’« Orthodoxe » m’accusant d’idéalisme philosophique dans le numéro 70). A l’automne, je rentre en Russie etr à partir de décembre 1904, je travaille à Pétersbourg au bureau des comités de la majorité et au comité local. je prépare les tracts sur l’insurrection armée et sur la convocation du congrès du parti, ainsi que la plus grande partie des autres tracts du bureau. Au printemps de 1905 se tient le congrès de Londres, III° congrès d’orientation bolchevik. Je rapporte sur les problèmes de la « révolte armée » et les questions d’organisation. Je suis élu au premier comité central bolchevik. Je retourne travailler à Pétersbourg à la rédaction du journal bolchevik Novaia Jizn. Je représente le C.C. au soviet des députés ouvriers, et c’est là que je suis arrêté le 2 décembre 1905. Je suis libéré sous caution en mai et retrouve le C.C. sous l’influence des mencheviks.

Exilé à l’étranger, je rentre clandestinement en Russie et vis à Kuokkala, avec Lénine. Je collabore à divers organes bolcheviks et travaille aussi dans les fractions social-démocrates des 1°, 2° et 3° Douma. Je suis d’abord pour le boycottage de la 3° Douma, mais, après la décision prise par la Conférence du parti de ne pas la boycotter, je dirige dans Vperiod, journal clandestin des ouvriers dont je suis le rédacteur en chef, la campagne électorale.

Je suis envoyé à l’étranger à la fin de 1907 pour diriger avec Lénine et Innokenti le Proletarii, organe bolchevik. Au cours de l’été 1909, je suis, avec Krassine, écarté du centre bolchevik comme bolchevik de gauche. Je suis également écarté du C.C. du parti en janvier 1910, lors de l’union des fractions menchevik et bolchevik. Je prends part à l’organisation des deux premières écoles du parti destinées aux ouvriers. L’une à Capri, à l’automne de 1910, l’autre à Bologne. C’est en décembre 1909 que je présente la plate-forme du groupe bolchevik, qui prend le nom de Groupe littéraire Vperiod. Cette plate-forme,  » Position actuelle et tâches du parti « , formule pour la première fois le mot d’ordre de culture prolétarienne. J’abandonne le groupe  » Vperiod  » au printemps de 1911 lorsqu’il quitte le terrain de la propagande culturelle pour celui de la politique. Jusqu’à la révolution, j’écris seulement des articles de propagande dans la Pravda et autres organes ouvriers.

Je reviens en Russie en 1914 et suis envoyé sur le front comme médecin. J’y écris des articles de propagande. Dans l’un d’eux, en janvier 1918, je fais le « diagnostic » du communisme de guerre.  Je me consacre ensuite totalement au travail scientifique et culturel dans le « Proletkult » (culture prolétarienne) à l’université populaire, etc. En automne 1921, j’abandonnai mes activités au « Proletkult » et m’adonnais définitivement à mon travail scientifique. Depuis 1918, je suis membre de l’Académie communiste (anciennement socialiste).

Mes principaux écrits :

1. Concernant l’économie politique. — Manuel abrégé de science économique, le premier manuel écrit d’un point de vue historique (les dernières éditions ont été revues et augmentées en collaboration avec Dvolaitski) ; a été traduit en anglais et en d’autres langues. Cours initial d’économie politique sous forme de questions et de réponse; le grand cours d’économie politique: Cours d’économie politique, ayant comme co-auteur I.I. Stepanov. L’étude « L’Échange et la technique », écrite en 1903, et parue dans le recueil Essais sur la conception réaliste du monde, première tentative de prouver la théorie de la valeur du travail en la fondant sur le principe de l’équilibre.

2. Concernant le matérialisme historique. — La science de la conscience sociale est un exposé historique du développement de l’idéologie, notamment les formes de la pensée, en expliquant leur genèse à partir des rapports de production (le livre a été traduit en allemand) ; De la psychologie de la société est un recueil d’articles des années 1902-1906 ; « Les principes organisationnels de la technique sociale et l’économie » (dans Vestnik Sotsialistitcheskoï Akademii, 1923, n° 4) est une explication des formes de la coopération à travers les rapports techniques.

3. Concernant la philosophie. — Les volumes I-III de L’empiriomonisme, 1903-1907, donnent une image du monde du point de vue organisationnel, c’est-à-dire en tant que processus de formation, de lutte et d’action réciproque des complexes et des systèmes de différents types et des diverses étapes de l’organisation. La philosophie de l’expérience vivante, 1911, est un aperçu du développement des divers systèmes réalistes dans la philosophie, jusqu’à l’empiriomonisme. Du monisme religieux au monisme scientifique est un exposé des raisons qui fondent le monisme scientifique, qui élimine la philosophie en général (l’exposé était annexé à la 3e édition de la Philosophie de l’expérience vivante).

4. Concernant la science de l’organisation. — La science générale de l’organisation: la tectologie, volumes I-III parus en 1913-1922, est le développement de la science générale des formes et des lois de l’organisation de toutes sortes d’éléments de la nature, de la pratique et de la pensée (la première partie vient de paraître en Allemagne) ; « Les principes du plan économique unifié », dans la revue Vestnik Trouda, 1921, n° 4-6, ainsi que « Le travail et les besoins du travailleur », dans la revue Molodaïa Gvardia, 1922, n° 3, sont l’application des lois d’organisation à la solution des problèmes d’ordre économique. « La compréhension objective du principe de la relativité », paru dans Vestnik Kommunistitcheskdi Akademii, 1924, n° 8.

5. Concernant la culture prolétarienne. — Le monde nouveau, articles des années 1904-1906, est un essai de vulgarisation des caractéristiques du type supérieur de la vie culturelle ; Les tâches culturelles de notre temps, en 1911, développe le programme de la culture prolétarienne ; L’art et la classe ouvrière (traduit en Allemagne) ; Le socialisme et la science : les buts scientifiques du prolétariat, études sur la science prolétarienne (traduit partiellement en Allemagne) ; Les éléments de la culture prolétarienne dans le développement de la classe ouvrière est une analyse historique de la genèse de la culture prolétarienne. Sur la culture prolétarienne est un recueil d’articles des années 1904-1924. Ajoutons, sur ce thème, les deux romans: L’Étoile rouge, 1907 (utopie traduite en français, allemand, etc.); L’ingénieur Menni, roman fantastique, 1912, donnant un tableau du heurt entre la culture prolétarienne et la culture bourgeoise.

J’ai encore publié plusieurs autres ouvrages, des dizaines d’études, des brochures et des conférences et un grand nombre d’articles dans les journaux et de tracts, notamment du genre propagandiste.

Voir aussi:

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L’Ere du capital commercial (Bogdanov et Stepanov, 1926)

La vie héroïque de Rosa Luxemburg (Berthe Fouchère, 1948)

26 décembre 2012

(Nous avons réorthographié Luxembourg en Luxemburg).

