Un prisonnier du Guépéou: Francesco Ghezzi (1929)

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Paru dans La Révolution prolétarienne N°84 du 15 juillet 1929.

UN PRISONNIER DU GUÉPÉOU
Francesco Ghezzi

J’ai fait la connaissance de Ghezzi à Moscou en 1921 : c’était à l’époque du troisième Congrès de l’Internationale Communiste et du premier Congrès de l’Internationale syndicale rouge, au début de la « nouvelle politique économique » (NEP), au lendemain du massacre de Cronstadt, à la veille de la famine qui devait ravager terriblement la Russie l’hiver suivant.

De nombreuses délégations de tous les pays avaient été appelées à participer à ces assises. Il y avait une source de force et de joie dans le concours de ces révolutionnaires pleins d’ardeur et d’espoir, vers le centre da première révolution socialiste. Ils aspiraient à y vivre dans une atmosphère de camaraderie, et vraiment ils y vivaient dans les premiers moments, avant que les discussions apolitiques et la
lutte des fractions et des tendances n’eussent creusé des fossés et mis des distances entre les hommes.

Sur cette base d’aspirations communes, on s’entendait facilement et des amitiés se nouaient vite : elles se nouaient surtout, sincères et franches, entre les hommes du rang, entre les simples militants, sans nom et sans titres, qui n’avaient rien pour se recommander les uns aux autres que leurs yeux, leur expression, leur poignée de mains, tout ce qui émanait spontanément, directement de leur personnalité.

C’est ainsi que se firent les meilleures « découvertes », non pas parmi les chefs ou les porte-parole députés, mais parmi les simples soldats de la Révolution, parmi les ouvriers restés en contact avec le peuple.

Entre les « découvertes » que je fis de la sorte, il n’en est pas de plus heureuse que Celle de Ghezzi.

Découverte aisée, en vérité : sa figure si franche, si ouverte, et en même temps si charmante, n’attirait-elle pas de suite les regards et ne parlait-elle pas pour lui, avant qu’il n’eût ouvert la bouche? Un communiste italien a écrit de lui qu’il était « jeune; valeureux et si beau de franchise, d’intelligence éveillée et vive, de lumière intérieure, que tous ceux qui l’on rencontré n’oublieront jamais ce prolétaire de vingt an? ».

ghezzi

L’apparence ne trompait pas : j’ai rarement connu nature aussi droite, aussi franche. Ce jeune homme (il avait alors 27 ans à peine et paraissait en avoir beaucoup moins), bien que mûri par les rudes expériences d’une vie de souffrance et de lutte, avait gardé une fraîcheur et une force de sentiments toutes juvéniles. Je ne soupçonnai pas d’abord tout ce qu’il avait vécu et ne l’appris que plus tard et non de lui, car il n’est pas de ceux qui cherchent à se faire valoir. Voici en quelques mots ce que fut cette vie.

*

Francesco Ghezzi est né en 1894 à Milan, la grande ville commerciale et industrielle de l’Italie, où, grâce à une nombreuse population ouvrière, le socialisme prit un développement rapide, mais dominé bientôt par l’influence de Turati et des réformistes.

Son père était jardinier et ne gagnait pas assez pour entretenir sa famille qui devenait plus nombreuse d’année en année. La mère de Francesco mourut, alors qu’il était encore tout enfant; le père se remaria et les rejetons continuèrent à pulluler. Il fallait vivre : dès l’âge de sept ans, Francesco commence à gagner son pain, à aider sa famille. A douze ans, il travaille déjà dans une grande usine métallurgique de Milan.

Précocement mis en présence des réalités sociales, il se dégage des croyances du milieu d’où il est sorti. Son père était catholique; il travailla quelque temps dans un couvent de nonnes; le petit Francesco avait une très belle voix, les nonnes le faisaient volontiers chanter à la messe : très pieux et doué du sens de la beauté, il devait être impressionné par les cérémonies religieuses.

Il résista physiquement au dur labeur de la fabrique et la fabrique le sauva moralement, l’arracha aux mensonges qui endorment la conscience, distillés par le catholicisme, lui découvrit les injustices sociales fondamentales.

