Les “crimes” de la Gauche révolutionnaire (1937) [2]

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Suite et fin de l’intervention de Marceau Pivert au C.N. extraordinaire du 18 avril 1937, monté par P. Faure comme une mise en accusation de la G.R.

Oui, j’ai fait une préface pour présenter des jeunes gens, exclus, qui ont été mes élèves jusqu’à 17 ans, et, pour exposer comment je conçois l’éducation laïque. Et je n’ai pas lu leur brochure pour n’avoir à aucun moment la tentation de leur demander une modification de leur pensée. C’est à ce titre, comme document, qu’elle est intéressante. Au moment où ces jeunes sont frappés parce que indésirables, lisez donc comment ils comprennent leur devoir de classe, quelles idées ils se font du socialisme international et vous sentirez peut-être comme je le sens moi-même qu’un Parti se blesse lui-même et se diminue lorsqu’il se déclare incapable d’initier, de perfectionner, d’encadrer des jeunes gens incontestablement venus sur des positions révolutionnaires.

Mais si l’on recherche les responsabilités morales (que je ne veux pas esquiver) dans la formation de l’esprit des jeunes camarades que j’estime d’autant plus qu’ils disent fièrement ce qu’ils pensent, ne pourrais-je, à mon tour, moi qui ne suis également qu’un élève un peu plus âgé, faire remonter à d’autres, qui ont été mes maîtres et mes modèles, l’origine de mes crimes?

DES PRÉCÉDENTS

On a parlé de « la Vague ».

J’y viens maintenant. La simple lecture du document Collinet preouve que ce journal a été repris par des camarades pupistes, avant leur retour au Parti, et en accord avec Marcelle Capy, à qui le titre appartient. S’il s’agit de ma collaboration à ce journal pacifiste, internationaliste, anticlérical, je veux préciser immédiatement qu’on m’avait en effet demandé de faire partie d’un Comité politique qui le dirigeait au début. J’ai écrit à mes camarades pour leur expliquer les inconvénients de cette formule, car je ne pouvais ni politiquement, ni même matériellement contrôler tout le contenu de chaque numéro. Mais j’ai conservé ma collaboration à la Vague. Vous avez là un exemple de ces collaborations de militants du Parti à la presse extérieure au Parti. Si c’est interdit, il faudra le dire à tout le monde, aux élus, aux ministres qui collaborent à la presse bourgeoise comme aux militants… et encore, pour la presse ouvrière (syndicats, Ligue des Droits de l’Homme, Vigilance), cela n’est pas près d’être réglé dans le sens de la restriction…

Mais revenons à mes « maîtres ». Puisque la Vague est mise en cause, je veux rappeler un précédent que je considère quant à moi comme un titre de gloire de ceux de nos camarades qui ont commis cette « indiscipline » et notre camarade Vardelle, certainement, ne pourra pas contester cette appréciation…

C’est, en effet, de la Haute-Vienne, le 8 avril 1916, si je ne me trompe, que partait un appel annonçant pour le 1er mai le journal, revue hebdomadaire Le Populaire… Les collaborateurs étaient, avec Marcelle Capy, Paul Faure, Jean Longuet, Pressemane, Betoulle, Mayéras, Amédée Dunois

Le Populaire paraissait à la suite de la formation d’une minorité dont voici la déclaration, en tête de la première colonne:

« Pourquoi cette revue? Simplement pour dire en toute franchise et sans crainte tout ce que nous pensons. On nous connaît mal et d’aucuns voudraient discréditer notre action. La tâche leur était d’autant plus facile que nous n’avions aucun moyen de nous défendre. Les Congrès du Parti Socialiste où nous avons exposé nos vues sont restés secrets. Tout ce qui a pu filtrer au travers des portes closes a été abominablement travesti par nos ennemis. Certains de nos camarades même ne nous ont pas compris. Il nous fallait donc une tribune libre. La voici ouverte.

