Comment le capitalisme d’État est arrivé en Russie (1978)

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Numéro spécial de Socialisme mondial, revue trimestrielle publiée par le Parti socialiste du Canada.

Préface

SOIXANTE ANS APRÈS il n’est pas difficile de voir que la société russe n’est rien de plus qu’une forme de capitalisme d’État. Lorsqu’en 1917 on salua, à peu près partout, ce que l’on croyait être l’avènement du socialisme, la confusion était telle qu’il n’était pas si facile de distinguer le chemin que les bolcheviks allaient prendre.
Malgré tout ce qui s’est passé, pour les utopistes et les réformistes c’est toujours une motivation quasi religieuse qui mène à l’action politique. Maintenant que le régime russe pratique ouvertement une politique impérialiste, ils se tournent toujours avec la même ferveur vers d’autres coins du monde. En Chine et dans bon nombre de pays du Tiers Monde les nouvelles classes dirigeants ont instaurés des dictatures à parti unique sous le nom de « socialisme » ou de « communisme » afin d’ obtenir l’adhésion idéologique de leurs paysans et de leurs travailleurs au développement du capitalisme dans ces pays-là. Ceux qui, dans les pays capitalistes avancés, idolâtrent ces régimes semblent le faire plutôt pour des raisons émotionnelles que parce qu’ils ont été convaincus après enquête rationnelle. C’est regrettable car c’est une compréhension réelle des mécanismes du capitalisme qui seule permettra à la majorité des travailleurs de se libérer des effets dégradants d’une société universelle basée sur le profit.
Ce que fit la révolution bolchevique fut d’introduire le capitalisme en Russie et c’est à l’honneur du Parti Socialiste de Grande Bretagne d’avoir su prévoir ce qui devait suivre les événements de 1917. L’ancien Parti Socialiste du Canada n’avait pas interprété ces événements aussi clairement. Malgré une bonne connaissance de la conception matérialiste de l’histoire de Marx qu’il appliquait à l’Amérique du Nord et à l’Europe, l’ancien PSC [Parti socialiste du Canada] s’abstint d’appliquer l’analyse marxiste à la Russie et accepta qu’une révolution socialiste avait eu lieu chez un peuple composé de paysans illettrés, d’aristocratie terrienne et d’une classe capitaliste encore naissante.
Il semble étrange que l’ancien PSC, tout en soulignant l’importance d’une intelligence marxiste chez les travailleurs des nations industrielles du monde occidental, ait pu croire que le socialisme était en train d’être instauré dans un pays où il y avait relativement peu d’industrie et pratiquement pas de travailleurs, et donc encore bien moins de travailleurs socialistes, pour l’instaurer.

La position officielle, et erronée, du Parti au sujet de la Russie ne recevait pas l’appui de tous les collaborateurs du Western Clarion. Certains étaient prudents et disaient qu’une révolution avait eu lieu en Russie mais ne la définissaient pas et faisaient remarquer en même temps que le nouveau gouvernement ne représentait qu’une minorité. Ils soulignaient pourtant que ce qui semblait fonctionner en Russie ne conviendrait pas au Canada et que l’émancipation des travailleurs dans ce pays-ci ne viendrait qu’avec une bonne compréhension du capitalisme et du socialisme de la part de la majorité. Pour d’autres, semble-t-il, la dictature minoritaire russe n’avait absolument rien d’un premier pas en direction du socialisme ou du communisme.
Un des collaborateurs écrivait: « Pour ce qui est de ‘la production basée sur les besoins des gens‘ la Russie ne se fonde pas sur ce principe, et ne l’a jamais fait, et ne risque pas de le faire d’ici très très longtemps. » (Western Clarion. 16 juin 1923). Il se rendait compte que la Russie ne pouvait pas arriver à une production basée sur les besoins des gens par elle-même car son économie serait forcément bientôt intégrée à l’économie du reste du monde capitaliste.
Un autre collaborateur disait: « Nous le savons que le bolchevisme n’est pas le socialisme, et nous le savions déjà en 1917. Les informations que nous avions sur les conditions en Russie, bien que maigres, suffisaient à nous faire savoir que ce pays n’était pas encore prêt pour le socialisme. Le développement social et économique n’était pas encore arrivé au stade où la propriété collective des moyens de production était possible. » (J.A. McD., Western Clarion. 16 novembre 1920). Mais il espérait que la minorité bolchevique atteindrait son but malgré l’obstacle du sous-développement économique.
Un autre article appliquait à la situation une analyse marxiste; « Il est évident que si on investit du capital en Russie pour en tirer un bénéfice, la Russie est conditionnée dans cette mesure par le style de l’exploitation capitaliste ». Et: « La révolution russe gagna nos cœurs et nous perdîmes la tête. Nous étions tombés amoureux et devenus aveugles (…) Nous quittâmes le droit chemin du matérialisme historique pour aller nous perdre dans les méandres de l’idéalisme et du sentimentalisme (..) et de nombreux camarades, dont les connaissances étaient un peu superficielles, tombèrent sous le charme de ce genre de psychologie ». (C. Lestor, Western Clarion, 16 septembre 1924).