Rosa Luxemburg est née à Zamosc, le 5 mars 1870, d’une famille juive polonaise. Elle était la plus jeune de cinq enfants. Une déformation de la hanche dégénéra en tuberculose osseuse et la retint toute une année au lit. Toute sa famille la chérissait, et non seulement à cause de son infirmité, mais parce qu’elle était enjouée, rieuse et affectueuse. A cinq ans elle savait lire et écrire et adressait déjà des essais littéraires à un journal d’enfant. Des dispositions pédagogiques se faisaient également jour en elle et elle jouait à l’institutrice avec les bonnes de la maison. L’enfant prodige faisait la joie et l’admiration de son père. Elle avait trois ans lorsque sa famille partit pour Varsovie. Le père voulait donner à ses enfants une solide culture qu’ils ne pouvaient acquérir à Zamosc. Mais dans la Pologne opprimée, le régime scolaire était soumis à des restrictions dont rapidement la jeune Rosa ressentit profondément l’injustice. Dans le lycée qu’elle fréquenta, les juifs n’étaient pas admis; quelques exceptions seulement étaient faites en faveur des juives. L’emploi de la langue polonaise y était interdit. Et Rosa, qui avait appris dans sa famille la haine de l’absolutisme russe, fut naturellement acquise au mouvement d’opposition universitaire. Elle fut même à la pointe de ce mouvement. Et dans ses dernières années d’étude à Varsovie, il est à peu près certain qu’elle fut en liaison avec le mouvement révolutionnaire organisé. La médaille d’or, qui devait lui être attribuée à sa sortie du lycée, en récompense de ses excellentes études, lui fut refusée à cause de son « attitude d’opposition aux autorités ». Aussitôt après avoir quitté le lycée, en 1887, — elle avait dix-sept ans — elle entrait au parti socialiste révolutionnaire, et collaborait avec le chef du groupe de Varsovie, l’ouvrier Martin Kasprzak. En 1889, elle quitta la Pologne. La police avait découvert son activité dans les cercles révolutionnaires. Et il pouvait en résulter pour elle la prison et même la déportation en Sibérie. Elle était évidemment prête à accepter toutes les conséquences de son activité révolutionnaire. Mais ses amis insistèrent pour qu’elle partît continuer ses études à l’étranger d’où elle pourrait servir utilement le mouvement. Martin Kasprzak organisa sa fuite. Elle passa la frontière russo-allemande dans une voiture de paysan remplie de paille. Sans difficulté, elle arriva à Zurich.

ÉTUDES EN SUISSE

Zurich était le lieu de rassemblement de l’émigration russe et polonaise: son université, une école supérieure pour les jeunes révolutionnaires. Là, des jeunes gens et des jeunes filles, qui avaient déjà connu la prison tsariste et les persécutions, vivaient ensemble en colonie.

De mœurs très pures, enthousiastes, désintéressés, profondément idéalistes, ils consacraient à leurs loisirs, à la politique et à la philosophie. C’étaient, entre eux, des discussions animées et interminables sur le darwinisme, sur l’émancipation de la femme, sur Marx. Tolstoï, Bakounine, Blanqui, sur les méthodes de la lutte de classes, la chute de Bismarck, la libération de la Pologne, les luttes de la social-démocratie allemande,

Rosa Luxemburg riait un peu de ces discussions qui ne conduisaient à aucun travail effectif. Elle avait soif d’action, et se préparait à prendre une part active aux luttes sociales. Elle avait pris pension dans la famille de l’écrivain socialiste allemand Lübeck qu’elle aidait parfois dans ses travaux littéraires. A l’université, elle étudia l’histoire naturelle. C’était plus que de l’intérêt, mais une vraie passion que suscitait en elle le monde des oiseaux et des plantes qui resta dans sa vie agitée et tourmentée l’oasis où, pendant les heures sombres de la prison, sa pensée aima se réfugier. Mais la politique restait sa préoccupation dominante et elle se mit à étudier avec ardeur l’économie politique. Elle se pencha en particulier sur les classiques, Smith, Ricardo, Marx. Le titulaire de la chaire d’économie politique, Wolf, était le type accompli du professeur. Érudit, éclectique, consciencieux, mais timoré, il ne s’éleva jamais à des vues générales sur le monde. Rosa, qui, aspirait à la synthèse et à l’unité, se plaignait « qu’il déchiquetât en lambeaux la substance vivante de la réalité sociale ». Après chacun de ses cours, elle critiquait son point de vue étroit et « bureaucratique ». Point par point, elle en démontrait l’insuffisance. Ce qui n’empêcha pas le professeur Wolf, dans une autobiographie, écrite plus tard, d’évoquer avec une grande impartialité l’étonnante personnalité de celle qui fut sa meilleure élève.

A côté de sa vie d’étudiante, elle mena une vie ardente de militante dans le mouvement ouvrier de Zurich. Elle était en liaison avec les marxistes russes, Paul Axelrod, Véra Sassulitsch et Georges Plékhanov qu’elle admirait profondément. Ce fut Léo Jogisches qui eut la plus grande influence sur son développement intellectuel et son évolution politique. On sait le rôle de premier plan joué par cet homme extraordinairement intelligent, dans le mouvement polonais et dans le mouvement russe, et qui fut, finalement, à la pointe du mouvement spartakiste allemand. C’est lui qui fonda le mouvement ouvrier à Wilna d’où sont sortis de nombreux chefs socialistes, parmi lesquels Charles Rappoport, théoricien socialiste apprécié. Il créa également des cercles d’officiers afin de gagner les militaires au mouvement révolutionnaire. Il fut arrêté en 1889 et enfermé dans la forteresse de Wilna. Dès qu’il eut recouvré la liberté, il s’enfuit en Suisse. Il entra immédiatement en relations avec Rosa Luxemburg, et entre ces deux êtres d’élite, il se noua une amitié qui ne s’arrêtera jamais. Lorsqu’ils se rencontrèrent, une révision des bases théoriques et des méthodes d’action socialistes s’imposait. L’Internationale socialiste se trouvait au seuil d’une phase nouvelle de développement. Le mouvement polonais était entré, lui aussi, dans une période de crise. En 1882, les divers cercles et les comités ouvriers s’étaient groupés pour former le parti prolétariat socialiste-révolutionnaire qui se lia avec le « Narodnaja Wolja » de de Saint-Pétersbourg, mouvement d’intellectuels, sans liaison avec les masses ouvrières, sans perspectives, sans programme précis, mais dont les méthodes terroristes étaient profondément inefficaces et dangereuses. Le parti « Prolétariat » finit par rompre avec la « Narodnaja Wolja » et il fut réorganisé en 1888. Au congrès international de Zurich, en 1893, Rosa Luxemburg précisa dans un rapport, les conditions d’une tactique marxiste du mouvement socialiste polonais, qui devait répudier et l’anarchisme et le réformisme. Ce sont les masses elles-mêmes qui doivent mener leur propre combat. Et « un parti socialiste qui s’appuie sur les masses, doit défendre, certes, leurs conditions d’existence, mais il ne doit pas perdre de vue dans la lutte quotidienne, le but révolutionnaire à atteindre. Les réformes ne sont que des étapes et des points d’appui dans la voie qui conduit à la révolution sociale, c’est-à-dire d’abord, à la conquête politique de l’Etat. »