C’était un enfant curieux, intelligent, allant les yeux grands ouverts. A ses questions, restées souvent sans écho dans sa famille, la vie de la fabrique donna bientôt réponse : pour compléter son éducation, à la discussion orale à l’atelier, dans la rue, syndicaliste, lui fit connaître la littérature révolutionnaire. Mais comme tous les militants italiens que j’ai connus, c’est à la vie même qu’il doit son éducation : à la discussion orale à l’atelier, dans la rue, partout, à l’action qui, chez eux, accompagne toujours la parole : à quatorze ans, il est emprisonné pour la première fois, et, comme il sied, la première fois est suivie de beaucoup d’autres. En Italie, les jeunes militants sont plus souvent en prison qu’en liberté : ils y vont avec ardeur, guidés par leur foi révolutionnaire. Ghezzi chantait en prison et là comme ailleurs, il faisait de la propagande : ne faisait-on pas de la propagande en tout lieu et en toutes circonstances en ce pays de soleil ?

C’est ainsi qu’il devint jeune homme et que ses  idées se formèrent au hasard des expériences de la vie et des discussions. Par réaction contre son milieu passif et catholique, il surgit en lui une haine du prêtre et surtout du policier, instrument brutal de l’oppression capitaliste. Pour avoir pendant longtemps travaillé dans une imprimerie, où il faisait indéfiniment tourner la roue des machines, il avait pris en horreur le salariat qui lui apparaissait semblable à l’antique esclavage. Plus tard, il apprit le métier de repousseur, lié à l’orfèvrerie, et le sens de la beauté, qui était profondément en lui, eut l’occasion de s’exercer et de lui faire voir un autre aspect du travail. L’attrait de la beauté, qui pourrait faire la joie de tous dans une société meilleure, la pitié et la révolte en face du travail-esclavage de l’atelier, un sentiment inné de justice, tels furent les éléments principaux qui contribuèrent au développement de sa personnalité et qui le poussèrent à la « Chambre du travail » et vers ces foules milanaises vibrant encore de colère au souvenir des odieux massacres de 1898, où le général Bava-Beccaris avait fait tirer à coups de canon sur les foules sans défense, voire même sur des indigents qui attendaient la soupe à la porte d’un couvent.

Francesco se joignit aux anarchistes, à ces francs-tireurs de la Révolution, qui étaient de toutes les manifestations ouvrières, qu’on voyait résister, revolver au poing, aux brutalités policières, qui n’épargnaient pas les « jaunes », et dont la prompte réaction à toutes les iniquités sociales inquiétait les social-démocrates, partisans d’une action plus modérée et de la conquête électorale du pouvoir.

La guerre vint. Entre le début du conflit et l’entrée de l’Italie dans la mêlée, le pays connut une période de préparation de près de dix mois, où partisans et adversaires de l’intervention armée ne cessèrent de se rencontrer sur tous les terrains. L’ensemble du mouvement socialiste tint bon, mais que de défections individuelles : Mussolini, Corridoni et plusieurs des personnages les plus représentatifs du syndicalisme révolutionnaire passèrent dans les rangs des interventionnistes et firent cause commune avec les nationalistes bourgeois. Non seulement Ghezzi n’hésite pas un instant sur la voie à suivre, mais même la guerre déclarée, il continue la lutte : un an après, il est sur la place du Dôme, à Milan, avec les femmes milanaises qui sont venues crier ce qu’elles pensent du roi et de son gouvernement ; arrêté, passé à tabac, il n’a de pensée que pour les copains qui, enfermés dans les cellules, demandent en vain un peu d’eau pour layer leurs faces tuméfiées.

C’est de nouveau la prison pendant des mois, la faim, le froid, mais, dans son souvenir, toutes les souffrances disparaissent derrière la fierté d’avoir lutté contre la guerre. Libéré, il passe les Alpes, malgré tous les dangers d’une telle expédition en ce moment-là : il ne veut à aucun prix participer à cette guerre. Dans la Suisse petite bourgeoise, lui et d’autres jeunes indomptables scandalisent même les hôtes habituels de la méthodique Maison du Peuple de Zurich. Ils conspirent, ils parlent, ils agissent et l’on voit bien que ce n’est pas seulement au gouvernement italien qu’ils en veulent, mais à tous les gouvernements capitalistes. Nouvelle arrestation, nouveau procès où, par un truc désormais classique, la justice bourgeoise mêle aux purs révolutionnaires, pour essayer de les déconsidérer, des aventuriers, des espions, des mouchards. Mais c’est une occasion de clamer quand même sa foi anarchiste. L’accusation se dégonfle et Ghezzi peut reprendre sa vie errante de proscrit.