Un autre collaborateur du journal, par contre, blâmait Marx d’avoir cru que les sociétés paysannes n’étaient pas en mesure de devancer politiquement les nations industrialisées. Il soutenait que la Russie rurale n’avait rien à apprendre du développement des autres pays et qu’elle avait bien pris le chemin qui aboutirait à une société sans classes.
Ce qui contribua à tromper l’ancien PSC, c’est que le capitalisme ne suivit pas les jalons traditionnels pour arriver en Russie. L’industrie capitaliste fut en effet introduite au sommet par les chefs féodaux qui étaient munis de capitaux importés, et non pas à la base par une bourgeoisie libérale. La Russie ne possédait qu’une toute petite bourgeoisie impuissante et c’est pourquoi la révolution capitaliste ne pouvait être menée que par l’intelligentsia russe qui utilisait le socialisme comme mot d’ordre.

Le Parti Socialiste du Canada actuel, qui adopta à ses débuts en 1931 la Déclaration de Principes du Parti Socialiste de Grande Bretagne, a toujours adhéré à une analyse marxiste de la Russie. Il donne une idée générale de sa position dans un article du deuxième numéro de sa revue The Western Socialist. novembre 1933. En 1948 le PSC produisit une brochure, The Russian Revolution; its Origin and Outcome (La révolution russe, son origine et ses suites), qui analysait plus en profondeur le phénomène russe jusqu’à. cette époque.
Aujourd’hui des théories erronées au sujet des pays sous-développés font toujours obstacle au progrès du socialisme. En 1978 il est toujours nécessaire d’appliquer l’analyse marxiste pour comprendre le capitalisme mondial —et la Russie en fait partie. C’est à cette condition seulement que les travailleurs du monde entier arriveront à se libérer de l’esclavage du salariat.

Comité Exécutif Général, Parti Socialiste du Canada,
Victoria. septembre 1978

Introduction

Le système social connu sous le nom de socialisme ne peut être réalisable qu’à un certain moment dans la marche de l’humanité. Son achèvement dépend d’abord du développement des moyens de production, de transport et de communication, grâce auxquels, données une organisation appropriée et une planification sociale, la satisfaction des nécessités et agréments d’une vie complète pourrait être assuré pour toute la population. Depuis assez longtemps, le capitalisme a déjà résolu ce problème technique avec le développement des grandes usines et des machines, et avec le franchissement des barrières naturelles qui isolaient alors les habitants dans les diverses parties du monde.
L’achèvement de ce système dépend, deuxièmement, du développement de l’organisation de la classe travailleuse à l’échelle mondiale, basée sur la compréhension des idées socialistes, et sur une acceptation des moyens d’action politiques et démocratiques nécessaires pour remplacer le capitalisme par le socialisme.
Ces deux conditions ont une action réciproque; la seconde de celles—ci ne pourrait précéder la première, et comme l’expérience l’a montré le développement de la compréhension du socialisme et de l’organisation socialiste ont en fait du retard sur les moyens de production.
Vu qu’un pays peut acquérir des connaissances avec l’aide d’un autre et que les pays les plus avancés au point de vue industriel peuvent assister les moins avancés, il n’est pas nécessaire pour ces derniers de traverser toutes les phases historiques du capitalisme. D’autre part, il n’est pas possible, dans un monde principalement capitaliste et hostile, qu’un seul pays saute isolément dans le socialisme. Par conséquent il n’était pas possible pour la Russie de 1917 d’achever le socialisme. Il manquait à la Russie à la fois les moyens de production nécessaires et l’acceptation nécessaire par la population des idées socialistes; et de plus, le mouvement socialiste dans les autres pays n’était pas en mesure à cause de sa faiblesse d’aider en renversant le capitalisme. Dans une telle situation, rien ne pouvait empêcher la Russie de se développer suivant des lignes capitalistes.

La Russie avant 1917

Le parti qui a pris le pouvoir en octobre 1917 était le Parti Communiste russe — connu sous l’appellation de « bolcheviks », dérivée d’un mot signifiant la majorité, parce que leur aile du Parti ouvrier social-démocrate de Russie avait reçu, lors d’un congrès à Londres en 1903 le soutien de la majorité des délégués.
Le POSDR avait été formé en 1898 et avait hérité des traditions de divers mouvements du début du XIXe siècle, opposés à l’autocratie tsariste. La Russie d’alors était un pays essentiellement agricole, libéré du servage seulement en 1861 et avec une masse paysanne terriblement opprimée et démunie. Le capitalisme s’y développait mais en était encore à ses débuts et la classe capitaliste était politiquement si faible qu’on acceptait communément l’idée que le plein développement du capitalisme ne pourrait résulter que d’une union des classes paysanne et ouvrière se soulevant pour renverser le tsarisme. Des groupes cependant croyaient qu’il était possible de passer au socialisme sans passer par le capitalisme et pour la plupart, y compris beaucoup de soi-disant marxistes, écartèrent l’idée que les travailleurs ordinaires puissent saisir la signification du socialisme. Faute d’institutions parlementaires et de suffrage universel, et de la possibilité légale de constituer des organisations politiques et syndicales, des groupes en vinrent en désespoir de cause à l’assassinat politique.

