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Fascisme, Guerre… ou Révolution ! (Pivert, 1936)

20 juillet 2016

80ème anniversaire de la Révolution espagnole

Republications estivales

Article dans la tribune du Populaire du 11 août 1936.

Pour que la révolution prolétarienne espagnole triomphe du fascisme international, il nous faut évidemment fournir à nos frères de classe tous les moyens matériels et techniques dont ils ont besoin.

Mais leur victoire, comme la nôtre, exige également une stratégie politique clairvoyante.

Premier écueil à éviter : favoriser le passage de la guerre civile en Espagne à la guerre internationale. Une pression formidable des impérialismes exaspérés s’exerce dans ce sens. En apparence, on peut croire que la guerre que le monde capitaliste porte en son sein est celle des « démocraties » contre « le fascisme ». Mais, en fait, c’est d’un nouveau partage du monde qu’il s’agit. La haute banque, l’industrie lourde, les trusts se disputent âprement les débouchés, les zones d’influence, les colonies. Ils font et défont les accords internationaux. Ils commandent et déterminent les coalitions d’appétits. Ils financent, dans tous les pays, les formations fascistes destinées à briser la résistance prolétarienne. Le régime capitaliste ne peut plus se prolonger que par la guerre et le fascisme : abattre le fascisme doit être un moyen de faire reculer la guerre impérialiste en laissant aux travailleurs la libre disposition de leurs pensées, de leurs bras, de leurs vies… Il n’y a pas de pire aberration que de consentir à la guerre pour se délivrer du fascisme.

– Cependant, diront certains, l’intervention de Hitler et de Mussolini et de nos propres fascistes aux côtés des rebelles espagnols est bien évidente et nous devons en tenir compte.
– Sans aucun doute ! Nous n’avons pas attendu, nous, cette « révélation » pour dénoncer le mensonge de la « défense nationale ». Nous savons, pour l’avoir découverte dans l’expérience historique autant que dans la doctrine, cette vérité socialiste élémentaire : les intérêts de classe du capitalisme passent désormais avant toute considération de solidarité nationale.

Et c’est pourquoi nous ne confondons pas la nécessaire lutte révolutionnaire pour le renversement du capitalisme avec la criminelle guerre « de défense nationale » destinée à renforcer la domination capitaliste grâce à des millions de cadavres de prolétaires.

C’est pourquoi, en face des tentations monstrueuses de retour à l’union sacrée « des Français », nous lançons notre cri d’alarme ! Mais il ne suffit pas de mettre en garde ; et nous avons toujours préconisé une action directe autonome de classe comme UNIQUE moyen de conquérir le pain, laliberté, la paix. Nous rencontrons ici les formules jetées dans la discussion au dernier congrès du Syndicat des instituteurs : elles semblent nettement insuffisantes pour traduire une tactique de classe.

« PLUTOT LA SERVITUDE QUE LA MORT » n’est pas une formule dépourvue de contenu pour l’individu, quoi de pire que la mort ? Mais une classe comme le prolétariat ne meurt pas. Elle est plus ou moins asservie (plus avec le fascisme – moins avec la démocratie bourgeoise). Ce qui importe, c’est qu’elle lutte et ne se résigne point. En ce sens, l’exemple admirable des travailleurs espagnols dément avec raison la formule trop simpliste : ils conduisent, les armes à la main, la lutte émancipatrice par excellence, celle qui mettra fin à leur servitude, par la mort du capitalisme en tant que classe.

Mais l’autre formule : « plutôt la mort que la servitude », est peut-être plus insidieuse.

Quoi de plus « asservi » qu’un cadavre, même glorieux ! Ce genre de formule a conduit des millions d’hommes aux charniers de la guerre impérialiste ; ils croyaient mourir pour en finir avec la servitude… et ils renforçaient celle-ci, dans la victoire autant que dans la défaite !

La seule lutte acceptable est donc celle qui dresse une classe opprimée contre la poignée de puissants parasites qui l’exploite.

Il faut donc, plus que jamais, refuser l’hypothèse de la guerre impérialiste, derrière laquelle se profilent les appétits des Krupp et des Schneider, des Montécatini et des Vickers.

Il faut donc se consacrer uniquement à une implacable lutte de classe internationale, au lieu de se laisser chloroformer par les constructions juridiques internationales du capitalisme.

Cette lutte de classe internationale nous l’avons appelée lors de la conquête de l’Ethiopie. Elle apparaît encore plus nécessaire pour desserrer l’étreinte du fascisme qui cherche à broyer les travailleurs d’Espagne. La puissance syndicale doit s’engager à fond : faire passer par tous les moyens tout ce qui manque à nos frères de combat ; arrêter par tous les moyens tout ce qui va dans le camp ennemi. Inutile de demander quelque permission que ce soit à qui que ce soit… Réseaux, routes, bateaux, douanes, arsenaux, usines, télégraphes, transports sont à la merci de la force prolétarienne. Tout ce que doit exiger du gouvernement, de notre gouvernement, c’est qu’il laisse agir les masses qui l’ont porté au pouvoir.

On peut le lui dire, en toute cordialité, mais avec impatience. Il cède trop à la pression de classe de l’ennemi dans certains domaines. Tout se paie ! Et l’expérience espagnole est cruelle à ce sujet : au moment du péril, les généraux, les diplomates, les hauts fonctionnaires obéissent à leur caste et trahissent le peuple. Trop de généraux, trop de diplomates, trop de hauts fonctionnaires sont encore en place, chez nous. Et l’on n’est même pas capables de remplacer à la radio tel « collaborateur » fasciste, casé par Mandel…

Cela ne peut pas durer…

Nous ne voulons pas attendre l’heure des combats décisifs pour sonder le degré de fidélité au peuple de certains complices de l’ennemi bien connus. Nous voulons traquer, dans les services publics, les amis de Franco, de Hitler et de Mussolini avant d’entrer en lutte directe avec leurs bailleurs de fonds, nos Juan March et autres Schneider.
Enfin, face aux bandes qu’ils constituent, avec leurs Dorgères, Doriot, Sabiani et de la Rocque, nous appelons les travailleurs conscients du péril à la constitution des milices de défense populaire. Ce n’est pas en masquant les antagonismes de classe, c’est en les accusant ; ce n’est pas en protestant platoniquement, c’est en luttant qu’on restera fidèle aux leçons de l’Histoire.

