Archive for the ‘Documents historiques’ Category

Partito e potere politico (Hekmat, 1998)

27 avril 2017

Traduction inédite en italien du texte Party and political power (discours de Mansoor Hekmat au 2d Congrès du Parti communiste-ouvrier d’Iran en avril 1998):

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Congrès du K.A.P.D. (septembre 1921)

9 février 2017

Nous remercions Philippe Bourrinet pour nous avoir envoyé et autorisé à mettre ici en ligne la traduction du sténogramme du congrès de rupture du KAPD avec le Komintern en septembre 1921.

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Avant-propos

Le manuscrit dactylographié du IVe Congrès du KAPD, qui est essentiellement consacré à la nécessité de fonder une IVe Internationale (KAI) se trouve aux Archives d’État de Brême (Clemens Klockner (Hrsg): Protokoll des aussenordentlichen Parteitages der KAPD vom 11. bis 14.9.1921 in Berlin, Darmstadt, 1986).

Un autre manuscrit se trouve en possession de la BDIC (Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine, Nanterre, France), anciennement «Musée et Bibliothèque de la Guerre», qui fut fondé en juillet 1917. Plus tard le jeune historien Pierre Renouvin, grand mutilé, amputé d’un bras et de plusieurs doigts, en prend la direction. Le manuscrit de ce congrès du KAPD fut saisi en 1921 par les Services secrets de l’armée de terre française et remis par la suite au «Musée et Bibliothèque de la guerre».

C’est sur ce manuscrit que travailla Serge BRICIANER, militant communiste des conseils, dans ses recherches pour exhumer tout un pan du communisme de gauche internationaliste (Linkskommunismus).

Des militants comme Jan Appel (Arndt), et le délégué hollandais Henk Canne-Meijer (Maer) interviennent à plusieurs reprises dans le congrès du KAPD, où Herman Gorter fait une longue intervention paradoxale. Soulignant le recul de la révolution mondiale, il pousse à la formation d’une Internationale communiste-ouvrière.

Ce sont finalement Jan Appel et Henk Canne Meijer qui reprendront dès 1924-27 le flambeau du communisme des conseils, alors que le KAPD se décomposait. Tous deux joueront dans les années 30 un rôle essentiel dans la formation et l’élaboration théorique du GIK (Groupe des communistes internationalistes).

On notera enfin la brève intervention du jeune camarade Paul, sans doute Paul Mattick, installé à Cologne, qui fait ici une romantique apologie de l’illégalisme et initie son long itinéraire communiste des conseils.

Ce sténogramme très brut a été vraisemblablement élaboré par un éditeur parlementaire professionnel, étranger au KAPD, sans qu’il y ait eu la moindre révision d’un texte de fait historique, par la rupture avec le Komintern et la fondation d’une Internationale communiste-ouvrière. D’où les fréquentes coquilles relevées dans le sténogramme et souvent la transcription grossièrement phonétique des intervenants.

P. B.,
31 janvier 2017.

La déchéance du capitalisme (Louzon, 1924)

18 août 2016

Brochure de Robert Louzon publiée par la Librairie du Travail, disponible au format pdf:

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La collectivisation en Espagne (Korsch, 1939)

3 août 2016

Article de Karl Korsch publié dans Living Marxism N°6 (avril 1939), traduit en français par Ivan:

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Llamamiento del Comité por la revolución española de Francia (1937)

1 août 2016

Publié dans Juventud Obrera N°11 (octobre 1937). Nous avions déjà publié un communiqué, en français, du même Comité pour la Révolution espagnole: La Révolution espagnole en danger (1937).

Los insfrascritos, militantes de organizaciones obreras e intelectuales antifascistas:

Enterados de la reducción a la ilegalidad en la España republicana del Partido Obrero da Unificación Marxista, de la detención de todos los dirigentes de este Partido, de la supresión de su prensa y emisoras de T.S.H., de la supresión de su Socorro Rojo, de la detención, los días 15 – 18 julio, de un millar de militantes del P.O.U.M., J.C.I., C.N.T., F.A.I. y J.J.L.L.

Enterados de que varias compañeras de militantes en fuga han sido detenidas en calidad de rehenes,

Piden con insistencia al Gobierno de la República Española:

Asegurar a todas las organizaciones obreras sin excepción el beneficio de la legalidad democrática por la cual todas ellas han hecho los mayores sacrificios;

Asegurar a los militantes detenidos las garantías normales de justicia, los derechos de defensa, el régimen político;

Considerar la importancia capital del respeto de la libertad de opinión y de los derechos de los trabajadores para la salud de la República Española, su crédito moral y la defensa de su causa en el extranjero.

Han firmado ya :

Magdeleine Paz, Michel Alexandre, M. Martinet, Henry Poulaille, Helena y Rene Modiano, Victor Serge, Victor Margueritte, Casati, Lucien Herard, Marceau Pivert, A. Weil-Curiel.

L’anarchisme et la Révolution espagnole (Wagner, 1937)

30 juillet 2016

80ème anniversaire de la Révolution espagnole

Republications estivales

par Helmut Wagner, paru dans I.C. C. Vol. 3, n°’ 5 et 6 ( juin 1937). Traduit de Raetekorrespondenz N°21 (avril 1937).

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I

Les luttes héroïques des ouvriers espagnols marquent une étape dans le développement du mouvement prolétarien international. Elles ont enrayé la progression jusque-là victorieuse du fascisme et, en même temps, impulsé une nouvelle période d’expansion des luttes de classes. Mais la portée de la guerre civile espagnole pour le prolétariat mondial ne se limite pas à cet aspect. Son importance réside aussi dans le fait qu’elle a mis à l’épreuve les théories et les tactiques de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme.

L’Espagne a été de tous temps le foyer traditionnel de l’anarchisme. L’énorme influence que les doctrines anarchistes y ont acquise ne peut s’expliquer que par la structure particulière des classes dans ce pays. La théorie proudhonienne des artisans individuels et indépendants, comme l’application par Bakounine de cette morne théorie aux usines, ont trouvé un soutien passionné parmi les petits paysans, les ouvriers d’usines et les ouvriers agricoles. Les doctrines anarchistes ont été adoptées par de larges fractions du prolétariat espagnol et c’est à cela que l’on doit la levée spontanée des ouvriers contre le soulèvement fasciste.

Nous ne voulons cependant pas dire que le déroulement de la lutte a été déterminé par l’idéologie anarchiste, ou qu’il reflète le but des anarchistes. Au contraire, nous allons démontrer que les anarchistes ont été poussés à abandonner beaucoup de leurs vieilles idées et à accepter en échange des compromis de la pire espèce.c En analysant ce processus, nous allons démontrer que l’anarchisme était incapable de tenir tête à la situation, non pas à cause de la faiblesse du mouvement qui n’en aurait pas permis une application pratique, mais parce que les méthodes anarchistes pour organiser les différentes phases de la lutte étaient en contradiction avec la réalité objective. Ce type de situation révèle des similitudes frappantes avec celle des bolcheviks russes en 1917. Les bolcheviks russes ont été forcés d’abandonner une à une leurs vieilles théories, jusqu’à en être réduits à exploiter les ouvriers et les paysans selon les méthodes capitalistes bourgeoises; de même, les anarchistes en Espagne sont maintenant forcés d’accepter les mesures qu’ils ont jadis dénoncées comme centralistes et répressives. Le déroulement de la Révolution russe a démontré que les théories bolcheviques n’étaient pas valables pour résoudre les problèmes de la lutte de classe prolétarienne; de même, la guerre civile espagnole révèle l’incapacité des doctrines anarchistes à résoudre ces mêmes problèmes.

Il nous semble important d’élucider les erreurs commises par les anarchistes parce que leur lutte courageuse a conduit beaucoup d’ouvriers – qui voient clairement le rôle de traîtres joué par les représentants de la IIe et IIIe Internationales—à croire, qu’après tout, les anarchistes ont raison. De notre point de vue, une telle opinion est dangereuse car elle tend à accroître la confusion déjà grande au soin de la classe ouvrière. Nous considérons qu’il est de notre devoir de démontrer, à partir de l’exemple espagnol, que l’argumentation anarchiste contre le marxisme est fausse, que c’est la doctrine anarchiste qui a échoué. Quand il s’agit de comprendre une situation donnée, ou de montrer des voies et les méthodes dans une lutte révolutionnaire précise, le marxisme sert encore de guide et s’oppose au pseudo-marxisme des Partis de la IIe et IIIe Internationales.

La faiblesse des théories anarchistes a d’abord été démontrée à propos de l’organisation du pouvoir politique. D’après la théorie des anarchistes, il suffirait pour assurer et garantir la victoire révolutionnaire, de laisser le fonctionnement des usines aux mains des syndicats. Les anarchistes n’ont donc jamais essayé d’enlever le pouvoir au gouvernement de Front Populaire. Ils n’ont pas non plus travaillé à la mise sur pied d’un pouvoir politique des conseils (soviets). Au lieu de faire de la propagande pour la lutte de classes contre la bourgeoisie, ils ont prêche la collaboration de classes à tous les groupes appartenant au front antifasciste. Quand la bourgeoisie a commencé à s’attaquer au pouvoir des organisations ouvrières, les anarchistes ont rejoint le nouveau gouvernement, ce qui constitue une importante déviation par rapport à leurs principes de base. Ils ont essayé d’expliquer œ geste en alléguant qu’en raison de la collectivisation, le nouveau gouvernement de front populaire ne représenterait plus comme avant un pouvoir politique, mais un simple pouvoir économique, puisque ses membres étaient des représentants des syndicats, auxquels appartenaient pourtant des membres de la petite bourgeoisie de l’Esquerra (1). L’argument des anarchistes est le suivant: puisque le pouvoir est dans les usines, et que les usines ont contrôlées par les syndicats, le pouvoir est donc entre les mains des ouvriers. Nous verrons plus loin comment cela fonctionne en réalité.

Le décret de dissolution des milices est paru pendant que les anarchistes étaient au gouvernement. L’incorporation des milices dans l’armée régulière, la suppression du P. O. U. M. (2) à Madrid ont été décrétées avec leur approbation. Les anarchistes ont aidé à organiser un pouvoir politique bourgeois mais n’ont rien fait pour la formation d’un pouvoir politique prolétarien.

Notre intention n’est pas de rendre les anarchistes responsables de l’évolution suivie par la lutte antifasciste et de son détournement vers une impasse bourgeoise. D’autres facteurs doivent être incriminés, en particulier l’attitude passive des ouvriers dans les autres pays. Ce que nous critiquons le plus sévèrement est le fait que les anarchistes aient cessé de travailler pour une révolution prolétarienne réelle, et qu’ils se soient identifiés au processus dans lequel ils étaient impliqués. Ils ont ainsi occulté l’antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie, et ont donné cours à des illusions pour lesquelles nous craignons qu’ils n’aient à payer eux-mêmes très cher dans le futur. Les tactiques des anarchistes espagnols ont eu droit à un certain nombre de critiques dans les groupes libertaires de l’étranger certaines de ces critiques en arrivent même à les accuser de trahison à l’égard des idéaux anarchistes. Mais comme leurs auteurs ne réalisent pas la véritable situation à laquelle sont confrontés leurs camarades espagnols, ces critiques restent négatives.

