L’Union communiste (1933-1939)

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Extrait de la brochure Militantisme et responsabilité d’Henry Chazé publiée par Échanges et mouvement (mars 2004).


Par rapport à Masses et Spartacus [1] qui représentaient une aile gauche de la SFIO, l’Union communiste fut une organisation qui, face aux faits, et ceux-ci se bousculaient alors comme actuellement, prit position nettement contre le frontisme, contre la défense de l’URSS, sur la nature de l’Etat russe (capitalisme d’Etat) et la révolution espagnole (juillet 1936-mai 1937), etc.

Face à de grands événements comme ceux que nous avons vécu dans les années 1930, une sélection impitoyable s’opère parmi les groupes et les individus et, malgré une formation idéologique différente, on peut se retrouver côte à côte dans une lutte constante. C’est un grand enseignement à ne jamais oublier.

Et cela explique que nous n’étions pas sectaires à l’Union communiste. L’absence de sectarisme n’empêche nullement la rigueur de pensée et permet des contacts fraternels avec les camarades que nous espérons convaincre.

Le triomphe du nazisme en Allemagne provoqua un vif désir d’unification dans les groupes nés de la décomposition du mouvement communiste et de l’impuissance des trotskystes à remplir le rôle de rassembleurs. La Ligue trotskyste avait au contraire éjecté de ses rangs nombre de groupes et individualités.

Sur l’initiative d’un groupe local de la banlieue ouest de Paris (voir Militantisme et responsabilité), une conférence d’unification fut organisée. Après quelques réunions tenues entre avril et juin 1933, cette conférence aboutit à un reclassement et à une unification partielle.

Quelques mois après, la Ligue trotskyste qui avait participé, non sans coups de théâtre, à la conférence, mais était restée indépendante, se scindait une fois de plus et cette fois moitié-moitié : 35 puis 37 d’entre les scissionnistes formèrent l’Union communiste avec L’Internationale comme journal (n° 1 en décembre 1933) ; l’autre moitié s’empressa, sur ordre de Trotsky, d’entrer dans la SFIO (sociaux-démocrates de la Deuxième Internationale) [comme l’écrit Chazé, « l’entrisme » était né].

Sitôt née, l’Union communiste engagea des pourparlers avec la Gauche communiste issue de la conférence d’avril-juin 1933. Le 2 décembre 1933 se tint l’assemblée d’unification. L’organisation née de cette fusion adopta le nom d’Union communiste et L’Internationale n° 2 du 16 décembre publia une « Déclaration », bulletin de naissance assez semblable à celui du n° 1.

L’Union communiste (UC) fut très vite mise à l’épreuve des faits. Le 6 février 1934 inaugurait en effet une période riche en événements de portée nationale et internationale. C’est cette UC qui évolua rapidement vers le communisme de conseils, absorbant le seul petit groupe s’en réclamant (autour de Bayard [2]) (André Prudhommeaux[3] étant à Terre libre de la Fédération anarchiste française) mais perdant quelques trotskystes indécrottables, du groupe juif notamment. De 1936 à 1939, l’UC fut un pôle d’attraction pour les individus et groupuscules écœurés par la gymnastique trotskyste (entrisme dans la SFIO, puis dans le PSOP [4]), mais bien peu étaient assimilables. A noter que l’UC recueillit la quasi-totalité des bordiguistes (italiens pour la plupart) parisiens, une vingtaine de bons camarades ouvriers, qui n’avaient pas digéré la position délirante des bordiguistes belges et de Vercesi [5] (pas de parti bordiguiste en Espagne, donc pas de révolution) sur le mouvement révolutionnaire dans la péninsule.

Un travail théorique s’imposait également que notre engagement dans les luttes ouvrières rendait difficile. Sur la nature et le rôle contre-révolutionnaire de l’URSS, nous avions au moins dix ans de retard par rapport à nos camarades hollandais (communistes de conseils) et à ceux de la gauche allemande. En ce qui concerne l’institutionnalisation et l’intégration des syndicats, à peu près le même retard. Sur le rôle du parti révolutionnaire, idem.

Il s’agissait d’une évolution face aux faits et pour cette raison remettant en cause « la » ou les théories héritées de passé. Je dois dire que nous n’avions pas le temps de faire mieux car nous n’avions pas parmi nous de théoriciens distingués – nous étions en grande majorité des « militants », syndicaux aussi, quoique parfaitement conscients de l’intégration des syndicats que nous dénoncions au fur et à mesure qu’elle se réalisait au travers du Front populaire, de l’unité syndicale, etc. Vous ne trouverez rien dans L’Internationale sur le Parti, si ce n’est la répétition de positions héritées du léninisme ; toutefois, entre 1933 et 1935 s’était peu à peu imposée la notion de « parti guide et animateur » des luttes ouvrières, au lieu de « parti dirigeant ». Bien petite étape. Avec le recul du temps, j’ai abandonné le concept léninien du « parti seul porteur de la vérité révolutionnaire » et a fortiori de sa caricature, le groupe ou proupuscule qui s’auto-proclame l’unique « avant-garde révolutionnaire ». Mais en 1939, nous en étions à peu près sur cette question à la position d’Anton Pannekoek ou du KAPD – conservant le mot « parti », mais avec la signification que vous connaissez. Nous n’avions pas, et je ne l’ai toujours pas, le fétichisme des conseils…