Qu’on le veuille ou non, avec l’avant-garde espagnole, l’Europe entre dans un nouveau cycle de révolution… ou de guerre. Il faut hâter l’heure de la Révolution prolétarienne internationale si l’on veut éviter la plus effroyables des guerres…

Il faut se souvenir aussi que le fascisme n’est pas autre chose que « le châtiment terrible qui s’abat sur les prolétariats lorsqu’ils ont laissé passer l’heure de la Révolution… » (1)

Marceau PIVERT

P.-S. – Je suis obligé de constater que plus d’un mois après la décision unanime prise au Comité national de Coordination (P.S. P.C.) une lettre de rectification que j’avais adressée à l’Humanité n’a pas encore été insérée. (Pas plus d’ailleurs qu’une autre lettre, datant de trois semaines, émanant de l’unanimité de la C.E. de la Seine.)
1 Cf. le beau livre de notre mai Daniel Guérin, Fascisme et grand capital (NRF, Gallimard), 18 fr., qui constitue une analyse pénétrante de cette vérité.

Dessin de Pivert par Raoul Cabrol (© BDIC)

L’Internationale et la guerre (1935)

8 février 2016

Ces thèses d’Otto Bauer, Théodore Dan, Amédée Dunois et Jean Zyromski (auxquelles répondra Marceau Pivert dans La Révolution avant la guerre (Révolution d’abord!)) jouèrent un rôle important dans l’éclatement du courant Bataille socialiste en 1935.

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L’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative

25 octobre 2015

Nous faisons le point sur les volumes de l’Encycplopédie de poche publiée sous la direction technique de Compère-Morel. Ces volumes furent publiés en 1912-1913 et en 1921 pour les derniers. Ils sont tous disponibles mais sur des sites divers, et ont été numérisés par le CODHOS ou l’Université de Toronto.

encyclopédie

Pour une politique de classe par un Parti de classe (Pivert, 1937)

11 octobre 2015

Brochure de Marceau Pivert, octobre 1937:

COMME LES AUTRES ?

Le Parti Socialiste S.F.I.O. est-il donc un Parti comme les autres ?

Comme les autres partis politiques de la bourgeoisie, qui promettent démagogiquement monts et merveilles lorsqu’ils se présentent devant les électeurs et qui s’inclinent complaisamment devant le mur d’argent, ou le « danger extérieur » lorsqu’ils sont au pouvoir ?

Comme les autres partis social-démocrates d’Europe qui ont été utilisés par le grand capital financier pour neutraliser l’action directe prolétarienne au moment où elle aurait pu réussir, puis rejetés, après épuisement, pour laisser la place au fascisme ?

Le Parti Socialiste S.F.I.O. qui avait résisté aux compromissions participationnistes en période de recul prolétarien va-t-il se vautrer dans une participation déshonorante avec les ministres imposés par la Banque Lazard, en période de montée des masses ?
Le Parti Socialiste S.F.I.O. qui avait chassé de ses rangs les révisionnistes les plus étrangers à un véritable parti prolétarien et internationaliste, va-t-il reprendre à son compte la trilogie monstrueuse « Ordre ! Autorité ! Nation ! » ?

Léon Blum, qui était « épouvanté » en juillet 1933 à l’énoncé des principes du « néo-socialisme » n’a-t-il rien à dire devant l’œuvre de « paix sociale » et « d’union sacrée » à laquelle il est associé, et avec lui, notre Parti ? L’ordre, à coups de crosses de garde mobiles contre les grévistes des H.C.R.B. ou de la terre ; l’autorité, grâce à la répression féroce des tribunaux bourgeois contre les électeurs du Front populaire ; la Notion, armée, casquée et livrée à l’état-major de l’impérialisme ; est-ce que tout cela est conforme aux principes constitutifs du Parti socialiste ? Est-ce que nous devons être solidaires de cela ? ou le dénoncer impitoyablement ?

*

Passons aux finances,

A l’origine de toutes les crises sociales il y a une question financière…

Le Parti Socialiste S.F.I.0. qui a dénoncé l’égoïsme de classe de la bourgeoisie au lendemain de la guerre va-t-il, maintenant, prendre en charge toutes les faillites économiques, toutes les manipulations monétaires, tous les tours de passe-passe de la superfiscalité de consommation qu’il a condamnées pendant 20 ans ?

La dévaluation, la déflation budgétaire, la fausse monnaie, la recherche de l’équilibre, la politique « de confiance », la grande pénitence, la compression des dépenses publiques… la course aux économies… combien de fois avons-nous mis en évidence : soit leur inefficacité, soit leurs répercussions douloureuses sur le niveau de vie des masses laborieuses ?

Et maintenant ? Osera-t-on nous demander de célébrer leurs vertus ? Aux acclamations des profiteurs et des triomphateurs, ces honnêtes seigneurs qui s’appellent Cailloux, Laval, Régnier, Abel Gardey… ?

Enfin, le Parti Socialiste S.F.I.O., qui a voté contre le traité de Versailles, travaillé au désarmement, combattu les deux ans, refusé, par principe, les crédits militaires et toujours décliné la moindre responsabilité dans le mécanisme effroyable de l’impérialisme français va-t-il devenir une pièce maîtresse sur l’échiquier international, chargé de chloroformer le prolétariat de notre pays avant que ses maîtres ne le conduisent à une nouvelle hécatombe ?…

Que signifient ces manifestations tricolores jusqu’au sein de nos Congrès? Ces 11 Novembre et ces 14 Juillet où la frontière de classe est soigneusement camouflée ?

A quoi bon voter des motions, prendre des décisions, réunir des assemblées en faveur de la défense laïque, au moment même où le Gouvernement dit de Front populaire, à participation socialiste, reçoit officiellement le représentant du Pape et fournit aux futures légions fascistes le moyen de rassembler des masses énormes autour de la Bienheureuse Ste-Thérèse de Lisieux ? A quoi bon ?

Le Parti Socialiste S.F.I.O. n’est-il pas en train de devenir un autre Parti Radical, sensible à toutes les corruptions du pouvoir ? Le Parti Socialiste S.F.I.0. n’est-il pas en train de suivre le même chemin que la sociale-démocratie allemande ? ?

