Intervention de Gilbert Serret au congrès de la C.G.T.U. (1933)

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Gilbert Serret, instituteur de l’Ardèche, est secrétaire de la Fédération unitaire de l’enseignement, oppositionnelle.

La dégénérescence des organisations révolutionnaires

— La Fédération Unitaire de l’Enseignement, au nom de laquelle je parle, est dans l’Opposition depuis 4 ans, depuis’ août-septembre 1929.
Très nombreux sont ici les délégués et auditeurs qui ne nous connaissent que par les articles tendancieux de l’Huma et de la V. O. C’est à l’intention de ces camarades que je ferai, en commençant mon exposé, un rapide rappel des raisons profondes qui font que depuis 4 ans nous combattons l’orientation de la C. G. T. U. et de l’I. S. R.
Ce rappel des faits passés ne contribuera d’ailleurs pas seulement à justifier notre position. Il nous permettra aussi d’apercevoir quelques-unes des causes véritables de la situation pitoyable dans laquelle se débat le mouvement révolutionnaire.
Revenons donc aux années 1928 et 1929. Nous voici au 6″ Congrès de l’I. C. et au 10e Plénum de l’Exécutif de l’I. C. (juillet 29). Les instances suprêmes de FI. C. déclarent que nous sommes dans « la 3° période ».
La capitalisme, en tant que système économique, est pourri. La crise qui s’annonce sera la dernière.
Gitton affirme jusqu’au 16 janvier 1931 (Huma) que la crise est « sans issue ». C’est l’ère des convulsions suprêmes; Sons l’effet de cette crise, disait-on, les masses se soulèvent : c’est la radicalisation et l’essor révolutionnaire du prolétariat. Les grèves dépassent le stade corporatif et prennent un caractère politique. La guerre est imminente.

Le problème du pouvoir se pose, en France notamment.

Pour qu’on ne nous accuse point de travestir la pensée exprimée à cette époque par l’I. C. et l’I. S. R., son ombre fidèle, permettez-moi de faire quelques citations. En ce qui concerne la « prise du pouvoir », tout d’abord : Pour être fixés, relisez par exemple le rapport d’activité fait par Gitton au C. confédéral de 29. Relisez aussi les articles de la V. O., signés de Brécot, Legrand ou de tout autre nom de militants responsables. Relisez encore la circulaire du P. C. pour le 1° mai 1930 et vous y verrez que l’on envisageait alors la « lutte décisive pour le pouvoir » ! Mais voici qui est mieux : au  C. confédéral de 29, le délégué de l’I. S. R. déclarait avec la plus parfaite assurance :

« Le problème de la conquête du pouvoir, de la lutte pour la dictature du prolétariat se pose avec force à travers les batailles économiques de plus en plus larges; la perspective de la grève générale, de l’insurrection armée en vue de la conquête du pou-voir s’ouvre devant le prolétariat ».

En ce qui concerne la « radicalisation » et « l’essor révolutionnaire », dont on n’entend plus parler d’ailleurs, nous trouvons des affirmations aussi stupides que les précédentes. Non seulement les journaux communistes, les feuilles unitaires et les militants confédéraux s’efforcent de prouver l’existence de cette radicalisation et de cet essor, mais les dirigeants mêmes de l’I. S. R. se laissent aller à ce sujet à des affirmations d’un ridicule achevé : Dans le numéro d’Août-Septembre 1929 du bulletin de l’I. S. R., le bureau de l’I. S. R. écrit :

« Il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’une grande effervescence règne dans les masses ouvrières, que le mouvement ouvrier en France est entré dans la période d’un nouvel essor révolutionnaire ».

Wassiliev est plus catégorique encore. Au Plénum de l’I. S. R. de décembre 1929 il affirme :

« De tous les pays d’Europe, c’est la France où le processus de la radicalisation de la classe ouvrière est le plus puissant ».

