1976 Une correspondance sur les tactiques socialistes

Paru dans Socialisme mondial N°6

Socialisme mondial à Pour une intervention communiste

Nous ferions les observations suivantes sur votre plateforme:

1. Décadence du capitalisme:

D’après nous, c’est vers la fin du XIX° siècle que le capitalisme a rempli sa mission historique, c’est-à-dire, à construire la base matérielle pour une communauté socialiste mondiale. Ceci fait, le capitalisme a cessé d’être un système social progressiste et est devenu un système désuet et réactionnaire. A partir de ce moment la seule tâche des socialistes a été de lutter pour le socialisme mondial et rien que pour le socialisme mondial. Dire que le capitalisme est devenu réactionnaire n’est pas nécessairement dire qu’il est entré dans une phase d’effondrement économique. A notre avis, le capitalisme ne s’effondrera jamais pour des raisons économiques (comme, par exemple, une supposée « saturation des marchés »). Il ne disparaîtra que par l’action consciente d’une majorité socialiste ouvrière.

2. Unité du mode de production capitaliste

« La Russie, la Chine et autres pays à étiquette socialiste sont des capitalismes d’État soumis aux lois du marché mondial. Toutes les catégories essentielles du Capital y existent: production marchande, salariat… »

Tout à fait d’accord. Nous ajouterions que la révolution russe n’était pas une révolution « socialiste » ni « prolétarienne », mais d’essence une révolution capitaliste. Le coup d’état des bolchéviques en novembre 1917 était la prise du pouvoir par une nouvelle classe dirigeante en devenir, une classe qui allait développer et moderniser la Russie semi-féodale en étendant partout en Russie le salariat et la production marchande. Le bolchévisme, aussi bien en théorie (le parti avant-gardiste, etc) qu’en pratique, n’était pas un mouvement ouvrier ou socialiste.

3. Les luttes de libération nationale

« Elles ne peuvent se développer, aujourd’hui, que dans le cadre des conflits inter-impérialistes« .

D’accord. Le nationalisme est un piège pour la classe ouvrière. Les travailleurs de tous les pays du monde, de pays sous-développés ainsi que de pays industrialisés, doivent lutter pour le socialisme mondial comme seule solution à leurs problèmes. Les mouvements dits de « libération nationale » sont des mouvements capitalistes qui visent à établir des Etats nationaux capitalistes et à remplacer une classe dirigeante étrangère par une classe dirigeante indigène.

4. Les syndicats:

« Ce sont des organes de la contre-révolution en milieu ouvrier« .

Les syndicats ne sont pas des organisations socialistes ou révolutionnaires, d’accord, mais c’est une exagération de les nommer « contre-révolutionnaires ». Nous préférerions la critique sur les syndicats que Marx a fait il y a plus de cent ans:

« Les trade-unions agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètements du capital. Elles manquent en partie leur but dès qu’elles se bornent à une guerre d’escarmouche contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition définitive du salariat » (Salaire, prix et profit).

Aussi longtemps que le capitalisme persiste les travailleurs n’ont d’autre choix que négocier avec leurs employeurs le prix et les conditions de vente de leur force de travail – que ceci se fasse dans ou en dehors des syndicats actuels n’a aucune importance.

5. Les élections:

« Elles sont un terrain de mystification qui perpétuent l’idéologie démocratique (débats, suffrage universel, représentants élus,…) dont le Capital se sert pour masquer sa domination de classe et qu’il organise à grand renfort de conditionnement pendant des mois à l’avance. le prolétariat n’a rien à faire sur ce terrain: ni à participer ni à s’abstenir ».

Pas du tout d’accord. Ce n’est pas les institutions démocratiques qui sont en défaut (sauf qu’elles ne sont pas assez démocratiques et ne peuvent pas l’être dans le cadre du capitalisme) mais bien l’utilisation que la classe ouvrière en fait. A chaque élection les travailleurs élisent des députés qui représentent non pas leur intérêt mais l’intérêt de la classe capitaliste (ceci vaut pour les partis dits « socialistes » et « communistes » ainsi que pour tous les partis franchement capitaliste). Dans ce sens, la classe ouvrière fait un mauvais usage du suffrage universel. A notre avis, lorsque l’immense majorité des travailleurs sera devenu des socialistes convaincus ils pourront utiliser les élections pour prendre le pouvoir afin d’abolir le capitalisme (ou, comme Marx l’a dit, transformer le suffrage universel « d’instrument de duperie qu’il a été jusqu’ici en instrument d’émancipation », Le programme du Parti Ouvrier Français, 1880). La classe ouvrière a besoin de contrôler l’État pour une seule raison: non pas pour tenter de réformer le capitalisme (un travail futile) ni pour établir un « État ouvrier » ou un « gouvernement socialiste » (tous les deux des absurdes contradictions dans les termes) mais pour intimider et menacer la classe capitaliste pour qu’elle ne tente pas de résister à l’établissement du socialisme.