*

Si nous connaissions mal notre Parti Socialiste S.F.I.O., nous pourrions en effet, à toutes ces questions accablantes, répondre par un geste découragé.

Mais nous croyons qu’il vaut mieux que cela !

Nous croyons que les erreurs et les capitulations qui viennent de provoquer de la stupeur, d’abord, de la colère et de la révolte bientôt n’ont pas encore entraîné toutes leurs conséquences.

Nous croyons qu’ils sont innombrables, les militants socialistes sans peur et sans reproche, capables de trouver en eux-mêmes le courage et le dévouement nécessaires à tous les redressements.

Nous croyons que le Parti est autre chose que quelques-uns de ses « chefs » même les plus éminents, Et qu’après avoir tiré de ceux-ci tout ce qu’ils pouvaient donner, il est capable d’aller plus loin, de servir plus complètement, avec moins d’hésitation, avec plus de foi et d’audace, la cause de la Révolution nécessaire. Nous croyons que le Parti est un organisme vivant, dont les masses doivent faire l’instrument de leur libération.

Et c’est en fonction de cet organisme vivant, en simple militant qui croit à la nécessité de la démocratie prolétarienne permanente et de la conquête du pouvoir par les travailleurs, que j’ai voulu apporter mon effort pour faire d’un Parti exclusivement électoral et parlementaire un Parti idéologiquement et matériellement armé pour les combats décisifs.

*

Ce Parti sera-t-il bientôt le Parti unique du prolétariat ?

Je l’ignore, mais pourvu qu’il permette à chaque militant de contribuer, comme je le fais ici en toute liberté à son orientation générale, je le souhaite ardemment.

En tout cas, quoi qu’il arrive, rien ne dispensera le prolétariat de cet effort acharné, auquel j’apporte ma modeste contribution :

— Pour une politique autonome de classe,

— Pour un Parti à la fois démocratique et révolutionnaire,

— Pour un Front populaire de combat,

— Pour la préparation de la conquête du pouvoir par les masses travailleuses.

Non ! Le Parti de la classe ouvrière ne peut pas être et ne sera pas un Parti « comme les autres… » si ses militants expérimentés, cultivés, maîtres de leurs nerfs et sachant ce qu’ils veulent, font la preuve qu’ils ne sont pas, eux, des « politiciens »… comme les autres.

I.  POUR UNE POLITIQUE DE CLASSE

VERS L’OFFENSIVE ANTICAPITALISTE

Quel doit être le rôle du Parti de la classe ouvrière dans les événements actuels ?

Sous peine de déchéance, le Parti de la classe ouvrière doit exprimer constamment les intérêts des exploités et diriger leurs luttes contre la cause de toutes leurs misères : le régime capitaliste.

Le Parti de la classe ouvrière ne peut pas être destiné à faciliter le rétablissement du régime capitaliste toutes les fois que celui-ci, incapable de maîtriser ses contradictions, fait appel à la collaboration du Parti des travailleurs.

Si la bourgeoisie est obligée de faire appel à la collaboration du Parti des travailleurs, c’est là une circonstance dont celui-ci doit s’emparer pour accabler, désarçonner et affaiblir l’ennemi.

Partant de ce point de vue : que devait être, que doit être encore le grand rassemblement de masse opéré sous le signe du Front populaire ?

Une occasion, pour la bourgeoisie, de neutraliser l’action offensive du prolétariat, en l’amenant à consentir au renforcement de son appareil militaire de classe ?

Ou une occasion, pour le prolétariat, de désarticuler, de démanteler la structure économique du capitalisme?

Poser la question, c’est la résoudre.

Le Front populaire ne peut être, ne doit être qu’un moyen de rassembler toutes les catégories de victimes de la crise du régime économique pour les conduire à une vigoureuse offensive anticapitaliste.

Est-ce cela qu’on en a fait ?

Non !

Après avoir arraché des lois sociales considérables, grâce à la combinaison de l’action gouvernementale et de l’action directe (occupation massive des entreprises) on a laissé la mécanique du système capitaliste rétablir la « marge » de profit. Les grands trusts, les monopoles de fait, ceux qui « commandent » vrai ment, en dictant tes prix, ont profité de la perturbation sociale déclenchée par les travailleurs pour augmenter encore leur puissance, accentuer leur pouvoir, piller encore plus largement leurs concitoyens. Qu’a-t-on fait contre eux ? On a respecté la légalité capitaliste!… On a joué le jeu: l’économie fonctionne toujours pour fabriquer du profit. Mais comme le prolétariat n’est pas disposé à se laisser faire, comme il a le droit et le devoir d’exiger l’adaptation de ses salaires aux indices des prix, il se produit une sorte d’écartèlement entre les deux pôles de la lutte sociale : grand capitalisme d’un côté, prolétariat de l’autre. Entre les deux, serrés dans l’étau, les classes moyennes, petits artisans, petits industriels, petits commerçants (bientôt, car leur tour viendra, les petits paysans), supportent le poids de l’exploitation renforcée du grand capitalisme et sont tentés de l’attribuer à la conquête des lois sociales.

Ainsi se trouve posée politiquement et économiquement la nécessité de maîtriser les trusts, c’est-à-dire d’entamer une lutte vigoureuse pour remettre entre les mains de l’ensemble de la Nation la direction et la gestion des grandes entreprises dominées par les oligarchies capitalistes.

Ou bien le Parti de classe entraînera le Front populaire à cette offensive contre les trusts.

Ou bien les trusts, dont la puissance sur la presse, sur l’industrie lourde, sur la banque, sur les assurances, sur les réseaux, sur l’énergie électrique est plus formidable que jamais, détermineront à bref délai le rassemblement des colères et des déceptions qui fournira ses meilleures troupes au fascisme.

La leçon des événements italiens, celle des événements d’Allemagne ou d’Autriche auront-elles été oubliées, à ce point, par les travailleurs de France ?