A ce congrès international de Zurich, se posa aussi avec force, le problème de l’attitude du mouvement socialiste polonais dans la question nationale. La Pologne, on le sait, était sous le joug russe. Et la bourgeoisie polonaise dont l’existence était liée à l’important développement du capitalisme sous le tsarisme, considérait que l’indépendance nationale de la Pologne était son propre arrêt de mort. Quelle devait être, alors, l’attitude de la classe ouvrière ? Avec Marx et Engels, Rosa Luxemburg pensait qu’aucune nation ne pouvait être vraiment libre dans ses institutions si elle était opprimée par une autre nation. Mais elle pensait aussi que l’indépendance polonaise était subordonnée à l’instauration d’une république démocratique en Russie. Le premier but à atteindre était donc la chute de l’absolutisme russe. Et à l’union de la bourgeoisie polonaise avec le tsarisme, devait correspondre l’union du prolétariat polonais et du prolétariat russe. Cette stratégie politique fut admise plus tard par les théoriciens marxistes les plus éminents.

EN ALLEMAGNE, DANS LA LUTTE

APRÈS avoir vécu quelques mois en France où elle se lia avec les chefs du mouvement ouvrier ; Jules Guesde, Vaillant, Allemane, elle se rendit en 1897, en Allemagne qui était alors le foyer du mouvement ouvrier international, le centre de gravité de la politique mondiale, le pays où l’intérêt pour les problèmes théoriques et pratiques du socialisme était le plus vif. Un mariage blanc avec Gustave Lubeck, le fils de son vieil ami, lui fit acquérir la nationalité allemande. Alors, commença pour elle une vie tourmentée et agitée, la mieux remplie et la plus bouleversante, la plus riche, la plus variée qui se pût imaginer : l’action militante de propagande, d’éducation et d’agitation, les discours, les articles de journaux et de revues, les ouvrages d’économie politique et de politique marxiste dont plusieurs furent écrits en prison, la participation active à la vie du socialisme international et à tous les mouvements révolutionnaires dans le monde, les persécutions, la prison: c’est de tout cela que fut faite son existence.

En peu de temps, elle acquit une place importante dans les cadres de la social-démocratie allemande. Avec Kautsky, le « pape du marxisme », elle avait déjà correspondu ; elle pénétra vite dans l’intimité d’Auguste Bebel, de Paul Singer, de Franz Mehring, de Clara Zetkin, qui avait fondé l’internationale des femmes prolétariennes et dirigeait le journal féminin : « l’Egalité ». Elle collabora à la presse du parti où ses connaissances doctrinales et son tempérament combatif furent vivement appréciés. Elle exerça une influence notoire sur les principaux leaders du parti : Mehring modifia plus d’une fois son jugement politique après que Rosa Luxemburg eût exprimé son point de vue.

Elle poussa Kautsky à défendre dans l’arène politique les principes fondamentaux du parti. Son jugement politique était toujours très juste, et elle avait, pour déceler les perfidies et les arrière-pensées de l’adversaire, l’habileté et la perspicacité que ne possèdent habituellement que ceux qui ont déjà une longue expérience politique. Rosa ne faisait que débuter dans la vie militante, mais son intuition politique était remarquable. C’est à ce moment qu’elle prit contact avec les masses. Chacun de ses discours fut un triomphe. Cette petite femme si mince, si menue étonnait ses auditeurs par son talent, sa flamme, sa force de persuasion, la volonté indomptable qui émanait d’elle. Elle enflammait et elle convainquait.

A Berlin, elle donna une collaboration brillante à la revue économique : « Neue zeit ». Elle collabora également au journal socialiste de Leipzig auquel elle donna une orientation marxiste et dont elle créa la renommée dans toute la presse socialiste. C’est dans ce journal que fut publiée en 1898 et 1899, sous le titre : « Réforme sociale ou révolution », sa remarquable réponse à Bernstein, qui remettait en question dans un article de la « Neue Zeit » et dans son livre : « Les conditions du socialisme et les tâches de la social-démocratie », les principes fondamentaux du marxisme. La phrase fameuse de Bernstein : « Le but final n’est rien, c’est le mouvement qui est tout » avait été le signal d’une large controverse dans l’Internationale à laquelle participèrent tous les grands penseurs socialistes de l’époque: En Allemagne Parvus, Kautsky, Bebel, Clara Zetkin. En Russie Plékhanov. En Italie Labriola. En France Jules Guesde et Jean Jaurès. Rosa était à la tête des adversaires des révisionnistes. Elle était aussi la plus jeune, la plus ardente. Elle surpassa Kautsky, qui était depuis la mort d’Engels, la figure la plus autorisée, la plus représentative du mouvement ouvrier international. Par sa logique, sa dialectique, elle forçait l’admiration de ses adversaires. « Où les réformes, ou la révolution », disaient les réformistes. A la fois, les réformes et la révolution répondait Rosa Luxemburg. La lutte pour les réformes, c’est la lutte pour l’amélioration des conditions d’existence de la classe ouvrière, la protection du travail, l’élargissement des droits démocratiques à l’intérieur de l’État bourgeois, la lutte pour créer le climat favorable à l’organisation et à l’éducation de la classe ouvrière. »

Mais pour elle, ainsi qu’elle l’avait déjà affirmé au congrès de Zurich en 1893, la lutte quotidienne était liée au but final. Et l’objectif devait être la conquête de la puissance politique par le socialisme, Elle s’éleva avec force contre le parlementarisme, tel qu’à l’époque il était conçu par certains socialistes, avec toutes ses erreurs et ses illusions. Les élections au parlement, ne devaient être, selon elle, que l’occasion de développer la propagande socialiste et d’apprécier l’influence du socialisme sur les masses. Mais il fallait, d’un autre côté, éviter de tomber dans un abstentionnisme stérile et sectaire. C’est-à-dire que la social-démocratie, tout en demeurant un parti d’opposition, devait participer toutes les fois que cela était possible à une action législative positive et fonder sa force au parlement sur l’action des masses ouvrières. La conception réformiste de l’action socialiste au parlement triomphait en France: Millerand entrait en 1899 dans le cabinet Waldeck-Rousseau. Rosa critiqua vigoureusement cette participation qui, disait-elle, en substance, paralyse la classe ouvrière, la trouble, la déçoit, et risque de l’entraîner dans l’illusion d’un syndicalisme anarchiste négateur de l’efficacité de toute action politique, et prétendant suffire à tout.