Il ne pouvait en être autrement. Les doctrines anarchistes n’apportent tout simplement pas de réponse appropriée aux questions que soulève la pratique révolutionnaire. Pas de participation au gouvernement, pas d’organisation du pouvoir politique, syndicalisation de la production voilà les mots d’ordre anarchistes de base. De tels mots d’ordre ne vont effectivement pas dans le sens des intérêts de la révolution prolétarienne. Les anarchistes espagnols sont retombés dans les pratiques bourgeoises parce qu’ils ont été incapables de remplacer leurs irréalisables mots d’ordre par les mots d’ordre révolutionnaires du prolétariat. Les critiques et les conseillers libertaires étrangers ne pouvaient offrir de solutions car ces problèmes ne peuvent être résolus que sur la base de la théorie marxiste.

La position la plus extrême parmi les anarchistes dé l’étranger est celle des anarchistes hollandais (à l’exception des anarcho-syndicalistes hollandais du N. S. V.—Netherlands Syndicalist Vuband). Les anarchistes de Hollande s’opposent à toute lutte employant des armes militaires parce qu’une telle lutte est en contradiction avec l’idéal et le but anarchistes. Ils nient l’existence de classes. En même temps, ils ne peuvent s’empêcher d’exprimer leur sympathie pour les masses en lutte contre le fascisme. En réalité, leur position équivaut à un sabotage de la lutte. Ils dénoncent toute action ayant pour but d’aider les ouvriers espagnols, telle que l’envoi d’armes. Le fond de leur propagande est celui-ci: tout doit être fait pour éviter l’extension du conflit à d’autres pays d’Europe. Ils prônent la résistance passive à la Gandhi, dont la philosophie, appliquée à la réalité objective, aboutit à la soumission de travailleurs sans défense aux bourreaux fascistes.

Les anarchistes d’opposition maintiennent que le pouvoir centralisé exercé par la dictature du prolétariat ou par un état-major militaire, mène à une autre forme de répression des masses. Les anarchistes espagnols répondent en faisant remarquer que eux (en Espagne) ne luttent pas pour un pouvoir politique centralisé; au contraire, ils favorisent la syndicalisation de la production, ce qui exclut l’exploitation des travailleurs. Ils croient sérieusement que les usines sont aux mains des ouvriers et qu’il n’est pas nécessaire d’organiser toutes les usines sur une base centraliste et politique. Cependant, l’évolution réelle a déjà prouvé que la centralisation de la production est en cours et les anarchistes sont forcés de s’adapter aux nouvelles conditions, même si c’est contre leur volonté. Partout où les ouvriers anarchistes négligent d’organiser leur pouvoir politiquement et d’une manière centralisée dans les usines et les communes, les représentants des partis capitalistes bourgeois (les partis socialiste et communiste compris) s’en chargeront. Cela signifie que les syndicats, au lieu d’être directement contrôlés par les ouvriers dans les usines, seront règlementés d’après les lois et les décrets du gouvernement capitaliste bourgeois.

II

De ce point de vue, on se pose la question: est-il vrai que les ouvriers en Catalogne ont détenu le pouvoir dans les usines après que les anarchistes aient « syndicalisé » la production? Il nous suffit de citer quelques paragraphes de la brochure « Que sont la C. N. T. et la F. A. I. ? » (publication officielle delà C.N.T. – F. A. I.) pour répondre à cette question. « La direction des entreprises collectivisées repose dans les mains des Conseils d’usine, élus en assemblée générale d’usine. Ces Conseils doivent se composer de cinq à quinze membres. La durée de participation au Conseil est de deux ans…

« Les Conseils d’usine sont responsables devant l’Assemblée plénière de l’entreprise et devant le Conseil général de la branche d’industrie. En commun avec le Conseil général de leur branche d’industrie, ils règlent la marche de la production. En plus, ils règlent les questions des dommages du travail, des conditions de travail, des institutions sociales, etc.

« Le Conseil d’usine désigne un directeur. Dans les entreprises occupant plus de 500 ouvriers, cette nomination doit se faire en accord avec le Conseil économique. Chaque entreprise nomme en plus, comme représentant de la « Généralité » (3), un des membres du Conseil d’usine, en accord avec les ouvriers.

« Les Conseils d’entreprise tiennent au courant de leurs travaux et de leurs plans aussi bien l’Assemblée plénière des, ouvriers que le Conseil général de leur branche d’industrie. Au cas d’incapacité ou de refus d’application des décisions prises, des membres du Conseil d’usine peuvent être destitués par l’Assemblée plénière ou par le Conseil général de leur branche d’industrie.

« si une telle destitution est prononces par le Conseil général de l’industrie, les ouvriers de l’entreprise peuvent en appeler et le Département de l’économie de la Généralité décide du cas après avoir entendu le Conseil économique antifasciste…

« Les Conseils généraux des branches d’industrie sont composés de: 4 représentants des Conseils d’usine, 8 représentants des syndicats suivant les proportions des différentes tendances syndicales dans l’industrie et 4 techniciens envoyés par le Conseil économique antifasciste. Ce comité travaille sous la présidence d’un membre du Conseil économique.

« Les Conseils généraux des industries s’occupent des problèmes suivants: organisation de la production, calcul des prix de revient, éviter la concurrence entre les entreprises, étude des besoins de produits dans l’industrie, étude des marchés intérieurs et extérieurs… étude et propositions sur le terrain des méthodes de travail, suggestions sur la politique douanière, édification de centrales de ventes, acquisition des moyens de travail et des matières premières, attributions de crédits, installations de stations techniques d’essais et de laboratoires, de statistiques de production et des besoins de consommation, de travaux préliminaires pour le remplacement des matériaux étrangers par des matières espagnoles, etc. (4)»

Il n’est nul besoin de se creuser la tête pour se rendre compte que ces propositions placent toutes les fonctions économiques entre les mains du Conseil économique général. Comme nous l’avons vu, le Conseil économique général antifasciste est constitué de 8 représentants des syndicats: 4 techniciens nommés par le Conseil économique général et 4 représentants des Conseils d’usine. Le Conseil économique général antifasciste fut constitué au début de la révolution et se compose de représentants des syndicats et de la petite bourgeoisie (Esquerra, etc.). Seuls les quatre délégués du Conseil d’usine pourraient être considérés comme des représentants directs des ouvriers. Nous notons en outre qu’en cas de renvoi des représentants du Conseil d’usine, le Conseil d’ industrie de la « Generalidad » et le Conseil économique général antifasciste ont une influence décisive. Le Conseil général économique peut destituer des oppositionnels dans les conseils; contre cette mesure, les ouvriers peuvent faire appel auprès du Conseil d’industrie, mais la décision repose en dernier lieu sur le Conseil économique général. Le Conseil d’usine peut désigner un directeur, mais pour les entreprises plus grandes, le consentement du Conseil d’industrie est nécessaire.

Bref, on peut dire que les ouvriers n’ont en réalité aucun pouvoir sur l’organisation et le contrôle des usines. En fait, ce sont les syndicats qui gouvernent. Nous verrons ce que cela signifie.

Considérant les quelques faits susmentionnés, nous sommes incapables de partager l’enthousiasme de la C. N. T. au sujet de « l’évolution sociale ». « Dans les locaux administratifs, palpite la vie d’une révolution véritablement constructive », écrit Rosselli (1) dans « Qu’est-ce que la C. N. T. et la F. A. I. » (pp. 38-39, Éd. allemande). D’après nous, le pouls d’une révolution authentique ne bat pas dans les bureaux administratifs, mais dans les usines. Dans les bureaux bat le cœur d’une vie différente, celle de la bureaucratie.

Nous ne critiquons pas les faits. Les faits, les réalités, sont déterminés par des circonstances et des conditions qui échappent au contrôle des simples groupes. Que les ouvriers de Catalogne n’aient pas établi la dictature du prolétariat, ce n’est pas de leur faute. La vraie raison réside dans la situation internationale confuse, qui met les ouvriers espagnols en opposition face au reste du monde.

Dans de telles conditions, il est impossible au prolétariat espagnol de se libérer de ses alliés petits-bourgeois. La révolution était condamnée avant même d’avoir commencé.

Non, nous ne critiquons pas les faits. Nous critiquons cependant les anarchistes pour avoir confondu la situation en Catalogne avec le socialisme. Tous ceux qui parlent aux ouvriers de socialisme en Catalogne— en partie parce qu’ils y croient, en partie parce qu’ils ne veulent pas perdre leur influence sur le mouvement—empêchent les travailleurs de voir ce qui est en train de se passer en Espagne. Ils ne comprennent rien à la révolution et rendent par là plus difficile le développement des luttes radicales.

Les travailleurs espagnols ne peuvent pas se permettre de lutter effectivement contre les syndicats, car cela mènerait à une faillite complète sur les fronts militaires, Ils n’ont pas d’autre alternative; ils doivent lutter contre les fascistes pour sauver leurs vies, ils doivent accepter toute aide sans regarder d’où elle vient. Ils ne se demandent pas si le résultat de cette lutte sera le socialisme ou le capitalisme; ils savent seulement qu’ils doivent lutter jusqu’au bout. Seule une petite partie du prolétariat est consciemment révolutionnaire.

Tant que les syndicats organiseront la lutte militaire, les travailleurs les soutiendront; on ne peut pas nier que cela mène à des compromis avec la bourgeoisie, mais c’est considéré comme un mal nécessaire. Le mot d’ordre de la C. N. T.: « D’abord la victoire contre les fascistes, après la révolution sociale », exprime le sentiment encore prédominant parmi les militants ouvriers. Mais ce sentiment peut aussi être expliqué par l’arriération du pays qui rend les compromis avec la bourgeoisie non seulement possibles mais obligatoires pour le prolétariat. Il en résulte que le caractère de la lutte révolutionnaire subit d’énormes transformations et qu’au lieu de tendre vers le renversement de la bourgeoisie, il mène à la consolidation d’un nouvel ordre capitaliste.

L’AIDE ÉTRANGÈRE ÉTRANGLE LA RÉVOLUTION

La classe ouvrière en Espagne ne lutte pas seulement contre la bourgeoisie fasciste mais contre la bourgeoisie du monde entier. Les pays fascistes, Italie, Allemagne, Portugal et Argentine, soutiennent les fascistes espagnols dans cette lutte avec tous les moyens dont ils disposent. Ce fait suffit à rendre impossible la victoire de la révolution en Espagne. Le poids énorme des États ennemis est trop lourd pour le prolétariat espagnol. Si les fascistes espagnols, avec leurs moyens considérables, n’ont pas encore gagné, essuyant même des défaites sur plusieurs fronts, ceci est dû aux livraisons d’armes effectuées par les gouvernements antifascistes. Alors que le Mexique, dés le début, a fourni des munitions et des armes sur une petite échelle, la Russie n’a commencé son aide qu’au bout de cinq mois de guerre. L’aide est arrivée après que les troupes fascistes, équipées avec des armes modernes italiennes et allemandes et soutenues, de plus, par tous les moyens dont disposaient les pays fascistes, aient fait reculer les milices antifascistes. Cela permit de continuer à lutter, ce qui obligea l’Italie et l’Allemagne à envoyer encore plus d’armes, et même des troupes. De œ fait, ces pays sont devenus de plus en plus influents dans la situation politique. La France et l’Angleterre, inquiètes à cause des relations avec fleurs colonies, ne pouvaient se désintéresser d’une telle évolution La lutte en Espagne prend le caractère d’un conflit international entre les grandes puissances impérialistes qui, ouvertement ou secrètement, participent à la guerre pour défendre d’anciens privilèges ou pour en conquérir de nouveaux. Des deux côtés, les forces antagonistes en Espagne reçoivent des armes et un soutien matériel. On ne peut pas encore discerner quand et où cette lutte va prendre fin.