En 1917, à côté des bolcheviks, les principaux partis politiques étaient l’autre aile de la social-démocratie russe, les menchéviks (dérivé d’un mot signifiant la minorité) qui croyaient que la Russie devait passer par les étapes normales du développement capitaliste et d’un parlement démocratiquement élu, d’une part et, d’autre part, les sociaux—révolutionnaires, un parti largement rural qui à l’origine prônait l’abolition de la propriété privée de la terre et qui usa de l’assassinat politique comme  arme de combat.
Les principes d’organisation bolcheviques furent élaborés par leur leader, Lénine, dans Que Faire? paru en 1902. Il y plaida que les idées socialistes devaient parvenir à la classe ouvrière de l’extérieur par « les intellectuels révolutionnaires socialistes ». D’après Lénine, « livrée à ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste ». Conformément à cette conception, l’organisation politique menant les travailleurs serait formée « avant tout et principalement d’hommes dont la profession est l’action révolutionnaire ». Et parce que l’on tenait comme incompatibles le « contrôle démocratique » et le besoin d’agir en secret on en venait à conclure que c’est à partir du centre que le parti devait être contrôlé.
Le but immédiat des bolcheviks n’était pas d’introduire le socialisme mais était de « renverser l’autocratie tsariste pour y substituer une république fondée sur une constitution démocratique ». C’est dans ce but qu’ils ont recherché le soutien de tout groupe mécontent, espérant que de cette façon la minorité des révolutionnaires professionnels mèneraient la classe ouvrière et du même coup entraînerait avec eux les paysans. Ils déclaraient en même temps que le but final d’ une révolution sociale exigerait une « dictature du prolétariat ».
En 1905 après la défaite des forces russes lors de la guerre contre le Japon, des manifestations et des désordres éclatèrent dans tout le pays; mais elles n’ eurent pas de but unifié. Les libéraux réclamaient un corps législatif élu démocratiquement; dans les usines les ouvriers réclamaient une hausse de salaires et une diminution des heures de travail; les paysans réclamaient de la terre, et les marins de meilleurs conditions tandis que les révolutionnaires professionnels réclamaient une révolution sociale. Aux moments les plus critiques, il y eut des grèves, des soulèvements, des occupations de terres, des mutineries dans la marine mais dès que les autorités tsaristes promirent l’élection d’une Douma ayant des pouvoirs législatifs, ces mouvements perdirent de leur force. Le gouvernement d’alors usa de contre-mesures et au bout de deux ans les députés sociaux-démocrates de la Douma furent arrêtés et de nouveau l’autocratie régnait avec plein pouvoir.
Plus tard Lénine a décrit les événements de 1905 comme la « répétition générale de 1917 ».

Les Évènements de 1917

La Russie n’était pas capable, à cause du retard de son développement industriel, de résister à la puissance de l’Allemagne, un pays beaucoup plus industrialisé . Ce sont les dures conditions de vie imposées à la population civile et aux troupes qui ont provoqué la révolte; celles-ci étaient dues à l’insuffisance des moyens de transport, à l’état défectueux de l’équipement, à des pénuries alimentaires et à la cherté de la vie, et en plus de cela dues à l’incapacité et la corruption de la classe dirigeante. C’est fréquemment qu’il y avait des grèves, réclamant des salaires plus élevés et la cessation de la guerre, et qu’il y avait des mutineries au front. Les soldats envoyés contre les travailleurs, au contraire se joignaient à eux. Les ministres du Tsar étaient assaillis chez eux par la foule. A cause de cette situation le gouvernement ordonna la dissolution de la Douma en mars 1917 (en février d’après l’ancien calendrier russe). Ce corps rejeta l’ordre de dissolution et décida de poursuivre ses fonctions, bien qu’il ne fût élu que par un suffrage restreint dont avaient été exclus la plupart des travailleurs et paysans. A ce moment le Tsar abdiqua.
Pendant la période de trouble qui suivit l’abdication il y eut d’abord un gouvernement provisoire formé par des libéraux et d’autres représentants capitalistes et propriétaires terriens de la Douma; ensuite, il y eut un gouvernement dirigé par Kerensky, proche du Parti social-révolutionnaire, dont l’autorité reposait en partie sur le comité de la Douma mais de plus en plus sur les comités de travailleurs et soldats (les soviets) qui s’étaient formés rapidement dans toute la Russie et dont l’influence croissait aux dépends de la Douma moins représentative.

