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Actualité de Socialisme ou Barbarie ?

14 décembre 2007

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C’est le sujet d’une soirée du Cercle Gramsci dont le compte-rendu est disponible en ligne.

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A l’occasion de la sortie d’une anthologie de la revue Socialisme ou Barbarie, le Cercle a choisi de se pencher, au cours de cette soirée du 12 juin, sur l’actualité de cette pensée qui a traversé les années 50/60. Socialisme ou Barbarie, à la fois groupe et journal, réunissait de fortes personnalités comme Castoriadis et Claude Lefort.

En ces temps où le capitalisme étend sur le monde une domination de plus en plus délirante, déshumanisante et destructrice au nom d’une prétendue fatalité économique, quand ce n’est pas d’une mission divine, il est urgent, si l’on veut comprendre ce qui se passe et tenter de s’y opposer, de se souvenir que «  ce sont les hommes qui font leur propre histoire « , et que l’état du monde résulte de leur action et non pas de forces économiques ou naturelles sur lesquelles ils n’auraient aucune prise, et que seule leur action, encore, peut changer la situation dans un sens désirable.
Cet axiome n’a cessé d’inspirer le groupe Socialisme ou Barbarie tout au long de son parcours de 1949 à 1967, ainsi que chacun des quarante numéros de la revue du même nom qu’il a publiée. Convaincu de la nécessité de comprendre la réalité pour œuvrer à sa transformation, il a développé une critique radicale des sociétés modernes. Par delà la division du monde en deux blocs qui prévalait alors, il s’est efforcé de mettre en évidence les traits attestant de l’unité profonde entre le capitalisme privé de l’Occident et les systèmes bureaucratiques des  » Pays de l’Est.  »
Ces traits caractérisent toujours la société  » mondialisée  » d’aujourd’hui : exploitation, division systématique entre dirigeants et exécutants, aliénation dans la sphère politique comme dans le travail et la vie quotidienne.
La réflexion critique menée par Socialisme ou Barbarie, qui ne se réclamait pas d’une science de l’histoire, de l’économie ou des sociétés, il fallait en chercher la source dans la vie réelle. Aussi, la revue a-t-elle donné une large place à des analyses concrètes portant sur les luttes sociales, sur les rapports de travail – dues notamment à P. Romano et à D. Mothé – sur la condition étudiante, sur la  » consommation « … et celles-ci ont contribué à fonder les élaborations théoriques d’un Castoriadis ou d’un Lefort.
C’est aussi en s’inspirant des créations pratiques – revendications, formes d’organisation, modes de combat… – surgies dans les luttes autonomes du mouvement ouvrier et particulièrement dans les crises révolutionnaires, que le groupe a élaboré une conception du socialisme fondée sur l’autogestion effective et généralisée, qui s’opposait en tous points à celle du stalinisme comme à celle de la social-démocratie. Et ce sont les mêmes idées qui ont guidé les interventions du groupe dans les mouvements politiques et sociaux de son époque.
Ces idées restent, pour l’essentiel, valables et peuvent apporter une contribution éclairante aux débats qui ont cours actuellement parmi ceux qui se préoccupent de trouver une issue à la désastreuse situation présente.

Hélène Arnold,
Daniel Blanchard

Lire le débat avec Helen Arnold, Daniel Blanchard, Philippe Caumières ici.

Voir aussi:

La SFIO et l’Algérie

6 octobre 2007

Extrait de Jacques Simon/Algérie (L’Harmattan, 2007)

Au Congrès de Puteaux (14-15 janvier 1956), la résolution finale préconisant « une solution pacifique du problème algérien » est adoptée à l’unanimité.

Le 18 mars 1956, après le vote sur les pouvoirs spéciaux, Marceau Pivert propose, pendant « la Conférence d’information de secrétaires fédéraux », de négocier avec les Algériens et de ne pas exécuter Ben Boulaïd. Guy Mollet louvoie et fait lever la séance, mais Pivert est soutenu par Lucien Weitz, Oreste Rosenfeld, Charles André Julien, qui s’expriment dans le bulletin du « Comité Messali Hadj » et participent aux manifestations pour la paix en Algérie avec les « Comité des Intellectuels ».