AU SECOURS DES CLASSES MOYENNES

On s’imaginerait à tort que le Parti du prolétariat doit limiter son action aux seules revendications du prolétariat : Sa politique de classe doit être tout naturellement soumise à la direction de la classe ouvrière, mais celle-ci doit élargir le cercle de ses préoccupations égoïstes et savoir, s’associer à toutes les victimes de la crise du régime : seul le prolétariat, comme moteur et comme animateur de la lutte de classes est capable de conduire celle-ci jusqu’à son terme ; mais s’il comprend sa tâche historique, il ne sera pas seul à recueillir le fruit de ses efforts ( 1 ) .

D’où il résulte que la nationalisation des industries-clés et du crédit doit être envisagée pour venir en aide à la majorité des salariés employés dans les petites entreprises où ils risquent soit d’être trustés des lois sociales, soit de voir disparaître l’entreprise elle-même. Une véritable expérience d’économie dirigée doit commencer alors, mais à condition que le prolétariat en assure, dès le départ, l’orientation générale vers le but final.

En ce sens, on peut même dire que les classes moyennes ballottées entre les deux pôles contraires du grand capitalisme et du prolétariat, ont plus encore que les prolétaires, intérêt à la transformation du régime, car elles sont plus immédiatement menacées.

Ainsi, dans l’étape que nous devons envisager aujourd’hui, c’est par la nationalisation des trusts que se vérifiera le mieux cette affirmation de solidarité.

De quoi souffrent les classes moyennes ? Le petit industriel est écrasé par les charges sociales qui ne lui laissent qu’une marge bénéficiaire de plus en plus faible parce que le volume des salaires constitue une fraction importante du prix de revient dans sa petite entreprise.

Mais ses frais généraux seront considérablement diminués si la nationalisation de l’industrie électrique permet de lui accorder le courant à un prix très faible, et non seulement le courant, mais le gaz, ou le charbon venant de la mine nationalisée, ou la matière première sortant de la grosse industrie métallurgique ou chimique également nationalisée, ou enfin les crédits provenant de la Banque nationalisée.

Le petit paysan voit monter le prix, des machines, des produits industriels dont il a besoin, des engrais, des fers et aciers… Tous les produits du sol, sauf le blé, sont encore soumis aux fluctuations, manœuvres spéculatives et prélèvements des trusts. On ne le délivrera que par la généralisation des offices, mais surtout par l’utilisation, à son profit, des secteurs nationalisés : l’engrais à bon marché, fourni par la grosse industrie chimique, l’électricité, les machines, et même les semences sélectionnées et l’outillage léger, livrés directement par les entreprises nationalisées, à des prix d’autant plus bas que les cultivateurs consentiront à grouper en coopératives et en syndicats les petites unités individuelles de la production.

Le petit commerçant est à la merci d’échéances difficiles. La hausse des prix assèche sa trésorerie, les lois sociales retentissent sur sa marge bénéficiaire comme dans le cas du petit industriel. Là aussi, la nationalisation du crédit, la liaison directe avec les grands entrepôts nationalisés, l’encouragement accordé aux formes coopératives ou syndicales d’achat et de réapprovisionnement permettront au petit commerce en voie d’écrasement de s’adapter, de résister, et de découvrir le chemin qui conduira les travailleurs de la boutique à des formes supérieures d’organisation, c’est-à-dire de bien-être, au même titre que tous les autres travailleurs.

Insistons sur le fait que pour ces quelques catégories représentatives de ce qu’on appelle « ¡es classes moyennes », comme pour toutes les autres, la nationalisation des assurances et celle de l’énergie électrique allégeront immédiatement les frais généraux et accroîtront considérablement les garanties de sécurité pour la couverture de tous les risques, calamités agricoles, incendie, vol, chômage, maladie, vieillesse, décès.

PAR L’ACTION DIRECTE DES MASSES

Encore faut-il s’entendre sur la méthode à employer pour arracher au grand capitalisme ses privilèges et mettre sous le contrôle et sous la direction des travailleurs le secteur économique qui fait sa puissance.

S’agit-il seulement d’obtenir une majorité au Parlement ?

S’agit-il de laisser fonctionner la légalité pseudo-démocratique sans appui extérieur ? On sait ce que cela donnera : le bluff et le mensonge des fausses réformes, qui masquent habilement la domination de classe mais sans la détruire, sont désormais transparents. Les nationalisations comme celle de la Banque de France ou des industries de guerre (2) n’ont pas modifié sensiblement le caractère de classe des institutions. Les grands capitalistes de chez Brandt, Schneider ou Hotschkiss ont été copieusement indemnisés. (Brandt continue d’ailleurs, par l’intermédiaire de son gendre, à faire exploiter ses brevets en Italie… au bénéfice de Franco). Ils sabotent efficacement la production, dans l’espoir de racheter bientôt leurs usines pour presque rien.

Nous ne voulons pas de ces pseudo-réformes bureaucratiques et accomplies par accord amiable entre les capitalistes et l’État (capitaliste).

Nous voulons de véritables conquêtes ouvrières, c’est-à-dire une REPRISE, une EXPROPRIATION, une transformation réelle de NATURE. Qui commandera ? Qui gérera ? Qui pourra mettre à profit la nouvelle gestion ? Telle est la question essentielle à laquelle nous répondons : LES TRAVAILLEURS ORGANISES DANS LEURS SYNDICATS.

Sous la direction d’un gouvernement de Front populaire de combat, le statut juridique des entreprises nationalisées sera sans doute « mixte », comme l’a toujours revendiqué la C. G. T. : gestion tripartite avec représentants des usagers, des producteurs et de l’Etat. Mais le fonctionnement du nouveau service public devra être syndicalisé et non étatisé (Voir la brochure de l’U.T.S. : les Conseils d’entreprises.)

Seulement, ce qu’il faut bien savoir, dès maintenant, ce qu’un Parti doit dire, mettre en évidence, préparer dans les esprits et dans les faits, c’est que seule l’action directe prolétarienne permettra d’obtenir ces résultats. C’est qu’il s’agit là, vraiment, d’une bataille de classe de première grandeur, exigeant toutes les ressources de la technique de lutte autonome, sans compromis, sans ruse, sans faiblesse.