En attendant, cette aide de l’étranger sauve les travailleurs espagnols en même temps qu’elle donne à la révolution son coup de grâce. Les armes modernes de l’étranger ont placé la lutte sur le terrain militaire et, en conséquence, le prolétariat espagnol a été soumis aux intérêts impérialistes et, avant tout, aux intérêts russes. La Russie n’aide pas le gouvernement espagnol pour favoriser la révolution, mais pour empocher la croissance de l’influence italienne et allemande dans la zone méditerranéenne. Le blocus des navires russes et la saisie de leurs cargaisons montre clairement à la Russie ce qui l’attend quand elle laissera la victoire à l’Allemagne et l’Italie.

La Russie essaie de s’implanter en Espagne. Nous ne ferons qu’indiquer comment, de par la pression qu’elle exerce, les ouvriers espagnols sont en train de perdre graduellement leur influence sur le déroulement des événements, comment les comités de milice sont dissous, le P. O. U. M. exclu du gouvernement et la C. N. T. ligotée.

Depuis des mois, on refuse des armes et des munitions au P. O. U. M. et à la C. N. T. sur le front d’Aragon. Tout cela prouve que le pouvoir dont dépendent matériellement les antifascistes espagnols dirige aussi la lutte des ouvriers. Ces derniers, s’ils peuvent essayer de se débarrasser de l’influence de la Russie, ne peuvent se passer de son aide, et, en dernier ressort, ils doivent accéder à toutes ses demande,. Tant que les ouvriers de l’étranger ne se révolteront pas contre leur propre bourgeoisie, apportant ainsi un soutien actif à la lutte en Espagne, les ouvriers espagnols devront sacrifier leur but socialiste.

La cause réelle de la faillite interne de la révolution espagnole s’explique par sa dépendance vis-à-vis de l’aide matérielle des pays capitalistes (ici, le capitalisme d’État russe). Si la révolution s’étendait à l’Angleterre, la France, l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, alors les choses auraient un autre aspect. Si la contre-révolution était écrasée dans les zones industrielles les plus importantes, comme elle l’est maintenant à Madrid, en Catalogne, aux Asturies, alors le pouvoir de la bourgeoisie fasciste serait brisé. Des troupes de gardes blancs pourraient certainement mettre la révolution en danger, mais non plus la battre. Des troupes qui ne s’appuient pas sur une puissance industrielle suffisante perdent vite tout pouvoir. Si la révolution prolétarienne s’effectuait dans les zones industrielles les plus importantes, les travailleurs ne dépendraient pas du capital étranger. Ils pourraient se saisir de tout le pouvoir. Ainsi, nous disons une fois de plus que la révolution prolétarienne ne peut être vigoureuse que si elle est internationale. Si elle reste confinée à une petite région, elle sera ou écrasée par les armes, ou dénaturée par les intérêts impérialistes. Si la révolution prolétarienne est assez forte à l’échelle internationale, alors elle n’a plus besoin de craindre la dégénérescence dans le sens d’un capitalisme d’État ou privé. Dans la partie suivante, nous traiterons des questions qui se poseraient dans ce cas.

LA LUTTE DE CLASSES DANS L’ESPAGNE « ROUGE »

Bien que nous ayons montré dans la partie précédente comment la situation internationale forçait les ouvriers espagnols à des compromis avec la bourgeoisie, nous n’en avons cependant pas conclu que la lutte de classes était terminée en Espagne. Au contraire, elle continue sous le couvert du front populaire antifasciste, comme le prouvent les assauts de la bourgeoisie contre chaque bastion des comités ouvriers, et le durcissement des positions du gouvernement. Les ouvriers de l’Espagne « rouge » ne peuvent rester indifférents à ce processus; de leur côté, ils doivent essayer de conserver les positions conquises pour éviter les empiétements futurs de la bourgeoisie et pour donner une nouvelle orientation révolutionnaire aux événements. Si les ouvriers en Catalogne ne s’opposent pas à la progression de la bourgeoisie, leur défaite totale est certaine. Si le gouvernement de front populaire battait éventuellement les fascistes, il utiliserait tout son pouvoir pour écraser le prolétariat. La lutte entre la classe ouvrière et la bourgeoisie continuerait mais dans des conditions bien pires pour le prolétariat; parce que la bourgeoisie « démocratique », après avoir laissé les travailleurs remporter la victoire contre les fascistes, retournerait ensuite toutes ses forces contre le prolétariat. La désintégration systématique du pouvoir des ouvriers se poursuit depuis des mois; et dans les discours de Caballero, on peut déjà entrevoir le sort que réserve aux travailleurs le gouvernement actuel, une fois qu’ils lui auront donné la victoire.

Nous avons dit que la révolution espagnole ne peut être victorieuse que si elle devient internationale. Mais les ouvriers espagnols ne peuvent pas attendre que la révolution commence en d’autres points d’Europe; ils ne peuvent pas attendre l’aide qui, jusqu’à présent, est restée un vœu pieux. Ils doivent maintenant, tout de suite, défendre leur cause non seulement contre les fascistes, mais contre leurs propres alliés bourgeois. L’organisation de leur pouvoir est aussi une nécessité urgente dans la situation actuelle.

Comment le mouvement des ouvriers espagnols répond-il à cette question? La seule organisation qui y donne une réponse concrète est le P. O. U. M. Il fait de la propagande pour l’élection d’un congrès général des conseils, dont sortira un gouvernement véritablement prolétarien. A cela, nous répondons que les bases d’un tel programme n’existent pas encore. Les prétendus « conseils ouvriers », dans la mesure où ils ne sont pas encore liquidés, sont pour la plupart sous l’influence de la Generalidad, qui a un contrôle serré sur leurs membres. Même si elle avait lieu, l’élection de ce congrès ne garantirait pas le pouvoir des ouvriers sur la production. Le pouvoir social n’est pas le simple contrôle du gouvernement. Pour se maintenir, le pouvoir prolétarien doit s’exercer dans tous les domaines de la vie sociale. Le pouvoir politique central, pour grande que soit son importance, n’est qu’un des moyens de le réaliser. Si les ouvriers doivent organiser leur pouvoir contre la bourgeoisie, ils doivent commencer par le commencement. D’abord, ils doivent libérer leurs organisations d’usine de l’influence des partis et des syndicats officiels, parce que ces derniers rattachent les ouvriers au gouvernement actuel et, par là, à la société capitaliste, Ils doivent essayer, à travers leurs organisations d’usine, de pénétrer chaque secteur de la vie sociale. Sur cette base seulement, il est possible de bâtir le pouvoir prolétarien; sur cette base seulement, peuvent travailler en harmonie les forces de la classe ouvrière.

L’ORGANISATION ÉCONOMIQUE DE LA RÉVOLUTION

Les questions de l’organisation politique et économique sont indissociables. Les anarchistes, qui niaient la nécessité d’une organisation politique, ne pouvaient donc pas résoudre les problèmes de l’organisation économique. Il y a interrelation entre le problème de la liaison du travail dans les différentes usines, et celui de la circulation des biens, dans la mesure où le pouvoir politique ouvrier est en cause. Les travailleurs ne peuvent pas établir leur pouvoir dans les usines sans construire un pouvoir politique ouvrier et œ dernier ne peut se maintenir comme tel que s’il a ses racines dans la formation de conseils d’usine. Ainsi, une fois démontrée la nécessite de la construction d’un pouvoir politique, on peut s’interroger sur la forme que revêtira ce pouvoir prolétarien, sur la manière dont il intègre la société et dont il s’exprime à partir des usines. Supposons que les ouvriers des principales zones industrielles, par exemple en Europe, prennent le pouvoir et écrasent ainsi quasiment la puissance militaire de la bourgeoisie. La menace extérieure la plus grave pour la révolution se trouverait donc écartée. Mais comment les ouvriers, en tant que propriétaires collectifs des ateliers doivent-ils remettre la production en marche pour satisfaire les besoins de la société? Pour cela, on a besoin de matières premières; mais d’où viennent-elles? Une fois le produit fabriqué, ou doit-on l’envoyer? Et qui en a besoin? On ne pourrait résoudre aucun de ces problèmes si chaque usine devait fonctionner isolément. Les matières premières destinées aux usines viennent de toutes les parties du monde, et les produits résultant de ces matières sont consommés dans le monde entier. Comment les ouvriers vont-ils savoir où se procurer ces matières premières? Comment vont-ils trouver des consommateurs pour leurs produits? Les produits ne peuvent pas être fabriqués au hasard. Les ouvriers ne peuvent livrer des produits et des matières premières sans savoir si les deux vont être utilisés d’une façon appropriée. Pour que la vie économique ne s’arrête pas immédiatement, il faut mettre au point une méthode pour organiser la circulation des marchandises.

C’est là que réside la difficulté. Dans le capitalisme, cette tâche est accomplie par le marché libre et au moyen de l’argent. Sur le marché, les capitalistes, en tant que propriétaires des produits, s’affrontent les uns aux autres; c’est là que sont déterminés les besoins de la société: l’argent est la mesure de ces besoins. Les prix expriment la valeur approximative des produits. Dans le communisme, ces formes économiques, qui découlent de la propriété privée et y sont liées, disparaitront. La question qui se pose est donc: comment doit-on fixer, déterminer les besoins de la société sous le communisme?

Nous savons que le marché libre ne peut remplir son rôle que dans certaines limites. Les besoins qu’il mesure ne sont pas déterminés par les besoins réels des gens mais par le pouvoir d’achat des possesseurs et par les salaires que reçoivent les ouvriers. Sous le communisme, par contre, ce qui comptera, ce seront les besoins réels des masses et non le contenu des portefeuilles.

Il est clair maintenant que les besoins réels des masses ne peuvent être déterminés par aucune sorte d’appareil bureaucratique, mais par les ouvriers eux-mêmes. La première question que cette constatation soulève est, non pas de savoir si les ouvriers sont capables de réaliser cette tâche, mais qui dispose des produits de la société. Si l’on permet à un appareil bureaucratique de déterminer les besoins des masses, il se créera un nouvel instrument de domination sur la classe ouvrière. C’est pourquoi il est essentiel que les ouvriers s’unissent dans des coopératives de consommateurs et créent ainsi l’organisme qui exprimera leurs besoins. Le même principe vaut pour les usines; les ouvriers, unis dans les organisations d’usine, établissent la quantité de matières premières dont ils ont besoin pour les produits qu’ils doivent fabriquer. Il n’y a donc qu’un moyen sous le communisme pour établir les besoins réels des masses; l’organisation des producteurs et des consommateurs en conseils d’usine et conseils de consommateurs.

Cependant, il ne suffit pas aux ouvriers de savoir de quoi ils ont besoin pour leur subsistance, ni aux ateliers de connaître la quantité nécessaire de matières premières. Les usines échangent leurs produits; ceux-ci doivent passer par différentes phases, par plusieurs usines avant d’entrer dans la sphère de consommation. Pour rendre possible ce procès, il est nécessaire, non seulement d’établir des quantités, mais aussi de les gérer. Ainsi, nous en venons à la deuxième partie du mécanisme qui doit se substituer au marché libre; c’est-à-dire la « comptabilité » sociale générale. Cette comptabilité doit inclure la situation de chaque usine et conseil de consommateurs, pour donner un tableau clair qui permette d’avoir une connaissance complète des besoins et des possibilités de la société.

Si l’on ne peut pas rassembler et centraliser ces données, alors toute la production sera plongée dans le chaos quand sera abolie la propriété privée et, avec elle, le marché libre. Seuls l’organisation de la production et de la distribution par des conseils de producteurs et de consommateurs, et l’établissement d’une comptabilité centralisée permettront d’abolir le marché libre.