S’appuyant sur cette analyse fausse, absurde, outrancièrement gauchiste, de la situation économique et sociale, l’I. C. et l’I. S. R. lancèrent des mots d’ordre et préconisèrent des méthodes qui ne pouvaient qu’être à leur tour faux, absurdes et outrancièrement gauchistes.

C’est ainsi qu’au Congrès confédéral de 1929 fut proclamé le rôle dirigeant du P. C. Ce fut une véritable folie que d’imposer, dans les conditions de 29, le rôle dirigeant du P. C. dans la C. G. T. U. Il en résulte que, depuis lors, la masse, qui n’est pas communiste, se détourne de la C. G. T. U. communiste et va ailleurs. On aurait dû, il y a 4 ans, ne pas oublier que le rôle dirigeant d’un parti ce n’est pas le parti qui doit le dicter ou le faire dicter par des figurants; c’est la classe ouvrière qui, après l’avoir constaté, le réclame impérieusement. On aurait dû aussi, il y a 4 ans, ne pas oublier que les conditions objectives n’étaient pas mûres pour cette proclamation et que le P.C. de l’époque — comme le P. C. actuel d’ailleurs — n’était pas capable d’assumer convenablement ce rôle dirigeant.
C’est de l’avant-dernier Congrès confédéral que datent la formule et la pratique des « accords permanents sur tous les terrains, y compris le terrain électoral » entre le P. C. et la G. G. T. U. Nous verrons plus loin où devait, en 1932, nous mener cette lourde sottise.
Les « grèves politiques » et la « politisation des grèves » par des hommes politiques du P. C. procèdent aussi de la même erreur. Constatons en passant qu’il n’est plus question aujourd’hui de ces foutaises qui nous valurent de durs mécomptes et de cuisantes défaites. Nous avions donc raison quand nous en dénoncions la sottise et la nocivité.
C’est du C. confédéral de 29 que date surtout l’extension considérable de ce syndicalisme de secte, de ce syndicalisme asservi à un parti politique. Les oppositionnels, depuis cette date, furent et sont systématiquement traqués et chassés de toute fonction syndicale. Ce fut et c’est encore le règne du conformisme le plus absolu, le plus rigide, le plus sectaire.
Un représentant hautement qualifié de la majorité confédérale de l’enseignement écrivait, s’adressant à mes camarades de tendance et à moi-même, en 1930, ceci :

« C’est une question de vie ou de mort pour la C. G. T. U., et son avenir que d’en finir avec vous… Vous êtes autrement dangereux pour la C. G. T. U. que la bourgeoisie puisque vous êtes dans l’enceinte même ».

Ce camarade avouait franchement ce que l’on pensait secrètement dans les sphères dirigeantes : se débarrasser des oppositionnels, épurer la C. G. T. U., en éliminer à coups de .menaces, de manœuvres et d’injures plus ou moins calomnieuses les « gardes blancs », les « protégés de Coty », les « ânes bâtés de l’opportunisme », les « petits bourgeois prétentieux », les « contre-révolutionnaires » que nous étions.
C’est encore du C. confédéral de 1929 que date ce bouleversement total du régime intérieur de la C.G.T.U. Non seulement on insulte les non conformistes, non seulement on sabote les réunions syndicales pour brimer et chasser les opposants, mais encore on voit la démocratie syndicale odieusement foulée aux pieds. Les assemblées syndicales sont de plus en plus rares. Le bureau confédéral aux ordres du P. C. remplace les dirigeants d’U. L. et d’U. R. qui ne s’assimilent pas « la ligne » avec la complaisance voulue. En maintes occasions, un porte-parole du P. C. oblige les membres de la majorité confédérale délégués à un Congrès à violer le mandat formel qu’ils ont reçu de la base. On. voit même des directions syndicales, au lendemain d’un Congrès, solliciter du bureau politique du P. C. des directives pour leur travail corporatif de l’année à venir. Ce qui laisse entendre que l’on se moque des décisions des Congrès soi-disant souverains!
Le verbalisme, l’agitation tapageuse, les vociférations ridicules contre les « social-fascistes » et « autres chiens sanglants du capital », les discours kilométriques sur les larges perspectives, l’abandon du syndicalisme à bases multiples, le désintéressement des menues questions corporatives, l’absence de tout travail d’organisation et d’éducation, le bluff systématique cachant le vide effarant, voilà encore ce que nous a légué le C. confédéral de la 3e période.
Enfin, rappelons que c’est depuis cette époque 1928-29 qu’a été 1° inauguré le front unique exclusivement à la base par les Comités de lutte fantômes et dont les résultats sont totalement négatifs, et 2° abandonnée de façon quasi-absolue l’unité syndicale qui avait fait l’objet d’un si instructif débat au beau Congrès confédéral de Bordeaux en septembre 1927.