La guerre finie, le ministre Nitti est forcé d’accorder une amnistie générale (sinon il n’y aurait pas assez de prisons en Italie pour enfermer tous ceux qui se sont rebellés contre la guerre impopulaire.) Francesco Ghezzi rentre aussitôt. C’est la grande période de fermentation sociale qui suit la guerre et qui va mettre l’Italie à deux doigts de la Révolution.

Le moment culminant est celui de l’occupation des usines, en septembre 1920. Ghezzi est à son poste avec tous les bons militants, il y restera jusqu’au dernier moment. Comme Malatesta, il adjure les camarades de ne pas quitter les usines occupées, que les corporations ouvrières gardent et défendent. Il faut étendre le mouvement, s’attaquer aux rouages de l’État. Mais les chefs réformistes de la C. G. T. se défilent, ils passent la main à la direction du parti socialiste qui, bien que composée en majorité de membres du futur parti communiste, se récuse à son tour et n’ose pas prendre la tête du mouvement. Le moment décisif est passé, les ouvriers sont obligés de sortir des usines, la tête basse. La roue de la fortune a tourné ; la bourgeoisie capitaliste, qui avait subi les événements, reprend courage ; avec son aide le fascisme se développe, instrument de la réaction.

On ne tarde pas à arrêter Malatesta, l’homme le plus populaire parmi les masses ouvrières, grâce à son long passé de militant irréprochable, à sa sincérité, à son éternelle vaillance. Les masses ont encore des velléités de réagir, mais les chefs socialistes, qui se croient encore à l’abri, les retiennent : Serrati, qui est en ce moment le chef le plus influent du P. S., met les foules en garde contre les manifestations en faveur d’un homme, si sympathique fût-il. Les anarchistes seront seuls à réagir : ils le feront impulsivement, individuellement, sans coordination dans l’action et d’une manière qui sera exploitée pour ses fins par la bourgeoisie qui penche de plus en plus vers le fascisme. Une bombe jetée au music-hall Diana, à Milan, lieu fréquenté par les noceurs et les désœuvrés, fait un grand nombre de victimes. Ghezzi n’est Pour rien dans cet attentat, mais, comme il est connu parmi les anarchistes milanais, on le poursuit. Traqué, il passe de nouveau la frontière. En 1921, il est en Russie, avec deux de ses camarades, comme délégué de l’Union syndicale italienne (association de Syndicats et de Chambres de travail où domine la tendance anarcho-syndicaliste), au premier Congrès de l’Internationale Syndicale rouge.

Telles étaient les expériences accumulées par Ghezzi dans sa vie, relativement longue déjà, de militant, quand je le rencontrai à Moscou.

Il y arrivait avec tout l’enthousiasme qu’il avait Pour la Révolution russe dans son ensemble, dont il avait suivi avec passion le développement, d’abord de Suisse, ensuite d’Italie ; mais il arrivait les yeux ouverts, avec la volonté de connaître, de comprendre, de voir les ombres comme les lumières ; il ne s’était point fait d’avance une âme de courtisan du nouveau régime ; il n’était pas prêt à attribuer une importance historique au fait que lui, prolétaire, gravissait les escaliers où ne passaient, il y a quelques années, que le tsar et sa suite (ainsi que je l’ai vu faire par un naïf dans un journal ouvrier de Paris) ; il n’était pas non plus de ces délégués qui se contentaient d’aller de l’hôtel Lux au Kremlin et qui attendaient les automobiles de l’Etat même pour faire ce petit trajet (j’en ai connu beaucoup de cette espèce). Il allait à pied par les rues de Moscou, il tâchait d’entrer en contact avec la population, et sa grande facilité pour apprendre les langues le servait ; il prenait part aux « samedis communistes », après-midi où les militants donnaient volontairement et gratuitement leur- travail à la communauté. Lui, vrai révolutionnaire et qui avait déjà tant de luttes à son actif, sentait le devoir d’étudier la révolution à fond, d’en reconnaître les fautes aussi bien que les succès, de ne pas l’accepter « en bloc » et les yeux fermés, suivant’ une formule qui a été longtemps à la mode.