Un militant syndicaliste, René Guerdan, s’adresse à Léon Blum en ces termes (3) :

« Gouverner, ce n’est pas préparer ces dosages florentins, ces ingénieux compromis, ce n’est pas effectuer ces virevoltes savantes entre la chèvre et le chou, ou ces laborieux croisements entre la carpe et le lapin. Le nœud gordien se tranche, il ne se dénoue pas… Nous connaissons ce jeu subtil de votre esprit ondoyant qui, excellent dans l’art de plaire, s’est efforcé tout au long de votre vie de marier les contraires… Mais maintenant les finasseries ne sont plus de mise, et ce que l’on vous demande, chef incontesté du Front populaire, ce ne sont plus des mains fines et habiles de tireur de dogme, ce sont des mains rudes et calleuses de travailleur qui bâtit. C’est à la gorge qu’il faut prendre les abus… »

Fort bien !

Mais c’est à soi-même qu’il faut commencer par adresser des commentaires du même ordre, et le syndicalisme doit savoir, de science certaine, que les seuls progrès véritables accomplis dans la voie de l’émancipation ouvrière l’ont été en vertu de l’effort et des sacrifices autonomes des travailleurs ; « Ne t’attends qu’à toi seul ! »

CONTROLE DES CHANGES ET CENTRALE DES DEVISES

(Les illusions conscientes de Georges Bonnet.)

Nous avons dénoncé devant le Parti (4) l’opération politico-financière qui a conduit à la substitution du gouvernement Chautemps-Bonnet au gouvernement Blum-Auriol.

Nous nous sommes élevés contre l’affirmation audacieuse suivant laquelle ce gouvernement de la Banque Lazard était l’expression du Front populaire.

Aujourd’hui (5), nous pouvons vérifier cette affirmation dans les chiffres officiels eux-mêmes.

On a commencé par frapper les classes pauvres en dissimulant parfois les mesures prises derrière des apparences de coercition envers les riches. 10 mil liards 1 /2 d’impôts et taxes nouveaux, payés directement ou par incidence par la classe productrice…

  • Majoration de 20 % pour les revenus supérieurs à 20.000 francs.
  • « Aménagement » des droits d’enregistrement et de timbre.
  • Elévation de la taxe à la production de 6 à 8 %.
  • Relèvement des droits de douane et de licence.
  • Modification du régime du ferrocérium, des briquets, de la bière.
  • Majoration de 20 % pour les tabacs.
  • Droits de licence et taxes sur le combustible pour les transports routiers.
  • Elévation de l’affranchissement postal.
  • Augmentation du tarif des transports (18 % pour les marchandises.)

Presque toutes ces mesures reviennent à diminuer la capacité de consommation de la classe ouvrière.

La deuxième dévaluation également. Une inflation de 15 milliards de billets peut tirer la trésorerie d’une échéance difficile, mais cet artifice se paie par la nécessité de présenter un nombre plus considérable de signes monétaires pour acquérir le même objet : nouvelle diminution de la capacité de consommation des travailleurs.

Dans ces conditions, on ne peut que rougir de honte à la lecture du Populaire du 22 juillet, qui affirme que les mesures prises par Georges Bonnet ne sont pas des mesures de déflation ! Un socialiste ne peut se prêter à une telle tentative de bourrage de crâne. Car, seule, la vérité est révolutionnaire.

Cela rappelle les communiqués enthousiastes du Secrétariat du Parti, sur « la finance-asservie » par l’emprunt de défense nationale du 5 mars. Piètres procédés qui discréditeraient à jamais le socialisme s’ils pouvaient être acceptés et généralisés par des militants « suiveurs », prêts à obéir servilement à toutes les cabrioles intellectuelles de leurs porte-paroles ou de leurs porte-plumes. Mais heureusement la race des Beni oui-oui et les brigades d’acclamations spontanées font place, dans le Parti, à une génération de militants indépendants, capables d’auto-critique, et imperméables aux littératures politiques frelatées. Quel est donc le résultat de l’intermède G. Bonnet-Lazard, imposé au front populaire et accepté, grâce à l’intervention prestigieuse, personnelle, sentimentale de Léon Blum et Paul Faure, par notre Parti de classe, malgré son instinctive révolte contre cette comédie ?

C’est entendu, M. Bonnet affirme que le budget sera enfin en équilibre. C’est entendu « Le Populaire » affirme que la fixation du plafond de la Trésorerie, alimentée par l’emprunt de 25 milliards de dépenses, « SE JUSTIFIE par l’équilibre budgétaire ».

Or, depuis 1931-32, JAMAIS l’équilibre n’a été réalisé, et en 1937, il ne le sera pas plus qu’avant le Front populaire.

tableau

La gestion du gouvernement Blum a-t-elle aggravé cette situation; l’a-t-elle améliorée ?

Les chiffres répondent. Le déficit du budget ordinaire était de 8 milliards et demi, (moins que celui de Doumergue, autant que celui de Laval). Les émissions prévues pour finir l’année devaient atteindre 36 milliards, parmi lesquels 10 milliards 1/2 de remboursements. L’augmentation de la dette est donc un peu plus considérable : 26 milliards (dont 8 pour les municipalités). Mais n’oublions pas l’augmentation des dépenses militaires, consenties en septembre 1936, et hypothéquant lourdement (tout se paie!!!) l’expérience de rénovation économique entreprise trop timidement.

Vient M. Bonnet, retour de Washington. La grande presse reprend les thèmes traditionnels : l’équilibre du budget redevient le prétexte classique aux « compressions ». Cela signifie qu’on fera payer le lampiste. En effet, non seulement par les mesures fiscales rappelées ci-dessus, mais par les décrets « d’économie » imposant aux collectivités publiques, départements, communes en défi cit l’obligation d’augmenter leurs tarifs, on va trouver des ressources dans la poche des pauvres : augmentation des tarifs de tramways, d’autobus, de métro, du gaz, de l’eau, de l’électricité… et des centimes additionnels quand cela ne suffit pas…

Cela n’empêchera pas le déficit de s’établir autour des mêmes chiffres, ni la dette publique de s’accroître d’un volume à peu près constant : 16 milliards environ d’après les calculs de F. Delaisi (3).

En somme… ça continue !

Et pourtant, le Front populaire a été formé « pour que ça change ». La grande politique de G. Bonnet et Lazard consiste à prévoir, d’ici la fin 1938 :

  • 16 milliards d’impôts nouveaux.
  • 15 milliards de faux billets.
  • 25 milliards de Bons du Trésor.