Les événements nous ont donné raison

Nous nous sommes vigoureusement dressés contre le cours nouveau que l’I.C. venait d’imprimer à la C.G.T.U. Nous avons crié casse-cou! Nous avons dit, avec l’énergie que confère la certitude d’être dans le bon chemin, que la C. G. T. U. courait à sa perte, que l’I. S. R. et l’I. C. faisaient fausse route, que le mouvement révolutionnaire allait se briser dans de redoutables aventures grosses de conséquences.
Malgré les injures, les menaces, les manœuvres déloyales, les accusations mensongères, les attaques redoublées surgissant de tous côtés, nous avons tenu tête à nos adversaires, nous sommes demeurés fidèles à nous-mêmes, nous ne sommes pas tombés «dans les bras de Chambelland, de Rambaud et de Boville comme l’auraient désiré sans doute les chefs de la majorité confédérale, et aujourd’hui, comme hier, nous luttons pour le redressement du syndicalisme de la C. G. T. U., pour l’avènement d’un syndicalisme de masse, d’un syndicalisme révolutionnaire.
Et les évènements de ces 4 dernières années nous ont, hélas! donné raison contre les dirigeants de la C. G. T. U. et de l’I. S. R. On a dû reconnaître avec nous et après Lénine, qu’il n’y a pas de crise sans issue. On a remisé au magasin des accessoires les formules et les mots d’ordre stupides de la 3° période. On a mis une sourdine aux tapageuses affirmations sur le rôle dirigeant. On a reconnu la nécessité de. la lutte quotidienne pour les revendications immédiates.
Enfin, pour tout dire, on a exécuté des tournants à tour de bras : on a brûlé ce que l’on adorait la veille; dix fois, vingt fois, cent fois, on a renversé la vapeur, réalisé des changements de direction, brutalement, à 180°, on a fait sans préparation et sans mesure les plus étourdissantes pirouettes.
Mais hélas! toutes ces velléités furent vaines! l’I. S. R. et la C. G. T. U. ont continué à descendre la pente qui mène à l’abîme.
Et pour se convaincre du bien-fondé de nos affirmations, il suffit de jeter un coup d’œil autour de soi.

