Discours de Marcel Valière au XXVI° congrès de la CGT. Une première mise en ligne d’un texte incomplet avait été faite il y a quelques années par le site Ensemble (minorité du SNUipp) d’après L’École émancipée du I° février 1995. Nous l’avons révisé et complété d’après Front ouvrier de l’époque (beaucoup plus complet sauf deux lignes coupées) et la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975) qui se réfère au compte-rendu sténo du Congrès. (Les variantes donnent lieu à quelques notes). [cf. pdf du texte paru dans Front ouvrier en 1946]
Je suis mandaté par un certain nombre de sections départementales du Syndicat des Instituteurs pour voter contre le rapport moral présenté ce matin par Benoît Frachon [1]. Je voudrais, non pas m’en excuser, mais m’en expliquer. Je me bornerai cependant à ne relever que quelques points du rapport moral qui mériteraient de l’être.
A la libération, la classe ouvrière pouvait abattre le patronat [2]
Au lendemain de la Libération, à laquelle la classe ouvrière a tant contribué, d’énormes possibilités sociales s’offraient aux travailleurs organisés. Rappelez-vous, camarades, la défaite militaire du fascisme et la chute du régime vichyssois pouvaient être suivies d’une refonte complète de notre régime économique et social. Si le syndicalisme et les partis ouvriers impulsaient une politique hardie, vigoureuse et révolutionnaire, la libération nationale pouvait être le prélude de la libération sociale. Le moment était favorable. Le soutien essentiel du capitalisme, à savoir le fascisme, était écrasé. Notre bourgeoisie, profondément divisée et donc affaiblie, son armée de classe pratiquement inexistante, les trusts venaient de subir une lourde défaite qui les rendait vulnérables. L’Etat bourgeois et sa bureaucratie étaient ébranlés jusqu’à leurs bases. Des éléments d’un nouvel État populaire s’étaient formés : les Comités de libération, les FFI, les Milices patriotiques. Un peu partout des initiatives surgissaient en faveur de la gestion ouvrière. La CGT sortait de la clandestinité et devenait l’organisation la plus puissante de ce pays. Ses possibilités apparaissaient comme immenses, il lui suffisait de coordonner les initiatives éparses, de les rassembler, de les impulser et de donner une doctrine cohérente à ses innombrables militants livrés à leur seul instinct de classe. Comme en 1936, plus qu’en 1936 peut-être, tout était possible, si la Confédération comprenait son rôle [3] car le patronat de droit divin était déconsidéré, désorienté ou démoralisé.
Au lieu de cette politique de classe, conforme à ses buts statutaires et aux possibilités exceptionnelles du moment, nous avons vu la CGT s’endormir dans l’euphorie patriotique, sacrifier ses intérêts profonds à l’unanimité nationale, collaborer au sein du CNR avec des hommes et des partis qui, la suite l’a montré, avaient pour dessein, moins d’abattre le fascisme, que d’instaurer un pouvoir personnel et de replâtrer l’édifice capitaliste. Nous avons vu la CGT apporter son appui aux gouvernements successifs, collaborer avec un parti du patronat, sous prétexte qu’il était patriote. Nous l’avons vu se rallier au programme du CNR, à celui de la délégation des gauches et renoncer au sien propre. Loin de jeter à bas sans délai les privilèges oppresseurs, la direction confédérale, sans distinction de tendances, s’est limité à des démarches auprès des services gouvernementaux mal épurés] [4] ou non épurés, et sa position est résumée par la formule : « Travailler d’abord, revendiquer ensuite ».
Où cela mène-t-il ? Les semaines, les mois passent ; la bourgeoisie surmonte son désarroi. La classe ouvrière perd son dynamisme. Le grand patronat, resté maître des leviers de commande, freine la reprise économique ; les travailleurs sous-alimentés, écrasés par un marché noir plus florissant que jamais, voient s’amenuiser inexorablement leur pouvoir d’achat tout en s’exténuant à gagner la bataille de la production dans le cadre du capitalisme.
