Complément d’information (Pivert & Guérin, 1937)

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Paru dans Le Populaire du 7 septembre 1937. [pdf]

TRIBUNE DU PARTI

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LA REVOLUTION ESPAGNOLE ET NOUS

Complément d’information

Nous avons dit dans un précèdent article les vivas appréhensions que nous inspire l’évolution actuelle de la publique. espagnole. Aujourd’hui nous  sommes en mesure de présenter à  nos lecteurs un complément d’information.

Une délégation internationale, envoyée par le Comité de défense des révolutionnaires antifascistes en Espagne vient, en effet, de se rendre à Valence et à Barcelone. Elle était  conduite par Maxton, président de  l’Independent Labour Party, et notre  ami Weil-Curiel, rédacteur en chef de l’Espagne Socialiste. Elle a pu
s’entretenir là-bas avec un certain  nombre de dirigeants de la République espagnole ; elle a pu également avoir une entrevue avec quelques- uns des leaders du P.O.U.M., dont Gorkin, emprisonnés à Valence. Elle a consigné ses observations dans un rapport. Un tel document ne peut être passé sous silence. En voici l’essentiel.

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L’objet principal de la délégation était d’enquêter sur la disparition du camarade Andres Nin. Si elle fut reçue avac courtoisie par les membres du gouvernement, des journaux comme Frente Rojo et Verirad crurent devoir traiter ses membres « d’agents trotskysto-fascistes.» (sic).

Il résulta de son enquête que le gouvernement de Valence répudie toute responsabilité dans la disparition  de Nin. Nin, après son arrestation, est tombé entre les mains d’éléments ; qui, s’ils appartenaient à la coalition gouvernementale, agissaient en marge du gouvernement régulier. Le ministre de la Justice, Irujo (mais citons le rapport) « se plaint à la légation que la police se soit rendue quasi indépendante et que des éléments étrangers puissent en avoir la contrôle réel€” se plaint de l’influence du Parti communiste sur la police.» Le ministre de l’Intérieur, Zugazagoitia, lui aussi « se plaint très vivement de la police, composée, dit-il, d’éléments recrutés en hâte depuis le 19 juillet, éléments chargés de passions politiques. » Pour le sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, Prat Garcia, « le gouvernement ne peut être tenu pour responsable des excès de pouvoir d’une police improvisée ». Quant à Indalecio Prieto, ministre de la Défense Nationale, il pense que les responsables de la disparition de Nin « se trouvent dans l’entourage du chef de la police, entourage qui avait été noyau par des éléments communistes, selon: leurs procédés ordinaires… »

Le témoignage de Gorkin corrobore celui des ministres républicains. Les circonstances de son arrestation et de sa détention permettent d’imaginer ce qu’il est advenu de Nin. Arrêté à Barcelone le 16 juin (le même jour que Nin), Gorkin est, d’abord, transféré à Valence le 18, escorté de quatre policiers étrangers de la Guépéou ». Le 23, il est remis en liberté avec quelques camarades sur un, ordre régulier écrit. Mais, « dès qu’il a passé les portes de la prison des policiers s’emparent d’eux et les emmènent à Madrid » ils sont « jetés dans un sous-sol de la brigade spéciale » c’est-à-dire dans une prison « privée ». Ce n’est qu’un mois après qu’ils sont transférés dans une prison d’Etat régulière. Nin n’a pas eu cette chance. Transporté de Barcelone à Valence, puis de Valence à Madrid, de « locaux spéciaux » en « locaux spéciaux », il est finalement séquestré par des policiers dans une maison particulière, à Alcala de Henares. Depuis, on perd sa trace. Le sous-secrétaire d’Etat Prat Garcia hasarde cette hypothèse : « S’il vit, il peut se trouver dans une ambassade… » Le ministre de l’Intérieur croit nécessaire « de mener l’enquête avec une extrême lenteur, car, dit-il, si l’on précipitait les choses, on risquerait de ne retrouver qu’un cadavre ». Est-il nécessaire de commenter ?

Quant à l’accusation odieuse par laquelle on a voulu déshonorer le P.O.U.M., les personnalités interrogées la repoussent nettement. Le ministre de la Justice répète « qu’il n’est plus question d’accuser d’espionnage aucun dirigeant du P.O.U.M. » Il a étudié à fond le dossier de l’affaire ; aucune des soi-disant pièces à conviction n’a résister à l’examen. Ni Prieto, ni Prat Garcia ne croient davantage que les dirigeants du P. U. M. soient des espions. Le procureur de la République, Ortega y Gasset, va jusqu’à exprimer « toute l’estime qu’il avait pour les dirigeants du P.O.U.M. »

Le procès du P.O.U.M., qui va s’ouvrir bientôt devrait donc aboutir à un acquittement. Si vraiment le seul chef d’accusation retenu est la participation des prévenus aux journées de mai à Barcelone, Gorkin n’aura pas de peine à disculper son parti.

Il lui suffira de dire la vérité : ces journées ont été une réponse spontanée des masses à ceux qui voulurent déloger le prolétariat de certaines positions stratégiques comme le Central téléphonique. D’ailleurs, le ministre de la Justice a fait connaître à la délégation son intention de présenter un projet d’amnistie pour les délits politiques et sociaux.

Mais, attention ! Les ennemis du P.O.U.M. n’ont pas désarmé. « L’extrême-droite, avoue le ministre, s’opposera probablement à ce projet ». L’extrême-droite, précise-t-il, ce sont les communistes  »). D’autre part contredisant son ministre, le juge d’instruction,, chargé-d’instruire l’affaire, vient de conclure son rapport en accusant les dirigeants du P.O.U.M. de s’être « mis d’accord avec des individus étrangers appartenant à la Gestapo allemande ».

L’odieuse accusation réapparaît. Nos camarades sont toujours en danger.

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Citons, pour terminer, ces graves déclarations faites par Prieto: « La délégation ne représente que les pays qui ont peu fait pour l’Espagne, elle représente des partis dont l’action est restée inefficace ou de trop peu d’efficacité, tandis que les Russes envoient le s armes qui permettent à la République espagnole de résister à l’assaut du fascisme » (La délégation dit avoir eu la nette impression que le ministre faisait allusion aux compensations politiques exigées par Moscou en échange de son soutien). Ces paroles et leur interprétation par la délégation confirment ce que nous avons écrit ici. Elles confirment qu’il existe une liaison étroite entre la politique de non-intervention, d’une part, et la répression de l’avant-garde révolutionnaire, d’autre part.

Le jour le blocus sera levé, le jour l’U.R.S.S. ne sera plus seule à soutenir nos frères d’Espagne, ce jour-là, non seulement leur République, mais aussi leur Révolution sera sauvée. Ce jour-là, notre Parti, la délégation permanente de la CA P. dont nous demandons l’envoi à Valence, pourront aider le parti frère d’Espagne dans la conduite des opérations militaires et révolutionnaires, pourront se faire entendre de lui.

Mais le temps presse.

Marceau PIVERT et Daniel GUERIN

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