Femmes du PSOP

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Extraits du texte de Séverine Liatard, « Autour de la Gauche révolutionnaire : des femmes en politique au temps du Front populaire », dans Les deux France du Front populaire, de Gilles Morin et Gilles Richard. (L’Harmattan, juin 2008, ISBN : 978-2-296-05702-9, 416 pages). Gilles Morin a réalisé en 1995 l’inventaire du Fonds Pivert au Centre histoire sociale de Paris I.

Au sein du P.S.O.P. [1], le taux de représentativité des femmes est supérieur à celui des autres organisations de gauche: sur 972 militants, on compte 138 femmes. Elles représentent donc 14,2% des effectifs militants [2]. Une proportion qui a priori est plus favorable à l’accession de certaines d’entre elles à des postes de responsabilité, comme le comité directeur ou les comités de rédaction des diverses publications de l’organisation.

En septembre 1935, le comité directeur [3] de la tendance pivertiste comprend 25 membres dont 3 femmes (12%): Colette Audry, Hélène Modiano et Simone Kahn. La composition de ce comité reste la même jusqu’au début de l’année 1937 [4]. Lorsque la tendance pivertiste est exclue de la SFIO au lendemain du congrès de Royan en juin 1938, la commission administrative permanente (CAP) du PSOP comprend désormais 33 membres, parmi lesquels une seule femme: Suzanne Nicolitch [5].

Madeleine Hérard à Royan (1938)

Les comités de rédaction des trois organes d’information et de propagande pivertistes [6] sont dirigés par Marceau Pivert, Michel Collinet et René Lefeuvre pour La Gauche révolutionnaire, par Marceau Pivert, Lucien Hérard et René Modiano pour Les Cahiers rouges et par Michel Collinet pour Juin 36. Aucune femme n’occupe la fonction de rédactrice en chef. Toutefois, parmi la quinzaine de collaborateurs réguliers qui alimentent les pages de ces publications, sept sont des femmes: Colette Audry, Simone Kahn, Berthe Fouchère, Hélène Modiano, Madeleine Hérard, Suzanne Nicolitch et Charlotte Ricard. A titre d’exemple, la collaboration de Colette Audry s’évalue ainsi: elle publie un article tous les deux numéros dans La Gauche révolutionnaire d’octobre 1935 à décembre 1936, trois articles dans Les Cahiers rouges de mai 1937 à mai 1938, et tient une revue de presse régulière dans l’hebdomadaire Juin 36 jusqu’en avril 1938. Peu impliquée au sein du PSOP, elle n’intervient plus que très ponctuellement dans Juin 36 lorsque celui-ci devient l’hebdomadaire de cette organisation à partir de juin 1938.

De son côté, le CASPLE (Comité d’action socialiste pour la levée de l’embargo), mis sur pied en septembre 1936 pour soutenir la cause des républicains espagnols et qui revendique en décembre 150 adhérents appartenant tous à la Gauche révolutionnaire, est dirigé par une équipe de huit membres dont Simone Kahn et Colette Audry [7]. Cette dernière, qui fait partie des initiateurs de cet organisme, se rend dans la péninsule ibérique au cours de l’été 1936, et rentre à Paris en septembre. Comme Michel Collinet, présent dès la mi-juillet en Catalogne, elle rapporte des témoignages sur le déroulement de la révolution libertaire et rencontre les membres du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste), que les pivertistes considèrent comme la seule organisation capable de conduire le prolétariat espagnol à la victoire. Elle écrit des articles sur les conséquences désastreuses de l’inaction des organisations socialistes françaises. A travers cette démarche, il s’agit d’infléchir la politique de non-intervention énoncée par le gouvernement Blum le 6 septembre 1936 dans le discours de Luna Park. De plus, Colette Audry participe à la traduction de la publication hebdomadaire du bulletin du POUM, La Révolution espagnole, et devient l’administratrice de cette édition pour la France [8]. Lorsque le CASPLE étend son recrutement à l’ensemble de la SFIO et en particulier aux zyromskistes [9], Simone Kahn endosse la responsabilité de secrétaire administrative aux côtés de Jean Prader (secrétaire général), et 2 femmes (Berthe Fouchère et Colette Audry) sur 23 membres font désormais partie de son bureau [10].