Après ce que j’ai dit de la carrière de Ghezzi et de ses tendances, tous ceux qui connaissent bien l’histoire de la Révolution russe devineront sans peine quelles furent ses impressions. Sur le terrain syndical, il défendit l’autonomie des associations ouvrières contre la mainmise du P. C., dont il était, dès lors, aisé de deviner les fins dernières. Il était partisan de la collaboration dans des limites précises, non de la soumission.

Entre les diverses tendances qui se dessinaient déjà dans le P. C., ses sympathies allaient naturellement à l’Opposition ouvrière de Kollontaï, Chliapnikov, etc. Elle avait été écrasée au Xe Congrès du P. C. russe et la diffusion de la remarquable brochure de Kollontaï intitulée « l’Opposition ouvrière » avait été arrêtée ; mais Ghezzi avait pu prendre connaissance de cet opuscule, grâce à la traduction manuscrite faite par un communiste français, (cet important document, resté presque inconnu, a été publié beaucoup plus tard par la Revue anarchiste, disparue depuis.) Ce qu’il critiquait dans la tactique des chefs bolcheviks ne l’empêchait pas, du reste, de reconnaître leur valeur : la première fois qu’il entendit parler Lénine, il fut enthousiasmé par ce qu’il y avait de simple, de direct, dans la manière, dénuée de tout ornement de tout effet oratoire, dont Lénine exposait les questions. « Voilà ce qu’il faut dire ! Voilà comment il faut parler ! », s’écriait-il, sentant toute la puissance humaine de cette grande expérience, de
cette grande force désintéressée,

En 1922, Ghezzi est en Allemagne. Le gouvernement italien, déjà complètement dominé par le fascisme, réclame son extradition. Le ministre social-démocrate Severing l’emprisonne en attendant de le livrer. Il passe sept mois à la prison de Moabit, à Berlin : mais l’opinion ouvrière s’est émue, les communistes eux-mêmes s’agitent, le Rote Fahne organise une campagne active qui a du retentissement à l’étranger, la Russie des Soviets réclame Ghezzi comme l’un de ses propres citoyens. L’Etat allemand se décide à le relâcher, à condition qu’il quitte aussitôt son territoire.

Il rentre en Russie volontiers, parce qu’ayant pris contact avec ce peuple merveilleux, si original, si riche en possibilités d’avenir, il désire le connaître plus profondément, se mêler plus intimement à lui.

Il va apprendre à fond sa langue, vivre avec lui de sa vie. Il aurait pu, comme tant de réfugiés politiques, avoir une existence facile, un bon logement, un travail point dur en acceptant les avances du gouvernement. Mais il veut continuer sa vie de prolétaire, en contact avec les travailleurs de la terre et de l’usine. Pour rétablir sa santé gravement compromise par son emprisonnement en Allemagne et combattre la tuberculose qui le mine, il va dans le midi de la Russie, en Crimée. Un camarade russe, qui a vécu près de lui en ces années, me décrit ainsi sa vie :

« Le voilà cultivant, joyeux, un tout petit bout de terre, avec une équipe de francs-tireurs comme lui, arrachant aux impôts de l’État et à la pression des « nepmans » quelques légumes et quelques fruits pour se subvenir et pour donner à manger à ceux qui, de la Moscou du Nord, viennent réparer un peu leurs poumons délabrés par les usines de l’Etat-patron. Et la Yalta de la « NEP », la Yalta des hauts fonctionnaires vautrés dans les sanatoria, la Yalta des plats valets du Parti profitant des cures, voit passer sur ses quais et ses promenades, l’équipe à Ghezzi, discutant, se chamaillant : il y a là-dedans des communistes, des bons, qui croient à leur façon à une société nouvelle, mais qui ne sont pas des parasites ; il y a des hommes qui aiment la Révolution russe, mais qui sont déroutés en la voyant sombrer ; il y a ceux qui ont fixé leur route et pour qui le jardin de Ghezzi n’est qu’un morceau de verdure bien ensoleillé où l’on passera quelques jours, mais d’où l’on ira courir les usines et les mines et les routes de la Russie pour harceler l’Etat-patron.