Au Comité directeur du 25 avril, plusieurs orateurs s’interrogent sur la politique répressive menée en Algérie, mais c’est après la démission de Mendès France, le 26 mai, que les divergences apparaissent. Pendant le conseil national du 16 juin 1956, Daniel Mayer, député de la Seine, reprend dans son intervention, la position de la FEN pour « une conférence de la Table ronde » avec tous les représentants du nationalisme algérien. La politique du gouvernement sera approuvée à une écrasante majorité (90 % des mandats), pourtant « la minorité » (6,1% des voix), animée par Marceau Pivert, Daniel Mayer et Robert Verdier, est majoritaire dans 16 fédérations, surtout dans la Seine.

Le Congrès de Lille (28 juin-1° juillet 1956) est préparé par des débats animés dans toutes les fédérations. C’est ainsi qu’au congrès de la fédération de la Seine, les débats ont porté presque exclusivement sur l’Algérie. Les mesures répressives du gouvernement furent critiquées et plusieurs leaders se prononcent pour « une Table ronde ». A Lille, les débats sur l’Algérie furent animés et la minorité s’est élargie à d’autres courants. La résolution votée par 3 308 mandats sur 3 671 se démarque de celle de Puteaux. Elle se prononce pour un règlement accordant « une large autonomie de gestion » qui doterait l’Algérie d' »institutions internes » comportant un « pouvoir exécutif » et un « pouvoir législatif ». Elle réclame « la lutte sur deux fronts […] contre les ultras du colonialisme ». Elle réclame que le cessez-le-feu soit discuté avec ceux qui se battent et charge le gouvernement de « mettre tout en oeuvre pour y parvenir ».

La minorité est diverse, sans cohésion ni structure, mais elle comprend un courant de gauche pro-messaliste actif et elle admet « la vocation de l’indépendance de l’Algérie ».

Au lendemain du congrès de Lille, Ferhat Abbas dans une interview au journal socialiste Le Peuple (30 juin), au nom du FLN et Messali Hadj, au nom du MNA, se disent favorables à l’ouverture faite. Des contacts sont pris, mais l’arrestation de Ben Bella et Suez bloquent toute négociation.

ALGÉRIE
Le passé, L’Algérie française, La révolution (1954-1958)
Jacques Simon
Cahiers du CREAC – Histoire

L’auteur a cherché à dégager dans l’étude du passé les éléments permettant de comprendre l’histoire de l’Algérie française et de la révolution. Il s’est efforcé de replacer le problème algérien dans l’histoire du mouvement national et dans le jeu des relations internationales.

ISBN : 978-2-296-02858-6 • avril 2007 • 520 pages . 41 €.
version numérique Commander la version numérique (-30%) 23 118 Ko à 28,70 €

Voir aussi:

La politique économique de la gauche (1981-1985)

28 septembre 2007

Le livre de Michel Beaud (publié par Alternatives économiques, 1985) est disponible en ligne sur le site québécois de l’UQAC:

tome I: Le mirage de la croissance

tome II: Le grand écart

Michel Beaud, né en 1935 à Chambéry, ancien professeur de sciences économiques aux universités de Paris-VII et Paris-VIII, est l’auteur de nombreux ouvrages où il a cherché avec constance à éclairer et comprendre les réalités de notre temps : capitalisme et socialisme, pensées et politiques économiques, économies nationales et mondialisation dans la grande mutation en cours, dont une Histoire du capitalisme (Seuil, coll.  » Points « , 2000) et Le basculement du monde (La Découverte, 2000).

Kautsky et la Révolution française

24 août 2007

 

 

Article de Jean-Numa Ducange paru dans la revue Dissidences, n°11, juin 2002. Résumé d’un mémoire de maîtrise soutenue à l’Université de Paris I sous la direction de Jean-Clément Martin en septembre 2002.