Hélène Modiano à la conférence constitutive du PSOP

Selon ce recensement sommaire, six militantes émergent des instances de direction de la tendance pivertistes: Colette Audry, Hélène Modiano, Berthe Fouchère, Suzanne Nicolitch, Madeleine Hérard et Simone Kahn [11]. Ces femmes appartiennent pour la plupart à une génération née au début du siècle (elle ont une trentaine d’années) et elles possèdent un capital scolaire élevé: Colette Audry (1906-1990), Suzanne Nicolitch (1902-1942) et Hélène Modiano (1909-1987) sont toutes trois agrégées de lettres et enseignent dans le secondaire. Les deux premières ont préparé ce diplôme en partie ou dans son intégralité à l’ENS de Sèvres [12]. Madeleine Hérard (1897-1978) devient libraire après avoir fait des études dans un collège méthodiste en Grande-Bretagne et avoir séjourné aux Etats-Unis. Enfin, Berthe Fouchère (1899-1979) est institutrice. Rayée des cadres de l’enseignement en raison de ses engagements syndicaux, elle s’expatrie successivement en Algérie, en Allemagne et en Autriche de 1923 à 1925.

Il est certain que la place des enseignants, en particulier des instituteurs, est prépondérante aux postes de responsabilité et sans aucune mesure avec leur poids démographique dans l’organisation, tous sexes confondus. La hiérarchie des tâches le plus reproduit souvent dans l’organisation la division sociale du travail. Ces professions représentent 5% des effectifs militants et accaparent plus de la moitié des postes de responsabilité nationale. En détaillant davantage la composition de la direction pivertiste, on comptabilise en moyenne 30% d’instituteurs, 15% de professeurs, 13,9% d’ouvriers qualifiés, 14,1% d’employés subalternes et 10,1% d’employés supérieurs pour la période allant de 1935 à 1937 [13]. Toutefois, l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle « diplômée » semble être pour une femme un impératif si elle veut siéger dans les espaces décisionnels: aucune militante des catégories socio-professionnelles ouvrières, employées ou sans profession, ne détient de responsabilité alors qu’elles constituent la majorité des effectifs militants de la Gauche révolutionnaire [14].
On peut également constater la fréquence des couples militants au sein des organes de direction du courant pivertiste. Le phénomène s’explique en partie par le fait que le mariage ne transgresse pas les barrières sociales: ouvriers et employés se marient entre eux, les intellectuels aussi (…)

Notes:

[1] Nous ne connaissons pas la répartition par sexe lors de la signature de la plate-forme de la Gauche révolutionnaire en octobre 1935. L’organe mensuel mentionne seulement que 824 militants, dont 408 de la Seine, ont adhéré à l’organisation (La Gauche révolutionnaire, N°3, décembre 1935).

[2] Bruno David, « Récurrences et Figures de l’histoire ouvrières. Histoire sociale du pivertisme (1935-1940) », thèse de doctorat, sous la direction de Jacques Julliard, EHESS, 1996, p. 412. L’auteur ajoute que la 15° section de la Seine où les pivertistes sont majoritaires comprend 12% de femmes.

[3] Membres du comité directeur de la GR à l’automne 1935: Pivert, Collinet, Modiano, Beaurepaire, Périgaud, Mallarte, Floutard, Jacquier, Weil-Curiel, Hélène Modiano, Midov, Hérard, Lefeuvre, G. Goldschild, Lalande, Simone Kahn, Guérin, Weitz, Brévillard, Jospin, Thouron, Gillet, Krihiff, Colette Audry.

Suppléants: G. Kahn, Etcheverry, Meier, Langier, Fournier, Zahn. Papiers des Amis de Marceau Pivert, 22AS-I-12, CARAN.