6. Le frontisme:

Les socialistes doivent lutter pour le socialisme mondial et ne peuvent donc faire front avec des organisations et des mouvements non-socialistes ayant des objectifs moindres (des réformes du capitalisme, indépendance « nationale », défense de la « patrie », etc.,…)

7. La Gauche du Capital:

Les gauchistes (trotskystes, maoïstes, etc) sont, comme vous le dites, « une des expressions politiques caractéristiques de la tendance au capitalisme d’Etat ». Ils se sont opposés à la classe dirigeante actuelle, bien sûr, mais non pas parce qu’ils veulent établir un capitalisme d’Etat dans lequel eux, comme « l’avant-garde », deviendraient la nouvelle classe des maîtres. Ils sont donc des ennemis de la classe ouvrière.

8. La révolution communiste:

« Elle ne vise pas les nationalisations, le contrôle ouvrier ou l’autogestion, qui ne sont que des solutions de sauvetage du système, mais elle a pour objet: la destruction du capital, de l’économie marchande et du salariat sur le plan mondial« .

D’accord, comme nous l’avons toujours proclamé. Le socialisme (ou le communisme, les deux mots ont la même signification) est un système mondial sans classes, sans argent, sans État(s), sans salaires, etc., dans lequel on produit pour la seule satisfaction des besoins humains et on distribue selon le principe « de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins », c’est-à-dire gratuitement.

9. La dictature du prolétariat:

Celle-ci correspond pour Marx à la période dans laquelle la classe ouvrière utiliserait démocratiquement afin d’abolir le capitalisme. Dans les années 1870 une telle « période de transition » aurait pu durer probablement un certain temps, mais aujourd’hui, grâce au développement massif des forces productives et de la classe ouvrière entretemps, cette période pendant laquelle la classe ouvrière devra utiliser le pouvoir politique sera très courte. Étant donné une majorité socialiste ouvrière dans les parties industrialisées du monde, le socialisme pourrait être établi presque immédiatement. Penser en termes d’une longue période pendant laquelle la classe ouvrière devrait combattre physiquement des forces capitalistes [c’] est vivre au XIX° siècle, qui était le siècle des révolutions bourgeoises. Les révolutions bourgeoises sont des révolutions violentes par qu’elles étaient des révolutions de minorités dans l’intérêt de minorités. La révolution socialiste, par contre, en tant que première révolution majoritaire que le monde connaîtra, sera une révolution essentiellement pacifique.

10. L’intervention et l’organisation communiste:

Nous n’aimons pas le mot « intervention » parce qu’il suggère que les socialistes (ou les communistes, comme vous voulez) sont des gens en dehors de la classe ouvrière, des gens qui doivent y intervenir. En fait les socialistes sont des travailleurs qui ont compris que le vrai objectif de la lutte de classes que le capitalisme engendre est le socialisme et qui luttent à disséminer cette même compréhension parmi leurs compagnons. La tâche des socialistes aujourd’hui est donc de faire des socialistes en dénonçant le capitalisme et en expliquant que c’est seulement dans le cadre d’une société socialiste qu’on peut résoudre les problèmes ouvriers. L’organisation socialiste est également une organisation de travailleurs socialistes, un « parti » dans le sens qu’elle vise l’utilisation du pouvoir politique pour établir le socialisme. Ce parti socialiste doit être une organisation complètement démocratique, sans dirigeants, où ceux choisis pour exécuter des tâches spécifiques sont responsables devant les membres et révocables à tout moment par eux.

C’est sur une telle base que le Parti socialiste du Canada et ses partis compagnons dans les autres pays sont organisés.

SOCIALISME MONDIAL.

Réponse de Pour une Intervention Communiste

En réponse aux observations que vous avez émises à propos de nos positions, nous vous faisons parvenir les remarques suivantes, en reprenant l’ordre de vos observations.