« Ce que nous sommes? » Des socialistes fervents qui ne renoncent à aucun de leurs principes et qui, même dans les tragiques événements qui ensanglantent l’Europe, trouvent chaque jour de nouvelles raisons de s’attacher à leur doctrine.

Nous sommes plus que jamais unitaires et plus que jamais aussi, nous sommes internationalistes« .

Combien nous sommes d’accord avec cette déclaration, et comme nous entendons lui rester fidèles! Mais, camarades, permettez-moi de vous exprimer ma surprise de trouver la plupart de ses signataires parmi ceux qui nous accusent, aujourd’hui, de je ne sais quelle indiscipline? Et quant à la Vague, n’a t-elle pas l’ambition de reprendre, précisément, avant la guerre qui menace, le bon combat internationaliste des minoritaires?

Sur ce point encore, c’est le Parti lui-même qui, se saisissant des problèmes politiques essentiels, doit fixer les règles de discipline pour tout le monde et nous nous y soumettrons.

On ne le fera pas sans apprécier le contenu de la politique du gouvernement et définir la politique du Parti.

LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT

Ceux qui ont affirmé que la Gauche Révolutionnaire était un parti dans le parti, un bloc monolithique, une fraction, n’ont même pas pris la peine d’observer que sur une question importante comme l’aide à l’Espagne, nous avions eu des positions différentes. Certains de mes amis étaient d’accord, en principe, avec Zyromski, alors que les autres, dont j’étais approuvaient, face au péril de guerre, l’attitude de Léon Blum.

Mais a-t-on le droit de dire l’inquiétude croissante qui se développe dans les masses populaires en face de certaines situations intolérables. Demandez aux camarades d’Alsace-Lorraine, à toutes les organisations laïques, sans exception, ce qu’elles pensent du néant des réalisations dans le domaine de la laïcité: on va arrêter, dans quelques jours, la liste des candidats aux Écoles Normales: cette année encore, dans les trois départements de l’Est, les jeunes gens et les jeunes filles qui appartiennent à des familles laïques ne pourront être candidats: seuls pourront être instituteurs ceux qui subiront une épreuve de religion. N’est-ce pas révoltant? Quelle doit être notre attitude sur ce point? Pouvons-nous être solidaires, c’est-à-dire complices? Tout le Front Populaire unanime devait se dresser pour exiger un minimum de mesures de défense laïque élémentaires. Mais cela est-il encore possible après les services demandés au cardinal Verdier? Est-ce manquer à la discipline socialiste que poser ces questions, même au dehors?

Sur les questions financières, nous avons les mêmes doutes et les mêmes inquiétudes. Est-ce à dire que nous voulons accabler nos camarades délégués au gouvernement? Au contraire, nous voudrions qu’ils nous aident à comprendre du point de vue socialiste où ils se trouvent les véritables responsabilités. Nous voudrions que le Parti, grâce à une politique autonome, se dégage de la confusion actuelle, s’empare des mécontentements, des colères et les dirige contre l’ennemi capitaliste. S’il ne le fait pas, c’est d’abord contre le gouvernement, c’est ensuite contre le Parti, que se tourneront les colères populaires.

Je ferais la même démonstration sur les questions militaires, qui sont effrayantes. Mais il ne faut pas essayer de nous faire admettre toutes ces positions, qui sont autant de défaites, comme des victoires pour le Parti !… Et si l’on interdit aux socialistes de donner leur avis, d’autres le donneront, eux, et grossiront leur popularité à nos dépens.

La voie de la « discipline » est d’ailleurs périlleuse à plus d’un titre. Je lis, par exemple, ces observations sévères, mais justes, sur les insuffisances de l’action gouvernementale:

« Toutes les organisations du Rassemblement s’étaient mises d’accord pour républicaniser la haute administration. Toutes avaient applaudi aux paroles prononcées par Léon Blum à ce sujet. Or, l’effort accompli dans ce sens a été nettement insiffisant. Ce fut notre première déception et, je crois, la cause principale de toutes les autres