Aussi longtemps que le gouvernement de Kerensky conservait le soutien des soviets, les bolcheviks ne pouvaient leur faire front; mais comme ses efforts pour continuer la guerre rendirent le gouvernement de Kerensky de plus en plus impopulaire, les bolcheviks furent élus en majorité tour à tour dans les soviets. Quand le congrès des soviets russes se réunit en novembre 1917 (en octobre d’ après l’ancien calendrier) une nette majorité de 390 sur 676 fut formée par des délégués bolcheviques; il vota des résolutions de paix, la dépossession des propriétaires terriens et l’établissement d’un gouvernement « ouvrier et paysan » en attendant l’élection d’une Assemblée constituante qui devait décider de la prochaine constitution. Les bolcheviks consolidaient leur position par la réussite de soulèvements à Moscou et dans d’autres villes. Le nouveau gouvernement faisait la paix avec l’Allemagne et faisait face à une longue période de guerre civile provoquée par des groupes réactionnaires soutenus par les gouvernements anglais, français et américain entre autres.
Une des premières mesures du gouvernement bolchevique (qui était un prélude à la dictature qui suivit) fut de dissoudre l’Assemblée constituante dès sa première session en janvier 1918 parce que la majorité de ses délégués représentaient des partis adverses du Parti bolchevique. Ils prétendirent que les électeurs avaient changé d’avis depuis les élections.
Le slogan des bolcheviks avait été: « Paix, Pain, Terre ». Dès qu’ils commencèrent à gagner du pouvoir ils persuadèrent le deuxième congrès des soviets d’adopter un décret de paix rédigé par le leader bolchevique, Lénine, dans lequel les peuples et gouvernements engagés dans la guerre étaient invités à entrer en pourparlers immédiatement dans le but d’une paix « sans annexions ni indemnités », et à conclure tout de suite un armistice. Ce décret demandait en particulier aux ouvriers de Grande Bretagne, de France et d’Allemagne d’aider les bolcheviks à arrêter la guerre et à assurer « la libération des masses exploités et laborieuses de toute forme d’esclavage et d’exploitation ».
Dans une diversité de pays, des sections de la classe ouvrière répondirent à cet appel, qui fut cependant ignoré par les gouvernements avec qui la Russie avait été alliée. Sur ce, le gouvernement russe entama séparément des négociations avec l’Allemagne et ses alliés. Les conditions d’armistice qu’imposèrent les autorités allemandes étaient extrêmement dures, y compris l’occupation continue des vastes territoires qui avaient fait partie de la Russie tsariste. Beaucoup parmi les membres du Parti bolchevique voulurent rejeter ces conditions et préconisaient une « guerre révolutionnaire ». Lénine, qui savait que la Russie n’était pas capable de faire une telle guerre, déclarât « Ou bien nous acceptons les conditions maintenant, ou bien nous acceptons la mise à de mort du gouvernement soviétique dans les trois semaines ». Son point de vue l’emporta finalement sur le comité central du parti.

Les menchéviks et la majorité des sociaux révolutionnaires furent en opposition à la prise du pouvoir par les bolcheviks; une minorité de sociaux-révolutionnaires cependant supportèrent les bolcheviks et furent représentés dans le nouveau gouvernement; à la suite de leur désaccord à propos de l’acceptation des dures conditions imposées par le gouvernement allemand pour cesser la guerre et à propos de la politique gouvernementale de subordination des syndicats, ils démissionnèrent.
Vers le milieu de l’année 1918, le gouvernement bolchevique avait déjà arrêté les leaders menchéviques et sociaux-révolutionnaires, renvoyé leurs délégués des soviets, anéanti tous les partis, tout en faisant du Parti bolchevique le seul parti légal en Russie.

C’est ainsi que commença le demi-siècle du gouvernement de la Russie par le Parti bolchevique dit « communiste », qui devait mettre à l’épreuve la revendication des bolcheviks qui prétendaient avoir trouver la route qui mènerait rapidement à l’établissement du socialisme en Russie et dans le monde entier et que chaque pays devrait suivre,

Les leaders bolcheviques se sont trompés dans leurs calculs

La théorie du Parti Communiste russe selon laquelle il n’est pas nécessaire d’ attendre que la classe travailleuse comprenne le socialisme pour que celui-ci soit achevé a été déjà évoquée. Interprétée jusqu’au bout, une telle théorie aurait été compatible avec une conviction que bientôt, l’instauration du socialisme en Russie seulement suivrait la prise du pouvoir des bolcheviks en novembre 1917. En tout cas de nombreux admirateurs en Europe occidentale et en Amérique, de même que des défenseurs effrayés du capitalisme, crurent uniformément que ceci était vrai.
S’ils eurent de telles idées, les leaders du Parti Communiste russe furent vite détrompés . Mais une autre de leur croyance n’était pas moins fantastique: ils s’ aperçurent bien vite que les paysans n’ avaient pas l’intention de coopérer avec les plans du gouvernement qui s’opposaient à leur désir d’assurer la libre possession de tous les biens de la terre en divisant les grandes propriétés; confronté à des paysans hostiles, le gouvernement dut instituer la réquisition des nourritures par la force de manière à nourrir la population urbaine.
Par solidarité avec les paysans qui refusaient la réquisition, les marins du port de guerre de Kronstadt votèrent une résolution demandant des aménagements; quand ceci leur fut refusé, ils se mutinèrent . Alors, le gouvernement de Lénine (que les marins de Kronstadt avaient activement aidé à conquérir le pouvoir) fit appel aux troupes et écrasa la révolte sous les coups de feu de l’artillerie.