Mais tout n’est pas dit.

La compression brutale des moyens de consommation qui va ramener cet hiver les travailleurs à un niveau inférieur à celui qu’ils avaient sous Laval, va inévitablement déclencher une crise sociale sérieuse.

Il faudra choisir entre la politique des Banques et la politique du peuple. Je dis bien politique des Banques (et des trusts), car nous ferons un jour le bilan des avantages considérables obtenus pendant 1936-37 par les forbans du grand capitalisme dans leurs opérations de change, de dévaluations et de spéculations internationales.

Il faudra donc en finir une fois pour toutes.

C’est pourquoi nous devrons exiger les seules mesures capables d’arracher leur pouvoir infernal aux oligarchies économiques et financières : sur le plan financier, la seule mesure efficace à envisager avant que l’encaisse or ne soit tombée à un rapport trop faible par rapport à la circulation, c’est le contrôle des changes.

Sans entrer dans les détails, cette institution a pour principe la centralisation de tous les besoins et la fourniture de toutes les devises nécessaires au règle ment des transactions commerciales.

D’une part, les commerçants qui ont besoin de devises s’adressent à la Centrale, qui vérifie naturellement l’emploi de celles-ci (par exemple, on établira des factures visées par les consulats pour les matières importées).

D’autre part, les exportateurs seront placés dans l’obligation de rapatrier leurs devises (par exemple, par l’obligation de faire enregistrer à la Centrale la facture d’une cargaison exportée, le service des douanes étant chargé de vérifier la concordance des déclarations.)

On peut imaginer, à partir de cette institution, la création d’une monnaie intérieure et d’une monnaie extérieure. Enfin, on peut la compléter par des mesures relatives aux titres étrangers pour imposer leur négociation par le canal d’établissements bancaires spécialisés.

De toute façon, le contrôle des changes deviendra une nécessité qu’on a retardée le plus possible, comme pour mieux permettre à certains forbans inter nationaux de rafler des fortunes sur la misère des travailleurs. Mais l’heure de la justice approche et les complices devront être traités avec la même rigueur que les profiteurs directs.

[à suivre dans le pdf]

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Notes:

(1) Rappelons l’importance des petits entrepreneurs (chiffres arrondis) : 200.000 patrons occupant moins de 50 ouvriers (dont 175.000 occupent moins de 5 ouvriers) , occupent en tout : 5 millions et demi de salariés. 18.000 chefs de grosses entreprises ou administrateurs de sociétés, occupent en tout : 4 millions de salariés.

(2) Ou des réseaux avec la nouvelle société « nationale » à majorité confiée à « l’intérêt général ».

(3) L’Homme Réel, juin 1937.

(4) Conseil National extraordinaire du 22 juin 1937.

(5) 30 septembre.

Organisation et action de la section socialiste du CRRI (1917)

10 octobre 2015

Centenaire 1914-1918

Brochure du Comité pour la reprise des Relations internationales:

crri1917-couv

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Voir aussi:

Les socialistes face à la censure de guerre… même après la guerre

27 juin 2015

Article paru dans La Révolution prolétarienne N°789 (juin 2015):

Dès août 1914, une censure sévère avait été mise en place en France : quasiment tous les journaux l’ont subie à un moment ou un autre. L’Humanité, ralliée à l’Union sacrée, ne fut pas extrêmement censurée même si le total des interventions de la censure sur la durée de la guerre est significatif1. C’est par la suite, avec l’apparition d’organes nationaux d’inspiration pacifiste – à partir de 1916 – que des socialistes et des libertaires eurent à subir le plus durement la censure.

Il n’y eut pas que les journaux qui furent censurés : les réunions publiques étaient interdites (même des réunions « privées » subirent le même sort), des tracts étaient interdits et saisis, et les correspondances surveillées – voire saisies. Même des cartes postales anodines étaient considérées comme de la « propagande pacifiste », et en conséquence interdites.

L’apparition en 1916 de la revue hebdomadaire Le Populaire marque une date importante quant à la situation des socialistes face à la censure pendant la Première Guerre mondiale. D’orientation « pacifiste modérée » (le courant dirigé par Jean Longuet), Le Populaire fut largement censuré – même s’il ne représentait pas l’aile la plus radicale des socialistes pacifistes, qui animaient pour leur part le Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI) avec des syndicalistes et des libertaires. Le CRRI ne disposait pas d’une presse, bien que le projet ait été plusieurs fois envisagé. Mais ses brochures et tracts, diffusés sans autorisation, étaient régulièrement saisis. Des militants libertaires proches du CRRI créèrent en 1916 l’hebdomadaire Ce qu’il faut dire, qui fut régulièrement censuré et saisi, et qui cessa de paraître à la fin de l’année 1917.

La censure ne disparut pas après l’armistice du 11 novembre 1918. Le Parti socialiste SFIO avait changé de direction en octobre 1918, les pacifistes ayant emporté la majorité lors du congrès. Dès lors les pacifistes dirigeaient l’organisation, et la censure continua de s’exercer contre eux pendant une année. Après plus de quatre années d’une censure de guerre rigoureuse, cette censure politique limitait l’information des militants et sympathisants socialistes, par exemple sur les mouvements révolutionnaires en cours en Europe.
La censure de 1914 à 1919 a été diversement subie par les socialistes, en fonction de leur attitude face à la guerre et à l’Union sacrée. Elle a en tout cas été un fait marquant de la situation politique et sociale de cette période [2].

Julien CHUZEVILLE

Popu1erdecembre 1918

Le Populaire censuré en décembre 1918 : le programme de la Ligue Spartacus (révolutionnaires d’Allemagne) est intégralement «blanchi».

Notes:

[1] Alexandre Courban, « L’Humanité dans la mêlée (1914-1918) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 92, 2003.
[2] Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Guiral et Fernand Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, tome III : de 1871 à 1940, PUF, 1972, et Maurice Rajsfus, La Censure militaire et policière (1914-1918), Le Cherche Midi, 1999 (réédition 2014).
Certains aspects rapidement esquissés ici sont développés dans ma biographie politique de Fernand Loriot (L’Harmattan, 2012) et dans mon livre Militants contre la guerre 1914-1918 (Spartacus, 2014).