« Ghezzi rentre à Moscou, avide d’une vie active ; l’autorité n’ose pas encore lui dire nettement ce qu’elle pense de lui, mais elle le prive de travail : c’est en vain que, pendant des semaines et des mois, lui, régulièrement syndiqué, se traîne dans les bureaux de placement. C’est bien le : crois ou crève !

Mais, en sus de la haine, la ruse s’éveille ! On finit par les avoir, ce pain et ce travail qui vous sont refusés ! Ghezzi, à la « Metallolamp » tourne, repousse sans relâche.

« Aux ennemis de l’ouvrier salissant le nom de communiste, Ghezzi dit avec mépris, nettement, ouvertement, ce qu’il en pense : le Guépéou hésite longtemps devant celui qui n’a rien à cacher de ses opinions, puis, croyant le moment venu, il frappe.

« Ghezzi est, dit-on, enfermé à Souzdal, mais depuis son arrestation, personne ne l’a vu : le secret le plus absolu s’est fait autour de lui ; un noir dessein se trame : c’est à Verkhné Ouralsk qu’on veut l’envoyer, prison isolée par des centaines de kilomètres de. tout chemin de fer; et là, dans l’éloignement, ce sera la fin : les poumons affaiblis par le régime des prisons italiennes, suisses, allemandes, vont céder et, sans que personne n’en sache rien, on le liquidera. Au fond, pour lui, qu’importe ! Il savait bien qu’il finirait ainsi un jour, mais pour nous qui sommes libres, qui pouvons crier, crions camarades, crions au secours, partout ! N’est-ce pas la moindre des choses que nous puissions faire ? »

Que puis-je ajouter à cet appel émouvant, qui vient d’un travailleur, d’un révolutionnaire aussi pur que Ghezzi et qui, lui aussi, à connu là prison en Russie pour avoir défendu les droits des ouvriers Contre l’envahissante bureaucratie, contre les Communistes de la treizième heure, contre les profiteurs de la Révolution.

La cause de Ghezzi, c’est la cause du prolétariat tout eritier par qui et pour qui là Révolution a été faite et qui doit la défendre, non seulement contre ses ennemis du dehors, mais aussi à l’intérieur contre ses exploiteurs et ses usurpateurs. Défendre Ghezzi, ce n’est pas défendre l’homme de tel ou tel parti, de telle ou telle fraction : c’est défendre la cause du prolétariat dans son effort d’émancipation, d’auto-éducation, de réalisation d’une société nouvelle, d’affermissement de ses conquêtes. Toute la vie de Ghezzi a été la manifestation d’un effort semblable : à travers mille difficultés matérielles, il n’a cessé de s’instruire, de se développer moralement et intellectuellement, non pour son propre plaisir, mais pour le bien de toute sa classe et le triomphe d’une société meilleure. Ayant compris en ces derniers temps que sa vie nomade, en l’empêchant de faire des études coordonnées, avait laissé des vides dans son éducation sociale, il avait décidé de profiter des possibilités, que seule la République des Soviets offre aux ouvriers, de faire des études supérieures (l’une des vraies conquêtes de la Révolution) et il préparait son entrée à l’Université en étudiant activement après son rude travail de la journée à l’usine, quand le Guépéou l’arrêta.

Rien ne symbolise mieux l’opposition de la nouvelle classe d’oppresseurs, qui s’est formée dans les cadres du parti communiste, à l’émancipation complète du prolétariat. Du fascisme à la bureaucratie soviétique en passant par le social-patriotisme, Ghezzi aura subi l’assaut de toutes les forces de réaction qui s’opposent à l’ascension des prolétaires : si ses frères de tous les pays ne réussissaient pas à l’arracher à la mort qui le menace, ils auraient à enregistrer une grave défaite.

JACQUES MESNIL.