L’apathie des travailleurs dans l’industrie et leur résistance à la politique gouvernementale rendaient encore plus difficile la reconstruction. Comme il lui manquait le soutien des travailleurs russes en faveur du socialisme, le gouvernement russe croyait encore pouvoir compter sur le soutien décisif des travailleurs de Grande Bretagne, de France et d’Allemagne. D’après lui, il ne tenait le pouvoir que pour une courte période provisoire jusqu’au moment où les travailleurs des pays de l’Ouest prendraient des mesures révolutionnaires et viendraient à l’aide de la Russie. Dans un discours publié dans l’Isvestia le 30 mai 1918, Lénine rejeta l’idée que la Russie puisse par ses propres moyens s’affronter au pouvoir de « l’impérialisme international » et il insista sur le fait que la lutte de la Russie devait, pour réussir, être conduite « de concert avec le prolétariat révolutionnaire d’Allemagne et d’Angleterre. Jusqu’à ce moment, bien que ceci soit triste et contraire peut-être aux traditions révolutionnaires, notre seule politique possible est d’attendre, de résister et reculer ».
Trotsky, un autre leader du Parti bolchevique et collègue de Lénine, dans un discours du 14 avril 1918 parla de leur but d’établir un « système économique commun et fraternel (…) pour que tous travaillent pour le bien commun, pour que tout le peuple puisse vivre comme une famille honnête et unie », mais il ajoute que cela n’arriverait qu’avec l’aide de l’extérieur!

« Tout cela, nous ne pourrons le réaliser et nous ne le réaliserons complètement que lorsque la classe ouvrière européenne nous soutiendra. Camarades, nous serions des misérables, des aveugles, des hommes de peu de foi, si, même pour un seul jour, nous perdions notre conviction que la classe ouvrière des autres pays viendra à notre aide et, suivant notre exemple, se dressera et mènera notre tâche à bonne fin. »

Lorsque les russes publièrent leur appel pour un armistice général, c’est « aux travailleurs conscients de classe » des pays occidentaux qu’il fut adressé. Mais la plupart de ces travailleurs n’avaient pas cette conscience de classe et les raisons données par Trotsky pour expliquer sa « foi » qu’ils se révolteraient reposaient sur bien des faits sauf sur le plus important, c’est-à-dire la compréhension du socialisme par les travailleurs. Il comptait surtout sur la lassitude des soldats et civils, sur le mécontentement dû aux prix élevés et au chômage. Cet appel était adressé aux travailleurs sans conscience politique des pays occidentaux afin qu’ils viennent en aide aux travailleurs et paysans russes, sans conscience politique non plus, dans le but d’établir le socialisme qui est un système à l’échelle mondiale – alors qu’il n’était désiré que par une minorité dans quelque pays que ce soit.

La propagation parmi les travailleurs d’Europe de la compréhension de ce qu’est le socialisme était une tâche inachevée. La grande majorité des travailleurs était au mieux indifférente aux principes socialistes, et au pire hostile à ceux-ci, comme devait le montrer neuf mois plus tard les élections générales en Grande-Bretagne, lors desquelles une coalition « victoire » Tory-Libéral-National Labour était élue par une majorité écrasante contre le Parti travailliste officiel et contre d’autres candidats d’opposition qui, bien qu’ils ne fussent pas socialistes, avaient envers le nouveau gouvernement russe une attitude plus ou moins sympathisante.

Le nouveau gouvernement britannique sous la direction de Lloyd George embarqua des troupes qui devaient intervenir en Russie et aida les réactionnaires à faire la guerre civile dans le but de renverser le gouvernement de Lénine.Il n’y eut guère de réaction de la part des travailleurs de Grande-Bretagne auxquels il était demandé de refuser de fabriquer ou d’expédier des armes utilisées contre le gouvernement russe.

Les travailleurs de France, d’Allemagne et d’ailleurs n’étaient pas davantage prêts pour établir le socialisme, aussi le gouvernement russe dut-il compter en grande partie sur ses propres ressources.