Je pourrais vous donner maints exemples précis, choisis dans les ministères que je connais plus particulièrement: Colonies, Éducation Nationale, Marine, Affaires étrangères… Je vous dirai ceci: Que les hommes qui, en juin 1936, s’attendaient à être remplacés ont relevé la tête et se sentent à nouveau les maîtres, et que ce sont trop souvent les fonctionnaires républicains qu’on envoie sur des voies de garage ou qu’on retarde dans leur avancement sous les plus fallacieux prétextes. Ce sont eux qui, dans les administrations centrales, auprès des ministres, commencent à se sentir indésirables et en quasi disgrâce…

… Il y a des réformes que nous ne pourrons plus attendre longtemps. La situation des vieux travailleurs devient tragique.

… En politique extérieure, je peux dire que l’exécution du programme n’est pas amorcée dans les faits.

Si la politique extérieure du Front Populaire ne devait aboutir qu’à la construction de quelque nouvelle ligne Maginot, ce serait vraiment la plus amère des dérisions. »

Va-t-on contester à un militant socialiste le droit de s’exprimer ainsi publiquement?

Va-t-on régler cette grave question en faisant fonctionner le couperet de la guillotine?

Attention, camarades! Le signataire de ces lignes est un de ceux qui ont peut-être le plus contribué à la formation du Front Populaire, donc du gouvernement: c’est le professeur Rivet, et cette déclaration se trouve dans son numéro, que j’ai reçu ce matin, du Bulletin du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes.

Est-ce à dire que nous méconnaissons la partie positive de l’œuvre du gouvernement? J’ai dit et je répète que le plus important poste du bilan en dehors des lois sociales, c’est que son existence a permis l’élévation du niveau de conscience des masses populaires, qui ont découvert leur véritable force et qui sauront s’en servir.

Mais que d’insuffisances inexplicables, je dirai même inexcusables. Dans les colonies, la trahison des cadres fascistes s’installe partout. En Indochine, on emprisonne un Annamite qui diffusait dans sa langue la brochure de Léon Blum: « Pour être socialiste« . En Algérie, on a dissous l’Etoile Nord-Africaine. Au Maroc, on dissout le Parti d’Action Marocain; en Cochinchine, on interdit la formation de sections socialistes mixtes (qui devraient être formées en application d’une décision de la C.A.P.)! Qui commande?

QUI COMMANDE ?

L’heure paraît venue de rappeler dans quelles conditions nous avons toujours défini l’exercice du pouvoir dans nos Congrès et Conseils Nationaux. Ainsi, en 1929, lors des propositions Daladier, nous avons voté:

« Le Conseil National rappelle que le Parti est toujours prêt à assumer les responsabilités directes du pouvoir, soit tout seul, soit avec le soutien des groupes de gauche, soit en appelant dans le gouvernement qu’il constituerait et où il conserverait l’autorité et la majorité des représentants d’autres groupes, de façon à avoir toujours la certitude d’assurer dans l’action gouvernementale la prépondérance des solutions de décision, d’énergie, d’audace et de volonté qu’il croit seules capables de sauvegarder l’avenir du pays et de sauver la démocratie menacée. »

Oui, c’est dans la voie du combat mené avec audace, en utilisant l’autorité dans la majorité que nos délégués au gouvernement doivent s’engager.

Ils ne le pourront que s’ils s’appuient sur un parti fort, qui a sa politique à lui et qui exige qu’on en tienne compte, pour résister aux pressions de classe qui s’accentuent.

DANS LE PARTI

Est-ce le cas?

Nous voyons, au contraire, s’aggraver des phénomènes de dégradation de la propagande socialiste et d’altération de la physionomie propre du Parti.

On affirme sans preuves, on condamne sans entendre, on monte la machine répressive sans prendre garde qu’elle risque de léser profondément le Parti lui-même.

On injurie des camarades, on les flétrit sans aucune justification. Et la figure du Parti en paraît assombrie aux yeux des masses ouvrières.