Au Congrès international d’Amsterdam en 1904, il y eut entre elle et Jaurès une controverse particulièrement vive au sujet du ministérialisme et de la collaboration des classes. Cette controverse resta cependant très amicale, car Rosa Luxemburg admirait le prestigieux orateur, le penseur génial, l’humaniste émouvant qu’était Jaurès.

La révolution russe de 1905 créa un grand enthousiasme dans la classe ouvrière allemande. Rosa en analysa les péripéties et en tira les enseignements utiles pour la classe ouvrière allemande et l’internationale dans des meetings vibrants où elle s’efforçait d’éveiller le sentiment de la solidarité de classe dans la conscience ouvrière allemande.

L’HUMANITÉ DE ROSA.

LES caricaturistes de l’époque la représentaient comme une furie, une mégère excitée ; pour ses adversaires elle était « La sanguinaire Rosa ». Il n’y avait cependant pas de femme plus tendre, plus sensible, plus humaine. Elle adorait les enfants, elle aimait passionnément les fleurs, les plantes, les oiseaux, les bêtes qui lui inspirèrent des pages si touchantes. Un brin d’herbe qu’elle apercevait de la fenêtre étroite de sa prison, un chant d’oiseau la réjouissaient. Et ses lettres de prison révèlent la sensibilité la plus délicate, la plus raffinée, qui ait vibré dans un cœur humain. Elle possédait une âme d’artiste, aimait la musique et les poètes, elle chantait et peignait. « Dans toutes les merveilles de la nature, les œuvres de l’esprit humain, les trésors de la science, de la musique et de la poésie, elle jouissait de la vie universelle dont elles sont le rayonnement. »

Elle était indulgente pour les faiblesses des hommes. Mais elle exigeait de ses amis une loyauté absolue de caractère et de sentiments. Bebel, Mehring, Hans Diefenbach, Karl et Sonia Liebknecht, Karl et Louise Kautsky la chérissaient. « Les dons incomparables de son cœur et de son esprit, et sa volonté d’action unis dans l’harmonie la plus parfaite, faisaient d’elle une créature exceptionnelle comme le siècle n’en produisit pas de semblable. »

Elle avait, comme Victor Hugo, écrit son compagnon de lutte, Paul Frölich: « Dans sa tête, un orchestre Et dans l’âme, une lyre. » Son courage était indomptable. Elle domina le destin qui ne l’abattit jamais. Quand, enfermée dans une cellule humide et sombre, la maladie affaiblissait son corps, exaspérait ses nerfs, elle gardait son magnifique optimisme. « Dans la vie sociale, comme dans la vie privée écrivait-elle, il faut tout accepter de même, tranquillement, avec une âme élevée ; avec un sourire de douceur. » Et en effet, devant les plus dures épreuves, elle demeura stoïque. Sa volonté ne faiblit jamais. Elle conserva toujours cet équilibre, cette harmonie intérieure qui n’abandonnent pas les âmes fortes, les êtres d’élite qui ont l’habitude d’accomplir, dans n’importe quelle circonstance, tout leur devoir. Elle ne parlait pas de ses souffrances, mais elle se penchait sur celles des autres. Et aux heures les plus noires, elle trouvait encore le courage de réconforter ses amis inquiets sur son sort, ou atteints eux-mêmes par les événements. A Sonia Liebknecht l’épouse de Karl, jeune femme dont la vie s’écoulait dans les soucis, l’anxiété, le chagrin, elle écrivait : « Je ne songe pas à vous nourrir de jouissances esthétiques et de joies intellectuelles, je veux vous faire connaître toutes les vraies joies de l’esprit, mais je voudrais vous donner encore ma sérénité inébranlable afin d’être sûre que vous traverserez la vie drapée dans un manteau d’étoiles.»

En 1917, lorsque la Révolution russe éclata, elle était en prison. Après le premier mouvement d’enthousiasme que suscita en elle le grand phénomène historique qui était le triomphe de la politique qu’elle préconisait pour le socialisme, en cas de guerre, c’est encore à ses amis qu’elle pensa, à ses vieux amis qui à Saint-Pétersbourg, à Moscou ou à Riga étaient emprisonnés depuis de longues années. Elle écrivait à Diefenbach : «… Mes chances de liberté diminuent avec les événements révolutionnaires de Russie. Mais mes amis sont enfin libres : cela me remplit d’une joie sans mélange. »

Dans chaque lettre qu’elle recevait en prison, elle s’efforçait de deviner l’état d’âme de son correspondant, afin de pouvoir lui répondre le met qui console ou encourage. Sa pitié était sans bornes, sa bonté infinie. Ainsi, pendant la révolution allemande, elle recommandait à ses partisans « l’action révolutionnaire, la plus énergique, mais aussi la plus grande humanité. »

« Un monde doit être bouleversé, mais chaque larme qui aura coulé inutilement est une accusation, et l’homme pressé qui en courant vers sa tâche broie un pauvre vermisseau, commet un crime. »

« Son œuvre est une longue suite héroïques dirigés vers un seul et même but, a écrit d’elle Clara Zelkin. Ses vertus personnelles brillent et s’enflamment, elles réchauffent et rafraîchissent, engendrent la vie et apportent la mort, elles sont animées par une seule volonté, dirigées inébranlablement vers un seul et même but : éveiller chez les ouvriers la volonté de puissance et leur donner la capacité de mettre à exécution le verdict de l’Histoire: contre le capitalisme. »

Sa culture socialiste, son sens profond des réalités sociales, ses sentiments généreux en firent l’internationaliste la plus fervente, la plus convaincue de tous les socialistes du mouvement ouvrier mondial.

L’internationalisme demeure le leit-motiv de toute son activité socialiste « La fraternisation internationale des travailleurs est pour moi, écrivit-elle, ce qu’il y a au monde de plus sacré et de plus noble; cela est mon idéal, ma foi, ma patrie. J’aimerais mieux mourir que d’être infidèle à cet idéal. »

Le prolétariat international doit être un corps unique, agissant. Développer, renforcer son unité, ce fut un des objectifs les plus importants de sa vie.

Les socialistes de droite de la social-démocratie allemande attribuèrent souvent cette tendance aux origines juive de Rosa. Certes les persécutions que subirent les Juifs dans la Pologne opprimée, les pogroms russes que, pendant son enfance, elle avait entendu maudire dans la maison paternelle avaient contribué à faire naître dans son esprit la grande et généreuse idée d’une « patrie humaine ».