Nous avons vu qu’en Russie, le « marché libre » s’est maintenu, malgré toutes les mesures de suppression décrétées par les bolcheviks, parce que les organes qui étaient supposés le remplacer ne fonctionnèrent pas. En Espagne, impuissance des organisations à bâtir une production communiste est clairement démontrée par l’existence du marché libre. L’ancienne forme de propriété a maintenant un autre visage. A la place de la propriété personnelle des moyens de production, les syndicats jouent en partie le rôle des anciens propriétaires, sous une forme légèrement modifiée. La forme est changée, mais le système demeure.La propriété en tant que telle n’est pas abolie. L’échange des marchandises ne disparaît pas. Voici le grand danger qu’affronte à l’intérieur la révolution espagnole.

Les ouvriers doivent trouver une nouvelle forme de distribution des biens. S’ils maintiennent les formes actuelles, ils ouvrent la voie à une restauration complète du capitalisme. Si jamais les ouvriers établissaient une distribution centrale des biens ils devraient garder cet appareil central sous leur contrôle, car, créé dans le simple but d’établir des registres et des statistiques, il aurait la possibilité de s’approprier le pouvoir et de se transformer en instrument de coercition contre les ouvriers. Ce processus serait le premier pas vers un capitalisme d’État.

LA PRISE EN CHARGE DE LA PRODUCTION PAR LES SYNDICATS

Cette tendance a été clairement discernée en Espagne. Les permanents syndicaux peuvent disposer de l’appareil de production. Ils ont aussi une influence décisive sur les affaires militaires. L’influence des ouvriers dans la vie économique ne va pas plus loin que l’influence qu’ont leurs syndicats; et le fait que les mesures syndicales n’aient pas réussi à menacer sérieusement la propriété privée, illustre bien les limites de cette influence. Si les ouvriers prennent en charge l’organisation de la vie économique, un de leurs premiers actes sera dirigé contre les parasites. Le pouvoir magique de l’argent, qui ouvre toutes les portes, qui réduit tout à l’état de marchandises, disparaîtra. Un des premiers actes des travailleurs sera donc, sans doute, la création d’une sorte de bons de travail. Ces bons ne pourront être obtenus que par ceux qui accomplissent un travail utile (Des mesures spéciales concernant les vieillards, les malades, les enfants, etc., s’imposeront certainement.)

En Catalogne, cela ne s’est pas produit. L’argent demeure le moyen d’échange des biens. On a introduit un certain contrôle sur la circulation des marchandises, qui n’a profité en rien aux travailleurs: ils se sont vus contraints d’apporter leurs maigres possessions au mont-de-piété, pendant que les propriétaires fonciers, par exemple, touchaient des rentes qui se montaient à environ 4 % de leur capital (« L’Espagne antifasciste », 10 octobre).

Évidemment, les syndicats ne pouvaient pas prendre d’autres mesures sans menacer l’unité du front antifasciste. On peut aussi penser, comme y incite le caractère libertaire de la C. N. T., que les syndicats regagneront certainement le terrain perdu, une fois qu’ils auront vaincu les antifascistes et accompli toutes les réformes nécessaires. Mais raisonner de cette façon, c’est commettre les mêmes erreurs que les différentes variétés de bolcheviks, qu’elles soient de gauche ou de droite. Les mesures accomplies jusqu’à présent prouvent clairement que les ouvriers n’ont pas le pouvoir. Qui prétendra que le même appareil qui aujourd’hui domine les ouvriers, leur donnera volontairement le pouvoir le jour où le fascisme aura été écrasé?

Sans doute, la C. N. T. est libertaire. Même si nous supposons que les permanents de cette organisation sont prêts à abandonner leur pouvoir dès que la situation militaire le permettra, qu’est-ce que cela changera réellement? Le pouvoir, en effet, n’est pas aux mains d’un quelconque leader, il appartient au grand appareil, composé d’innombrables « chefaillons » qui détiennent les positions clés et les postes secondaires. Ils sont capables, si on les chasse de leurs postes privilégiés, de bouleverser complètement la production. Voici soulevé le problème qui eut un rôle si important dans la révolution russe. L’appareil bureaucratique sabota la vie économique entière tant que les ouvriers eurent le contrôle des usines. Il en est de même pour l’Espagne.

Tout l’enthousiasme que manifeste la C. N. T. en faveur du droit à l’autogestion dans les usines, n’empêche pas que ce sont les comités syndicaux qui, en fait, assument la fonction de l’employeur et qui, par conséquent, doivent jouer le rôle d’exploiteurs du travail. Le système salarial est maintenu en Espagne. Seul l’aspect en a changé: auparavant au service des capitalistes, le travail salarié est maintenant au service des syndicats. en voici comme preuve quelques citations extraites d’un article de « l’Espagne antifasciste », n° 24, 28 novembre 1936, intitulé « La Révolution s’organise elle-même »:

« Le plenum provincial de Grenade s’est réuni à Cadix, du 2 octobre au 4 octobre 1936; et a adopté les résolutions suivantes:

5) Le comité d’union des syndicats contrôlera la production dans son ensemble d’agriculture comprise). Dans ce but, tout le matériel nécessaire aux semailles et à la moisson sera mis à sa disposition.

6) Comme point de départ de la coordination entre régions, chaque commission doit rendre possible l’échange des marchandises en comparant leurs valeurs sur la base des prix en cours.

7) Pour faciliter le travail, le comité doit établir le relevé statistique de ceux qui sont aptes au travail afin de savoir sur quel potentiel il peut compter et comment doit être rationnée la nourriture en fonction de la taille des familles.

8) La terre confisquée est déclarée propriété collective. Par ailleurs, la terre de ceux qui ont des capacités physiques et professionnelles suffisantes, ne peut être saisie. Ceci pour obtenir une rentabilité maximale. » (En outre, la terre des petits propriétaires ne peut pas être confisque La saisie doit être accomplie en présence des organes de la C. N. T. et de l’U. G. T.)

Ces résolutions doivent être comprises comme une sorte de plan d’après lequel le comité d’union des syndicats organisera la production. Mais en même temps, nous devons faire remarquer que la direction des petites exploitations, aussi bien que celle des grandes où doit être garantie une rentabilité maximale, restera aux mains des anciens propriétaires. Le reste de la terre doit servir à des buts communautaires. En d’autres termes, elle doit être placée sous le contrôle des commissions du syndicat. De plus, le comité d’union des syndicats obtient le contrôle sur la production dans sa totalité. Mais pas un mot n’indique le rôle que doivent jouer les producteurs eux-mêmes dans ce nouveau type de production. Ce problème ne semble pas exister pour I’U.G. T. Pour eux, il ne s’agit au que de l’établissement d’une autre direction, à savoir la direction du comité de l’union des syndicats qui fonctionne encore sur la base du travail salarié. C’est la question du maintien du salariat qui détermine le cours de la révolution prolétarienne. Si les ouvriers demeurent des ouvriers salariés comme auparavant, même au service d’un comité établi par leur propre syndicat, leur position dans le système de production demeure inchangée. Et la révolution s’écartera de son orientation prolétarienne à cause de la rivalité inévitable qui surgira entre les partis ou les syndicats pour s’assurer le contrôle de l’économie. On peut donc alors se demander jusqu’à quel point les syndicats peuvent être considérés comme les représentants authentiques des travailleurs; ou, en d’autres termes, quelle influence ont les ouvriers sur les comités centraux des syndicats qui dominent la vie économique tout entière.

La réalité nous enseigne que les ouvriers perdent toute influence ou tout pouvoir sur ces organisations, même si, dans le meilleur des cas, tous les ouvriers sont organisés dans la C. N. T. ou l’ U. G. T. et s’ils élisent leurs comités eux-mêmes. Car les syndicats se transforment graduellement dés qu ils fonctionnent en tant qu’organes autonomes du pouvoir. Ce sont les comités qui déterminent toutes les normes de production et de distribution sans en être responsables devant les ouvriers qui les ont élevés à ces postes, mais qui n’ont en aucun cas la possibilité de les révoquer à leur gré. Les comités obtiennent le droit de disposer de tous les moyens de production nécessaires au travail, et de tous les produits finis, tandis que le travailleur ne reçoit que le montant du salaire défini d’après le travail accompli. Le problème pour les ouvriers: espagnols consiste donc, jusqu’à présent, à préserver leur pouvoir sur les comités syndicaux qui règlent la production et la distribution. Or, on voit que la propagande anarcho-syndicaliste s’exprime dans un sens tout à fait contraire; elle maintient que tous les obstacles seront surmontés quand les syndicats auront en mains la direction totale de la production. Pour les anarcho-syndicalistes, le danger de formation d’une bureaucratie existe au niveau des organes de l’État, mais non des syndicats. Ils croient que les idées libertaires rendent impossible un tel processus.

Mais au contraire, il a été démontré – et pas seulement en Espagne – que les nécessités matérielles font rapidement oublier les idées libertaires. Même les anarchistes confirment le développement d’une bureaucratie. « L’Espagne antifasciste », dans son n°1 de janvier, contient un article extrait de Tierra y Libertad (organe de la F. A. I.), dont nous citons ce qui suit:

« Le dernier plenum de la « fédération régionale » des groupes anarchistes en Catalogne a exposé clairement la position de l’anarchisme face aux exigences présentes. Nous publions toutes ces conclusions, suivies de brefs commentaires. »

L’extrait suivant est tiré de ces résolutions commentées:

« 4) Il est nécessaire d’abolir la bureaucratie parasitaire qui s’est grandement développée dans les organes de l’État, A tous les échelons

« L’État est l’éternel berceau de la bureaucratie, Aujourd’hui, cette situation devient critique au point de nous entraîner dans un courant qui menace la révolution. La collectivisation des entreprises, l’établissement de conseils et de commissions ont favorise l’épanouissement d’une nouvelle bureaucratie d’origine ouvrière. Négligeant les tâches du socialisme et n’ayant plus rien de révolutionnaire, ces éléments qui dirigent les lieux de production ou les industries en dehors du contrôle syndicat, agissent fréquemment comme des bureaucrates disposant d’une autorité absolue, et se comportent comme de nouveaux patrons. Dans les bureaux nationaux et locaux, on peut observer le pouvoir croissant de ces bureaucrates Un tel état de choses doit prendre fin. C’est la tâche des syndicats et des ouvriers que d’enrayer ce courant de bureaucratisme. C’est l’organisation syndicale qui doit résoudre ce problème. Les « parasites » doivent disparaître de la nouvelle société. Notre devoir le plus urgent est de commencer la lutte sans plus tarder avec détermination. »

Mais chasser la bureaucratie par l’intermédiaire des syndicats revient à vouloir chasser le démon par Belzébuth car ce sont les conditions dans lesquelles s’exerce le pouvoir, et non des dogmes idéalistes, qui déterminent le déroulement des événements. L’anarcho-syndicalisme espagnol, nourri de doctrines anarchistes, se déclare lui-même pour le communisme libre et opposé à toutes les formes de pouvoir centralisé; cependant, son propre pouvoir se trouve concentré dans les syndicats et c’est donc par l’intermédiaire de ces organisations que les anarcho-syndicalistes réaliseront le communisme « libre ».

L’ANARCHO-SYNDICALISME

Ainsi, nous avons vu que la pratique et la théorie de l’anarcho-syndicalisme différent totalement. Cela était déjà manifeste quand la C.N. T. et la F. A. I., pour consolider leur position, durent renoncer peu à peu à leur « antipolitisme » passé. Le même décalage s’observe maintenant dans la « structure économique » de la révolution.