Des millions, des centaines de millions d’êtres humains sont plongés dans la plus affreuse misère. La guerre mondiale accumule ses nuées menaçantes à l’horizon. Le fascisme, depuis dix ans, a conquis l’Italie, la Hongrie, la Pologne, l’Europe centrale. Il vient d’instaurer sa dictature sanglante en Allemagne en écrasant un prolétariat cependant fort et aguerri. Il menace l’Autriche et l’Irlande. Il s’infiltre insidieusement en France et demain l’Europe entière sera peut-être fascisée.
Rappelons en outre qu’aux yeux de tous, même des bourgeois, le système capitaliste, en tant que système, réalise en ce moment la plus retentissante des faillites. C’est dire que les conditions objectives d’une authentique radicalisation des masses sont aujourd’hui remplies. C’est dire qu’aujourd’hui, plus que jamais, les faits économiques et sociaux sont éminemment favorables à l’épanouissement du mouvement révolutionnaire, à l’élévation du potentiel révolutionnaire du prolétariat mondial.
Or, que voyons-nous? En France, les organisations révolutionnaires sont en régression marquée et leur influence décroît. Au XII° Plénum de l’I. C, tenu voici près d’un an, Doriot a affirmé que le P. C avait perdu, en 1932, près de 300.000 voix et qu’il n’avait même pas atteint le chiffre de voix de 1924. Selon le même camarade, les effectifs de la C. G. T. U. sont ceux de la date de sa constitution. Si l’on fixe à 225.000 le nombre d’adhérents à la C. G. T. U. on voit qu’en 6 ans notre centrale syndicale a perdu 300.000 syndiqués! Le C. R. financier de la C G. T. U. que vous avez sous les yeux avoue une baisse formidable des recettes. Pendant cette même période le tirage de l’Huma a « considérablement baissé » ; de 250.000 le chiffre du tirage de 1927 est passé à 150.000 à l’heure actuelle. Doriot avoue encore que toutes les organisations « auxiliaires du P. C. » S. O. I., S. R. I., Amis de l’U. R. S. S., etc, sont en recul et que le mouvement des chômeurs est en régression aussi. Le coopératisme révolutionnaire lui-même recule devant le coopératisme réformiste.
A l’échelle mondiale, la situation est identique ou pire. Au XII° Plénum, le camarade Kostanian avoue : Régression syndicale en Allemagne; en France; 5.400 adhérents seulement en Angleterre; quelques milliers aux États-Unis; de 22 à 25.000 au Japon; en Chine, nos syndicats en sont seulement à « reconstituer leurs organisations » après urne période de désagrégation.
Toujours au XIIe Plénum,, Pianitsky affirme que pendant les 18 mois antérieurs l’influence révolutionnaire parmi les chômeurs est allée en diminuant.

Voilà donc quel est le bilan lamentable pour une période cependant favorable au renforcement numérique et à l’élargissement de l’influence de l’I. S. R.
Le mur qui nous sépare des masses s’élargit sans cesse. Et c’est l’absurde politique de l’I. S. R. qui est responsable de cette triste situation. Pendant ce temps, la classe ouvrière dans son ensemble se replie sur elle-même, désabusée, démoralisée ou amorphe, proie facile pour les bateleurs sociaux-démocrates ou pour les démagogues fascistes.
Et pourtant toute foi, toute ardeur n’est pas éteinte; de belles grèves comme celles de Strasbourg et des bateliers le prouvent. Mais l’orientation, les méthodes et les mots d’ordre de l’I. S. R. et de la C. G. T. U. sont incapables de faire surgir du prolétariat cette confiance, cette foi, cet enthousiasme, cette ardeur qui transportent les foules et leur font accomplir les grands événements de l’histoire.

Les responsabilités de la C.G.T.U. et de l’I.S.R.

Les chefs de l’I. S. R. et de la C. G. T. U. prétendent sans cesse que les échecs, les défaites, les reculs, sont dus non pas à une mauvaise politique, mais à une application défectueuse des directives du centre. Ils affirment avec une audace inouïe que les événements vérifient leurs perspectives antérieures, qu’ils ont vu juste en toutes circonstances, et que si les choses vont mal, la faute en est aux agents d’exécution, c’est-à-dire en fait aux militants de base.
Nous, Fédération de l’Enseignement, nous déclarons que c’est faux! La responsabilité de la douloureuse situation du mouvement révolutionnaire incombe essentiellement à la politique imposée à l’I. S. R. par l’I. C.
Et il faut faire preuve d’une puissance d’imposture peu commune pour oser prétendre que les faits ont sans cesse vérifié les perspectives! Voudriez-vous, camarades du Bureau confédéral, me dire par exemple si vous pensez toujours que la crise est sans issue? Voudriez-vous me dire où nous en sommes de la prise du pouvoir en France?