La patrie des prolétaires à laquelle la défense de toutes les autres est subordonnée est l’internationale socialiste ».

C’est pendant la guerre, quand l’internationale socialiste avait démissionné, que son internationalisme se manifesta avec le plus d’ardeur et de courage. En dépit de tous les dangers, avec une ténacité et une foi admirable, elle ne cessa de faire appel à la solidarité internationale des peuples.

« Allemagne, Allemagne au-dessus de tout, écrivait-elle en 1916. Vive la démocratie ! Vive le tsar et l’esclavagisme ! Des milliers de kilos de matières grasses et de café, à livrer immédiatement ! Les dividendes montent, et les prolétaires tombent. Et avec chacun d’eux, c’est un homme de l’avenir, un soldat de la révolution, un sauveur de la vraie civilisation, qui descend dans la tombe. La folie cessera, l’aventure sanglante prendra fin les travailleurs en Allemagne et en France, en Angleterre et en Russie sortant de leur inconscience, se tendent fraternellement la main, et au chœur barbare des hyènes impérialistes opposent le cri puissant de ralliement des travailleurs : Prolétaires de tous les pays unissez-vous. »

A cette parole de Marx Rosa est resté fidèle toute sa vie.

ROSA LUXEMBURG ET LÉNINE

La Révolution russe de 1905 avait été prévue par les marxistes russes. Elle était en marche depuis 1902. Rosa Luxemburg avait suivi avec passion tous les événements qui rendaient inévitable le soulèvement de la classe ouvrière. Elle avait pris parti dans les controverses entre Mencheviks et Bolcheviks ; sur certains points importants elle était en désaccord avec Lénine. Pour les Mencheviks, le gouvernement révolutionnaire après la chute du tsarisme ne pouvait être qu’un gouvernement bourgeois. Et ils s’en référaient pour justifier leur point de vue, à la résolution du congrès d’Amsterdam de 1904 qui condamnait le ministérialisme. l’exercice du pouvoir par les socialistes dans un état bourgeois. Lénine critiquait âprement la thèse mencheviste qu’il considérait comme utopique et réactionnaire. Et Rosa Luxemburg était d’accord avec lui. Mais ce qui séparait ces deux grands militants, c’étaient, examinés dans le cadre de la Russie de l’époque, le problème de la dictature et celui de l’action de la classe ouvrière au pouvoir. Lénine était pour une dictature révolutionnaire démocratique du prolétariat et des paysans. Rosa Luxemburg était pour la dictature révolutionnaire démocratique du prolétariat, appuyée sur la paysannerie. Quelle était sa thèse ? La social-démocratie russe devait rechercher l’alliance des paysans, appuyer sur eux son action, afin de renverser l’absolutisme. Mais seule, elle devait occuper le pouvoir, armer immédiatement les masses populaires révolutionnaires, instituer les milices ouvrières et prendre le plus rapidement possible des initiatives pour la transformation politique et économique de la société. Ensuite, organiser l’élection de la Constituante sur la base du suffrage universel. Pendant que le parlement préparait la constitution, le gouvernement révolutionnaire devait continuer à exercer la dictature, les masses devaient rester armées afin de barrer la route à la [contre-]révolution. Sans aucun doute, le moment arriverait où la classe ouvrière prendrait des mesures qui briseraient les cadres de l’ordre social bourgeois. Le gouvernement entrerait alors en conflit avec les « possibilités » sociales. Les autres forces sociales se dresseraient contre sa politique, et finalement, la contre-évolution l’emporterait. Mais vouloir éviter ce destin, c’était pour Rosa Luxemburg, renoncer à l’avance à une politique révolutionnaire. Elle savait que les conditions économiques et sociales où se trouvait la Russie en 190. ne permettaient pas à la classe ouvrière de conserver longtemps 1 pouvoir politique. Mais, d’autre part, elle était convaincue que la chute de l’absolutisme n’était possible que par la victoire politique du prolétariat , qui se servirait ensuite du pouvoir pour essayer de réaliser ses objectifs de classe. Pour Lénine, au contraire, l’action de la classe ouvrière au pouvoir après une révolution dont le but était la chute du despotisme, devait se limiter à l’obtention des réformes démocratiques possibles dan une société bourgeoise. Un autre problème quand l’imminence de la révolution russe le mit à l’ordre du jour, avait déjà opposé la grande révolutionnaire à Lénine : c’était « le problème de l’organisation de la social-démocratie russe ». Pour Lénine, la social-démocratie — parti à l’avant-garde du prolétariat — devait être fortement centralisée et hiérarchisée, avec des comités, des cellules, des « noyaux » chargés tous d’une mission révolutionnaire spéciale, et, à sa tête, un comité directeur doté de tous les pouvoirs politiques, et responsable seulement devant un congrès annuel. Rosa Luxemburg reconnaissait avec Lénine que le parti révolutionnaire était l’organisation d’avant-garde de la classe ouvrière, qu’il devait être centralisé et discipliné. Mais elle repoussait catégoriquement un centralisme autoritaire incompatible avec un mouvement démocratique, et dans lequel elle voyait un obstacle et un danger au développement même de la lutte de classes. Elle revendiquait le contrôle permanent de la tête du parti par la base, la liberté totale d’examen objectif et de critique à l’intérieur du parti. Pourvu que cette critique demeurât dans le cadre des principes généraux du marxisme, elle la considérait comme une nécessité vitale, le moyen le plus efficace de lutte contre l’opportunisme et le sectarisme, le remède contre les erreurs, les insuffisances, les déviations toujours possibles. Chaque forme de lutte — et Rosa Luxemburg s’appuyait sur l’ expérience de la Russie – n’était pas inventée par l’état-major du parti, mais naissait de l’initiative des masses. Elle reprochait à Lénine son dogmatisme dans les idées politiques et l’argumentation, une certaine tendance à ignorer le mouvement vivant des masses, à imposer à celles-ci une tactique fixée à l’avance.