On abaisse la discussion idéologique à un niveau écœurant, comme dans cette lettre de Bernard Chochoy faisant grief à un jeune chômeur qui lui avait demandé du travail, d’avoir l’audace de penser autrement que la majorité…

On parle de discipline pour des militants révolutionnaires mais on n’a rien à dire quand un ministre socialiste prononce devant les représentants de l’ennemi de classe des paroles sans aucun rapport avec notre Charte constitutive ou nos décisions de Congrès. Je lis:

« Croyez-vous donc, Messieurs, que je veuille casser les reins du régime capitaliste alors que je ne suis pas en état de le remplacer? Allons donc! Je sais qu’il est parfaitement capable de fournir encore une longue course et je pense que c’est l’intérêt même des classes ouvrières de le voir s’adapter aux nécessités modernes, afin de profiter pour leur repos, pour leur culture et pour leur libération des progrès de la science, du magnifique effort fourni tout au long d’un siècle par les plus grands cerveaux de l’humanité qui ont transformé les procédés, bouleversé les méthodes de travail, agité l’industrie de révolutions incessantes ».

Nous constatons seulement que notre Parti est formé, depuis 1904, pour « la transofrmation la plus rapide possible de la société bourgeoise en société socialiste. »

Mais nous ne traduisons pas, nous, notre camarade Spinasse devant une Haute Cour socialiste, car nous comprenons parfaitement que son langage correspond à une conception originale qu’il a du socialisme. Nouvelle preuve de la dégradation de la justice socialiste. Oui, c’est là ce qui constitue notre inquiétude dominante, bien plus que le sort particulier qui nous sera fait à la fin de cette assemblée [*]. N’y-a-t-il pas de quoi rougir de honte, en tant que militant socialiste, lorsqu’on lit l’incroyable document publié par le Secrétariat du Parti: C’est du pur bourrage de crâne. On célèbre en termes lyriques les mesures financières prises par le gouvernement le 5 mars:

« Coup droit à la réaction: La Finance asservie… Quelle capitulation! Sont levés toutes les barrières, brisés tous les obstacles à la libre circulation de l’or; au lieu de fuir, l’or rentre; chacun se précipite pour apporter le sien. Quel miracle… Le gouvernement du peuple a stérilisé l’or et réalisé son asservissement, tout à la fois.

Le socialisme, qui anime et dirige le Rassemblement Populaire… vainqueur de la finance, poursuivra ses avantages, étendra ses victoires. »

Les vieux militants du Parti se rendront certainement compte du danger terrible que fait courir à celui-ci une telle confusion entre la politique du gouvernement et celle du Parti Socialiste !

Que le gouvernement fasse sa propagande, soit, et je sais par expérience qu’il est loin de faire tout ce qu’il pourrait à ce sujet.

Mais le Parti doit expliquer même les échecs du gouvernement comme celui du 5 mars [**]… Transformer cette défaite en victoire et en victoire socialiste, c’est tout simplement se moquer du monde. C’est aussi donner des armes meurtrières à l’ennemi: Nous verrons dans quelques mois si l’auteur de cet article « d’éducation socialiste » sera fier de son œuvre. Et nos camarades ministres sont assez sérieux pour imaginer le mal que pourra nous faire à ce moment cet article.

NOTRE TENDANCE

Nous avons une autre conception de nos tâches et du socialisme, camarades, et l’avenir montrera de quel côté sont les serviteurs infidèles. Ceci m’amène à vous donner quelques précisions sur l’objet de toutes les préoccupations de ce Conseil National extraordinaire; la Gauche Révolutionnaire. On me prendra peut-être pour un naïf, mais réserve faite d’une plus grande activité, je n’aperçois pas la différence d’organisation entre notre tendance et celle de la Bataille Socialiste, à laquelle j’ai longtemps appartenu avec Paul Faure et Séverac: Des réunions de militants, des conférences d’information, des adresses de camarades, des cartes d’adhésion, un bulletin périodique, des tracts, des motions pour les Congrès; c’est avec ces moyens de propagande que j’ai travaillé près de dix années durant avec des camarades qui, aujourd’hui, semblent l’avoir oublié, et avec lesquels pourtant nous avons sauvé, oui, sauvé, l’existence même de notre Parti.