Une approche marxiste méconnue de la
Révolution française : Karl Kautsky

Le rapport qu’entretiennent les marxistes avec la Révolution française a fait l’objet de nombreuses analyses. La place de la Révolution française dans l’œuvre de Karl Marx et Friedrich Engels est connue. Quant à l’Histoire socialiste de la Révolution française de Jean Jaurès, elle a été étudiée et constitue une référence de l’approche « classique » de la Révolution française. En revanche l’œuvre de Karl Kautsky, qui a écrit plusieurs contributions sur le sujet, est presque inconnue, surtout en France. Il convient de revenir sur cette œuvre qui est intéressante non seulement par son ampleur, mais aussi par ses prises de position par rapport à la Révolution française, qui diffèrent radicalement d’autres auteurs se réclamant du marxisme.

La lutte de classes en France en 1789 : parution et écho en France.

Peu après le début de l’édition de l’Histoire socialiste de la Révolution française de Jean Jaurès en février 1900, Edouard Berth traduit une brochure de Karl Kautsky sur la Révolution française intitulée La lutte des classes en France en 1789. Ecrit à l’occasion du centenaire de la Révolution en 1889 et paru dans un premier temps en feuilleton dans la revue Die Neue Zeit, l’ouvrage de Kautsky reçoit en France en mars 1901 un écho favorable dans la presse proche du guesdisme, c’est-à-dire dans la mouvance socialiste autour de Jules Guesde, opposée à l’époque à l’intégration parlementaire et au réformisme en général. Parallèlement, l’autre principale mouvance socialiste, « ministérialiste » et plus proche de Jaurès, ignore la publication de Kautsky. A contrario l’Histoire socialiste de Jaurès connaît presque le schéma inverse : alors que les guesdistes sont assez discrets sur sa publication, les organes de presse proches des plus réformistes lance une grande campagne de vente de cette nouvelle histoire de la Révolution française.

Etant donné que Jaurès a été réédité à de nombreuses reprises et que Kautsky a été presque oublié, peut-on considérer qu’il y aurait eu une lutte entre deux histoires de la Révolution française dans la mouvance socialiste, celle de Jaurès d’une part, celle de Kautsky d’autre, dont l’issue aurait été favorable au premier ? Il est certain que leur manière d’aborder l’histoire de la Révolution française était différente. Leurs polémiques dans la revue le Mouvement socialiste (voir le numéro de janvier 1903) et La Petite République sont éclairantes à ce sujet : Jaurès estime que Kautsky « est à l’antipode du génie révolutionnaire de la France : il ne comprend pas la tradition révolutionnaire de prolétariat français ». Ce a quoi Kautsky répond : « Ramener la vie intellectuelle du prolétaire au stade qu’elle occupait pendant la Révolution, c’est le mettre sous la dépendance intellectuelle, et par suite politique de la bourgeoisie. » La principale divergence porte sur l’héritage des « traditions jacobines » à apporter au mouvement révolutionnaire. Pour Kautsky dans La lutte des classes en France en 1789, « la vérité, c’est que les traditions jacobines sont aujourd’hui parmi les obstacles les plus sérieux qui entravent en France la formation d’un grand parti ouvrier, un et indépendant. » Rien d’étonnant alors dans la démarche des guesdistes qui accueillent favorablement Kautsky ; ceux-ci ont été souvent méfiants par rapport aux traditions de 89 et 93, et ont considéré la Révolution française, certes comme un moment historique important, mais souvent comme « bourgeoise » et étrangère au prolétariat. A ce sujet Jules Guesde devait préfacer La lutte de classes en France en 1789. Probablement soucieux d’indépendance par rapport à la diversité des mouvances socialistes française, Kautsky n’a pas accepté au dernier moment.
Outre ce clivage de fond sur l’héritage, il faut noter la singularité de l’ouvrage de Kautsky par rapport à celui de Jaurès. La lutte des classes en France 1789 est structuré en fonction d’une analyse « classiste », c’est-à-dire qu’à chaque chapitre correspond globalement la description de l’attitude d’une classe pendant la révolution. S’en tenant ainsi à une stricte orthodoxie matérialiste, Kautsky n’adopte pas de démarche chronologique : il développe sur les contradictions de l’Etat absolutiste, en revenant sur des épisodes bien antérieurs à la Révolution comme la Fronde et dans le même temps il s’intéresse aux conséquences de l’occupation napoléonienne en Europe, voire à l’héritage de la Révolution dans le mouvement ouvrier contemporain. Des rajouts que lui avaient envoyés Engels figurent dans les notes de bas de page, la documentation qu’il avait utilisée étant assez limitée. Il ne s’agit donc pas de comparer le travail gigantesque de Jaurès sur les archives, qui n’a ainsi rien à voir avec une brochure de vulgarisation générale comme celle de Kautsky. Néanmoins, il demeure que les méthodes d’analyse historique sont différentes : alors que Jaurès déclare avoir écrit sous la triple inspiration de Plutarque, Michelet, Marx, Kautsky s’en tient à un matérialisme historique vulgarisé issu de la pensée de ce dernier. On comprend mieux pourquoi les guesdistes, attachés à certaine orthodoxie ont vanté les mérites de l’ouvrage de Kautsky par rapport à une histoire de Jaurès moins conforme à leur vision « classiste » de la société.