Le blocage des salaires c’est l’abaissement du pouvoir d’achat des masses [5]
Comment, camarades, se présente aujourd’hui la question capitale des salaires dont on ne parle pas assez à cette tribune [6]. Elle se présente de façon angoissante. J’ai cherché vainement dans le rapport confédéral qui traite de ce problème, des chiffres précis montrant l’affaissement considérable du salaire réel, la dégringolade continue du pouvoir d’achat. Le rapport est muet sur ce point et ce silence est significatif. Autant ce rapport s’étend avec complaisance sur des points secondaires, autant il se tait lorsqu’il s’agit de chiffrer le recul du niveau de vie des travailleurs. Des renseignements officiels, il ressort que l’indique du coût de la vie a passé de 100 à 850 entre 1938 et décembre 1945, cependant que celui des salaires passait dans le même temps péniblement de 100 à 350. Cela signifie pratiquement que le pouvoir d’achat des travailleurs a été réduit de près de 3/5°, exactement de 57%.
De février à novembre 1945, alors que les salaires n’ont subi aucune augmentation substantielle, les prix des principaux produits de consommation ont subi une hausse de 70% et je parle des prix officiels. Sacrifices à sens unique, bien entendu. Notons que parallèlement, le patronat a accru ses profits. Alors qu’en 1938 les profits s’élevaient au tiers de la masse monétaire en circulation, en 1945 ils sont montés à près de la moitié.
Dans de telles conditions, décréter le blocage des salaires comme l’a fait le gouvernement Gouin, c’est décréter que la classe ouvrière, après avoir fait les frais de la guerre, doit faire ceux de la reconstruction. II paraît que le gouvernement actuel est un gouvernement ami. Dans les paroles peut-être, dans les actes non, et les actes seuls comptent. Le blocage des salaires et traitements avec un pouvoir d’achat officiellement diminué de 57% par rapport à 1938, alors qu’une nouvelle bourgeoisie de mercantis et de trafiquants s’enrichit sur la misère générale, alors que des milliards ont été dépensés pour massacrer les Indochinois désireux de se libérer, alors que des dizaines et des dizaines de milliards continuent de disparaître dans le gouffre de l’armée, alors que les marges bénéficiaires des intermédiaires restent scandaleuses, ce blocage des salaires et traitements renforce la position patronale et constitue avant fout un acte anti-ouvrier.
Le blocage des prix que l’on nous promet toujours n’est qu’un leurre. On nous l’a promis cette fois encore naturellement, tout en augmentant parallèlement le tabac les chemins de fer, etc. Le ministre lui-même y croit-il au blocage des prix ? Certainement pas. Mais du moment, n’est-ce pas, que les militants syndicaux y croient, on fait semblant d’y croire ; le but n’est-il pas atteint ? Semer les illusions et la division parmi la classe ouvrière.
Eh bien ! non, nous ne marchons pas, pas dans cette tromperie dont les travailleurs – et eux seuls – font les frais. Nous savons que les salaires resteront bloqués, puisque les patrons y ont intérêt, tandis que les prix continueront de monter en dépit des pieuses homélies gouvernementales. Nous savons que cette politique se traduira par une diminution nouvelle du pouvoir d’achat, par une misère accrue, et ce n’est pas parce que c’est un gouvernement soi-disant ami qui la pratique, que les organisations syndicales doivent l’accepter. On juge un arbre à ses fruits et un gouvernement aux conséquences de sa politique. Accepter le blocage des salaires, ce serait, de la part du mouvement syndical, trahir sa mission qui est et reste la défense des revendications immédiates indépendamment des partis et des hommes au pouvoir.
Revalorisation du salaire minimum vital garanti par l’échelle mobile des salaires [7]
Par une lutte revendicative résolue, la CGT doit mettre un terme à l’abaissement du niveau de vie des travailleurs. Il convient, en premier lieu, d’exiger un salaire minimum suffisant. Puisqu’en février 1945 la CGT posait la revendication de 23 francs de l’heure pour le manœuvre, soit 4 000 francs mensuels, et que le coût de la vie depuis s’est élevé de 70 %, c’est 39 francs de l’heure, soit 6 800 francs mensuels qu’il faut réclamer maintenant.
