1923-10 Déclaration des 46

[d’après The Declaration of the 46 pdf ]

Au Bureau politique du Comité central du Parti communiste russe

L’extrême gravité de la situation nous oblige (dans l’intérêt du Parti, dans l’intérêt de la classe ouvrière) à  vous dire ouvertement que la poursuite de la politique de la majorité du Bureau politique menace tout le Parti d’une catastrophe. La crise financière et économique qui a débuté à la fin de juillet cette année, avec ses conséquences politiques, y compris au sein du Parti, a révélé les insuffisances de la direction du Parti tant dans le domaine économique que dans celui de la vie interne dans le Parti.

La désinvolture, le manque de méthode et de réflexions dans les décisions du Comité central, qui n’arrive pas à joindre les deux bouts dans le domaine de l’économie, a conduit à une situation où  sont menacées les avancées importantes dans l’industrie, l’agriculture, la finance et les transports, acquis par l’économie du pays pour l’essentiel non pas grâce mais en dépit d’une direction défaillante ou plutôt en l’absence de toute direction;  une situation où pointe la menace d’une crise économique grave. Nous sommes confrontés à l’imminence d’un effondrement du tchervonets, spontanément devenu une devise de base avant la liquidation du déficit budgétaire, une crise de crédit dans laquelle la Banque d’État ne peut plus agir sans risque (…), une cessation des ventes de biens industriels en raison de prix élevés dus à l’absence de direction dans l’industrie et à une politique du crédit inadaptée, l’impossibilité de réaliser le programme d’exportations de céréales (…), des prix très bas pour les produits alimentaires, qui ruinent la paysannerie et menacent d’une contraction de la production agricole, des inégalités de salaires qui provoquent un mécontentement parmi les travailleurs, un chaos budgétaire qui provoque à son tour du désordre dans l’appareil d’État. Les méthodes « révolutionnaires » pour réduire le budget, les coupes qui devaient être provisoires sont en train de devenir régulières, perturbant le fonctionnement de l’appareil d’État faute d’une vraie planification.

Ce sont là des éléments de la crise financière et économique qui a déjà commencé. Si des mesures énergiques ne sont pas prises immédiatement, nous serons confrontés à une crise économique aiguë qui entraînera un bouleversement social extrêmement violent, lié aux complications politiques intérieures et à la paralysie totale de notre activité et de notre capacité d’agir extérieures. Comme tout le monde le comprendra, le sort de la révolution mondiale en dépend.

De la même façon, dans le domaine de la vie interne du Parti, nous voyons la même direction incapable paralyser et diviser le Parti, cela apparaît clairement dans la période de crise  que nous traversons.

Nous l’expliquons par le fait qu’au-dessous de la forme extérieure de l’unité officielle, nous avons pratiquement un recrutement des hommes et une orientation qui  se font de façon unilatérale et adaptée aux idées et sympathies d’un cercle très étroit. La direction du parti étant déformée par de si étroites considérations, il en résulte que, dans une très grande mesure, le parti a cessé dans une mesure considérable d’être une collectivité vivante et indépendante, parce que ce ce sont mille fils qui en tissent les liens. Nous constatons, toujours davantage et toujours plus ouvertement, une division entre la masse du parti, qui ne participe pas à sa vie, et la hiérarchie du secrétariat et les responsables recrutés par en haut.

C’est un fait connu de chaque membre du parti. Des membres du parti qui n’approuvent pas telle ou telle décision du Comité central ou même d’un comité de province, qui ont tel ou tel problème de conscience qui, en privé, notent telle ou telle erreur, irrégularité ou désordre, ont peur d’en parler aux réunions du Parti, et craignent même d’en parler dans des conversations privées à moins qu’ils n’aient une entière confiance dans la discrétion de leurs interlocuteurs ; la libre discussion au sein du parti a pratiquement disparu, l’expression publique des opinions dans le parti est étouffée. Aujourd’hui, ce n’est ni le Parti,  ni les masses, qui choisissent les membres des comités provinciaux et du Comité central du PCR.  Au contraire, la hiérarchie du secrétariat du Parti dans une mesure toujours plus grande recrute les membres des conférences et des congrès, qui deviennent, dans une mesure toujours plus grande des assemblées exécutives de cette hiérarchie.

Le régime établi à l’intérieur du Parti est absolument intolérable; il détruit l’indépendance du Parti, remplaçant celui-ci par un appareil bureaucratique qui fonctionne assez bien quand tout va bien, mais qui, inévitablement, flanche dans les périodes de crises, et qui menace de faire complète banqueroute lorsqu’il se trouvera en présence des graves développements qui sont devant nous.