Les références à la Révolution française dans le reste de l’œuvre de Kautsky.

Par ailleurs l’œuvre de Kautsky sur la Révolution française ne se réduit pas à une brochure.
Dans nombres de ses travaux on trouve des références à la Révolution française, ne serait-ce que dans Les trois sources de la pensée de Marx (1908). Courte brochure destinée à expliquer la genèse du marxisme, elle analyses ses « trois sources » : la philosophie allemande, l’économie anglaise et la politique française. Kautsky, à propos de Marx et Engels, écrit ceci :

« L’Angleterre leur donna la plus grande partie de la documentation économique qu’ils utilisèrent et la philosophie allemande la meilleure méthode pour en déduire l’objectif de l’évolution sociale contemporaine ; la Révolution française leur démontra de la manière la plus claire la nécessité de conquérir la puissance et notamment le pouvoir politique pour arriver au but. »

Dans le Marxisme et son critique Bernstein, Kautsky, qui polémique avec le « révisionniste » Bernstein, s’attache à démontrer la fausseté des analyses de ce dernier sur Babeuf et la constitution de 1793. Dans La Révolution sociale, Kautsky met en garde ceux qui se réclament du marxisme contre tout amalgame simpliste violence – révolution. Pour ce faire, il se base sur la Révolution française : ainsi pour lui, la pacifique réunion des députés en Assemblée nationale du 17 juin 1789 est révolutionnaire parce que progressiste par rapport à l’Ancien Régime ; en revanche les violentes insurrections de 1774 contre Turgot n’étaient pas révolutionnaires car elles n’avaient qu’un but de taxations.
Un autre type d’approche dans l’œuvre de Karl Kautsky sur la Révolution française doit être pris en compte : le comparatisme entre révolutions russes de 1905 et 1917 et Révolution française. L’occasion de la Révolution russe de 1905 permet à Kautsky de revenir sur la Révolution française dans deux articles publiés dans Le Socialiste (hebdomadaire guesdiste) intitulés 1789-1889-1905 (30 avril 1905) et Ancienne et nouvelle Révolution (9 décembre 1905). Ainsi compare-t-il la similitude des situations des paysans français de l’Ancien Régime et des moujiks russes vivant encore sous le joug féodal. Dans le même temps, il souligne le progrès effectuée en 1905 où « le mot d’ordre de : lutte de classe prolétarienne est, au point de vue socialiste, un progrès considérable en comparaison des révolutions de 1648 et 1789 ».
Par la suite la Révolution russe de 1917 ranime ce comparatisme, d’autant plus que par rapport à 1905, un parti se réclamant de la révolution socialiste obtient le pouvoir et le garde.
Violemment hostile dès le départ à la Révolution d’Octobre, le « marxiste orthodoxe » qu’était Karl Kautsky devient, selon le célèbre épithète de Lénine, le « renégat ». Dans Terrorisme et communisme en 1919 il propose de remonter à la Révolution française et à 1793 afin de comprendre la terreur des bolcheviks. L’idée centrale de l’ouvrage est de démontrer la thèse suivante : certes, il existe des points communs entre révolutions de 1789 et 1917, mais il faut surtout insister sur ce qui les sépare. Critique virulente de l’action des bolcheviks, l’ouvrage s’attache à définir la Terreur de 1793, définition qui était absente de La lutte de classes en France en 1789. Il effectue notamment une distinction entre les « atrocités spontanées » du peuple et la Terreur organisée :

« Si (les atrocités) furent le contrecoup des lois sanglantes que l’ancien régime avait appliquées contre la population pauvre, la Terreur fut imposée aux jacobins par le fait qu’ils s’étaient trouvés, en pleine guerre, en présence de circonstances particulièrement graves, placés par la misère du peuple affamé, au moment de leur arrivée au pouvoir, devant ce problème insoluble : consolider la société bourgeoise et la propriété privée et mettre fin aux souffrances des masses ».