Si nous avons trop précisé ce genre d’activité, si l’organisation d’un « Comité Directeur » prête à équivoque plus qu’un « Comité des Cent », soit, il faudra que le Parti lui-même nous le dise, en fixant, par un règlement intérieur applicable à tous, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas; mais il ne peut être question (nous [ne] le permettrions pas, et le Parti non plus) de mettre en cause la possibilité même pour une minorité d’exister dans le Parti, de défendre ses conceptions, de revendiquer sa part de travail commun. Loin de nuire au Parti, une conception élevée de ce que peut être une tendance pourrait au contraire améliorer la vie intérieure du Parti.

UNE DEFINITION

J’ai sous les yeux, précisément, une excellente définition qui cadre exactement avec nos objectifs. Elle émane d’un camarade qui quittait la Bataille Socialiste à la veille du Congrès de 1931 et qui m’en expliquait les raisons:

« Je ne quitte pas seulement la B.S. Je m’en éloigne. J’ai été profondément déçu de ne pas trouver en elle un organisme de combat, discipliné, forgeant des mots d’ordre clairs, nets, directs et aussi un cercle de culture révolutionnaire vérifiant sans cesse nos vieilles doctrines par l’étude des faits, étudiant un à un les programmes d’action du Parti; de ne pas rencontrer un noyau sans cesse plus important et plus éclairé de camarades pourchassant impitoyablement l’équivoque là où elle se trouve. Et ce n’est pas à droite qu’elle se trouve, l’équivoque, c’est au centre, toujours au centre ! Comme le redressement du Parti ne doit pas être recherché dans une bataille systématique contre la droite, mais dans une réaction contre les faiblesses et les complaisances de la majorité. »

Etant données les méthodes de lutte inaugurées dans le Parti contre nous, on ne trouvera pas extraordinaire, je pense, que je livre maintenant, le nom de l’auteur de cette excellente définition du rôle que s’est assigné en fait la Gauche révolutionnaire. Elle est d’un braconnier devenu garde-chasse, qui s’appelle Louis Lagorgette…
Nous ne voulons pas faire autre chose que ce qu’il souhaitait à cette époque, et s’il se trouvait à mes côtés, des camarades cherchant à provoquer une scission, je m’en séparerais sans hésitation. Mais il faut aussi qu’on cesse les déformations sytématiques des faits.
Ainsi, vous, camarade Lebas, vous vous obstinez à affirmer que nous avons non seulement des cartes mais des timbres : devant la C. A. P. je vous ai dit : non, c’est une erreur, vous ne pourriez pas m’en montrer un seul cas, nous n’en avons pas… Cependant, vous êtes venu encore à cette tribune affirmer aux délégués que nous avions des timbres sur nos cartes. Que signifie cette obstination ?

QUESTION

On a, en somme, affirmé ici que nous serions des instruments inconscients de certains éléments de désagrégation de la classe ouvrière. Mais vous, camarades, qui nous accusez, êtes-vous bien sûrs que vous n’êtes pas manœuvres par les ennemis de la classe ouvrière et du Front Populaire. La clef de voûte du Front Populaire, c’est notre Parti : si on pouvait l’affaiblir, le diviser, le diminuer, la fissure pourrait atteindre des dimensions imprévisibles. Dans l’état d’inquiétude où se trouvent les masses populaires, qui sait ce qu’il en résulterait pour l’avenir de notre mouvement. Incontestablement, la réaction se réjouirait des mesures brutales de coercition dont nous sommes menacés. Et d’un autre côté, si j’en crois certaines instructions adressées par le Parti Communiste, on n’est pas non plus indifférent à l’opération préparée contre nous, Un secrétaire de cellule de l’Eure écrit au secrétaire de la section socialiste en lui proposant une réunion commune sur le sujet suivant : « La Gauche Révolutionnaire (trotskyste) (sic) au sein du Parti socialiste. » II y a donc beaucoup de forces qui concourent à souhaiter notre exclusion. Êtes-vous sûr que c’est en vue de l’intérêt du Parti? Pour moi, toutes ces têtes penchées sur notre unité, pour en observer la solidité me dictent mon devoir : Je ne ferai rien pour donner satisfaction à nos adversaires.