Ce minimum vital revalorisé doit s’accompagner de garanties quant à la stabilité du pouvoir d’achat ainsi obtenu. Libres à certains de faire confiance au gouvernement pour bloquer les prix ; nous préférons, quant à nous, réclamer, pour atteindre ce but, deux moyens différents efficaces : d’abord, l’échelle mobile, ensuite le contrôle ouvrier des livres de comptes.
Nous ne faisons pas de l’échelle mobile une panacée universelle, mais nous estimons qu’elle constituerait un palliatif sérieux à condition d’être basée sur des indices de prix établis mensuellement par des commissions paritaires et qu’elle serait un élément efficace de stabilisation du coût de la vie.
Bloquer les salaires et laisser les prix vagabonder, voilà la politique du gouvernement tripartite. Bloquer rapidement les prix en surveillant leurs mouvements et en réglant sur eux la marche des salaires, voilà la seule position ouvrière possible.
Le contrôle ouvrier des prix de revient et des bénéfices patronaux par l’accroissement du pouvoir de gestion des Comités d’entreprise et l’abolition du secret commercial serait une autre mesure efficace pour stabiliser le coût de la vie.
Revalorisation du minimum vital, échelle mobile et contrôle ouvrier nous paraissent être les trois bases essentielles de la politique que la CGT doit prendre en matière de salaires.
Bilan du mot d’ordre confédéral « Produire » [8]
Venons-en au problème de la production. Voilà 18 mois que le mot d’ordre confédéral est : produire, produire. Avec un ensemble touchant, ministres et secrétaires confédéraux, députés et secrétaires fédéraux entonnent l’hymne à la production. A entendre leur refrain, on pourrait croire, ma foi, que la classe ouvrière se complaît dans une douce oisiveté en vivant, sans doute, de ses rentes. C’est aux ouvriers, en effet, et non aux patrons que ces discours s’adressent. Et c’est au nom de cette politique de production que l’on freine ou que l’on condamne depuis la libération tous les mouvements revendicatifs de la classe ouvrière.
Par un effort gigantesque, les mineurs, dans les conditions de travail les plus mauvaises, ont presque atteint la production de charbon de 1938 [9], mais il faut constater que la part de charbon réservée à l’industrie varie entre le tiers et la demie de ce qu’elle était avant guerre. Ce qui signifie que la consommation du charbon assume les besoins courants, mais qu’elle est incapable de propulser une large reprise de l’industrie française. La stagnation de consommation de charbon dans l’industrie démontre le marasme de la production industrielle. Quelques chiffres puisés à la bonne source (j’appelle bonne source les services mêmes de Marcel Paul et d’André Philip) feront apparaître plus clairement ce marasme.
La production de fonte atteint 35 % de son niveau d’avant la guerre, d’acier 45%, de locomotives 26%, de wagons 20%. Stagnation complète dans la production de ciment, d’engrais azotés. Sous-production également dans le domaine des textiles.
Malgré que [10] la classe ouvrière ait suivi avec discipline les mots d’ordre de production de la CGT, la reprise reste donc plus aléatoire que jamais. Nous sommes en régime capitaliste et c’est ce que certains ont trop tendance à oublier.
Les paysans fournissent à la collecte des cuirs et peaux 72 % du tonnage d’avant la guerre mais la production du cuir ne s’élève qu’à 52 %. Où passe la différence de 22 % ? Vous savez où. Même constatation quand on étudie le circuit qui passe de la production de cuir à celle de la chaussure.
Le service de statistiques a publié des indices d’activité industrielle. En posant l’indice 100 en janvier 1945 il a calculé l’indice mensuel du chiffre d’affaires et celui du salaire horaire moyen de l’ouvrier travaillant dans les branches considérées.
De janvier à juillet 1945 l’indice du chiffre d’affaires passe de 100 à 222, celui du salaire horaire de 100 à 153. Ainsi il apparaît que si la production industrielle stagne, le chiffre d’affaires grossit considérablement; ce qui signifie que les prix s’élèvent beaucoup plus vite que l’accroissement de la production. L’argument du Bureau confédéral, selon lequel plus la production s’élèvera plus les prix diminueront, tombe. Dans le système capitaliste, les patrons ne recherchent que les profits, et toute production se transforme beaucoup plus en bénéfices qu’en augmentation du pouvoir d’achat ouvrier. De plus, l’augmentation relative plus forte des prix anéantit toute hausse des salaires.