1. Si nous posons la décadence du capitalisme avec l’entrée dans la I° Guerre Mondiale, c’est que celle-ci parachève historiquement le processus de partage capitaliste du monde par les puissances impérialistes.

Par ailleurs, nous pensons que c’est une erreur de mésestimer le facteur économique dans le processus, non seulement du mouvement prolétarien, mais aussi du capitalisme:

a -les guerres ne signifient rien d’autre que la solution barbare du capitalisme à son effondrement économique et qu’une tentative de résolution de sa crise;

b – c’est une base de l’analyse de Marx d’affirmer que l’action consciente de la classe ouvrière pour la destruction du capitalisme a un lien direct et conjoncturel avec les crises d’effondrement économique du Capital.

2. Nous ne sommes pas d’accord quand vous dites que la révolution russe est une révolution capitaliste. C’est une position fausse et a posteriori (au vu du développement capitaliste de la Russie). Le Parti bolchévique assuma la construction de l’État capitaliste russe après la défaite du mouvement ouvrier international. Il est important de saisir que le processus qui va de février à octobre 1917 est un processus révolutionnaire prolétarien, culminant et commençant à faillir justement en octobre 17: dans un isolement momentané de la révolution russe, le Parti bolchévique revint rapidement aux analyses et positions social-démocrates qu’il n’avait jamais cessé de drainer puisque partie intégrante du « mouvement ouvrier » d’avant-guerre.

4. Le combat que mènent quotidiennement les prolétaires pour vendre leur force de travail est en même temps un apprentissage, une expérience de la lutte de classes et un pas vers l’affrontement final. Dans cette lutte quotidienne, les ouvriers s’affrontent aux syndicats et apprennent à connaître son rôle d’agent de conservation du Capital, sa fonction d’obstacle à la prise de conscience révolutionnaire du prolétariat. Les « réformettes » qu’il obtient (souvent plutôt parce que les ouvriers les ont obtenus contre eux) sont essentielles s’il veut, face au capitaliste, être le « représentant » du prolétariat et apparaître comme tel pour les prolétaires. Sinon, le syndicat n’aurait aucune utilité pour le Capital.

5. Tout ce qu’est la société capitaliste (structures, institutions) est la négation du prolétariat en tant que classe révolutionnaire. Les institutions et l’idéologie sont des terrains du Capital, où ce dernier est maître du jeu, et non des terrains du prolétariat qui ne peut y gagne que des illusions. Ce n’est donc pas sur ce terrain que peut vaincre le prolétariat. Les institutions démocratiques (terme qui n’a aujourd’hui aucun contenu révolutionnaire) sont le lieu privilégié des débats et conflits entre les différentes fractions du Capital et donc, de la mystification du prolétariat. Celui-ci ne peut avoir qu’une position face à ces institutions: leur destruction, non leur utilisation.

Ainsi, la révolution ne peut pas être pacifique parce que la violence est imposée par la bourgeoisie. Une fois encore, le prolétariat n’a pas à contrôler l’Etat, mais à le détruire.

10. Le fait que nous posions le problème d’une intervention communiste au sein de la classe ne signifie pas que les révolutionnaires sont en dehors de la classe. Il signifie que les révolutionnaires étant organisés en groupes, et n’étant pas les seuls groupes intervenant au sein de la classe ouvrière, ils ont des positions spécifiques et diffusent au sein de la classe ces positions et les perspectives qui en découlent.

P.I.C., 47 rue St-Honoré, 75001 Paris, France.

Réponse de Socialisme mondial

Notre position sur la révolution russe n’est pas ‘a posteriori ». Nous avons dit la même chose en 1918, c’est-à-dire que les bolchéviques ne pouvaient établir le socialisme dans une Russie arriérée et isolée et que (sans la révolution socialiste mondiale, bien entendu) la seule voie ouverte était le développement du capitalisme en Russie. Le coup d’état bolchéviste n’était qu’ « un moment dans le processus de la révolution bourgeoise elle-même » (Marx, La critique moralisante et la morale critisante), dans le processus de développement du capitalisme en Russie. Nous allons publier cette année une brochure sur le capitalisme d’état en Russie dans laquelle nous citerons nos textes de 1918.

Nous ne comprenons pas pourquoi vous insistez sur la nature violente de la révolution socialiste. Vous mettez la responsabilité de la violence sur la bourgeoisie, mais vous oubliez que, face à une majorité immense de socialistes, la bourgeoisie sera trop faible pour imposer la violence.

Socialisme mondial.

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