Le socialisme et le communisme: leur signification

La confusion de sens dans l’attribution des mots socialisme et communisme est presque partout répandue, mais n’est-il donc pas possible d’empêcher que ces appellations ne soient données à toutes idées, tous objectifs différents et incompatibles, cela allant du « socialisme » osé par Hitler et Mussolini à la déclaration d’un homme politique britannique, un libéral, vers la fin du dix-neuvième siècle: « De nos jours, nous sommes tous des socialistes ». Ce phénomène n’est pas un développement nouveau. En effet Karl Marx et Friedrich Engels ont consacré, dans leur Manifeste Communiste publié en 1848, un chapitre à l’analyse des nombreuses formations soi-disant communistes ou socialistes; leur intention étant de montrer la différence entre leur buts et théories et ceux de ces formations .
Marx et Engels ont décidé d’appeler leur manifeste « communiste » parce qu’ « en 1847, le socialisme signifiait un mouvement bourgeois, le communisme, un mouvement ouvrier ». Durant ce même siècle et quelques années plus tard, ils reprirent le terme socialisme.

C’est sur ces mêmes idées, peu importe qu’on les appelle communisme ou socialisme, que se fonde le Parti socialiste du Canada, qui répudie, comme Marx et Engels l’on fait, les nombreuses théories pseudo-marxistes qui depuis 1848 se sont déguisées en socialistes ou communistes.

Comme le montre clairement la description que donnent Marx et Engels de deux de ces formations, nombre de ces orviétans [charlatans] de 1848 sont encore utilisés:

Dans cette catégorie, se rangent les économistes, les philanthropes, les humanitaires, les gens qui s’occupent d’améliorer le sort de la classe ouvrière, d’organiser la bienfaisance, de protéger les animaux, de fonder des sociétés de tempérance, bref, les réformateurs en chambre de tout acabit.

(…) Une autre forme de socialisme, moins systématique, mais plus pratique, essaya de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n’était pas telle ou telle transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de la vie matérielle, des rapports économiques, qui pouvait leur profiter. Notez que, par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme n’entend aucunement l’abolition du régime de production bourgeois, laquelle n’est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger le budget de l’État.

(Manifeste du Parti communiste)

Nous avons continuellement été entravés dans notre propagande par la nécessité d’ expliquer que ces idéologies politiques et toutes celles qui cherchent à résoudre les problèmes dans le cadre du capitalisme n’ont rien en commun avec la cause socialiste qui cherche à remplacer le système de classe, le capitalisme, par un système social sans classe dans lequel la production en vue de vente, l’exploitation de la classe travailleuse par ceux qui reçoivent rentes, profits et intérêts, et le salariat n’existeront plus.
Les hommes politiques de divers partis ont intérêt à perpétuer cette confusion. Ceux qui souhaitent aiguillonner un mouvement de résistance à quelque changement ou réforme préconisés par un autre groupe politique taxeront l’un ou l’autre de « socialiste » ou « communiste »dans l’espoir d’obtenir le support des sections réactionnaires de la population qui craignent des changements de tous genres; et les hommes politiques tels que Hitler et Mussolini par exemple, qui désiraient se faire passer pour les amis des travailleurs, trouvaient que d’appeler leur programme « socialiste » leur servait de miroir aux alouettes pour attirer des voix. Ceci s’applique au Parti Communiste russe qui quelquefois a donné le nom de socialisme à la nationalisation, c’est-à-dire au capitalisme d’État, alors que d’autres fois il en a donné une description exacte.
L’emploi du terme socialisme en Russie, depuis la prise du pouvoir en 1917 par les bolcheviks, pour indiquer d’abord une chose, puis quelque chose d’autre, entièrement différent, a une curieuse et complexe histoire, à commencer par l’emploi des termes socialisme et communisme pour désigner la même chose, et pour finir l’emploi du mot socialisme pour désigner le capitalisme d’État.
Même avant la prise du pouvoir par les bolcheviks, Lénine avait tendance à confondre le socialisme avec le capitalisme d’État. Dans La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer (septembre 1917), il écrivit:

Dans un Etat véritablement démocratique et révolutionnaire, le capitalisme monopoliste d’Etat signifie inévitablement, infailliblement, un pas, ou des pas en avant vers le socialisme. (…) Car le socialisme n’est autre chose que l’étape immédiatement consécutive au monopole capitaliste d’Etat. Ou encore: le socialisme n’est autre chose que le monopole capitaliste d’Etat mis au service du peuple entier et qui, pour autant, a cessé d’être un monopole capitaliste.
Le capitalisme monopoliste d’Etat est la préparation matérielle la plus complète du socialisme, l’antichambre du socialisme, l’étape de l’histoire qu’aucune autre étape intermédiaire ne sépare du socialisme, (cité, Lénine,Sur l’économie, 10/18, 1978, pp. 338-97)

Après la prise du pouvoir, il déclara lors d’une séance du comité exécutif du Parti bolchevique le 29 avril 1918:

La réalité dit que le capitalisme d’État serait pour nous un pas en avant. Si nous pouvions en Russie réaliser sous peu un capitalisme d’État, ce serait une victoire.
Qu’est-ce que le capitalisme d’État sous le pouvoir des Soviets? Etablir à présent le capitalisme d’Etat, c’est appliquer le recensement et le contrôle qu’appliquaient les classes capitalistes. L’Allemagne nous offre un modèle de capitalisme d’État. Nous savons qu’elle s’est révélée supérieure à nous. Mais si vous réfléchissez tant soit peu à ce que signifierait en Russie, dans la Russie des Soviets, la réalisation des bases de ce capitalisme d’État, quiconque a gardé son bon sens et ne s’ est pas bourré le crâne de fragments de vérités livresques, devra dire que le capitalisme d’Etat serait pour nous le salut (Lénine, Sur l’ économie, pp. 370-1).