Mais si, ne bornant pas notre examen à l’indice général du chiffre d’affaires, nous en venons à l’indice du chiffre d’affaires dans chaque branche industrielle,; nous ferons d’importantes constatations:
De 100 en janvier 1945 l’indice passe en juillet 1945 pour la production des métaux à 391, pour la sidérurgie à 457, pour la fonderie à 406, pour l’automobile à 271, pour le textile à 170, pour l’habillement à 153, pour l’industrie du cuir ainsi que pour la fabrication des chaussures à 142.
Ainsi ce sont les industries les plus concentrées, celles où les trusts dominent qui voient leur chiffre d’affaires faire des bonds énormes, alors que les industries où domine la petite production voient leur chiffre d’affaire opérer une progression beaucoup plus lente. Une conclusion s’impose: tous les efforts de la classe ouvrière, tous les sacrifices n’aboutissent qu’à accroître les bénéfices des trusts. Il y a donc un vice dans la politique de la CGT puisque, pour le moment, « la lutte production » conçue à la façon du Bureau confédéral, loin d’être une forme de lutte contre les trusts, n’aboutit pratiquement qu’à les renforcer. [11]
M. Henry Ford demande aux chefs syndicalistes de veiller au rendement
J’ai ici une citation extraite d’un journal que je voudrais vous laisser le soin de deviner. Je vais vous la lire sans indiquer l’auteur, voulant vous laisser la surprise:
» Nous sommes persuadés (et toute la population, les ouvriers en particulier seront de notre avis) qu’un terrible danger vous menace si la production n’augmente pas dans de larges proportions… Nous croyons aussi que la seule route qui nous conduira vers la paix et la prospérité est celle du travail. Travaillons pour produire en laissant de côté toute autre considération. C’est le premier devoir des chefs syndicalistes que de veiller au maintien du rendement ».
Reconnaissez, camarades, que ces paroles sont tout à fait semblables à celles que l’on entend dans la bouche des responsables actuels de la C.G.T. et que vous trouveriez normal que je les aie extraites d’un organe syndical.
Je dois dire que la citation est tirée d’un éditorial du Figaro et qu’elle reproduit des paroles de M. Henry Ford, le grand maître des trusts des États-Unis.
Le premier devoir des chefs syndicalistes n’est pas de veiller au maintien du rendement, il est de veiller à ce que le bien-être et la liberté des ouvriers qui les mandatent, ne soient pas encore une fois foulés au pied par une nouvelle nationalisation capitaliste.
D’autre part, proportionner le salaire au rendement, ce n’est en rien résoudre les problèmes de la production, car ceux-ci sont moins un problème qu’un problème d’organisation et de lutte contre le patronat. D’autre part, je m’étonne que notre C.G.T. abandonne son opposition traditionnelle aux salaires au rendement; tous les méfaits de celui-ci ont été dénoncés depuis bien longtemps. Le salaire au rendement permet toutes les manœuvres patronales, introduit la division dans les rangs du mouvement ouvrier et, en définitive, se retourne contre les ouvriers.
Comment assurer la reprise ?
Entendons-nous bien, camarades, nous ne disons pas qu’ils sont mal posés par la CGT, nous disons, nous, que la lutte pour la reprise passe par la lutte contre le capitalisme et qu’il faut engager le combat pour un plan ouvrier de production élaboré par la CGT et exécuté, sous contrôle ouvrier. Et pour répondre au camarade me demandant des conclusions pratiques, je lui dirai que le congrès des instituteurs, à Noël, a demandé comme plan ouvrier de production:
1. l’expropriation des industries-clés et la nationalisation du crédit sans indemnité ni rachat, sauf pour les petits actionnaires;
2. le contrôle effectif de la production, de l’emploi qui en est fait, des commandes, de l’embauche et de la comptabilité par les délégués des travailleurs dans les comités d’entreprise ayant voix délibérative;
3. l’établissement d’un plan commun de la production par coordination aux échelons locaux, départementaux et nationaux de ces comités d’entreprise;
4. le soutien et le développement des coopératives de production, d’achat ou de vente, dans les milieux artisanaux et particulièrement l’agriculture, en collaboration avec la CGA;
5. l’orientation de la production et son accroissement vers les œuvres de paix et de première nécessité;
6. la revalorisation des salaires et des traitements, et l’amélioration des niveaux de vie des masses laborieuses;
7. le prélèvement sur la fortune acquise et la confiscation des biens des traîtres.