En théorie, les anarcho-syndicalistes se prétendent l’avant-garde d’un communisme « libre ». Toutefois, pour faire fonctionner les entreprises « libres » dans l’intérêt de la révolution, ils sont contraints d’arracher leur liberté à ces entreprises et de subordonner la production à une direction centralisée. La pratique les contraint d’abandonner leur théorie ce qui prouve que cette théorie n’était pas adaptée à la pratique.

Nous trouverons l’explication de ce décalage en nous livrant à une critique radicale de ces théories du communisme « libre». qui sont, en dernière analyse, les conceptions de Proudhon, adaptées par Bakounine aux méthodes de production modernes.

Les conceptions socialistes avancées par Proudhon il y a cent ans, ne sont que les conceptions idéalistes du petit-bourgeois qui voyait dans la libre concurrence entre petites entreprises le but idéal du développement économique. La libre concurrence devait automatiquement supprimer tous les privilèges du capital financier et du capital foncier. Ainsi, toute direction centrale devenait superflue: les profits disparaîtraient et chacun recevrait le « fruit intégral de son travail », puisque, d’après Proudhon, seuls les monopoles réalisent le profit. « Je n’ai pas l’intention de supprimer la propriété privée, mais de la socialiser; c’est-à-dire, de la réduire à de petites entreprises et de la priver de son pouvoir. » Proudhon ne condamne pas les droits de propriété en tant que tels; il voit la « liberté réelle » dans la libre disposition dés fruits du travail et condamne la propriété privée seulement en tant que privilège et pouvoir, en tant que droit du maître. (Gottfried Salomon: Proudhon et le socialisme, p. 31). Par exemple, pour éliminer le monopole de l’argent, Proudhon avait imaginé l’établissement d’une banque de crédit central pour le crédit mutuel des producteurs, supprimant ainsi le coût de l’argent-crédit. Cela rappelle l’affirmation de «L’Espagne antifasciste » du 10 octobre:

« Le syndicat C. N. T. des employés de la banque de crédit de Madrid propose la transformation immédiate de toutes les banques et institutions de crédit gratuit pour la classe ouvrière, c’est-à-dire contre une compensation annuelle de 2 %,.. »

Cependant, l’influence de Proudhon sur la conception des anarcho-syndicalistes ne se limite pas à ces questions relativement secondaires. Son socialisme constitue fondamentalement la base de la doctrine anarcho-syndicaliste, avec quelques révisions nécessitées par les conditions modernes de l’économie hautement industrialisée.

Dans sa perspective du « socialisme de libre concurrence », la C. N. T. conçoit simplement les entreprises comme des unités indépendantes. Il est vrai que les anarcho-syndicalistes ne veulent pas revenir à la petite entreprise. Ils proposent de la liquider, ou bien de la laisser mourir de mort naturelle quand elle ne fonctionne plus assez rationnellement. Pourtant, il suffit de remplacer les « petites entreprises » de Proudhon par les « grandes entreprises » et les « artisans » par les « syndicats ouvriers », pour avoir une image du socialisme vu par la C. N. T.

LA NÉCESSITÉ D’UNE PRODUCTION PLANIFIÉE

En réalité, ces théories sont utopiques. Elles sont particulièrement inapplicables à la situation espagnole. La libre concurrence, A ce stade de développement, n’est plus possible, et encore moins dans un contexte de guerre et de chaos comme en Catalogne. Là où un certain nombre d’entreprises ou de communautés entières se sont libérées et sont devenues indépendantes du reste du système de production – en réalité avec pour seul résultat d’exploiter leurs consommateurs – la C. N. T. et la F. A. l. doivent maintenant subir les conséquences de leurs théories économiques. Elles y sont contraintes pour éviter l’éclatement du front uni antifasciste, qui serait très dangereux en un moment où la guerre civile exige l’union de toutes les forces. Les anarcho-syndicalistes n’ont d’autre issue que celle déjà adoptée par les bolcheviks et les sociaux-démocrates, à savoir: l’abolition de l’indépendance des entreprises et leur subordination à une direction économique centrale. Que cette direction soit assumée par leurs propres syndicats ne diminue en rien la portée d’une telle mesure. Un système centralisé de production où les ouvriers ne sont que des salariés, reste, n’en déplaise à la C. N. T., un système fonctionnant sur les principes capitalistes.

Cette contradiction entre la théorie des anarcho-syndicalistes et leur pratique est due en partie à leur incapacité à résoudre les problèmes les plus importants que pose la révolution prolétarienne dans le domaine de l’organisation économique, à savoir: comment, et sur quelle base, sera déterminée la répartition de la production sociale totale entre tous les producteurs? D’après la théorie anarcho-syndicaliste cette répartition devrait être déterminée par les entreprises indépendantes formées d’individus libres, grâce à l’intervention du « capital libre », le marché restituant par l’intermédiaire de l’échange la valeur intégrale de la production mise en circulation. Ce principe fut maintenu alors que la nécessité d’une production planifiée – et par conséquent d’une comptabilité centrale – s’imposait depuis longtemps. Les anarcho-syndicalistes reconnaissent la nécessité de planifier la vie économique et pensent que cela est irréalisable sans une centralisation comptable impliquant un recensement statistique des facteurs productifs et des besoins sociaux. Cependant, ils omettent de donner une base effective à ces nécessités statistiques. Or, on sait que la production ne peut être comptabilisée statistiquement ni planifiée sans une unité de mesure applicable aux produis

MODE DE PRODUCTION BOLCHEVISTE CONTRE MODE DE PRODUCTION COMMUNISTE

Le communisme règle sa production sur les besoins des larges masses. Le problème de la consommation individuelle et de la répartition des matières premières et des produits semi-finis entre les diverses entreprises ne peut être résolu grâce à l’argent, comme dans le système capitaliste. L’argent est l’expression de certains rapports de propriété privée. L’argent assure une certaine part du produit social à son possesseur. Cela vaut pour les individus comme pour les entreprises. Il n’y a pas de propriété privée des moyens de production dans le communisme; néanmoins, chaque individu aura droit à une certaine part de la richesse sociale pour sa consommation et chaque usine devra pouvoir disposer des matières premières et des moyens de production nécessaires. Comment cela doit-il s’accomplir? Les anarcho-syndicalistes répondent vaguement en se référant aux méthodes statistiques. Nous touchons là un problème très important pour la révolution prolétarienne. Si les ouvriers se fiaient simplement à un « bureau statistique » pour déterminer leur part, ils créeraient ainsi un pouvoir qu’ils ne pourraient plus contrôler.

Nous abordons ici la question suivante: comment est il possible d’unir, d’accorder ces deux principes qui semblent contradictoires à première vue, à savoir: tout le pouvoir aux ouvriers, ce qui implique un fédéralisme – (concentré) et la planification de l’économie, qui revient à une centralisation extrême? Nous ne pouvons résoudre ce paradoxe qu’en considérant les fondements réels de la production sociale dans sa totalité. Les travailleurs ne donnent à la société que leur force de travail. Dans une société sans exploitation, comme la société communiste, le seul étalon pour déterminer la consommation individuelle sera la force de travail fournie par chacun à la société.

Dans le procès de production, les matières premières sont converties en biens de consommation par la force de travail qui vient s’y ajouter. Un bureau statistique serait complètement incapable de déterminer la quantité de travail incorporée dans un produit donné Le produit est passé par de multiples stades, en outre, un nombre immense de machines, outils, matières premières et produits semi-finis ont servi à sa fabrication. S’il est possible à un bureau statistique central d’assembler toutes les données nécessaires en un tableau clair, comprenant toutes les branches du procès de production, les entreprises ou les usines sont bien mieux placées pour déterminer la quantité de travail cristallisée dans les produits finis, en calculant le temps de travail compris dans les matières premières et celui qui est nécessaire la production de nouveaux produits. A partir du moment où toutes les entreprises sont reliées entre elles dans le procès de production, il est facile à une entreprise donnée de déterminer la quantité totale de temps de travail nécessaire pour un produit fini, en se basant sur les données disponibles. Mieux encore, il est très facile de calculer le temps de travail moyen social en divisant la quantité de temps de travail employé par la quantité de produits. Cette moyenne représente le facteur final déterminant pour le consommateur. Pour avoir droit à un objet d’usage, il devra simplement prouver qu’il a donné à la société, sous une forme différente, la quantité de temps de travail cristallisée dans le produit qu’il désire. Ainsi se trouve supprimée l’exploitation. chacun reçoit ce qu’il a donné, chacun donne ce qu’il reçoit: c’est-à-dire, la même quantité de temps de travail moyen social. Dans la société communiste il n’y a pas de place pour un bureau statistique central, ayant le pouvoir d’établir « la part » reversant aux différentes catégories de salariés.

La consommation de chaque travailleur n’est pas déterminée « d’en haut »; chacun détermine lui-même par son travail combien il peut demander à la société. II n’y a pas d’autre choix dans la société communiste, tout au moins pendant le premier stade. Des bureaux statistiques ne peuvent servir qu’à des fins administratives. Ces bureaux peuvent, par exemple, calculer les valeurs moyennes sociales en accord avec les données obtenues à partir des usines; mais ils sont des entreprises au même titre que les autres. Ils ne détiennent pas de privilèges. Il est absurde d’imaginer qu’une société communiste pourrait tolérer un bureau central doté d’un pouvoir exécutif; en effet, dans de telles conditions, il ne peut exister que l’exploitation, l’oppression, le capitalisme.

Nous voulons mettre ici l’accent sur deux points:

1. S’il en résultait une autre dictature, celle-ci ne ferait que refléter les rapports fondamentaux de production et de distribution dominant dans la société.

2. Si le temps de travail n’est pas la mesure directe de la production et de la distribution, si l’activité économique est seulement dirigée par un « bureau de statistiques » établissant la ration des travailleurs, alors cette situation conduit à un système d’exploitation.

Les syndicalistes sont incapables de résoudre le problème de la distribution. Ce point n’est abordé qu’en une seule occasion, dans la discussion sur la reconstruction économique parue dans « L’Espagne antifasciste » du 11 décembre 1936:

« Au cas où on introduirait un moyen d’échange qui n’aurait aucune ressemblance avec l’argent actuel et qui ne servirait qu’à simplifier l’échange, ce moyen d’échange serait administré par un « conseil du crédit ». »

On ignore complètement la nécessité d’une unité comptable qui permette l’évaluation des besoins sociaux, et, par là même, la mesure de la consommation et de la production. Dans œ cas, le moyen d’échange a pour seule fonction de simplifier le procès d’échange. Comment cela se réalise, reste un mystère.

On ne nous dit rien non plus sur la manière de calculer la valeur des produits à partir d’un tel moyen d’échange; on n’établit aucun critère pour évaluer les besoins des masses; on ne sait si la répartition sera déterminée par des conseils d’usines ou des organisations de consommateurs, ou bien par les techniciens des bureaux administratifs. Par contre, l’équipement technique de l’appareil productif est décrit avec force détail. C’est ainsi que les syndicalistes ramènent tous les problèmes économiques à de simples problèmes techniques.

Il existe dans ce domaine une étroite ressemblance entre les syndicalistes et les bolcheviks; le point central pour eux, c’est l’organisation technique de la production. La seule différence entre les deux conceptions est que celle des syndicats est plus naïve. Mais toutes les deux essaient d’éluder la question de l’élaboration de nouvelles lois de fonctionnement économique. Les bolcheviks sont seulement capables de répondre concrètement à la question de l’organisation technique, en prônant une centralisation absolue sous la direction d’un appareil dictatorial. les syndicalistes, de leur côté, dans leur désir « d’indépendance des petites entreprises », ne peuvent même pas résoudre ce problème. Lorsqu’ils s’efforcent de le faire, ils sacrifient en réalité le droit à l’autodétermination des ouvriers. Le droit à l’autodétermination des ouvriers dans les usines est incompatible avec une direction centralisée; et ce, tant que les fondements du capitalisme, l’argent et la production de marchandises, ne seront pas abolis et qu’un nouveau mode de production, fondé sur le temps de travail moyen social ne viendra pas s’y substituer. Pour accomplir cette tâche, les ouvriers ne doivent pas compter sur l’aide des partis, mais seulement sur leur action autonome.