L’hostilité grandissante de Kautsky envers le bolchévisme connaît son apogée dans sa brochure Le bolchévisme dans l’impasse (1931). A nouveau, il compare la Révolution d’Octobre à la Révolution française ; un chapitre s’intitule « Jacobins ou bonapartistes ? ». Ni Jacobins, ni thermidoriens, les bolcheviks voient leur action assimilée au bonapartisme. Alors que Trotsky dénonce à la même époque la dégénérescence thermidorienne de l’Etat soviétique, Kautsky compare Octobre 17 au 18 brumaire de Bonaparte. Parmi les exemples cités, la dissolution de la Constituante de janvier 1918 : Napoléon et Lénine auraient ainsi un commun mépris des assemblées…

La mémoire de l’œuvre de Kautsky sur la Révolution française

Si aujourd’hui l’œuvre de Kautsky sur la Révolution française est presque inconnue en France, il n’en a pas été toujours ainsi. Si dès sa parution en français en 1901, La lutte de classes en France 1789 a été presque ignoré au bénéfice de Jaurès, les organes de presse proches du guesdisme, courant politique non négligeable dans le socialisme de l’époque, ont assuré sa promotion jusqu’à la veille de la première guerre mondiale. En 1924, on retrouve cet ouvrage comme référence à plusieurs reprises dans le Grand Dictionnaire socialiste du Mouvement politique et économique national et international de Compere-Morel (qui dirige alors l’organe de la SFIO Le Populaire), notamment pour illustrer des définitions comme « sans-culottes », « club des jacobins ». Et lors du rapprochement entre SFIO et PCF dans L’Humanité (organe du PCF) du 14 juillet 1935 qui célèbre la Révolution française et le serment communs des deux partis, l’ouvrage de Kautsky La lutte de classes en France en 1789 est cité à deux reprises . La mort de Karl Kautsky en octobre 1938 permet un retour rétrospectif sur son œuvre. La lutte de classes en France en 1789 est considérée comme une brochure de qualité tant dans L’Humanité que dans Le Populaire, malgré de grandes différences sur l’appréciation de la carrière politique de l’homme . En revanche, la célébration du cent cinquantenaire de la Révolution française en 1939 est marqué par une absence presque complète de référence à Kautsky. Les brochures sorties à cette occasion n’en font jamais mention, tandis que 1789, l’an I de la Liberté d’Albert Soboul ignore l’ouvrage de Kautsky.
Malgré tout, il y a une certaine continuité de la mémoire de Kautsky. Il est tout d’abord salué par l’extrême-gauche guesdiste contre le « républicanisme » de Jaurès lorsque sort en France La lutte de classes en France en 1789. Après la première guerre mondiale et jusqu’à sa mort, l’ouvrage apparaît de manière ponctuelle.
Les prises de positions politiques de Kautsky ont été déterminantes pour la mémoire de son œuvre sur la Révolution française. Kautsky, rejeté violemment par le communisme soviétique, disparaît progressivement à partir des années 30, même si en quelque occasion, on lui accorde droit de citer, par exemple lors du rapprochement avec les socialistes en 1935.
Après la seconde guerre mondiale, le communisme stalinien oublie définitivement le « renégat Kautsky » tandis que la social-démocratie préfère elle aussi ne pas entretenir la mémoire d’un auteur qui longtemps a été une référence du marxisme orthodoxe. Seul Daniel Guérin, « marxiste libertaire », qui écrit sur la Révolution française, se réclame de Karl Kautsky dans sa Lutte de classes sous la première République en 1946. Paradoxe ? Plutôt une application stricte de Lénine qui détestait certes Kautsky pour sa trahison par rapport à la Révolution russe, mais n’en restait pas moins admiratif de son œuvre théorique et historique avant 1917. Il cite dans son ouvrage non seulement La lutte de classes en France en 1789 mais aussi des articles du Mouvement socialiste dans lesquels Kautsky polémique avec Jaurès.
L’ouvrage de Daniel Guérin a ainsi, pourrait-on dire, le monopole des citations de l’œuvre de Kautsky sur la Révolution française. Albert Soboul et les historiens proches de son orientation historiographique mentionnent très rarement Kautsky. François Furet situe Kautsky dans la tradition de l’analyse marxiste de la Révolution française, mais le cite uniquement comme exemple sans analyse globale. En décembre 1999, le CERMTRI a eu l’initiative de publier une reproduction de l’édition de 1901 dans ses cahiers (N°95). Mais une nouvelle édition, plus d’un siècle après, se fait donc toujours attendre.