La politique confédérale désarme la classe ouvrière devant le patronat [12]
Toute autre politique syndicale va à l’encontre du but poursuivi. Les besoins non satisfaits des masses laborieuses risquent de les retourner contre la CGT si celle-ci persiste dans son orientation actuelle. La puissance de la CGT lui confère de lourdes responsabilités dans le marasme actuel. Les ouvriers syndiqués se découragent et sont démoralisés par la vanité de leurs efforts: ils n’ont jamais tant peiné et si mal vécu; leur sort n’a jamais été aussi précaire alors que la CGT n’a jamais été aussi forte en effectifs. Gare à la désaffection des masses envers une organisation syndicale qui s’obstine à soutenir ou à ne pas combattre des gouvernements incapables d’assurer une reprise parce qu’ils ne veulent pas lutter contre le capitalisme.
Les paysans peuvent, eux aussi, se retourner un jour contre les dirigeants de la CGT pour leur dire: » Vous avez de beaux communiqués de victoire dans la bataille du charbon, dans celle de l’acier, des textiles, etc. mais pour nous, il n’y a pas de machines agricoles ni d’engrais. Vous avez si bien abattu les trusts qu’ils n’ont jamais fait autant de bénéfices ».
Aurions-nous la mémoire courte au point d’avoir oublié qu’une des raisons maîtresses qui ont facilité l’accès au pouvoir de Mussolini et d’Hitler a été la carence du mouvement ouvrier ?
La France, actuellement, est dans un état qui rappelle par plusieurs côtés celui de l’Italie et de l’Allemagne après la première guerre mondiale.
Même exaspération des luttes partisanes, même impuissance des partis au pouvoir à sortir le pays de l’ornière, même prolifération de la bureaucratie, même misère des transports et de la production, même fuite ou dissimulation des capitaux, même fiscalité dévorante, même faiblesse de la monnaie, même dégoût du pays à l’égard des luttes électorales. Et surtout, même incapacité des organisations syndicales et des dirigeants syndicaux à préconiser des mesures novatrices, révolutionnaires et à les faire entrer dans les faits, même incapacité à abattre un régime historiquement condamné; même impuissance de leur part à maintenir et à améliorer le standard de vie ouvrier, à provoquer l’enthousiasme de la classe ouvrière; même souci de leur part de limiter l’action syndicale à des délégations, à des démarches, à la politique de présence et d’écarter l’action directe des masses elles-mêmes.
C’est ainsi, le passé est là pour le confirmer, que l’on prépare le terrain au fascisme ou au pouvoir personnel d’un Bonaparte quelconque. [13]
Seule l’action contre le Patronat et l’Etat
[Camarades, je n’ai pas la prétention de convaincre personne, j’ai simplement la prétention d’exécuter un mandat syndical].[14] Il est temps pour la CGT de modifier son orientation et ses méthodes d’action.
Pour réaliser le programme ouvrier de reconstruction dont j’ai donné tout à l’heure les grandes lignes, il est vain de compter sur la seule politique de présence.
Seule l’action résolue et hardie contre le patronat, patriote ou non, et son État peut, en protégeant les conditions de vie des travailleurs, sauver le pays de l’immense catastrophe économique et financière qui avance à grands pas.