Ne pourriez-vous pas me préciser dans quelle mesure l’essor révolutionnaire a grandi durant ces 4 dernières années? Enfin, fait particulièrement récent et grave, qu’est-il advenu de vos dérisoires pronostics sur l’impossibilité d’Hitler d’arriver au pouvoir – – pronostics formulés jusqu’à la veille même de l’avènement du national-socialisme?…
En prétendant que vos thèses sont toujours justes, vous vous efforcez de sauver le prestige de votre politique ; vous voulez nous inculquer le dogme de votre infaillibilité. Mais nous ne marchons pas !
Nous avons maintes fois déjà porté le fer rouge dans la plaie. Et aujourd’hui encore nous tenons à marquer nettement à cette tribune l’écrasante responsabilité qui pèse sur votre fausse orientation, vos méthodes déplorables et vos mots d’ordre si souvent maladroits.
La C.G.T.U. sous la coupe du P.C.
Examinons tout d’abord la question de la subordination du mouvement syndical au mouvement politique.
Depuis 4 ans, les syndicats unitaires sont sous la coupe du P. C. et la C, G. T. U. n’est que le pâle reflet du P. C. Des quantités de faits peuvent être apportés à l’appui de cette affirmation que personne d’ailleurs ne conteste.
Toutefois je tiens à rappeler le dernier fait parvenu à ma connaissance, car il est savoureux : Un remaniement du bureau confédéral a eu lieu voici quelque temps. Claveri a cessé ses fonctions. Pourquoi? Je n’en sais rien. Mais ceci n’a pas d’importance. L’essentiel le voici : Frachon secrétaire du P. C, est devenu secrétaire confédéral, et Gitton secrétaire confédéral est devenu secrétaire du P. C.
La sottise la plus lourde de conséquences fut sans conteste la participation de la C. G. T. U. à la campagne électorale de 32 pour le compte du P. C. L’article 7 des statuts confédéraux actuels dit très clairement :

« Nul ne peut se servir de son titre de confédéré ou d’une fonction de la Confédération dans un acte électoral quelconque…
Les fonctionnaires confédéraux et les membres de la C. E. ne pourront faire acte de candidature à une fonction politique; leur acte de candidature implique d’office la révocation des fonctions qu’ils exercent ».

Cet article fut systématiquement violé. La C. G. T. U. se fit le rabatteur politique du P. C. Les fonctionnaires syndicaux furent en très grand nombre candidats, utilisant leurs forces et leur temps pour le compte du P. C, en violation formelle des statuts et sans autorisation aucune de la base, du Congrès de 31 ou même du C. C. N.
La C. G. T. U. en liant ainsi son sort à celui du P. C. lors de la dernière foire électorale a commis une très lourde faute. Les ouvriers d’ailleurs en maintes circonstances lui ont signifié un dur désaveu. A Vienne, Richetta se présente aux suffrages des travailleurs dès le lendemain de la grève du textile qu’il venait de diriger et reçoit un soufflet cinglant. A Fougères, dans des circonstances identiques, Mentec ramasse un nombre de voix dérisoire.
Vous n’avez pas encore compris, camarades de la M. C, que le syndicat par sa composition, par son action, par ses méthodes se distingue totalement de l’organisation politique. Vous n’avez pas compris que si vous voulez que le syndicat soit une organisation de masse il faut que toutes les idéologies syndicalistes puissent s’y trouver, il faut que tout travailleur puisse y respirer à l’aise, il ne faut pas en faire une chapelle communiste ou anarchiste ou socialiste ou trotskiste !

Syndicalisme de secte

La subordination mène au syndicalisme de secte. La subordination provoque les luttes fratricides au sein du syndicat. La subordination, c’est la mort du syndicalisme de masse. A bas la subordination!
C’est cette domination bureaucratique du P. C. sur la C. G. T. U., c’est ce sectarisme forcené, qui rongent notre Centrale syndicale, qui l’affaiblissent au moment où elle devrait grandir, qui la coupent des masses au moment où elle devrait traduire puissamment les espoirs du monde du travail.