[4] Comité directeur de la Gauche révolutionnaire en janvier 1937, papiers des amis de Marceau Pivert, op. cit.

[5] Membres de la CAP (équivalent du comité directeur) du PSOP élus par la conférence nationale des 16-17 juillet 1938: Pivert, L. Hérard, R. Modiano, Collinet, H. Goldschild, Jacquier, Poireaudeau, Guérin, Broussaudier, R. Cazanave, A. Weil-Curiel, Moncond’huy, H. Midov, Degez, F. Pichon, Lancelle, Suzanne Nicolitch, Domisse, R. Rul, Sagette, Marc, L. Weitz, Rouaix, G. Floutard, Petit, Delmas, C. Spinetta, G. Mora, L. Vaillant, G. Levant, J. Enock, L. Vallon, Edouard (Juin 36, N° 18, 22 juillet 1938).

[6] La Gauche révolutionnaire (mensuel de la tendance), Les Cahiers rouges (mensuel d’études et d’action révolutionnaire réservé aux militants, dont le premier numéro paraît en mai 1937), Juin 36 (hebdomadaire de la Fédération de la seine de février à juin 1938, puis hebdomadaire du PSOP).

[7] CASPLE N°1, décembre 1936.

[8] La Révolution espagnole N°1, 3 septembre 1935.

[9] Le CASPLE devient le CASPE en avril 1937.

[10] L’Espagne socialiste (organe franco-espagnol du CASPE), N°1, 16 avril 1937.

[11] Nous n’avons trouvé aucun renseignement sur Simone Kahn.

[12] Colette Audry appartient à la promotion de 1925, Suzanne Nicolitch (née Alamercery) à la promotion de 1924. A la même époque, Hélène Modiano prépare l’agrégation de lettres au collège Sévigné.

[13] Bruno David, art. cit., p. 470.

[14] Il y a 16,5% d’ouvrières, 39,1% d’employées et 23,5% de femmes sans profession (dont les femmes au chômage). Ibid., tableau 22, p. 412.

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5 Réponses to “Femmes du PSOP”

  1. leaud Says:

    « Nous n’avons trouvé aucun renseignement sur Simone Kahn » : c’est très curieux ! En effet, Simone Kahn (1897-1980) est bien loin d’être une inconnue. On la trouve parfois mentionnée sous son nom d’épouse, d’abord Simone Breton puis Simone Collinet.

    Autre chose curieuse : le nombre d’adhérents du PSOP est manifestement très sous-évalué.

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  2. lucien Says:

    Oui je me suis posé la même question pour le nombre d’adhérents. Cet extrait est pris sur les pages de pré-visualisation libre sur google books, il n’a donc pas été possible pour l’instant de faire une recherche sur d’éventuelles références précédentes dans le livre à la thèse de doctorat de Bruno David (thèse qui donne ces chiffres), les stats de cette thèse portent peut-être sur des données locales ou partielles.

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  3. Neues aus den Archiven der radikalen Linken « Entdinglichung Says:

    […] Pivert: Révolution d’abord! (1935) * L’Espagne socialiste (1937-1938) * Gilles Richard: Femmes du PSOP (2008) * Le Pacte des anarchistes des CSR (1921) * Paul Lafargue: Recherches sur l’origine de […]

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  4. Le Comité d’Action Socialiste pour l’Espagne en 1937 « La Bataille socialiste Says:

    […] Femmes du PSOP (G. Morin & G. Richard, extrait, 2008) médaille Manif contre la non-intervention en Espagne (mai 1937) […]

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  5. Fred Meunier Says:

    Je cherche des informations sur une femme permanente du PS en gironde dans les annees 30, Jeanne Meunier (dit Mureine). Son mari Jean et son fils Andre etait tres implique dans des luttes intestine surtout contre Adrien Marquet (neo). Andre etait conseiller General et a la tete de la federation du PS a la fin des annees 30.

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