Lettre à Edouard Vaillant (Nicod, 1914)

7 août 2014

Centenaire 1914-1918

Lettre publiée dans l’Eclaireur de l’Ain du 4 octobre 1914, citée dans Le mouvement ouvrier pendant la guerre d’Alfred Rosmer. René Nicod est secrétaire fédéral SFIO de l’Ain depuis 1912. Dans Pierre Brizon: pacifiste, député socialiste de l’Allier, pèlerin de Kienthal, Pierre Roy précise: « Nicod participa à la conférence nationale du parti socialiste le 7 février 1915 et y exposa son point de vue (que l’Humanité réduisit à presque rien) mais à son retour chez lui il trouva un ordre de mobilisation et une mise en jugement qui devait le conduire en conseil de guerre… ». René Nicod devait perdre l’usage de sa main gauche à la guerre.

J’ai lu dans l’Humanité de mardi, sous votre signature, la phrase suivante, qui n’a pas manqué de m’inquiéter:

 « Et quand l’invitation nous est venue comme tout récemment encore, de rencontrer à l’étranger des délégués socialistes de divers pays, nous nous y sommes refusés. »

Qu’est-ce à dire ? Cette invitation à laquelle vous faites une claire allusion a-t-elle été faite individuellement à un membre du Parti, qui avait le droit, personnellement, de refuser ou d’accepter la discussion ?

Ou bien a-t-elle été faite au Parti lui-même, qui n’avait pas alors le droit de refuser avant d’avoir consulté les organismes qui forment sa constitution ?

Eh quoi ! nous refuserions de nous rencontrer avec les socialistes des autres sections de l’Internationale, de la section allemande surtout, à l’heure surprême et tragique où, plus que jamais, nous devons maintenir l’union de l’Internationale au-dessus du charnier européen.

Nous restons la seule force de paix, l’unique salut de l’espérance humaine et nous allons bénévolement, d’un geste impie, éteindre la seule lumière qui répand quelque clarté dans les ténèbres profondes de la guerre ! Quel souffle mauvais a donc passé sur notre pays et semble avoir fait pâlir les intelligences les plus vives ?

Camarade Vaillant, il faut vous ressaisir ! Il faut éviter à notre Parti l’aventure la plus mortelle: l’abandon de notre idéal de fraternité humaine. L’Internationale tout entière attend de nous une attitude qui soit digne de notre vieille tradition révolutionnaire.

Qui sait si les socialistes allemands eux-mêmes, du fond de leur coeur et de leur conscience meurtris par l’impérialisme prussien, n’attendent pas de nous, de notre générosité latine, de notre clairvoyance socialiste, de notre respect de la tradition révolutionnaire, le geste de salut qui sera comme le signe avant-coureur de la paix prochaine.

J’ose dire qu’en ce moment nous nous écartons du droit chemin, nous oublions notre devoir socialiste.

Au lendemain de l’assassinat de Jaurès, Sembat disait que, dans les moments difficiles, notre recette sera celle-ci: qu’en penserait Jaurès et que ferait-il s’il était là ?

S’il était là, hélas! ce grand socialiste lutterait pour la paix, malgré la tourmente. Il entrerait en relations avec les socialistes allemands, il essaierait, de ses larges épaules, de soulever la pierre du tombeau où gît inanimée l’Europe du travail, de la science et de la vie.

Il le ferait crânement, simplement, en dépit des clameurs des honteux ou des pusillanimes, sans souci des criailleries des polémistes étourdis qui prétendent que la paix ne doit se traiter qu’à Berlin – formule dangereuse et grosse de périls.

Camarade Vaillant, pour l’honneur de notre Parti, pour l’honneur de l’Internationale, par respect pour la mémoire de celui dont le nom figure toujours dans la manchette de notre journal – baptisé du beau nom d’Humanité – il faut faire les suprêmes efforts en faveur de la paix, il faut parler avec les socialistes allemands.

Un siècle après l’assassinat de Jaurès

13 juillet 2014

« Je veux, pour ma petite part, révolutionner les cerveaux. Je veux en chasser le préjugé capitaliste et bourgeois et y installer la claire idée communiste. »

(Jean Jaurès, 1er février 1902 [1])

Le 31 juillet, cela fera exactement un siècle que le socialiste Jean Jaurès a été assassiné par un nationaliste. Ce meurtre politique s’inscrivait en conclusion de violentes campagnes antisocialistes menées par la droite et l’extrême droite.

Le problème des commémorations de cette « année Jaurès », c’est que l’on observe souvent une tendance à ce que l’arbre Jaurès cache la forêt du mouvement ouvrier. Dans cette optique de célébration du « grand homme », on a parfois l’impression que Jaurès était un défenseur isolé de la paix. En réalité, ce sont des centaines de milliers de militants qui luttaient pour la paix en France (en particulier par l’action de la CGT qui était à l’époque syndicaliste-révolutionnaire), et des millions en Europe. Face à la guerre qui venait, les plus avancés de ces militants défendaient un internationalisme radical, dans la lignée de celui de Karl Marx qui écrivait par exemple que « la nationalité du travailleur n’est pas française, anglaise, allemande, elle est le travail, le libre esclavage, le trafic de soi-même. Son gouvernement n’est pas français, anglais, allemand, c’est le capital. L’air qu’il respire chez lui n’est pas l’air français, anglais, allemand, c’est l’air des usines. »[2]

Jaurès, partisan sincère de la paix, était cependant critiqué par d’autres socialistes pour ses concessions. En 1911, Rosa Luxemburg lui reprochait de céder à l’état d’esprit de « politique chauvine » régnant en France [3]. Leurs conceptions de l’internationalisme, de toute évidence, différaient grandement, même s’ils se retrouvaient sur certains sujets – dont la nécessité d’agir pour empêcher la guerre. Pour notre part, nous adhérons à la conception internationaliste qui était celle de Marx et de Luxemburg.

De plus, la « synthèse » jaurésienne aboutissait en fait à une pratique réformiste, même s’il ne rejetait pas toujours la perspective révolutionnaire. Rosa Luxemburg lui reprochait non seulement de renoncer aux principes socialistes, mais par son soutien à des gouvernements bourgeois d’échouer concernant les objectifs immédiats : « la tactique de Jaurès qui voulait atteindre des résultats pratiques en sacrifiant l’attitude d’opposition s’est montrée la moins pratique du monde ». Plus encore, par cette compromission « Jaurès a […] paralysé la seule force vivante qui pouvait défendre en France la République et la démocratie », à savoir « le prolétariat socialiste »[4].