La place de Kautsky dans l’historiographie marxiste de la Révolution française.

Quels que soit les jugements que l’on porte sur l’ouvrage de Kautsky, il constitue un important moment de l’historiographie marxiste de la Révolution française. La Lutte des classes en France en 1789 est en effet le premier ouvrage de synthèse sur la Révolution se réclamant du matérialisme historique. Il connut de très nombreux traductions en russe et en chinois ; après 1917 il est publié à plusieurs reprises en Russie soviétique puis en URSS, tandis les communistes chinois le diffusèrent de leur côté à la même époque.
Sa quasi disparition dans les références des ouvrages sur la Révolution française est due certes à des raisons politiques évoquées plus haut, mais aussi à certain franco-centrisme de l’historiographie française, peu soucieuse de publier les commentaires d’étrangers sur « sa » Révolution. Le reste de son œuvre sur la Révolution française n’est pas non plus négligeable : que ce soit à l’époque « orthodoxe », lorsqu’il combat Bernstein, ou lorsqu’il est taxé de « renégat ». En effet s’il on récapitule les mentions faites à la Révolution française dans toute son œuvre, on se retrouve avec de nombreux textes recoupant plusieurs questions historiographiques. Lorsque Jaurès vantait les « traditions républicaines » de la Révolution, Kautsky les combattait. Bien plus tard, ce dernier assimilait bonapartisme et bolchevisme quand parallèlement Trotsky analysait le phénomène « thermidorien » en URSS. Autant de confrontations qui nous montrent la pluralité des approches de la Révolution française dans le courant marxiste.

Bibliographie :

Tous les ouvrages cités sont classés dans la bibliographie (presque) exhaustive de l’œuvre de Kautsky :

  • BLUMENBERG Werner, Karl Kautskys literarisches Werk. Eine bibliographische Übersicht, Amsterdam, S-Gravenhage, 1960. (Disponible à la BNF, CERMTRI, BDIC).
  • SCHUMACHER Alois, La social-démocratie allemande et la IIIème République, Paris, CNRS éditions, 1998. (Ouvrage récent, le seul en français à étudier un minimum La lutte de classes en France en 1789).
  • BOUVIER Beatrix, Französiche Revolution und deutsche Arbeiterbewegung, Bonn, Verlag Neue Gesellschaft, 1982. (Ouvrage en allemand étudiant la réception de la Révolution française dans le mouvement ouvrier allemand).
  • GUERIN Daniel, La lutte de classes sous la première République. Bourgeois et Bras-Nus (1793-1797), Paris, 1946 (Quelques citations de Kautsky jalonnent son ouvrage, voir l’index).
  • Cahiers du CERMTRI N°95 (Reproduction de l’édition de 1901 de La lutte de classes en France en 1789 accompagnée d’une présentation intéressante).