RÔLE DU PARTI

Mais je ne cesserai pas non plus d’alerter le Parti sur son rôle spécifique. Jamais il ne s’est trouvé dans une telle situation à la fois difficile, et favorable à ses perspectives propres. Sans doute certains camarades ne se sont pas suffisamment préoccupés de cette phase particulièrement délicate de notre existence en tant que Parti: ils sont passés d’une conception d’opposition systématique et absolue à une collaboration si étroite qu’elle ne permettrait plus au Parti, si on les suivait, de jouer son rôle révolutionnaire. Il est assez curieux de rappeler à ce sujet comment Paul Faure caractérisait le rôle du Parti il y a quelques années.

« A moins de vouloir mettre la maison à l’envers et de prétendre que le jour c’est la nuit, les militants, depuis l’origine du mouvement socialiste ont tous été d’accord pour proclamer que la place normale du Parti, c’était d’être dans l’opposition. Ceux qui seraient assez ignorants pour avoir le moindre doute a ce sujet n’ont qu’à relire les statuts et la charte du Parti en même temps que les nombreuses résolutions de nos congrès. » (Vie du Parti, 6-12-29.)

…Lecture salutaire, en effet, mais ce qui est en cause, en ce moment, ce n’est ni « l’opposition » ni la « participation ». C’est quelque chose que Zyromski définissait ainsi, en juin dernier: « Il est évident que nous allons au Gouvernement non pas pour nous contenter de gérer les intérêts de la société bourgeoise, mais pour attaquer la racine, le principe même de la structure capitaliste. »
Voilà ce que le Parti doit dire, et propager. Si ses délégués au Gouvernement ne peuvent le dire, raison de plus pour que nous parlions en tant que socialistes; l’exercice du pouvoir n’aurait aucun sens, mieux, il comporterait de terribles inconvénients pour l’avenir s’il ne servait pas à cette préparation, dans les faits comme dans les esprits, de l’issue révolutionnaire. C’est parce que les militants ont plus ou moins obscurément conscience de cette situation, qu’il y a du malaise dans nos rangs comme d’ailleurs dans les niasses populaires. Nous avons tous la charge de conduire le Parti à une des heures les plus décisives de son histoire : s’il ne remplit pas sa mission, qu’il se prépare à céder la place à d’autres. Pour tous les grands problèmes, il a ses solutions à lui. Même sur la question de la guerre où notre minorité apparaît comme plus particulièrement en désaccord avec la majorité, nous considérons que l’ensemble du Parti peut et doit faire siennes, comme directives fondamentales, ces lignes de Léon Blum :

« La guerre devient possible quand la masse de l’opinion la croît possible. Elle ne sera pas, si nous ne voulons pas qu’elle soit.

…La position socialiste est d’éclaircir et de débattre au grand jour les faits de toute nature qui contiennent des risques de litige entre nations mais en écartant d’une façon absolue l’idée
que ces litiges puissent trouver leur solution dans la guerre, Cette attitude comporte au préalable une résolution d’ordre théorique et général : Celle d’opposer une fin de non recevoir catégorique à la possibilité même de toute guerre. »