Tout cela explique que des camarades nous abandonnèrent, les uns pour chercher un auditoire chez Doriot [6] en 1934-1935, d’autres parce que dans l’UC, ils ne pouvaient pas jouer au « number one », d’autres encore tout simplement parce que notre évolution rapide les effrayait. Départs sur la pointe des pieds ou après discussion, courte et amicale. Quelques années après, très logiquement d’ailleurs, presque tous ces camarades étaient ou dans la gauche socialiste, chez Pivert ou chez les « staliniens de gauche » du groupe qui éditait Que faire ?

La situation particulièrement dynamique ouverte par le 6 février 1934 provoqua reclassement et sélection, surtout à l’occasion de la naissance du Front populaire saluée par un placard à la « une » de L’Internationale : « Front populaire = Front national. » Après cette phase d’évolution rapide, il était vain d’espérer une renforcement en nombre de notre Union communiste. Nous avons tenu sur nos positions révolutionnaires… jusqu’en septembre 1939… et individuellement après, car si des liaisons furent maintenues pendant la guerre grâce à des camarades femmes, l’Union communiste n’existait pratiquement plus.

Nous le reconnaissons sans honte, malgré notre effort de réflexion théorique, nous restâmes empêtrés dans de nombreux concepts hérités du léninisme.

Notes

[1] Masses, dont le directeur était René Lefeuvre, se présentait ainsi : « Notre mouvement est un mouvement de jeunes au sens propre du mot. Masses est le produit de la collaboration d’un groupe de camarades dont la pensée peut présenter des nuances différentes, mais que réunit à la fois un idéal commun : l’idéal révolutionnaire socialiste, et une manière commune d’aborder les problèmes que pose ce qui les entoure : l’utilisation de la méthode d’investigation forgée par Marx et Engels. Masses se réclame de la révolution sociale et du libre examen matérialiste et de rien d’autre. » (« Appel à nos amis », Masses n° 11, novembre 1933). La revue puis les éditions Spartacus en prirent la suite.

[2] Bayard : animateur d’un Cercle marxiste de Paris (communiste de conseils), qui participa en 1937 à une conférence réunissant l’Union communiste, la Ligue des communistes internationalistes (Henaut), le GIC des Pays-Bas (Canne Meijer), l’ex-minorité de la Gauche italienne exclue en 1936, le Groupe marxiste allemand (Ruth Fischer et Arkadi Maslov), la League for Revolutionary Workers Party (Field) et la Revolutionary Workers League of USA (Hugo Œhler).

[3] André Prudhommeaux (né en 1902 au Familistère de Guise, mort en novembre 1968) créa avec sa compagne Dora Ris, à Paris, une « Librairie ouvrière ». D’abord communistes révolutionnaires (L’Ouvrier communiste), ils deviennent anarchistes après un voyage en Allemagne au début des années 1930. Il anima avec Voline Terre libre, organe de la Fédération anarchiste. En 1936 il publia à Barcelone L’Espagne antifasciste, puis à son retour en France L’Espagne nouvelle.

[4] Parti socialiste et paysan.

[5] Vercesi : pseudonyme d’Ottorino Perrone (1897-1957), militant du Parti communiste italien dès 1921, puis de l’opposition bordiguiste. Exilé en 1927, il anima en France et en Belgique les revues Prometeo et Bilan.

[6] Jacques Doriot (1898-1945) : militant du Parti socialiste puis, après un séjour à Moscou, secrétaire des Jeunesses communistes en 1922. Bien que se mouvant dans les hautes sphères du PCF et de l’Internationale communiste, il ne réussira pas à devenir secrétaire général du Parti, place bientôt prise par Maurice Thorez. Le conflit entre les deux hommes se soldera par un arbitrage de Moscou et l’exclusion de Doriot en 1934. Député et maire de Saint-Denis sous l’étiquette PC, il conservera ces sièges après son exclusion, y compris lorsque, utilisant cette base locale, il fondera le Parti populaire français en 1936. Certains affirment qu’il a été, pour d’obscures raisons, retourné et manipulé par la police dès 1926, ce qui pourrait expliquer son évolution et celle de son parti de la position de « communiste indépendant » vers le fascisme puis la franche collaboration avec les nazis dès juin 1941. Il combattra en Russie sous l’uniforme allemand dans la Légion des volontaiures français contre le bolchevisme (LVF) qu’il avait contribué à fonder. Sa mort en février 1945 sur une route allemande, dans des circonstances mal définies, donna lieu aux interprétations les plus fantaisistes.

Voir aussi:

L’Internationale, journal de l’Union communiste (1933-1939)

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