Ce sectarisme nous apparaît notamment sous les aspects du dénigrement systématique à l’égard des oppositionnels et des oppositions. Un militant fait-il preuve d’indépendance d’esprit? On s’efforce de le boycotter, on le combat, on le discrédite au besoin et on l’élimine du poste qu’il occupe s’il persiste à ne pas se soumettre aux dogmes et aux rites sacrés de l’Église confédérale. Le sort des camarades d’Armentières et d’un certain nombre de .secrétaires d’U. R., d’U. L. et de Fédérations est là pour nous édifier et… nous laisser prévoir ce qui attend les camarades de l’U. L. de Strasbourg!…. On ne s’attaque pas seulement aux hommes; on s’attaque aussi aux Fédérations qui sont dans l’opposition. En ce qui nous concerne nous tenons à déclarer que vous avez sciemment menti quand vous dites que nous n’avons rien fait pour empêcher le départ de certains syndicats minoritaires. Nous avons fait plus et mieux que vous sur ce terrain-là.
Vous avez pour nous une telle haine de tendances que vous en arrivez à rabaisser notre action dans le mouvement du 20 février dernier. Vous devriez tout de même avoir à ce sujet la pudeur de vous taire, car vous savez bien que les syndicats de la M. C. de l’enseignement n’ont pas fait mieux que nous — au contraire même — car vous connaissez bien la carence coupable du Cartel unitaire, car vous n’ignorez pas non plus que la direction confédérale et certaines fédérations intéressées m’ont pas fait l’action nécessaire.
Pendant les années 1929, 30 et 31 nous avons été copieusement injuriés et calomniés. Nous avons réagi avec «ne vigueur telle que vous avez dû mettre une sourdine à vos insultes. Mais voici qu’à nouveau apparaissent les procédés inadmissibles. Alors que Bergery pouvait s’exprimer longuement à la tribune de Pleyel, notre camarade Aulas, représentant la Fédération de renseignement, ne put parler librement! Dans une assemblée syndicale de la Seine un oppositionnel est saisi à bras le corps et descendu de la tribune. Cinq camarades hongrois, membres du syndicat du bâtiment, sont exclus pour délit d’opinion.
Prenez garde! Si vous persévérez dans cette voie, si Vous faites taire par les manœuvres déloyales ou par la force les oppositionnels, si vous instituez dans la C. G. T. U. des méthodes de brutalité, si vous étouffez la voix de ceux qui ne veulent pas toujours dire « amen », vous n’arriverez qu’à démolir un peu plus notre Centrale syndicale.

Manque de démocratie syndicale, bluff et bureaucratisme

On ne peut pas dire que la démocratie syndicale joue véritablement à la C. G. T. U. En voici deux preuves très récentes : au Congrès d’août dernier de notre Fédération certains délégués membres de la M. C, dans plusieurs votes, se sont emparés des voix d’opposition qu’ils détenaient. Toujours au même Congrès nous avons vu les délégués de la M. C. [majorité confédérale], obéissant au P. C, modifier leur vote en ce qui concerne la préparation militaire supérieure dans les grandes écoles. Mandatés pour s’élever contre cette préparation militaire, ils ont fait exactement le contraire, en plein Congrès, violant ainsi le mandat que la base leur avait donné!
Dans maints syndicats de la C G. T. U. il n’y a que de rares A. G,, auxquelles d’ailleurs n’assistent que très peu de syndiqués! Le bureau, bien souvent on fait c’est la cellule, dirige le syndicat, qui peu à peu, faute de vie, décline et meurt.
Pour cacher ce vide, pour donner l’illusion d’une activité qui n’existe pas, vous en êtes réduits à gonfler démesurément les moindres faits. Vous multipliez systématiquement le chiffre des auditeurs des meetings. Vous bluffez sur les effectifs, sur les résultats obtenus ; vous montez en épingle les plus minces événements. Méthode déplorable qui répugne aux travailleurs, qui discrédite ceux qui l’emploient et qui ne parvient même pas à donner le change. N’oubliez pas que les révolutionnaires authentiques ont le courage de voir la réalité en face, qu’ils repoussent avec indignation la surenchère, le bluff et la démagogie.
Le bureaucratisme est encore une tare de notre mouvement syndical. La bureaucratie est une plaie mortelle car elle empêche les dirigeants de sentir les pulsations de la vie des travailleurs. Le bureaucratisme contribue dans une large (mesure à couper tout contact entre la base et la tête, entre la masse et l’avant-garde.