Elle, au contraire, comptait sur la pression des masses pour orienter, corriger au besoin la tactique de la direction du parti. Elle était liée beaucoup plus que Lénine au processus historique dont elle faisait, en définitive, découler la décision politique. Pour elle, l’élément déterminant était la masse. Pour Lénine, c’était le parti. Après la scission de la social-démocratie russe (à la suite du congrès de 1904), Lénine publia un livre : « Un pas en avant, deux pas en arrière », où il traitait, entre autres, de l’organisation du parti et affirmait défendre le principe de l’organisation révolutionnaire de la social-démocratie contre le principe de l’organisation opportuniste des Mencheviks. Rosa Luxemburg lui répondit dans un article publié dans « L’Iskra » et la « Neue zeit » en juillet 1904 et intitulé « Questions d’organisation dans la social-démocratie russe ». Elle y défendait vigoureusement la principe du centralisme démocratique, et insistait sur la nécessité pour le mouvement social-démocrate de tenir compte à tous moments de l’action autonome de la masse. Elle voyait dans les conceptions organiques de Lénine, une survivance du blanquisme. Et ce qui différencie le blanquisme de la social-démocratie, écrivait-elle, c’est que le blanquisme n’est pas et ne peut pas être une organisation des masses. Il est, au contraire, fermé hermétiquement aux masses populaires. Les membres de l’organisation sont des instruments dociles d’un comité central auquel ils obéissent aveuglément. L’activité conspiratrice des blanquistes et la vie quotidienne des masses populaires ne sont pas liées. « Les conditions de l’action socialiste sont sont fondamentalement différentes. Cette action émane historiquement de la lutte des classes. Organisation, intelligence de l’action, action elle-même ne sont que les aspects différents d’un même processus. Il n’y a pas, indépendamment des principes généraux de la lutte, de tactique fixée une fois pour toutes et imposée par un comité central. L’organisation social-démocrate n’est pas basée sur l’obéissance aveugle, sur la soumission mécanique des militants du parti à un pouvoir central omnipotent. Le centralisme social-démocrate est donc essentiellement différent du blanquisme. Il n’est pas autre chose que la conjonction étroite de la volonté de lavant-garde consciente et militante de la classe ouvrière et de celle de la masse non-organisée ».

On retrouve là la conception que Rosa Luxemburg affirma tant de fois sur la nécessité, dans l’intérêt du développement de la lutte de classes, d’élever le niveau de conscience des masses en les associant aux préoccupations, aux initiatives et aux perspectives de la social- démocratie.

COMBATS ET PRISON EN POLOGNE

FIN décembre 1905, elle passa la frontière avec de faux passeports pour se rendre en Pologne et y participer au mouvement révolutionnaire. Elle rejoignit Léo Jogiches, qui dirigeait le parti social-démocrate polonais. Le 4 mars 1906 elle fut arrêtée, enfermée à la prison de police de Varsovie dans une cellule sans air, sans hygiène. Elle était malade et son état s’aggrava. Mais c’est quand son corps était le plus faible, quand ses forces physiques menaçaient de la lâcher totalement, que son courage moral atteignait le point culminant. Les lettres qu’elle écrivit à cette époque à Sonia Liebknecht étaient remplies d’anecdotes amusantes, empreintes de gaieté et d’optimisme. Un certificat d’une commission médicale la fit libérer. Elle se rendit alors en Russie et après y avoir séjourné quelques mois au cours desquels elle écrivit la brochure : « Grève générale, parti et syndicats », elle retourna en en Allemagne. Elle participa en 1907 au congrès international de Stuttgart où le problème de la guerre impérialiste était à l’ordre du jour. On sait qu’à la suite de la révolution russe de 1905, les puissances européennes étaient divisées en deux camps hostiles, et après le conflit du Maroc en 1906, le danger d’une guerre européenne semblait tellement menaçant que l’Internationale socialiste jugea indispensable de se convoquer en congrès international.

Rosa Luxemburg y combattit vigoureusement la thèse des délégués français et anglais, qui réclamaient que la grève générale et la grève militaire fussent proclamées en cas de guerre. Cette décision lui apparaissait comme inexécutable. Les partis socialistes devaient déterminer une politique de guerre qui exprimât la volonté révolutionnaire de la classe ouvrière et correspondît à sa force réelle. Avec Lénine et Martov, elle défendit et fit adopter un texte connu sous le nom de motion de Stuttgart qui fait « un devoir aux travailleurs et à leurs représentants au parlement, dans le cas où tous les moyens mis en œuvre n’auraient pas réussi à empêcher le conflit armé, d’utiliser la crise économique et politique engendrée par la guerre pour soulever les masses populaires en vue du renversement de la domination de la classe capitaliste ».

Rosa eut à d’autres reprises l’occasion de développer sa politique de guerre, notamment en 1913 dans la Correspondance social-démocrate » et en février 1914 devant un tribunal qui la condamna à un an de prison pour propagande anti-militariste.

LA LUTTE CONTRE LA GUERRE

La social-démocratie avait organisé une école socialiste que fréquentaient des ouvriers, des secrétaires de parti, des ménagères, des syndicalistes, des intellectuels. Rosa fut l’un des meilleurs professeurs. Dès le premier contact, elle conquérait ses élèves. Sa science, la puissance de son esprit, toute sa personnalité dominaient son auditoire. Elle créait comme une atmosphère chargée d’électricité, qui éveillait toutes les possibilités des cerveaux. Elle rassembla ses cours en deux ouvrages : « Introduction à l’économie politique » et « l’Accumulation du capital » qui contient une analyse remarquable des forces motrices de l’impérialisme. L’époque de l’impérialisme est le début de la révolution sociale, et à la coalition du capitalisme mondial doit correspondre l’unité de front prolétarien.

La capitulation de la social-démocratie allemande, son passage dans le camp impérialiste, l’effondrement de l’Internationale, l’écroulement d’une civilisation, l’affectèrent profondément. Mais cette âme d’élite ne connaissait pas le découragement. Le 4 août, le jour où la social-démocratie votait les crédits de guerre, elle réunissait chez elle quelques camarades dont Franz Mehring, Clara Zetkin et Karl Liebknecht ; c’était la naissance du mouvement spartakiste. De tous côtés, ensuite, dans la Saxe, le Wurtemberg, la Ruhr, des femmes et des jeunes se groupèrent clandestinement pour lutter contre la guerre. Rosa Luxemburg considérait comme un devoir immédiat et impérieux d’organiser la résistance contre la politique de guerre de la social-démocratie. La censure militaire, celle du parti, lui rendirent la tâche difficile. Mais aucune difficulté ne la rebuta. En 1916, elle publia l’Internationale dont elle assuma la direction avec Mehring et où collaborèrent Paul Lange, Ströbel, Clara Zetkin, Thalheimer. Après la publication du premier numéro, elle fut interdite, et avec Mehring et Clara Zetkin Rosa fut inculpée du crime de haute trahison.

Mais depuis le 19 février, Rosa était en prison. Elle avait été arrêtée au moment où elle se préparait à partir pour la Hollande où devait avoir lieu une conférence internationale des femmes. Elle était enfermée à la prison des femmes de Berlin, et elle y resta jusqu’à la fin janvier 1916. Les ouvrières de Berlin, quand elle fut libérée, lui firent une réception chaleureuse. Inlassablement, elle continua son action contre la guerre. Tout d’abord, elle songea à faire imprimer le manuscrit sur « La crise de la social-démocratie » qu’elle avait écrit en prison. C’est la fameuse brochure appelée « Junius brochure » dirigée contre la politique de guerre de la social-démocratie et qui exalte l’internationalisme prolétarien contre l’impérialisme sanglant des grandes puissances.