En dépit de ces divergences, voir le gouvernement actuel – qui mène une politique économique de droite en poursuivant l’austérité – se revendiquer de Jaurès tient de l’escroquerie. Le parti de Jaurès avant l’unification de 1905, le Parti socialiste français, avait parmi ses revendications immédiates la « gratuité de la justice », la « suppression du Sénat et de la présidence de la République »[5], etc. Si Hollande et Valls voulaient vraiment rendre hommage à Jaurès, mieux vaudrait appliquer ces mesures plutôt que d’aligner lieux communs et contre-sens historiques lors d’inaugurations où les petits fours prennent plus de place que les ouvriers.

Lorsque Jaurès parlait du Parti socialiste, c’était pour évoquer « son rouge drapeau communiste et internationaliste » [6]. Le parti qui usurpe aujourd’hui ce nom est opposé à cette conception : il fait la politique du patronat et non des travailleurs, et l’actuel Premier ministre Manuel Valls a poussé l’antisocialisme jusqu’à tenir des propos xénophobes (à l’encontre des Roms).

Un siècle après l’assassinat de Jaurès, un siècle après la barbarie de la Première Guerre mondiale qui fit des millions de morts, aujourd’hui en 2014 nous considérons qu’un internationalisme conséquent et constant est plus que jamais indispensable. La lutte pour le socialisme passe nécessairement par la lutte contre tous les nationalismes, contre toutes les xénophobies, contre tous les gouvernements qui mettent en place des politiques d’austérité, pour en finir avec toutes les formes d’exploitation et d’aliénation. Comme l’écrivait Jaurès, c’est « par l’abolition du capitalisme et l’avènement du socialisme que l’humanité s’accomplira »[7].

Critique sociale

jaures

Notes:


[1] Jean Jaurès, Œuvres tome 8, Fayard, 2013, p. 255.
[2] Karl Marx, Notes critiques sur Friedrich List, reproduit dans Critique Sociale n° 29, janvier 2014.
[3] Rosa Luxemburg, Œuvres tome 3, Smolny & Agone, 2013, p. 270.
[4] Luxemburg, Œuvres tome 3, p. 125 et 130 (article de 1901).
[5] Compte-rendu du congrès du PSF du 2 au 4 mars 1902 à Tours, pp. 376-377.
[6] Jaurès, Œuvres tome 8, p. 29. Précisons pour éviter tout malentendu que Jaurès emploie le mot « communiste » dans son sens réel, et évidemment pas pour se référer aux dictatures capitalistes d’Etat mises en place par des léninistes.
[7] Jaurès, Œuvres tome 8, Fayard, 2013, p. 433.

Tendre la main aux catholiques ? (Pivert, 1937)

13 mai 2014

Brochure pdf de 36 pages:

Pivert - Tendre la main-1

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Interview de Marceau Pivert sur le catholicisme (1936)

25 février 2014

Paru dans Sept N°118 (29 mai 1936).

Dans un clair cabinet de travail, entouré de jeunes militants socialistes, M. Marceau Pivert, membre de la C.A.P. du parti socialiste, m’expose, avec cet art professoral qui lui est propre, son point de vue et celui  de ses amis :

« Je suis socialiste, syndicaliste, laïque et, par conséquent, les problèmes spirituels  ne sont considérés par moi que sous l’angle  matérialiste, comme des épiphénomènes.

Vous prenez donc à leur égard une attitude de simple expectative ?

  —Pas du tout ! Nous sommes aussi des acteurs dans le monde actuel. Nous prenons position en face de tous les problèmes :  Quand nous travaillons au renversement de l’ordre économique actuel, nous touchons à un certain nombre de valeurs spirituelles qui ont pu être considérées comme permanentes et définitives et qui sont en réalité  toute relatives à une étape du progrès de  la civilisation.

Mais vous proposez-vous de combattre  effectivement les diverses croyances ?

Tout ce qui concerne les croyances individuelles ne peut être abordé par nous  qu’indirectement, comme un aspect du problème économique. Mais nous savons bien que la seule existence de notre mouvement prolétarien constitue déjà une sorte de lésion à l’égard des croyances.

Si je vous comprends bien : liberté absolue de conscience ?

Oui ! Tout ce qui est du domaine de la conscience individuelle est hors de notre objectif essentiel. Une seule exception en ce qui regarde l’enfance : l’Etat moderne doit être laïque et protéger l’enfant contre les diverses croyances.

En ce qui concerne plus spécialement le catholicisme, avez-vous une autre attitude ?

— Tout ce qui touche à la vie politique doit être soumis aux mêmes règles. Nous voulons empêcher l’intrusion de l’Eglise dans la vie politique. Je prends un exemple : lorsque l’Eglise catholique encourage et favorise la politique d’expansion de l’Italie contre l’Ethiopie, elle joue incontestablement un rôle politique et doit s’attendre à en subir les conséquences. Nous ne sommes pas contre l’Eglise en tant que communauté spirituelle, mais en tant  qu‘instrument de domination politique et économique d’une classe.

— Sur le plan pratique, au regard des divers mouvements d’action catholique, quelle sera voire attitude ? Les groupements de jeunesse, la J. O. C. par  exemple ?

Nous considérons que la J.O.C. divise la classe ouvrière sur son propre terrain de classe et fait par suite le jeu du capitalisme. Nous sommes donc adversaires, nous ne le cachons pas.

L’enseignement ?

—  Nous réclamons la nationalisation de l’enseignement jusqu’à quinze ans. Au delà, nous ne voyons pas d’inconvénient à la liberté.

La presse?

Liberté, sauf si elle sert ouvertement, par ses mensonges et sa corruption, la cause des ennemis du peuple.

Les syndicats ?

Il n y a qu’un seul prolétariat, il ne doit y avoir qu’un seul syndicat. Ceux qui créent des divisions servent objectivement les ennemis de la classe ouvrière. »

MICHEL.P. HAMELET.

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