Trois ans plus tard, en avril 1921, après que les conditions matérielles aient obligé le gouvernement bolchevique à abandonner sa politique insensée de « l’édification socialiste immédiate » dans une Russie arriérée et isolée, Lénine préconisait encore le capitalisme d’État pour la Russie:

Le capitalisme est un mal par rapport au socialisme. Le capitalisme est un bien par rapport au Moyen Age, par rapport à la petite production, par rapport à la bureaucratie qu’engendre l’éparpillement des petits producteurs. Puisque nous ne sommes pas encore en état de réaliser le passage immédiat de la petite production au socialisme, le capitalisme est, dans une certaine mesure, inévitable, c’est un produit spontané de la petite production et des échanges; aussi devons-nous l’utiliser (surtout en l’orientant dans la voie du capitalisme d’Etat) comme maillon intermédiaire entre la petite production et le socialisme; comme moyen, comme voie, procédé, modalité assurant l’accroissement des forces productives (Lénine, Sur l’économie, p. 454).

Expliquant la nouvelle politique économique (NEP) lors d’une conférence du Parti en octobre 1921, Lénine dût avouer que Marx avait raison quand il écrivit dans la préface à la première édition du Capital en 1867 que « lors même qu’une société est arrivée à découvrir la piste de la loi naturelle qui préside à son mouvement (…) elle ne peut ni dépasser d’un saut ni abolir par des décrets les phases de son développement naturel »:

Le passage à la nouvelle politique économique consiste précisément en ceci: après l’expérience de l’édification socialiste immédiate, expérience faite au milieu de conditions incroyablement difficiles, au milieu de la guerre civile, au milieu de la lutte acharnée que la bourgeoisie nous avait imposée, nous nous rendimes clairement compte, au printemps 1921, qu’il fallait abandonner l’édification socialiste immédiate, qu’il fallait, dans nombre de sphères économiques, nous replier vers le capitalisme d’État, renoncer au système des assauts de front et commencer un siège long, désagréable, difficile et pénible, nécessitant une série de reculs (Lénine, Sur l’économie, p. 456).

A bien des égards le capitalisme d’État ne s’est pas développé en Russie de la façon supposée par Lénine. Ce pays dépend encore largement pour ses produits agricoles de terres cultivées appartenant aux paysans, indépendamment de l’État et des fermes collectives; de plus « l’entreprise privée » s’est de plus en plus développée (le plus souvent illégalement, mais néanmoins effectivement). Les méthodes de publicité et l’étude des marchés utilisées dans les anciens pays capitalistes ont été copiées, et depuis peu on peut remarquer une utilisation plus grande par les entreprises d’État du « stimulant par le profit ». Depuis 1936 le terme socialisme a été officiellement adopté pour décrire la société russe, alors que le terme communisme est utilisé différemment et se réfère à une société à établir dans un lointain avenir.

On peut constater d’après Un cours abrégé de science économique d’A. Bogdanov à quel point l’utilisation du terme socialisme diffère de son utilisation au tout début par le Parti bolchévique. Le socialisme et la société socialiste y sont décrits comme étant le « plus haut degré concevable du développement de la société » dans laquelle des « institutions comme par exemple l’imposition et les profits n’existeront pas », et dans laquelle « il n’y aura ni marché, ni vente, ni achat, mais distribution organisée d’une façon consciente et systématique de la production ». Cet ouvrage, publié pour la première fois en 1897, et minutieusement revu pour l’édition d’août 1919, fut utilisé comme manuel de référence dans les écoles et dans les groupes d’études du Parti communiste russe.

Contrairement aux partis « communistes » qui changent de définition selon leur convenance politique, nous avons toujours utilisé de façon constante le terme socialisme dans sa signification marxiste d’origine, et ne l’avons jamais utilisé à tort pour désigner le capitalisme d’État.

Le capitalisme en Russie

En exil, Trotsky soutenait que, bien que la Russie ne fût pas socialiste, comme le proclamait Staline, on ne pouvait pas pour autant la qualifier de capitaliste. D’après lui, la classe ouvrière russe s’était emparée du pouvoir en novembre 1917 et dès lors commençait une période de transition entre le capitalisme et le socialisme. Une « caste bureaucratique », disait-il, avait depuis lors habilement usurpé le pouvoir en profitant de l’arriération et de l’isolement. Donc, selon Trotsky, la Russie se trouvait sur le chemin entre le capitalisme et le socialisme; et de deux choses l’une: ou elle allait de l’avant vers le socialisme, à condition que ce fût avec le reste du monde, ou bien elle retournait au capitalisme.