En province, les ouvriers commençaient à être gagnés à l’idée de la lutte contre l’impérialisme allemand. Ils envoyaient des délégations ; des principales régions industrielles parvenaient des messages de sympathie. Le 1er mai 1916, le groupe Spartakus appela la classe ouvrière de Berlin sur la place de Postdam. Ce fut un gros succès. Rosa Luxemburg et Liebknecht étaient au milieu des manifestants, salués par des cris enthousiastes. « A bas la guerre ! A bas le gouvernement ! » cria Liebknecht, revêtu de l’uniforme militaire Il fut arrêté aussitôt. Mais le mouvement contre la guerre était en marche. Après son arrestation, le groupe Spartakus déploya, sous l’impulsion de Rosa, une activité considérable: des tracts inondèrent l’Allemagne qui exaltaient le geste courageux du député-soldat Liebknecht.

Le 28 juin 1916, celui-ci fut condamné à un an et demi de prison. Le jour du procès, 55.000 métallurgistes d’une fabrique de munitions à Berlin firent grève. A Stuttgart, dans le Brenner, de puissantes manifestations eurent lieu. L’influence de Spartakus sur les masses ouvrières ne cessait de grandir.

Le 19 juillet 1916, Rosa Luxemburg fut à nouveau arrêtée. Mehring âgé de 70 ans le fut également. Léo Jogiches prit la tête du mouvement à la disposition duquel il mit son expérience, son énergie, son désintéressement. Les « lettres de Spartakus » paraissaient régulièrement. Rosa était sa plus fidèle collaboratrice.

Elle était à la prison de femmes à Berlin. Elle n’y resta que deux mois. Fin septembre, elle fut enfermée dans une salle de police, salle remplie de punaises, sans air et obscure, pendant cinq ou six heures de la journée. Elle ne pouvait y dormir même la nuit où des pas retentissaient dans le corridor, des clefs grinçaient, des portes s’ouvraient pour laisser entrer d’autres détenus. Fin octobre 1916, elle fut transférée à la prison de Wronke, dans un coin perdu de Posnanie. Elle pouvait se promener dans la cour de la prison où des fleurs et des oiseaux égayaient sa solitude. En juillet 1917, elle fut transférée à Breslau ; elle n’avait pas le droit de sortir de sa cellule: c’est la révolution de 1918 qui l’en tira.

Elle demeura là dans une solitude de tombeau. La misère croissante des masses, la mort des enfants sous-alimentés, la démission du socialisme dans le monde, la destruction de la culture la déchiraient. Mais la volonté et le courage n’abandonnèrent jamais son corps épuisé. A Mathilde Wurm, à Sonia Liebknecht, à Louise Kautsky, à Clara Zetkin, des lettres qui sont des recueils magnifiques de souvenirs personnels et d’événements vécus, des témoignages impressionnants de sa foi inébranlable et de son inaltérable sérénité. Elle lisait les classiques et les modernes français, anglais russes et allemands. Elle travaillait à son ouvrage: « l’Économie nationale », à l’histoire de la Pologne; elle suivait avec passion le cours des événements dans le monde et dans le mouvement ouvrier international. Ses articles étaient prêts à chaque départ du courrier. Ils passaient tous en contrebande. C’est dans un de ces articles destinés aux « Lettres de Spartakus », qu’elle écrivait : « Voici le dilemme qui se pose : ou les gouvernements bourgeois dicteront la paix. C’est-à-dire que la bourgeoisie restera la classe dominante. Et ce sera à nouveau la course aux armements, de nouvelles guerres, la barbarie. Ou des soulèvements révolutionnaires conduiront la classe ouvrière à la conquête du pouvoir politique. Et ce sera une paix véritable entre les peuples.

En d’autres termes, ou l’impérialisme, c’est-à-dire la décadence de la société. ou la lutte pour le socialisme, c’est-à-dire le moyen unique de salut. Il n’y a pas d’autre alternative… »

La révolution russe était devenue le centre de ses préoccupations. Elle en analysait avec une pénétration, une lucidité remarquable tous les événements dans les « Lettres de Spartakus ». Avant les journées révolutionnaires et décisives d’octobre, elle avait prévu que la dictature du prolétariat était inévitable. « Ou la contre-révolution, ou la dictature du prolétariat. Kalédine ou Lénine. » avait-elle écrit.

Certes, elle reprochait à Lénine et à Trotsky d’opposer la dictature à la démocratie. Car, pour elle, « la dictature consiste dans la manière d’appliquer la démocratie, non dans son abolition, dans des mainmises énergiques et résolues sur les droits acquis et les conditions économiques de la société bourgeoises, sans lesquelles la transformation socialiste ne peut se réaliser. Mais cette dictature doit être l’œuvre de la classe ouvrière et non pas d’une petite minorité commandant en son nom. Autrement dit, elle doit provenir au fur et à mesure, de la participation- active des masses, rester sous leur influence immédiate, être soumise au contrôle du peuple tout entier, être un produit de l’éducation politique croissante des masses populaires.

Ailleurs, Rosa Luxemburg écrivait : « C’est ce qui est l’essentiel et c’est ce qui reste de la politique des bolcheviks. En ce sens, il leur reste le mérite impérissable dans l’Histoire, d’avoir pris là tête du prolétariat international en conquérant le pouvoir politique et en posant dans la pratique le problème de la réalisation du socialisme. » Elle était déçue que le grand exemple de cette révolution n’eût pas appelé le prolétariat international sur le champ de bataille de lutte de classes. Et elle redoutait pour l’avenir de la révolution russe les dangers extérieurs et intérieurs nés de l’ isolement auquel l’inertie de la classe ouvrière internationale condamnait la Russie.

LA RÉVOLUTION ALLEMANDE

Cependant la révolution grondait en Allemagne. Le 1er octobre 1918 Hindenburg et Ludendorff demandaient à l’Entente une une paix immédiate. Le groupe Spartakus convoqua sur-le-champ une conférence nationale. L’agitation parmi les soldats se développait, des conseils de soldats et d’ouvriers se constituaient partout. L’agonie de la monarchie commençait. Un gouvernement parlementaire fut constitué : Scheidemann en fit partie. La démocratisation de toute la vie politique fut annoncée, la liberté de réunion fut proclamée. Le 28 octobre, une amnistie fut accordée à tous les prisonniers politiques. Karl Liebknecht fut libéré. Rosa Luxemburg, qui avait été incarcérée sans avoir subi de condamnation, resta trois semaines encore en prison. Le 9 novembre, elle était libre, le 10, elle était à Berlin où ses amis de Spartakus la reçurent avec le plus grand enthousiasme.

