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Le Socialisme, seul, tuera la guerre (Vérecque)

17 février 2008

(Article paru dans La Femme Socialiste d’après la première guerre mondiale reproduit dans Misères et Guerre, 1934)

Nous sommes à peine sortis de la plus épouvantable guerre que les hommes aient connue que, déjà, de nouveaux cris de guerre s’élèvent de tous les pays. Mais si des hommes – des misérables et des fous – semblent vouloir recommencer la boucherie de 1914-1918, d’autres hommes, par contre, multiplient leurs efforts pour déshonorer la guerre et la rendre désormais impossible. Discours et Congrès, arbitrage international, manifestations et pétitions publiques, Société des Nations, etc.…, sont des moyens employés ou préconisés pour faire admettre la paix dans les esprits et l’imposer à notre pauvre humanité.

Je ne méconnais pas l’action menée pour l’établissement de la paix, et je ne voudrais pas décourager ceux et celles qui, venant de tous les points de l’horizon politique, essaient de l’organiser dans une société divisée contre elle-même, où la guerre sévit entre les hommes à tous les échelons de l’échelle sociale. Et si je m’associe à toutes les mesures propres à réconcilier les hommes de partout, je n’en crois moins que la guerre – comme le militarisme – ne prendra fin que par la suppression de la société capitaliste et l’instauration du collectivisme.

« On peut phraser contre la guerre, affirmait Guesde, au Congrès de Limoges, on ne saurait la supprimer dans une société basée sur les classes et leur antagonisme ».

Cela constitue une vérité si évidente que, depuis des centaines d’années, les rêves de paix et des projets de paix universelle et perpétuelle ont été faits, sans réussir à renverser une seule frontière ni à établir la fraternité entre les peuples.

C’est un roi de Bohême, Georges Podiébrad, qui, en 1464, développa devant Louis XI, un plan de pacification et d’organisation de l’Europe.

Ce sont Henri IV et Sully qui, à la fin du XVIe siècle conçurent un projet semblable et parlèrent d’une république d’Etats indépendants où les guerres eussent été rendues impossibles par l’institution d’une sorte de tribunal d’arbitrage.

C’est l’Anglais William Penn qui, en 1604, dans son Essai sur la paix présente et future de l’Europe, tenta de démontrer que l’Europe pourrait s’affranchir de la guerre par l’établissement d’une Diète ou Confédération.

C’est Emeric Lacroix qui, en 1623, dans son Discours ou occasions et moyens d’établir une paix générale, écrivit qu’une Diète ou Confédération internationale permanente aurait le pouvoir de résoudre les conflits.

C’est l’Allemand Leibnitz qui, en 1670, affirma que les querelles disparaîtraient d’entre les nations si celles-ci se formaient en Confédération.

C’est l’abbé de Saint-Pierre qui, en 1712, dans son ouvrage : Projets de paix perpétuelle, se montra le plus ardent défenseur de la paix.

C’est l’abbé Goudard qui, en 1764, dans son livre : La Paix de l’Europe ; c’est Mayer qui, en 1775, dans son Tableau politique et littéraire de l’Europe, proposèrent, pour fonder et maintenir la paix, des plans d’organisation de l’Europe qui rappellent ceux de l’abbé de Saint-Pierre.

C’est l’Allemand Kant qui, en 1795, dans un Essai philosophique sur la paix perpétuelle, exposa un plan de la paix au moyen de l’arbitrage.

Et depuis, depuis ces siècles écoulés, d’autres rêves de paix et d’autres projets de paix sont sortis des cervelles humaines. Combien de penseurs et de savants, d’écrivains et d’économistes ont proposé de réconforts et d’alléchants plans pour la réalisation de la paix, ou proclamé que les Etats-Unis d’Europe ou la Société des Nations, disposant d’une armée internationale, finiraient par tuer la guerre ?

Remarquons en passant que jamais il n’y a eu autant de guerres, autant de conflits, autant de sang répandu que depuis que l’on parle davantage de la paix. N’est-ce pas une ironie, d’ailleurs, d’entendre les trompettes de la paix résonner à nos oreilles et de voir les hommes de tous les milieux et de tous les partis, animés de sentiments de haine et de jalousie, s’entre-déchirer comme ne le font pas les animaux sauvages ?

Certes, on peut s’abandonner aux plus généreuses des illusions – je me souviens que, moi-même, au temps de mon adolescence, j’ai écrit un article qui avait pour titre : Guerre à la guerre – et vulgariser par la plume et la parole des idées de paix. C’est là un exercice que l’on répète depuis des siècles et qu’il n’est pas défendu de répéter encore. Mais on peut aussi agir et croire différemment. Ce ne sont pas des sermons de morale qui dirigent les hommes : ce sont leurs intérêts. Et leurs intérêts sont tels aujourd’hui qu’ils dressent les hommes les uns contre les autres.

La guerre et le militarisme – contre lesquels certains voudraient engager une campagne spéciale – sont des conséquences, des produits de la société capitaliste et ne disparaîtront qu’avec elle. C’est ce dont doivent bien se pénétrer ceux et celles qui, sincèrement, veulent la paix.

Guesde a écrit, à ce sujet :

« La guerre n’est qu’une des formes et un des effets de l’antagonisme des intérêts sur lequel est basée la société capitaliste et ne saurait disparaître qu’avec cette dernière … Rêver de paix internationale, alors que la guerre est partout, sévissant, dans l’ordre économique, non seulement entre les classes, mais dans le sein même de ces classes, entre les membres qui les composent, autant placer ses espérances de roses sur des orties ».

Oui, la paix est interdite à une société partagée en classes ennemies, basée sur la guerre économique, sur la lutte de tous contre tous, et dans laquelle, selon la parole de Hobbes, l’homme est un loup pour l’homme. Les efforts pour la réaliser peuvent permettre d’éloquents discours et d’énergiques protestations qui déchaînent, à l’occasion, les applaudissements et l’enthousiasme des foules, mais ils sont et demeurent impuissants pour abolir la guerre, parce qu’ils n’atteignent pas la source du mal.

Guesde, que je tiens encore à citer, a écrit :

« Tout ce que l’on tentera en faveur de la paix, présentée comme un objectif à atteindre isolément, en détournant les esprits de la révolution, ira contre cette paix, retardée d’autant, qui est et n’est qu’au bout du triomphe du Socialisme ».

Seul l’avènement d’un ordre nouveau, supprimant l’exploitation de l’homme par l’homme et faisant surgir la solidarité humaine de la communauté du travail et de la propriété, mettra fin au militarisme et fondera cette paix définitive, que l’on recherchera vainement en dehors du Socialisme.

C’est pourquoi le devoir et l’intérêt de ceux et celles qui poursuivent l’abolition de la guerre, de toutes les guerres est de venir au Parti Socialiste, qui est le seul parti de la Paix, le seul parti voulant et pouvant vouloir la Paix.

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