Notes:
[1] « Gauche républicaine ». Principal parti catalaniste. Représentant de la petite bourgeoisie.

[2] Parti ouvrier d’unification marxiste, organisation assez proche du trotskysme, principale victime des exactions staliniennes.

[3] »La generalidad » gouvernement de la Catalogne.

[4] « Que sont la C.N.T. et la F.A.I.? », traduit dans Catalogne libertaire 1936-1937, A. et D PRUDHOMMEAUX, Cahiers Spartacus n°11, novembre 1940, p.57-58.


Les premières Colonnes en 1936

29 juillet 2016

80ème anniversaire de la Révolution espagnole

Extrait de Catalogne 1936-1937 : L’armement du peuple Que sont la C.N.T. et la F.A.I? / A. & D. Prudhommeaux (Spartacus, mars 1937)

En fait, l’organisation milicienne suivait son propre destin. Les initiatives partaient de la base, et le Comité de liaison servait surtout à donner une forme légale aux mesures de force et aux réquisitions rendues nécessaires par l’état de guerre civile.

Voici la composition initiale des milices antifascistes de Catalogne : C.N.T.-F.A.I., 13.000 hommes ; U.G.T., 2.000 ; P.O.U.M., 3.000 ; Police et Généralité, 2.000.

Comme on le voit, les organisations ouvrières, qui recrutaient, contrôlaient, armaient et finançaient leur propre force armée, représentaient l’écrasante majorité.

La F.A.I. fut la première à réquisitionner l’ensemble des moyens de transport, dont l’usage fut réservé aux syndicats, aux comités de quartier et aux organisations miliciennes ; de fil en aiguille, les questions de logement, de circulation, d’approvisionnement, de contrôle public, au fur et à mesure qu’elles se trouvèrent posées par la situation révolutionnaire, furent réglées par le Comité des Milices, les Comités locaux et par les organismes spécialisés dont l’autorité émanaient de la force armée populaire.

Tout partait de la milice pour y aboutir. Et les anarchistes étaient à la fois l’élite et la masse de cette milice.

C’est de la F.A.I. que partit l’initiative d’une marche en armes vers Saragosse. Les organisateurs de cette première colonne furent Buenaventura Durruti, représentant la C.N.T., avec Perez i Farras comme adjoint et technicien militaire. Elle prit contact avec les fascistes de Guadalaraja le 22 juillet, c’est-à-dire le lendemain même du jour où Companys prononçait par décret la « création. » des milices. Le 23 juillet, la C.N.T. proclame la reprise du travail dans toute la Catalogne. De nouvelles colonnes de miliciens rejoignent Durruti. Après un dur combat, Guadalajara tombe aux mains des forces populaires.

Le 25, les villes d’Albacète et de Gaspé (Aragon) sont prises d’assaut. A Caspé, on ne retrouve plus que misère et ruine. Plus de 150 antifascistes ont été fusillés. Les factieux protègent leur retraite en plaçant entre eux et les miliciens un cordon de femmes et d’enfants liés les uns aux autres. A 1 arriéré, de nombreux magasins et entreprises restent fermes par suite du lock-out patronal ou du départ des propriétaires. La C.N.T. donne vingt-quatre heures aux entrepreneurs pour rouvrir, faute de quoi, le personnel salarié prendra l’entreprise en charge.

Cet ultimatum fut le signal de plusieurs tentatives pour éliminer la milice et rétablir la police et l’armée dans leurs droits et prérogatives.

e gouvernement de Madrid prétendit imposer à l’ensemble du pays une sorte d’amalgame politico-militaire dans lequel les miliciens auraient formés des bataillons volontaires, dans le cadre des régiments réguliers restés fidèles à la légalité. On promettait aux miliciens militarisés une solde, un bel uniforme et un tour de faveur pour entrer dans les Gardes d’Assaut ou les autres corps de police permanente. Personne ne se laissa tenter.

Ces combinaisons devaient revenir comme un leit-motiv dans la politique gouvernementale, bourgeoise et stalinienne, à chaque tournant de la guerre civile. Il s’agissait d’abord d’envoyer au front tous les gêneurs et de rétablir la « normalité » à l’arrière. Puis, on imposerait aux combattants du front, par une propagande habilement dosée, l’acceptation de la discipline et de la hiérarchie militaire.

Pour exercer ce chantage moral, tous les moyens étaient bons : ainsi les insinuations socialistes suivant lesquelles les milices anarchistes se livraient au pillage au lieu de combattre, affirmation reprise dans le Popu par Herrmann et rabâchée dans l’Humanité.

A en croire les communistes, eux seuls étaient au travail et au front en Espagne, dirigeant tout, gagnant les batailles et réprimant les désordres. Quant aux anarchistes, voici ce que le chef communiste Juan Hernandez disait d’eux au cours d’un interview à la presse :

« Les anarchistes préfèrent l’arrière à la ligne de feu. Il ne faut pas y attacher d’importance. Leurs intentions ne sont pas très claires, mais le peuple espagnol et tous les organismes officiels se dresseront contre eux. »

Ce qui amenait les observateurs impartiaux à rectifier (sans grand succès d’ailleurs, la renommée des communistes comme « meneurs de révolution » étant intangible dans tous les pays — sauf en Espagne).

Dans Intervention, J. Daniel Martinet écrit :

« …quel étonnement pour celui qui revient de là-bas et qui voit les journaux du Front Populaire français présentant le P.S.U.C. (adhérant à la III° Internationale) comme le Parti dirigeant de la Révolution !
« Il suffit d’avoir passé une journée à Barcelone, pour constater le rôle dirigeant incontestable de la FAI et de la CNT anarcho-syndicalistes.
« Je me demande où un rédacteur du Popu, comme J. M. Hermann, va chercher ses renseignements. L’esprit de parti lui fait perdre tout sens critique lorsqu’il considère la C.N.T. comme le syndicat du « lumpen-prolétariat » — alors que j’ai pu constater à maintes reprises quel ordre et quelle discipline la FAI et la CNT font régner dans
toute la Catalogne. »

De son côté, l’Information publie de son envoyé spécial :

« Il ne faut pas perdre de vue que ces deux organisations montrent un tact gouvernemental (sic) inespéré et que leurs dirigeants se rendent parfaitement compte de la responsabilité civique qui leur incombe Au front de combat comme en ville, la C.N.T. et la FAI veillent a tout, et le public barcelonais se rend déjà compte quelles ne sen tirent pas mal.
«Contrairement à ce qui a été dit dans certains journaux français d’extrême-gauche, les éléments de la C.N.T.et de la FAI sont non seulement les plus nombreux au front d’Aragon, mais ils sont places quasi exclusivement à l’avant-garde et ont l’initiative des attaques. Parfaitement informé à ce sujet, je puis en donner l’assurance la plus complète.
« Je tiens aussi à signaler que ces cléments ont deja protesté en diverses occasions au sujet des prétendues victoires attribuées à des socialistes ou communistes. Et des rectifications ont été publiées dans ce sens. »

Nous croyons inutile d’insister. Le front d’Aragon, gardé par les anarchistes, n’a jamais subi de reculs. Les méthodes de lutte de la colonne Durrutti et des autres colonnes C.N.T.-F.A.I. se trouvent par là garanties quant à leur efficacité pratique. Et cela d’autant plus que le plateau aragonais ne présente aucun des avantages naturels qui ont pu faciliter sur d’autres fronts l’action des détachements irréguliers (forêts, montagnes, terrains rocailleux et semés d’accidents, maquis, fortifications naturelles, etc…). Certes, de lourdes erreurs ont pu être commises, mais elles ne font que confirmer la valeur générale de l’expérience : la moitié de l’Aragon a été reconquis face à l’armée fasciste et par des méthodes « non-militaires ».

Les scandales de l’émigration (Amis de Durruti, 1939)

24 juillet 2016

Communiqué du groupe franco-espagnol des Amis de Durruti paru dans Révision N°6 (août 1939).

Il faut faire cesser les scandales de l’émigration espagnole. Ces scandales sont multiples.

1 – En premier lieu, le scandale de l’hospitalité démocratique française. Celui-ci n’est pas pour nous étonner, et nous n’y insisterons pas, car on en a déjà beaucoup parlé en tous lieux. Les camps de concentration, le travail forcé, l’emprisonnement; nous n’en attendions pas davantage de la démocratie bourgeoise.

2 – En second lieu, les scandales proprement espagnols qui sévissent dans l’émigration. On n’ignore pas qu’une organisation, S.E.R.E., fidèle reflet du front populaire espagnol (des républicains aux anarchistes), s’est consacrée, en théorie, à secourir les émigrés espagnols. Or, en fait de secours, cette organisation se borne à rétribuer fidèlement les ex-hauts-dignitaires de la République espagnole (formule juillet 1936-mars 1939). Si un général touche, dans l’émigration, une somme mensuelle de 1700 francs, un simple émigré, à notre connaissance, ne touche rien. La « démocratie française » n’est pas unique. La « démocratie » espagnole la vaut bien.

3 – Mais là ne sont pas les plus graves scandales, nous savons à quoi nous en tenir sur la démocratie française, et nous n’attendions pas grand’ chose de la démocratie espagnole.

Mais que ces méthodes se retrouvent chez ceux que nous pouvions considérer comme les nôtres, cela dépasse les limites.

Nos camarades connaissent le mouvement international de S.I.A. (animé et contrôlé par des anarchistes). Or, la section espagnole refuse systématiquement les secours aux anarchistes qui ont le tort de ne pas vénérer Oliver, Montseny ou quelque seigneur d’importance moindre. Toute critique envers les dirigeants du mouvement anarchiste espagnol est sanctionnée catégoriquement par une privation de secours. On veut réduire l’opposition grandissante au réformisme « anarchiste » par le blocus de la faim.

Nous n’avançons pas cela à la légère. On a refusé des secours à des camarades des « Amigos de Durruti » pour un simple article non conformiste publié par le Réveil syndicaliste.

Il y a lieu de demander si de pareilles mœurs doivent exister dans le mouvement ouvrier.

Un blocus à peu près semblable est décrété aux minoritaires du P.O.U.M.

4 – Le dernier scandale, qui dépasse peut-être tous les autres, est d’ordre politique. Un certain nombre de camarades sont venus demander au Conseil National de la C.N.T. de rompre le front populaire espagnol, c’est-à-dire de reprendre sa liberté vis-à-vis des assassins de la Révolution espagnole: Negrin & consorts. On se souvient que les camarades anarchistes ont longtemps justifié ce compromis avec les républicains bourgeois et les staliniens par le « chantage aux armes » pratiqué par ceux-ci.

Or, désormais, ce chantage n’existe plus. Pourtant, le front populaire espagnol demeure. Pourquoi ?

Il y a lieu de s’en inquiéter.

*

Les scandales, comme on le voit, sont multiples. Il en existe d’autres, que nous ferons connaître au fur-et-à-mesure qu’ils parviendront à notre connaissance.

Nous ne prétendons pas les faire cesser avec nos faibles forces. Mais que les coupables des scandales soient assurés que nous remettront incessamment ces questions sur le tapis jusqu’à ce qu’ils y répondent.