Le bureaucratisme contribue aussi à déposséder les militants de toute indépendance d’esprit, de tout esprit critique. Le bureaucrate cherche non pas à vérifier si la ligne est juste et à dire qu’elle est mauvaise si vraiment elle est mauvaise, mais bien plutôt à ne jamais s’écarter des directives qui lui sont tracées par en haut. Enfin le bureaucratisme mène à la routine, à la mécanisation, inintelligente, à la paralysie. N’oublions pas que si cette lèpre sévit depuis longtemps dans le camp réformiste elle fait chez nous aussi des ravages.

Les événements d’Allemagne; l’orientation de l’U.R.S.S.

Le sectarisme forcené que nous vous reprochons se manifeste surtout quand nous osons toucher aux principes, aux idées ou aux faits que vous considérez comme sacrés. Vous ne pouvez pas admettre par exemple que nous examinions en parfaite indépendance d’esprit les événements d’Allemagne. Vous ne voulez pas que nous évoquions les erreurs énormes commises par le P. C. allemand. Pour vous, l’I. C. est tabou et sa politique est parfaite en ce qui concerne l’Allemagne. Vous poussez l’intolérance jusqu’à empêcher l’expression d’une opinion non conforme à la vôtre sur ce sujet et, jouant la vertu outragée, vous prétendez que nous apportons de l’eau au moulin d’Hitler ou que nous piétinons les victimes du fascisme. Vous savez très bien qu’autant que vous nous saluons l’héroïsme des travailleurs allemands qui luttent contre Hitler au péril de leur vie. Mais ce que vous ne voulez pas que mous examinions, c’est la question de savoir si FI. G. n’a pas, par une fausse politique, facilité la trahison social-démocrate et ainsi, en fait, favorisé l’avènement de l’hitlérisme assassin.

En ce qui concerne l’U. R. S. S., qu’il est nécessaire de défendre contre toute agression armée des nations impérialistes, vous ne voulez pas que nous nous étonnions de sa politique extérieure, des réceptions grandioses du soi-disant « pacifiste Herriot », de l’accueil de la presse fasciste polonaise à Karl Radek, du prochain voyage à Moscou de Pilsudsky, assassin de communistes, des pactes de non-agression et d’amitié, du régime des passeports intérieurs, de la différenciation systématique des salaires, du travail aux pièces, de la déportation sans jugement de révolutionnaires comme V. Serge, Rakovsky, Riazanov et tant d’autres.
Vous ne voulez pas que l’on professe sur ces questions une autre opinion que la vôtre. C’est de l’intolérance, c’est du sectarisme, c’est du fanatisme.
Comment voulez-vous, dans de telles conditions, avec de telles conceptions, avec un tel régime intérieur, faire du bon travail?…
(Le Président prie notre camarade de s’arrêter.)
— Camarades, je veux respecter strictement la démocratie syndicale; j’ai épuisé mon temps de parole, je coupe ici mon intervention. Nous tâcherons, avec nos camarades de l’Enseignement, de terminer ce que nous avons à dire, car je pense qu’il faut que vous entendiez toutes les voix, tous les sons de cloche. Au sein de la C. G. T. U., il faut que la base, il faut que les minorités puissent s’exprimer. Sinon, vous ne serez jamais un syndicalisme de masse, vous serez un syndicalisme de secte qui, coupé de la masse, tournera le dos à la révolution.

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