Les socialistes français et le problème colonial (1919-1939)

13 juillet 2007

Les socialistes français et le problème colonial entre les deux guerres (1919-1939)

article de Manuela SEMIDEI
dans la Revue française de science politique (Année 1968, Volume 18, Numéro 6)

disponible en ligne page à page ou au format pdf

Sur le site Persée

Pivertistes et communistes dissidents dans la SFIO (1945-68)

9 juillet 2007

Extrait de Marges et replis dans la gauche française, intervention de Claude Pennetier à une journée organisée par le Centre d’histoire sociale du XX° siècle en 2002 [cf. pdf]

Des noyaux militants « révolutionnaires » ou léninistes en situation de repli dans le PS-SFIO

Dans la période 1945-1968, très vite critique pour le parti dont il est courant de pronostiquer alors la fin prochaine, la SFIO abrite des sensibilités politiques organisées en situation de repli stratégique, les pivertistes, des communistes dissidents et des trotskistes principalement.
Les pivertistes ont pour une partie d’entre eux réintégrés la SFIO en 1944-1945, avant même le retour en France de Marceau Pivert, mis devant le fait accompli par ses amis. Le débat entre eux fut vif, animé principalement à Paris par Charles Lancelle et Lucien Vaillant favorables au retour dans la vieille maison pour la reconquérir de l’intérieur (ils ont déjà participé au Parti socialiste clandestin). Fugère, responsable du groupe de Résistance lyonnais L’insurgé se prononce contre cette option. Marceau Pivert se rallie aux entristes, considérant que l’avenir du mouvement ouvrier est menacé par le totalitarisme stalinien et qu’il importe de défendre la démocratie bourgeoise, condition minimale d’existence du mouvement ouvrier. Ceux qui rejoignent la SFIO se trouvent plus ou moins intégrés à la direction molletiste entre 1946 et 1951 – rappelons qu’ils ont contribué à la victoire de Guy Mollet sur Daniel Mayer en 1946 et que Marceau Pivert fut en 1947-1948 un des fondateurs de la Troisième force. Par la suite, sur la participation, la Communauté européenne de défense et la Guerre d’Algérie, ils se trouvent dans l’opposition, se rapprochant progressivement des blumistes. Si leurs forces s’étiolent, un noyau de fidèles demeure regroupé jusqu’en 1958 autour de la revue Correspondance socialiste internationale et de la direction pivertiste de la fédération de la Seine. Ils continuent à se différencier des militants de la SFIO sur le plan politique – anticolonialistes, ultrapacifistes, ils sont plutôt antistaliniens qu’anticommunistes – et par des pratiques différentes : très propagandistes passionnés par les outils modernes de communication et d’agitation, ils se caractérisent encore par leur refus personnel de l’électoralisme particulièrement frappant dans la SFIO. La mort de Marceau Pivert en 1958 et le départ de la plupart de ses amis au PSA puis au PSU fait disparaître ce courant original, même si des individus restent fidèles à cette sensibilité, là où ils continuent à militer.
D’anciens communistes rejoignent à diverses étapes la SFIO. Certains s’assimilent complètement, comme Gilbert Zakzas élu député socialiste de la Haute-Garonne, mais d’autres ne rallient pas l’ensemble des positions politiques du parti, font entendre leurs différences et pour certains militent pour des évolutions plus conformes à leurs conceptions politiques. Parmi eux, citons d’anciens parlementaires qui ont refusé en 1939 le pacte germano-soviétique, Nicod, de l’Ain qui a vainement essayé de revenir au PC en 1944, Darius Le Corre, de la Seine-et-Oise, mobilisé pour la propagande anticommuniste dans le Populaire à partir de 1950. D’autres comme André Ferrat et Victor Fay proposent d’autres pratiques politiques plus conformes à leur passé kominfornien. Fay anime un petit groupe de réflexion marxiste dans le VIe arrondissement, très actif auprès des Étudiants socialistes. Michel Rocard se rappelle s’y être formé. Plus tard, en octobre 1958, adhère à la SFIO le petit groupe d’exclus communistes organisé autour de La Nation Socialiste. Par la violence physique et l’intimidation, la direction communiste avait tenté de les empêcher de s’exprimer et depuis au moins deux ans, ils bénéficiaient de l’appui matériel des dirigeants socialistes, leur