Le groupe franco-espagnol des « Amigos de Durruti »

Voir aussi:

Camp de réfugiés espagnols de La Mauresque

Fascisme, Guerre… ou Révolution ! (Pivert, 1936)

20 juillet 2016

80ème anniversaire de la Révolution espagnole

Republications estivales

Article dans la tribune du Populaire du 11 août 1936.

Pour que la révolution prolétarienne espagnole triomphe du fascisme international, il nous faut évidemment fournir à nos frères de classe tous les moyens matériels et techniques dont ils ont besoin.

Mais leur victoire, comme la nôtre, exige également une stratégie politique clairvoyante.

Premier écueil à éviter : favoriser le passage de la guerre civile en Espagne à la guerre internationale. Une pression formidable des impérialismes exaspérés s’exerce dans ce sens. En apparence, on peut croire que la guerre que le monde capitaliste porte en son sein est celle des « démocraties » contre « le fascisme ». Mais, en fait, c’est d’un nouveau partage du monde qu’il s’agit. La haute banque, l’industrie lourde, les trusts se disputent âprement les débouchés, les zones d’influence, les colonies. Ils font et défont les accords internationaux. Ils commandent et déterminent les coalitions d’appétits. Ils financent, dans tous les pays, les formations fascistes destinées à briser la résistance prolétarienne. Le régime capitaliste ne peut plus se prolonger que par la guerre et le fascisme : abattre le fascisme doit être un moyen de faire reculer la guerre impérialiste en laissant aux travailleurs la libre disposition de leurs pensées, de leurs bras, de leurs vies… Il n’y a pas de pire aberration que de consentir à la guerre pour se délivrer du fascisme.

– Cependant, diront certains, l’intervention de Hitler et de Mussolini et de nos propres fascistes aux côtés des rebelles espagnols est bien évidente et nous devons en tenir compte.
– Sans aucun doute ! Nous n’avons pas attendu, nous, cette « révélation » pour dénoncer le mensonge de la « défense nationale ». Nous savons, pour l’avoir découverte dans l’expérience historique autant que dans la doctrine, cette vérité socialiste élémentaire : les intérêts de classe du capitalisme passent désormais avant toute considération de solidarité nationale.

Et c’est pourquoi nous ne confondons pas la nécessaire lutte révolutionnaire pour le renversement du capitalisme avec la criminelle guerre « de défense nationale » destinée à renforcer la domination capitaliste grâce à des millions de cadavres de prolétaires.

C’est pourquoi, en face des tentations monstrueuses de retour à l’union sacrée « des Français », nous lançons notre cri d’alarme ! Mais il ne suffit pas de mettre en garde ; et nous avons toujours préconisé une action directe autonome de classe comme UNIQUE moyen de conquérir le pain, laliberté, la paix. Nous rencontrons ici les formules jetées dans la discussion au dernier congrès du Syndicat des instituteurs : elles semblent nettement insuffisantes pour traduire une tactique de classe.

« PLUTOT LA SERVITUDE QUE LA MORT » n’est pas une formule dépourvue de contenu pour l’individu, quoi de pire que la mort ? Mais une classe comme le prolétariat ne meurt pas. Elle est plus ou moins asservie (plus avec le fascisme – moins avec la démocratie bourgeoise). Ce qui importe, c’est qu’elle lutte et ne se résigne point. En ce sens, l’exemple admirable des travailleurs espagnols dément avec raison la formule trop simpliste : ils conduisent, les armes à la main, la lutte émancipatrice par excellence, celle qui mettra fin à leur servitude, par la mort du capitalisme en tant que classe.

Mais l’autre formule : « plutôt la mort que la servitude », est peut-être plus insidieuse.

Quoi de plus « asservi » qu’un cadavre, même glorieux ! Ce genre de formule a conduit des millions d’hommes aux charniers de la guerre impérialiste ; ils croyaient mourir pour en finir avec la servitude… et ils renforçaient celle-ci, dans la victoire autant que dans la défaite !

La seule lutte acceptable est donc celle qui dresse une classe opprimée contre la poignée de puissants parasites qui l’exploite.

Il faut donc, plus que jamais, refuser l’hypothèse de la guerre impérialiste, derrière laquelle se profilent les appétits des Krupp et des Schneider, des Montécatini et des Vickers.

Il faut donc se consacrer uniquement à une implacable lutte de classe internationale, au lieu de se laisser chloroformer par les constructions juridiques internationales du capitalisme.

Cette lutte de classe internationale nous l’avons appelée lors de la conquête de l’Ethiopie. Elle apparaît encore plus nécessaire pour desserrer l’étreinte du fascisme qui cherche à broyer les travailleurs d’Espagne. La puissance syndicale doit s’engager à fond : faire passer par tous les moyens tout ce qui manque à nos frères de combat ; arrêter par tous les moyens tout ce qui va dans le camp ennemi. Inutile de demander quelque permission que ce soit à qui que ce soit… Réseaux, routes, bateaux, douanes, arsenaux, usines, télégraphes, transports sont à la merci de la force prolétarienne. Tout ce que doit exiger du gouvernement, de notre gouvernement, c’est qu’il laisse agir les masses qui l’ont porté au pouvoir.

On peut le lui dire, en toute cordialité, mais avec impatience. Il cède trop à la pression de classe de l’ennemi dans certains domaines. Tout se paie ! Et l’expérience espagnole est cruelle à ce sujet : au moment du péril, les généraux, les diplomates, les hauts fonctionnaires obéissent à leur caste et trahissent le peuple. Trop de généraux, trop de diplomates, trop de hauts fonctionnaires sont encore en place, chez nous. Et l’on n’est même pas capables de remplacer à la radio tel « collaborateur » fasciste, casé par Mandel…

Cela ne peut pas durer…

Nous ne voulons pas attendre l’heure des combats décisifs pour sonder le degré de fidélité au peuple de certains complices de l’ennemi bien connus. Nous voulons traquer, dans les services publics, les amis de Franco, de Hitler et de Mussolini avant d’entrer en lutte directe avec leurs bailleurs de fonds, nos Juan March et autres Schneider.
Enfin, face aux bandes qu’ils constituent, avec leurs Dorgères, Doriot, Sabiani et de la Rocque, nous appelons les travailleurs conscients du péril à la constitution des milices de défense populaire. Ce n’est pas en masquant les antagonismes de classe, c’est en les accusant ; ce n’est pas en protestant platoniquement, c’est en luttant qu’on restera fidèle aux leçons de l’Histoire.

Qu’on le veuille ou non, avec l’avant-garde espagnole, l’Europe entre dans un nouveau cycle de révolution… ou de guerre. Il faut hâter l’heure de la Révolution prolétarienne internationale si l’on veut éviter la plus effroyables des guerres…

Il faut se souvenir aussi que le fascisme n’est pas autre chose que « le châtiment terrible qui s’abat sur les prolétariats lorsqu’ils ont laissé passer l’heure de la Révolution… » (1)

Marceau PIVERT

P.-S. – Je suis obligé de constater que plus d’un mois après la décision unanime prise au Comité national de Coordination (P.S. P.C.) une lettre de rectification que j’avais adressée à l’Humanité n’a pas encore été insérée. (Pas plus d’ailleurs qu’une autre lettre, datant de trois semaines, émanant de l’unanimité de la C.E. de la Seine.)
1 Cf. le beau livre de notre mai Daniel Guérin, Fascisme et grand capital (NRF, Gallimard), 18 fr., qui constitue une analyse pénétrante de cette vérité.

Dessin de Pivert par Raoul Cabrol (© BDIC)

Collectivisations. L‘Œuvre constructive de la Révolution Espagnole (Korsch, 1938)

16 juillet 2016

Cette note de lecture de Karl Korsch parue dans Zeitschrift für Sozialforschung 7, 1938 (p. 469-474) sera développée dans l’article paru dans Living Marxism N°6 (avril 1939) dont nous avons déjà publié le pdf. Cette « version courte » nous a été signalée par Harald W.

Collectivisations. L’œuvre constructive de la Révolution Espagnole. Recueil de documents. Avant-propos d’A. Souchy, Ediciones Tierra y Libertad, Barcelone 1937.

Le premier but de ce recueil consiste à briser ce cercle de silence et de déformations grâce auquel une partie essentielle de la nouvelle phase de développement de la révolution espagnole commencée depuis le 19 juillet 1936 a été jusqu’à présent presque complètement cachée aux yeux de la classe ouvrière internationale.

Mais également en dehors de ce but particulier, cette présentation autorisée par les organisations ouvrières dirigeantes de Catalogne, des méthodes et des résultats de la collectivisation dans la province d’Espagne la plus avancée industriellement a une importance théorique générale en tant que documentation historique de premier ordre. Les éditeurs se sont donné pour tâche de laisser parler autant que possible les révolutionnaires espagnols eux-mêmes.

Le recueil qu’ils présentent contient, surtout, à côté de quelques courtes esquisses ne servant qu’à parfaire l’image d’ensemble, des documents originaux: actes d’appropriations, rapports des syndicats, résolutions, statuts, etc., et les rapports, reportages, interview que les membres du mouvement révolutionnaire en fonctions ont eux-mêmes donnés, sur les différents secteurs de l’industrie et les différentes localités.

Le caractère de documentation pure n’est pas en fait seulement externe dans cette étude, mais il se manifeste jusque dans le style et dans l’ensemble de l’attitude et de la mentalité qui y sont exprimées, et c’est ainsi justement qu’à pu s’établir un document à la fois humain au plus haut point et satisfaisant aux exigences de l’objectivité.

Les rapports et les récits de gens simples de la ville ou du village, jamais secs ni ennuyeux, redonnant pour ainsi dire la voix de la révolution espagnole, « l’action du prolétariat tel qu’il est » dans leur grandiloquence jamais affaiblie par une retouche prétentieuse, donnent à l’ouvrage dans son ensemble, en liaison avec les éléments plus strictement documentaires, le caractère d’une authenticité profonde.

Il est presque superflu, dans ce cas unique, que les éditeurs déclarent expressément à la fin que « on ne trouvera dans ce livre, ni des louanges ni des calomnies, ni exagérations ni affirmations. Nous avons donné simplement la parole à l’ouvrier espagnol pour qu’il raconte au monde entier ce qu’il a fait pour obtenir et pour défendre sa liberté et son bien-être. » [p. 5]

La première (pp. 32-44) des quatre parties du livre traite du caractère général de la « nouvelle économie collective » et donne en même temps au lecteur, dans un panorama, donné en annexe, de l’économie catalane (pp. 45-47), l’explication matérielle de la position primordiale de Barcelone dans l’ensemble de l’économie espagnole et le rôle décisif, reposant sur ce fait, des ouvriers de l’industrie catalane dans les luttes sociales de la lasse ouvrière espagnole (pp. 48-160). Dans la deuxième partie les méthodes et les résultats du travail collectif sont présentés séparément pour les différentes branches de l’industrie.

Les troisième et quatrième parties donnent une description, répartie selon les cantons, les villes et les villages, du commencement et du fonctionnement actuel d’une économie communautaire réalisée plus ou moins complètement.

Au contraire de beaucoup d’autres « décrets de socialisation » de l’histoire européenne moderne, le décret de collectivisation du Conseil Économique catalan du 24.10.1936, reproduit entièrement aux pages 32-42, ne contient que la légalisation après coup d’une modification réalisée déjà à l’époque, en fait presque complètement pour la plus grande partie de l’industrie et des transports. « Il ne contient, aucune initiative spéciale dépassant le cadre créé de l’action accomplie par les ouvriers » [pp. 29-30]. Il n’y eut là point de longues enquêtes sur les « tâches et les limites de la collectivisation », point d’organe consultatif convoqué dans ce but et dépourvu de toute autorité pratique tel que la trop fameuse « Commission Permanente » de la révolution française de février 1848 et sa fidèle copie, la « Commission de Socialisation » allemande de 1918-1919.