Trotsky conserva cette opinion jusu’en 1940, date de son assassinat par des agents de Staline. Quelques uns de ses partisans soutiennent encore ce point de vue; selon d’autres, « capitalisme d’Etat » est la seule qualification qui convienne à la Russie. Nous confirmons que c’en est la meilleure. Mais en revanche, ce n’est pas selon nous que la Russie ait pris le chemin du socialisme pour finalement aboutir au capitalisme, mais plutôt que la Russie n’a pas du tout instauré le socialisme en 1917, et que ça lui était impossible. Le capitalisme a toujours continué d’exister en Russie après la révolution, et la classe travailleuse russe n’a jamais eu le pouvoir politique entre ses mains.

La société établie en Russie peut être qualifiée de capitalisme car les principaux aspects du capitalisme y prédominent, notamment: le monopole de classe des moyens de production, la production de marchandises, le salariat, et l’accumulation du capital. Dans le cas de la Russie il est peut-être plus difficile de discerner le premier de ces aspects: le monopole de classe des moyens de production.

Si un groupe ou un particulier peut, de fait, utiliser ou contrôler l’usage des richesses, c’est que celles-ci sont la propriété privée de ce groupe ou ce particulier. Ce qui caractérise une classe, c’est que les personnes qui la composent se trouvent dans la même position par rapport à la possession et à l’usage des moyens de production. Si une partie de la société n’accède à ceux-ci qu’aux conditions imposées par le groupe qui les dirige, c’est que ce groupe, en tant que classe, en a le monopole exclusif. Bien qu’en fait ce monopole soit généralement reconnu par la loi, comme par exemple dans les pays de l’Ouest où la minorité privilégiée, ou classe capitaliste, a des titres de propriété reconnus par la loi, cela ne s’impose pas.

En Russie, les privilèges des quelques dirigeants ne reçoivent pas un support formel de la loi, mais c’est en contrôlant l’appareil gouvernemental que que ceux-ci maintiennent leur monopole des moyens de production. Ils occupent les postes haut-placés du parti, du gouvernement, de l’insdustrie et des forces armées. Ce n’est pas individuellement, mais collectivement qu’ils possèdent les moyens de production en Russie: ils les possèdent en qualité de classe. Tout comme le montre l’église catholique à l’époque féodale, cela n’est pas nouveau historiquement. La classe des privilégiés russes reçoit le revenu de ses biens sous la forme de salaires excessifs, de primes, d’importants prix en espèces décernés par le gouvernement, et de la gratte [sic] pour les postes haut-placés.

Voici comment Karl Marx commence dans Le Capital: « La richesse des sociétés dans lesquelles le mode de production capitaliste règne, s’annonce comme une immense accumulation de marchandises ». Une marchandise est un objet produit par le travail humain pour être vendu. En Russie aussi la richesse se présente sous la forme d’une immense accumulation de marchandises. La révolution en Russie n’a pas aboli la production de marchandises, bien au contraire, le gouvernement s’est donné pour objectif de l’amplifier aussi largement et rapidement que possible.

Bien que l’existence de la production de marchandises démontre que le socialisme n’existe pas, elle ne prouve pas automatiquement que c’est le capitalisme qui existe. Le capitalisme est la forme la plus développée de production de marchandises, dans laquelle tout, y compris la force de travail humaine, est acheté et vendu. Pour que la force de travail ait les caractéristiques d’une marchandise il faut d’abord que les producteurs soient séparés des moyens de production et que ces moyens soient concentrés entre les mains d’une minorité. C’est ce qui s’est produit en Russie, notamment avec l’expropriation des paysans. Nous avons déjà montré que là, les moyens de production sont possédés par une classe de privilégiés. La majorité qui est expropriée et sans propriété constitue la classe travailleuse qui vit en vendant sa force de travail à l’Etat, Etat qui agit tout comme les entreprises commerciales et industrielles nationalisées de l’Ouest, c’est-à-dire comme l’agent de la minorité des privilégiés.

Sous le système capitaliste les marchandises et les services ne sont pas seulement produits pour être vendus, mais ils sont produits pour être vendus dans le but de faire un profit, dont la source est le travail non-payé de la classe travailleuse. En Russie, comme partout ailleurs, la classe travailleuse passe une partie de son temps de travail à reproduire la valeur de son salaire et le reste à produire de la plue-value. Par conséquent, les moyens de production sont utilisés en Russie pour exploiter la force de travail et en tirer un profit, autrement dit ceux-ci fonctionnement comme capital.

Il n’y a pas en Russie un nouveau système de classe. La Russie n’est pas à cheval entre le capitalisme et le socialisme, mais elle est bien capitaliste.


Estonie, années 50 (photo MIA)

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2 Réponses to “Comment le capitalisme d’État est arrivé en Russie (1978)”

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