Seule une action résolue et hardie de la CGT, en y comprenant la grève qui reste l’arme la plus efficace pour résister à l’offensive des trusts, permettra aux larges masses laborieuses des villes et des campagnes de surmonter la démoralisation qui s’insinue devant les échecs et les déceptions qui constituent le terrain le plus sûr à une renaissance non française mais fasciste. [15]
La CGT ne doit pas appuyer un gouvernement où, sous couvert de tripartisme, siègent les représentants des trusts. Ainsi que l’a déclaré le Congrès des Instituteurs: » le syndicalisme doit donner son plein appui à une coalition, dans le pays et au gouvernement, des partis ouvriers, à condition que l’action de ces partis reste conforme au plan établi par la CGT et que celle-ci conserve son droit de contrôle et d’action autonomes ».
Tout cela suppose un mouvement syndical sain, c’est-à-dire une CGT indépendante et démocratique. Je ne reviendrai pas sur les décisions du CCN de septembre qui ont provoqué des remous au sein de notre centrale.
En conclusion, nous demandons avec force au congrès de prendre conscience du fait que le capitalisme a fait faillite, qu’il n’apporte plus désormais aux travailleurs que la misère, la souffrance, le chômage et la guerre, et qu’il faut, non le renflouer, non prolonger son agonie, mais l’abattre. Il faut donner au prolétariat conscience de sa mission historique de fossoyeur de la bourgeoisie, il faut lui rendre sa confiance en lui-même et en son destin révolutionnaire. La pause n’a que trop duré. Il faut répondre « non ! » sans tarder, à la question cruciale: est-ce à la classe ouvrière de faire les frais de la reconstruction après avoir fait ceux de la guerre ? Il faut traduire dans une résolution sans équivoque et par des actes concrets cette soif de changement qui anime les travailleurs, éternelles victimes des divers impérialismes qui se disputent le monde. Pour empêcher la démoralisation de gagner la classe ouvrière, démoralisation provoquée aussi bien par la pratique du réformisme que par la subordination du mouvement syndical au mouvement politique, la CGT doit faire confiance aux méthodes d’action directe et de lutte de classe:; elle doit rester fidèle à sa raison d’être: l’action de classe pour la disparition du salariat et du patronat.[16]
Notes de la BS:
[1] La version de l’EE de 1995 et la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975) remplacent notamment Benoît Frachon par « le camarade Frachon ».
[2] Sous-titre absent de la version de 1995.
[3] La version de 1995 remplace « rôle » par « devoir » et arrête là la phrase, puis ajoute un sous-tire « Une occasion manquée » au paragraphe suivant.
[4] La version Front ouvrier de 1946 est coupée pour la partie entre crochets. La version de 1995 s’appuie donc ici sur un document d’origine plus complet, probablement la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975).
[5] Sous-titre absent de la version de 1995 (celle-ci introduit un peu plus loin un sous-titre « Non au blocage des salaires ! » juste avant « Dans de telles conditions, décréter le blocage… »).
[6] Nous avons gardé cette phrase selon la version de 1995. (1946: « Comment se présente la question capitale des salaires ? »).
[7] Le sous-titre est ici: »Reprendre l’offensive » dans la version de 1995.
[8] Le sous-titre est ici: « Produire d’abord, revendiquer ensuite ? » dans la version de 1995.
[9] Le compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975), précise ici un interruption d’un délégué: « Ils l’ont dépassée. »
[10] remplacé par « Bien que » dans les versions de 1975 et 1995. Qui n’a jamais rencontré un prof qui lui disait par académisme que « malgré que » n’est pas du bon français ? (ce qui est pour le moins discutable, on le rencontre par exemple chez André Gide, prix Nobel de littérature en 1947).
[11] La version de 1995 qui avait coupé les paragraphes précédents précise ici: (Vives protestations).
[12] Le sous-titre est ici: »Ne pas démoraliser les travailleurs » dans la version de 1995.
[13] Le compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975), précise ici: « (Huées du Congrès) ».
[14] La phrase entre crochets est une précision du compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975)
[15] Le compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975), précise ici: « (Le Congrès proteste vivement et interrompt l’orateur) ».
[16] Le compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975), précise ici: « (La conclusion de cette allocution a été interrompue à diverses reprises par les protestations du Congrès) ».

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