Elle était vieillie, ses beaux cheveux noirs étaient devenus blancs. Mais ses yeux – ses yeux bruns splendides – continuaient à refléter l’énergie et l’ardeur qui brûlaient en elle. Dans les mois qui suivirent, elle ne connut pas le repos.

Le 10 novembre, les conseils d’ouvriers et de soldats portèrent Ebert à la tête du gouvernement de la révolution. Le 18 novembre, paraissait le premier n° de la Rote Fahne dont Rosa prit la direction, et où elle fit preuve d’un sens aigu des réalités, d’une clairvoyance remarquable, d’une lucidité que justifia le développement ultérieur des événements révolutionnaires. Elle traça dès le premier numéro tout le programme de la révolution dont voici quelques points essentiels :

« Confiscation immédiate des biens de l’ancienne dynastie et des grosses propriétés foncières.

«Formation d’une garde rouge révolutionnaire pour la protection permanente de la révolution, et formation de milices ouvrières.

« Organisation immédiate des ouvriers agricoles et des petits cultivateurs, qui forment une couche sociale que peut utiliser la contre- révolution. « Réélection des conseils d’ouvriers et de soldats afin de substituer à l’impulsion et l’enthousiasme qui les avaient fait naître la conscience claire du but à atteindre et des tâches à accomplir.

« Indépendance des organes de la police d’Etat vis-à-vis de l’Intérieur, de la Justice et de l’Armée.

« Convocation du parlement des ouvriers et des soldats pour ériger le prolétariat de toute l’Allemagne en classe dominante, seule capable de défendre et d’impulser la révolution.

« Convocation dans le plus bref délai d’un congrès ouvrier mondial pour faire ressortir le caractère socialiste et international de la révolution allemande, car c’est dans l’Internationale, dans la révolution mondiale du prolétariat que réside l’avenir de cette révolution. »

En même temps elle dénonçait l’attitude pusillanime du gouvernement Ebert. son respect de la propriété capitaliste, le maintien du vieil appareil d’État bourgeois, l’escamotage des buts socialistes de la révolution. Tout en spécifiant qu’il ne s’agissait nullement de copier servilement les méthodes de la révolution russe, — car les conditions sociales et économiques de l’Allemagne n’étaient pas les mêmes qu’en Russie, — elle précisait à nouveau ce qu’elle avait déjà écrit dans les « Lettres de Spartakus », à savoir : que la guerre mondiale plaçait la société devant cette alternative : « ou la continuation du capitalisme, c’est-à-dire de nouvelles guerres et la chute de la civilisation dans le chaos et l’anarchie, ou la suppression du capitalisme. Mais le socialisme ne peut être réalisé que par l’action des masses laborieuses. »

La contre-révolution s’organisait et se préparait à l’attaque. A Hambourg, en Rhénanie, des complots contre-révolutionnaires étaient découverts. A Berlin, le comité directeur des conseils d’ouvriers et des soldats, ainsi que la rédaction de la « Rote Fahne » étaient arrêtés ; des soldats de Spartakus étaient tués dans la rue ; le 7 décembre, Karl Liebknecht était arrêté. La chasse aux chefs spartakistes était organisée. La maison où habitait Rosa Luxemburg était cernée par la police. Chaque jour, elle changeait d’hôtel ; pendant des nuits, elle ne put dormir. Mais son énergie était telle qu’elle tenait malgré tout et que son extraordinaire lucidité ne faiblit pas une minute. La révolution gagnait du terrain ; une vague de grèves déferla sur l’Allemagne, avec comme objectifs non plus seulement des augmentations de salaires, mais l’instauration du pouvoir ouvrier dans les usines et la socialisation de la production. Rosa était optimiste. L’antagonisme entre la ligne politique de la vieille social-démocratie et la volonté des masses apparut d’une façon évidente au premier congrès des conseils d’ouvriers et de soldats, qui eut lieu à Berlin du 12 au 20 décembre. A cette occasion des centaines de milliers d’ouvriers manifestèrent dans les rues de Berlin. Ce fut la plus grande manifestation que la capitale du Reich eût jamais vue. Le groupe Spartakus se proposait de conquérir l’aile gauche du mouvement ouvrier. Mais « pas de putsch, disait Rosa Luxemburg, pas d’attaque prématurée, pas de lutte pour des buts qui n’auraient pas été compris et admis par la majorité de la classe ouvrière. » Mais l’heure de la décision entre la révolution et la contre-révolution approchait. Spartakus convoqua un congrès national, d’où sortit le parti communiste. La première et la plus importante question à résoudre fut de fixer l’attitude du parti communiste devant les élections à l’assemblée nationale qui devaient avoir lieu le 19 janvier 1919. Rosa Luxemburg démontra la nécessité d’utiliser dans un but socialiste et révolutionnaire la tribune de l’Assemblée. Mais les adversaires de la participation l’emportèrent. Rosa Luxemburg prononça devant une assemblée empoignée par son talent, la force de volonté qui émanait de toute sa personne, un grand discours, le dernier…

L’initiative du combat décisif appartint à la contre-révolution. Depuis le 27 décembre, sur l’ordre du gouvernement, des troupes étaient massées devant Berlin. Il fallait à tout prix écraser le mouvement Spartakus. Le 3 janvier, le président de police de Berlin, que l’on savait hostile au conflit entre la police et les ouvriers fut révoqué par le ministre de l’intérieur. La guerre civile devenait inévitable. Désarmement de la contre-révolution, armement du prolétariat, unité d’action de tous les révolutionnaires, élections pour le renouvellement des conseils de soldats et d’ouvriers : tels furent les mots d’ordre du mouvement défensif du prolétariat révolutionnaire, guidé par Rosa Luxemburg.

La contre-révolution triompha… Le 11 janvier, Liebknecht et Rosa Luxemburg se réfugièrent dans une famille ouvrière, dans un quartier de Berlin. C’est là qu’elle écrivit son dernier article : « L’ordre règne à Berlin ». Le 15, ils étaient cachés au 53 de la rue Mannheim. C’est là qu’à neuf heures du soir, une troupe de soldats les arrêta, Ils furent conduits à l’hôtel Eden où des officiers monarchistes avaient organisé leur assassinat. Liebknecht fut transporté dans une auto au jardin zoologique où il fut assassiné. Ce fut ensuite le tour de Rosa Luxemburg que le lieutenant Vogel tua d’une balle dans la tête. Son cadavre fut jeté dans un canal. Ainsi disparaissait brutalement « celle qui fut, dit Franz Mehring, le disciple le plus génial de Marx ».

« Sa belle carrière était scellée par sa belle et grande mort », écrivit Louise Kautsky, qui fut son amie la plus chère. Mais la révolution avait perdu le meilleur de ses combattants ; le socialisme international, le plus pur, le plus héroïque, le plus prestigieux de ses militants.