hebdomadaire étant déjà largement subventionné par la SFIO. Auguste Lecoeur et Pierre Hervé qui animent ce groupe considéraient que, depuis mai 1958, les libertés étaient menacées et que pour survivre à une éventuelle nouvelle crise, il était préférable d’être dans un vrai parti. Aussi, après avoir tenté de rallier l’UGS en 1957, puis le PSA, en 1958, ils entrent à la SFIO (le PSA avait refusé pour des motifs politiques : la Nation socialiste avait eu des positions proches de celles de la SFIO sur l’Algérie et son journal était soutenu par la cité Malesherbes. D’autre part, les dirigeants du PSA ne voulaient certainement indisposer l’UGS, en conflit ouvert avec « les communistes nationaux » depuis plus d’un an. Les dissidents du PC accusent l’UGS de « crypto-communisme »). Jusqu’à leur refus de l’Union de la gauche qui va les amener à se séparer des socialistes à la fin de la décennie suivante, ils vont jouer leur petite musique politique au sein et à l’extérieur du parti.
D’anciens trotskistes ou apparentés viennent aussi trouver un espace militant au sein de la SFIO. Fred Zeller revient ainsi, et ce n’est pas un hasard avec La Nation socialiste lors de la crise de 1958, mais il a été précédé de cadres comme Paul Parisot, Maurice Laval, Marcel Rousseau ou Jean Rous. L’itinéraire de chacun de ses militants « marginaux » en position de repli serait à considérer. Le premier deviendra un cadre du syndicalisme des journalistes FO puis CFDT, le second un des fondateurs et l’administrateur de France-Observateur puis du Nouvel Observateur, le dernier, qui anime des associations anticolonialistes, fait des allers-retours entre la SFIO et les organisations qui naissent sur sa gauche, le RDR, les Nouvelles gauches, le PSA, le PSU puis le PS.
Tous ces anciens militants communistes, trotskistes et pivertistes en position de repli dans la SFIO se caractérisent par des pratiques différentes de celles de la plupart des militants socialistes, moins électoralistes, avec un goût prononcé pour l’organisation, les cercles de formation théorique et la propagande. Qu’ils se considèrent toujours comme léninistes ou non, ils pensent aussi que le combat contre Moscou et le PCF constituent des priorités et, nolens, volens, admettent avec les socialistes que la « démocratie bourgeoise » est nécessaire. Ce n’est certainement pas un hasard non plus si ces militants, qui ont été pour la plupart partisans des 21 conditions d’adhésion à l’Internationale communiste, se retrouvent pratiquement tous dans la Franc-Maçonnerie, où trouvent dans les loges des lieux de débat. Et pour certains à des postes de responsabilité essentiels.
Comment ne pas penser à deux grands maîtres du Grand-Orient de la période considérée, Fred Zeller et l’ancien pivertiste Jacques Enock, secrétaire adjoint du parti socialiste entre 1969 et 1971. Il y aurait une histoire à faire des anciens « Trotsko-maçons » et apparentés qui ne serait pas sans intérêt pour l’histoire de la SFIO.
Dans la SFIO, ces militants et sensibilités, instrumentalisés pas la direction du parti, sont conscients de jouer un jeu politique au bénéfice de celle-ci, ou dans des normes fixées par celles-ci. Le cas des pivertistes est évident entre 1946 et 1950, non moins évident dans celui de la Nation socialiste qui sert de caution « gauche » à la direction de la SFIO alors que se fait la scission avec le PSA. On citera encore le cas de Paul Parisot, que la direction de la SFIO tenta de pousser en avant pour prendre la place des pivertistes lorsque Marceau Pivert manifesta sa différence.
Ces sensibilités ont aussi en commun d’être essentiellement parisiennes.

Un vote PS qui n’est plus ouvrier

1 mai 2007

Sociologie du vote PS aux élections présidentielles de 1981 à 2002:

Par ailleurs il n’est pas inutile de rappeler qu’en 2002, le PS n’obtenait plus la majorité des voix de gauche au 1° tour d’une présidentielle.

Les accords avec Taubira et Chevènement et l’effet vote utile ont renversé ce dernier point en 2007, laissant entier le problème du rétricissement des voix de réserve au second tour dès lors que l’électorat populaire n’a pas été reconquis. Le programme socio-libéral ne le pourra guère, ne pouvant compter que sur un effet front commun contre la droite.