Le mouvement des ouvriers anarcho-syndicalistes espagnols, largement préparés à cette tâche depuis de longues années en un dialogue sans cesse renouvelé et importé sans relâche des grandes villes jusque dans les coins de campagne les plus reculés, était fixé sur ses propres objectifs économiques et avait dans l’ensemble une idée tout à fait réaliste des premières démarches pratiques à effectuer pour atteindre ses objectifs. -il se souciait peu, surtout dans la première phase, de la consolidation politique et juridique des nouvelles situations économiques et sociales créées par son initiative. Mais même cette erreur des débuts, qui ne peut être qu’incomplètement rectifiée par la suite, était un état de choses difficile à éviter.

Il n’y avait à l’époque, dans toute la Catalogne, en dehors du Comité des Milices antifascistes, établi par les responsables du mouvement libertaire des ouvriers, ni pouvoir public ni parlement.

Il n’y avait pas non plus de grands propriétaires capitalistes à exproprier. Une part considérable des plus grandes entreprises appartenait au capital étranger. Ses représentants’ avaient été tout autant que les gros propriétaires locaux partisans plus ou moins déclarés des généraux en rébellion. Les uns comme les autres avaient fui après l’échec du soulèvement à Barcelone, à moins qu’ils n’aient, comme Juan March et Francisco Cambó, déjà quitté à l’avance la patrie qu’ils vouaient à la guerre civile.

L’offensive, décrite dans ce recueil, menée par les ouvriers catalans contre le capital ressemble donc dans la première phase à une lutte contre l’ennemi invisible: les directeurs des grands chemins de fer, des agences de transports urbains, des compagnies de navigation du port de Barcelone, les propriétaires des usines textiles de Tarrasa et Sabadell avaient disparu et c’était bien une exception lorsque comme pour l’appropriation des tramways de Barcelone, décrite p. 63-64 dans les bâtiments administratifs abandonnés des grandes sociétés monopolistes, se trouvaient encore quelqu’un à qui les ouvriers accordèrent la vie et la liberté.

De la sorte, le prolétariat catalan out s’installer à volonté dans les entreprises et bureaux abandonnés. Les entreprises collectivisées continuèrent à fonctionner après la prise en charge par les ouvriers de façon tout à fait semblable, comme « les sociétés anonymes de l’économie capitaliste » [p. 30] (p. 42).

Les assemblées générales des ouvriers procédèrent au vote du « conseil » dans lequel toutes les phases de l’activité de l’entreprise étaient représentées: production., administration, services techniques, etc., tandis que la liaison permanente avec le reste de l’industrie était assurée par les représentants des centrales syndicales participant pareillement aux conseils et la gestion elle-même resta confiée à un directeur élu, dans les entreprises assez importantes, avec l’accord du Conseil Général de l’industrie correspondante, étant bien souvent l’ancien propriétaire, gérant ou directeur de l’entreprise socialisée (p. 43).

La ressemblance externe ne signifie pas pour autant que la collectivisation n’ait rien changé d’essentiel à l’ancien mode de production des entreprises industrielles et commerciales. Elle ne fait que montrer la facilité relative avec laquelle on peut réaliser des transformations profondes, mises partout en évidence dans ce recueil, de la production, de l’administration, du paiement des salaires, etc., sans grandes modifications de forme ou d’organisation.

Une fois que -comme ce fut le cas ici grâce à d’heureuses circonstances-la résistance des anciennes puissances économiques et politiques fut pour un temps complètement éliminée et par la suite, les ouvriers en armes purent passer aussitôt de la solution de leur tâche de combat purement militaire à la continuation et à la transformation de la production, tâche à laquelle ils s’étaient préparés si largement pendant la période précédente dans leurs rêves apparemment exaltés et « utopiques ».

Les ouvriers avaient même préparé pour cette autre tâche du socialisme, si difficile, qu’est la collectivisation de l’agriculture, leur propre programme plein de réalisme et avaient cherché à le purifier de toute précipitation, exagération ou erreur psychologique.

La résolution du Congrès de la C.NT à Madrid en juin 1931 retransmise textuellement dans ce recueil [pp. 14-15] (pp. 19-20), sur la collectivisation des sols et des terrains, qui, depuis, avait été répandue et expliquée dans tout le pays par les propagandistes anarchistes et syndicalistes à travers toutes les phases changeantes du mouvement révolutionnaire, refoulé ou reprenant du terrain, fournit à présent, en juillet et août 1936, dans chaque village, une ligne directrice pratique pour leur propre action aux ouvriers agricoles et petits métayers ne pouvant compter que sur leur propre initiative, soutenus ou retenus par aucune sorte d’autorité. Les formes concrètes dans lesquelles cette tâche a été maintenant résolue par les producteurs agricoles eux-mêmes, sont illustrées par la résolution de l’assemblée plénière des ouvriers agricoles de la Catalogne, reproduite [pp. 101-102] p. 148 et suivantes et les exemples qui suivent des règlements et des plans d’organisation établis dans les différents districts et communes pour l’année agricole 1936-1937 (pp. 151-170).

De la description très détaillée de la réalisation de la collectivisation dans les secteurs industriels les plus importants: transport, textile, industries diverses, alimentation, etc., qui occupe la deuxième partie du livre, on ne peut donner ici que quelques traits principaux. Dans chacun de ces chapitres, nous voyons aussi déjà apparaître clairement, à côté de la nouvelle organisation sociale créée pour le secteur d’industrie en question, les débuts de ces grands succès qui ont été obtenus dans l’évolution ultérieure pour le maintien et l’extension de la production par cette grande initiative économique et sociale du mouvement ouvrier libertaire (dans l’arrière-pays de la guerre civile d’Espagne).

Nous n’y trouvons pas seulement l’abolition des conditions de travail inhumaines, la hausse des salaires et la réduction du temps de travail, les nouvelles formes expérimentées à présent pour niveler les différences de salaires entre ouvriers et employés, entre ouvriers qualifiés et non-qualifiés, entre hommes et femmes, adultes et jeunes, le « salaire unique » et le « salaire familial » (en français dans le texte).

Nous voyons aussi passer au premier plan, dans chaque secteur d’industrie, les questions d’augmentation et d’amélioration de la production, dans une proportion augmentant visiblement de semaine en semaine. Nous apprenons la création de branches d’industrie absolument nouvelles contre l’industrie optique, créée par la révolution elle-même (pp. 105¬110). Nous voyons comment, principalement, les secteurs de production qui souffrent de la pénurie de :matières premières étrangères ou qui sont superflus pour les besoins immédiats de la population sont reconvertis de plus en plus dans la production de matériel de guerre qui se fait de jour en jour urgente, et comment, dans ce but ainsi que pour subvenir aux besoins des victimes de la guerre et des réfugiés qui affluent en masse des zones occupées par Franco, même les couches ouvrières les plus pauvres, à peine libérées de leur ancien état de misère incommensurable, à la ville et à la campagne, renoncent à nouveau volontairement au loisir et au train de vie qu’ils viennent de conquérir.

Mais pour les éditeurs, l’intérêt principal de cette description ne consiste pas à mettre en évidence ces mérites négatifs du renoncement auxquels bien trop souvent, s’est limitée la reconnaissance des réalisations grandioses des ouvriers espagnols dans les deux dernières années. Il leur importe bien plus de montrer l’importance qu’ont revêtu, pendant toute la première période de la collectivisation espagnole, qui est retracée dans ce livre, l’existence et l’activité de ce type de syndicats bien particulier à l’Espagne et surtout à la Catalogne et à Valence, type qui, jusque récemment encore, fut condamné par les autres tendances du mouvement ouvrier européen, comme une forme utopique et vouée à l’échec en cas de conflit. Ce sont justement ces formations syndicalistes, opposées à la formation de partis et au centralisme, dont les affaires ne furent jamais gérées par des employés professionnels, mais par l’élite des ouvriers de la branche industrielle correspondante, qui ont constitué, grâce à leur initiative et leur activité persévérante où ils s’impliquaient eux-mêmes, la base décisive de l’énergie et de la perfection des performances réalisées. Cette leçon historique de la collectivisation espagnole est indépendante de l’issue finale des luttes actuelles et elle est d’une importance permanente pour l’évolution de l’organisation et la tactique du mouvement ouvrier.

C’est également à l’énergie particulière, ne se laissant entraver par aucun obstacle qu’elle aurait créé elle-même, de ce mouvement antiétatique qu’il faut attribuer le fait que la collectivisation s’étendit -comme le montre entre autres (pp. 111-112) l’exemple du monopole de 1’Etat du pétrole-dès le début, avec la plus grande évidence, tout autant aux entreprises déjà nationalisées et municipalisées qu’aux entreprises capitalistes privées. Sous cet angle, les collectivisations (dont traitent les pages 125-139) des services publics (éclairage, énergie, énergie hydraulique) sont du plus grand intérêt.

Par contre, des tâches secondaires telles que la collectivisation de l’artisanat et du commerce ne sont qu’insuffisamment traitées dans ce recueil: s’y rattachent le rapport quelque peu naïf sur la collectivisation des salons de coiffure (pp. 139-148), réalisée particulièrement vite et avec bonheur et les informations données dans l’ »introduction » sur la règlementation sociale du commerce ambulant à Barcelone (pp. 23-24). Les contributions les plus valables à la solution de ces tâches ne se trouvent pas dans les paragraphes du livre qui s’y consacrent en propre, mais dans d’autres paragraphes où elles sont traitées indirectement. Il en est question en liaison avec le problème plus important de la socialisation de la production agricole (pp. 148-160) et dans les rapports détaillés des quatrième et cinquième parties de l’ouvrage qui englobent plus ou moins l’ensemble de la production et du mode de vie des villes et cantons d’importance moyenne.

Le caractère non plus théorique, mais purement narratif et descriptif de ces deux parties, interdit de rendre, dans ce bref exposé, ne serait-ce qu’une petite fraction de leur riche contenu.

Chacune de ces quatorze petites descriptions, qui semblent à peine ébauchées, mais qui touchent à tous les problèmes fondamentaux de la société humaine, rend compte des traits plus pu moins typiques mais toujours caractéristiques de l’évolution de la nouvelle vie dans les conditions locales différentes données par l’évolution générale du pays. La description commence par la situation industrielle avancée dans le centre textile de Tarrasa situé encore a proximité de la grande ville, avec ses 40.000 habitants dont 14.000 ouvriers, dont 11.000 sont organisés dans la CNT anarchosyndicaliste, le reste dans l’UGT social-démocrate; puis elle descend à partir de là en passant par de multiples niveaux intermédiaires jusqu’aux petits villages et jusqu’aux plus petits de la Catalogne, de l’Aragon et de la Manche, les plus misérables et les plus primitifs, éloignés de toute civilisation industrielle ou urbaine, mais pourtant emportés puissamment dans cette vie nouvelle.

« Et nous observons constamment que« , remarquent les éditeurs à cet endroit de leur compte-rendu, que « dans de petites villes peu peuplées on a fait de grandes réalisations au point de vue révolutionnaire, plus importantes, certes, que dans des villes à population nombreuse » [p. 148] (p. 217).

Et, dans un sens semblable, il est dit à la fin du livre, dans le rapport sur une bourgade passée dans sa totalité à la forme de vie du « communisme libertaire »: « Membrilla est peut-être la ville la plus pauvre d’Espagne, mais elle est la plus juste « .

collectivizaciones

Voir aussi: