Deux militants syndicalistes tunisiens persécutés (Pivert, 1932)

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Paru dans Le Populaire du 30 août 1932.

Illégalement condamnés
ils se voient refuser l’amnistie…

Depuis 1925 deux militants syndicalistes tunisiens sont exilés pour avoir fondé des syndicats! Sous prétexte de « complot contre la sûreté de l’État » on a frappé de bannissement six hommes coupables d’avoir voulu organiser leurs frères de misère. Ils ont fondé la Confédération générale du Travail tunisienne, comprenant surtout des travailleurs indigènes et demeurée dans l’autonomie par rapport à la C.G.T. et à la C.G.T.U. Trois condamnés ont terminé leur peine. Des trois autres, chassés pour dix ans, non seulement de Tunisie mais aussi de France, l’un Mohamed Ali, est mort. Les deux survivants sont Moktar el Ayari et Finidori.

Moktar el Ayari est un vieux militant du syndicat des tramways qui a déjà été retenu en prison en 1922 lors du « complot » monté par Millerand. On n’a rien pu relever contre lui à ce moment. C’est d’ailleurs un « ancien combattant » titulaire de la croix de guerre ! « Il se fit remarquer au retour par ses idées extrêmement avancées » écrit le procureur. Révoqué, il est nommé secrétaire du syndicat. « Pourquoi, après avoir combattu, pour la France pendant la guerre, luttez-vous maintenant contre elle? » lui demanda le procureur. Car lutter contre la Compagnie des tramways de Tunis, QUI EST UNE COMPAGNIE BELGE!, c’est lutter contre la France! !

Finidori a été employé municipal, puis gérant de L’Avenir Social, journal « syndicaliste-communiste », qualifié d’ « individu dangereux » et présenté comme un « communiste notoire et convaincu ». On l’accuse d’avoir été le destinataire d’une lettre adressée par l’ « Union Mondiale de combat en faveur de l’égalité des races ». Cette lettre ne lui est jamais parvenue puisqu’il était incarcéré et qu’on la lui a confisquée…

Il a fallu une véritable forfaiture pour affirmer que les accusés avaient eu « une résolution d’agir, concertée et arrêtée ayant pour but de détruire ou de changer la gouvernement, ou d’exciter les citoyens ou habitant à s’armer contre l’autorité du protectorat… etc. » La seule action, la seule résolution d’agir en commun qu’on puisse établir c’est celle de grouper les travailleurs dans leurs syndicats pour la défense de leurs moyens d’existence…

Voilà le crime qu’expient deux militants !

Or, l’amnistie a été votée pour les cléricaux alsaciens, sous la dernière législature. Ils avaient été condamnés en vertu des articles 87 et 89 du Code pénal. Les syndicalistes tunisiens l’ont été en vertu de l’article 91. On pouvait espérer que le projet déposé par le gouvernement Herriot rectifierait sur ce point l’amnistie Tardieu. La déclaration ministérielle ne contient-elle pas un engagement précis? « Profondément attachés au respect de toutes les libertés syndicales, etc… » Eh bien! non! Le projet d’amnistie a oublié les fondateurs de la Confédération générale du Travail tunisienne. Moktar et Finidori ne constateront, dans leur exil, aucune différence entre Herriot et Tardieu!

Soit! Mais le groupe socialiste au Parlement ne laissera pas s’accomplir ce deuxième geste de classe. Il déposera un amendement en faveur des condamnés frappés par application de l’article 91. Il exigera au besoin un vote public et les syndicalistes pourront compter alors ceux qui sont effectivement « respectueux des libertés syndicales ».

Marceau PIVERT.

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