Expliquer cela aux masses populaires, au nom du Parti, et montrer que les contradictions du régime tiennent prisonniers nos délégués au Gouvernement, ce n’est pas se désolidariser de nos camarades, c’est au contraire sauvegarder leur prestige socialiste. Mais si on veut nous faire admettre comme conformes aux doctrines,aux décisions et aux intérêts du Parti, les crédits militaires formidables, la défense passive, l’union sacrée, la militarisation de la jeunesse, les deux ans, alors non, nous ne le pouvons pas et nous ne pouvons pas mentir, à aucun prix, sous aucun prétexte, à la classe ouvrière.
Vous savez maintenant l’objet de nos divergences, camarades, le Parti se prononcera clairement. Et votre décision, elle aussi, quelle qu’elle soit, aura un sens politique. Pour l’organisation de notre tendance, nous appliquerons la règle générale fixée par le Congrès; mais quant à nos conceptions politiques, il n’appartient à personne de les supprimer par décret. Que craignez-vous ? Si ce que nous disons est si absurde, alors nous resterons une petite minorité insignifiante et vous n’avez pas à vous inquiéter. Mais si ce que nous disons correspond à une réalité de classe, pourquoi brandir vos foudres, vous devriez savoir d’avance que ce n’est pas ainsi qu’on brise un courant d’opinion, bien au contraire. Est-ce que la répression de la bourgeoisie a pu jamais arrêter autrement que pour peu de temps la montée du socialisme dans le monde ?

STRUCTURE DU PARTI

C’est le Parti qui appréciera, ce sont les militants, lorsqu’ils feront leur expérience, leurs réflexions, qui prendront position. Il faut le leur permettre : toutes nos difficultés s’aggraveront si on fausse la démocratie intérieure. Elles s’atténueront dans le cas contraire. Le Parti, ce n’est pas telle ou telle personnalité même éminente, telle ou telle tendance, c’est l’ensemble, c’est la synthèse et la collaboration fraternelle de tous ceux qui se dressent contre le vieux monde et veulent en finir avec lui. Le Parti, c’est l’instrument dont le prolétariat a besoin pour vaincre; il doit donc permettre d’enregistrer et de composer tous les courants qui existent au sein du prolétariat. Ceux qui voudraient nous proscrire ne se rendent-ils pas compte qu’ils seraient à leur tour proscrits dans un Parti unifié d’où les minorités seraient chassées ? Nous restons fidèles, nous, à la physionomie traditionnelle du Parti, à celle que définissait notre camarade Léon Blum dans son substantiel commentaire du Programme d’Action du 21 avril 1919.

« Je considèrerais, quant à moi, disait-il, comme un très grand malheur que nos camarades kienthaliens quittassent demain. Et pourquoi ? Parce que, dans ma pensée, ils représentent d’une façon particulièrement précise cette force de contemplation vers l’avenir et vers l’idéal qui est une nécessité de la vie et du développement socialistes. »
Voilà l’œuvre et l’organisation à laquelle nous sommes profondément attachés, travaillons-y tous ensemble, en donnant à notre vie intérieure le maximum d’intensité en favorisant l’expression spontanée des réflexions des militants, en diffusant toutes les idées, en sollicitant toutes les critiques et tous les efforts constructifs.
Et pour reprendre l’image qui termine le discours auquel je viens d’emprunter un passage, lorsque, comme en ce moment, des malentendus ou des oppositions risquent de nous diviser gravement, tournons-nous vers les sommets, élevons-nous ensemble au-dessus des brumes de la vallée, prenons résolument le chemin qui conduit à la conquête du pouvoir, alors, dans un élan enthousiaste vers la révolution socialiste, notre unité profonde s’imposera d’elle-même par l’immensité des tâches que nous aurons à remplir…

(Applaudissements. )

Note de la BS:

* Ce sera la dissolution de la G.R. et l’interdiction de sa revue. (La GR dissoute devient officiellement jusqu’en 1938 la « minorité de la C.A.P. »)

** Le 5 mars 1937 le gouvernement décide de bloquer les dépenses nouvelles sauf d’armement (avec un emprunt spécial), de réduire les crédits pour les grands travaux et de ne pas instaurer le contrôle des changes. Il n’y a plus seulement pause mais marche arrière.

 

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2 Réponses to “Les “crimes” de la Gauche révolutionnaire (1937) [2]”

  1. Maroconly Says:

    je trouve bien: « Vous savez maintenant l’objet de nos divergences, camarades, le Parti se prononcera clairement. Et votre décision, elle aussi, quelle qu’elle soit, aura un sens politique »
    http://www.maroconly.info

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  2. CURSUS Says:

    tres interessant comme article
    Maroc etudiant

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