Cette situation est due au fait que le régime de la dictature d’une fraction à l’intérieur du Parti, qui a été créé après le X° Congrès, a survécu à son utilité. Beaucoup d’entre-nous avaient consciemment accepté la justification d’un tel régime. En 1921, le tournant politique et ensuite la maladie du Camarade Lénine réclamaient – dans l’opinion de plusieurs d’entre nous – une dictature à l’intérieur du Parti comme mesure temporaire. D’autres camarades ont adopté une attitude sceptique ou négative. Quoi qu’il en soit, lors du 12° Congrès du Parti ce régime avait assez duré. Il commençait à montrer ses effets néfastes. Les liens dans le Parti faiblissaient. Le Parti commençait à s’éteindre. Étant donnée l’impossibilité de discuter entre camarades sur des questions brûlantes, des mouvements d’opposition extrémiste et morbide commencèrent à se développer à l’intérieur du Parti avec naturellement un caractère anti-parti. Pouvoir discuter aurait permis de révéler le caractère morbide de ces mouvements, auprès de la masse du Parti comme auprès de ceux-là même qui y participent.  Le résultat a été la formation de groupements illégaux attirant les membres du Parti en dehors de lui, nous avons vu un divorce entre le Parti et les masses ouvrières.

Si la situation ainsi créée ne change pas radicalement dans un avenir immédiat, la crise économique en Russie soviétique et la crise de direction dans le Parti porteraient de durs coups à la dictature du prolétariat en Russie et au Parti communiste russe. La dictature prolétarienne en Russie, et son avant-garde communiste, ne peut avec une telle charge sur le dos affronter les bouleversements mondiaux qui s’annoncent, sinon avec la perspective d’une défaite de tout le front de lutte prolétarien. Bien sûr il serait à première vue plus simple de régler le problème, compte tenu des circonstances, qu’il n’y a pas lieu de changer l’attitude officielle, mais juste de mettre à l’ordre du jour des tâches nouvelles etc… cela reviendrait pourtant à fermer les yeux sur la situation réelle, puisque tout le danger vient du fait qu’il n’existe pas de réelle unité de pensée et d’action face à une situation intérieur et extérieure extrêmement complexe. Les luttes dans le parti sont d’autant plus féroces qu’elles se font dans le silence et le secret. Si nous posons cette question devant le Comité central, c’est précisément pour résoudre rapidement et sans douleur les contradictions qui déchirent le Parti et rétablir celui-ci sur des bases saines. L’unité réelle d’idées et d’action est indispensable, les difficultés l’exigent. Le régime fractionnel doit être supprimé, et doit l’être d’abord par ceux qui l’ont instauré: il doit être remplacé par un régime d’unité dans la camaraderie et de démocratie interne dans le Parti.

En vue de réaliser les objectifs que nous venons d’énumérer et de prendre les mesures  indispensables pour une solution de la crise économique, politique et du Parti, nous proposons en tout premier lieu au Comité central de convoquer une conférence composée de celui-ci et élargie aux militants les plus connus et actifs, la liste des convoqués devant inclure un certain nombre de camarades ayant des vues différentes de celles de la majorité.

Signatures de la Déclaration au Politburo du Comité central du PCR sur la situation intérieure dans le Parti du 15 octobre  1923 :

E. Préobrajensky
B. Breslav
L. Serebriakov

Je ne suis pas d’accord avec certains aspects de cette lettre sur les causes de la situation, mais étant donné que le Parti est confronté à  des problèmes qui ne peuvent être réglés par les méthodes habituelles, je m’associe pleinement aux conclusions de cette lettre.

A. Beloborodov

Entièrement d’accord avec les propositions, ne divergeant que sur certains points les motivant.

A. Rozengolts
M. Alsky

Partageant pour l’essentiel cet appel. Le besoin d’aborder directement et sincèrement nos maux est devenu si urgent que je soutiens entièrement la proposition de convoquer une conférence.

Antonov-Ovseenko
A. Benediktov
I. N. Smirnov
Y. Piatakov
V. Obolensky (Ossinsky)
N. Muralov
T. Sapronov

La situation dans le parti et la situation internationale sont telles qu’elles exigent plus que jamais une pression et une concentration exceptionnelles des forces du parti. Je m’associe à la déclaration en la considérant comme un effort pour restaurer l’unité du Parti. Il ne peut être question actuellement d’une lutte au sein du Parti, sous quelque forme que ce soit.  Le Comité central doit considérer sobrement cette lettre et prendre des mesures urgentes pour éradiquer le mécontentement dans le Parti et dans les masses sans-parti.

A. Goltsman
V. Maximovsky
D. Sosnovsky
Danishevsky
O. Shmidel
N. Vaganyan
I. Stukov
A. Lobanov
Rafail
S. Vasilchenko
Mikh. Zhakov
A. M. Puzakov
N. Nikolaev

Je m’abstiens sur les deux premiers paragraphes mais suis d’accord avec le reste.

Averin

Je suis d’accord avec l’exposé de la situation économique et politique de la première partie. Je considère que la description de la vie interne du Parti est exagérée. Je considère indispensable de prendre des mesures d’urgence pour préserver l’unité du Parti.

I. Boguslavsky
P Mesyatsev
T. Khorechko

Pas d’accord avec certaines idées de la première partie de la déclaration ni avec la caractérisation de la situation interne du Parti mais profondément convaincus que celle-ci nécessite des mesures radicales car elle n’est pas saine actuellement, et partageant entièrement les propositions pratiques.

A. Boubnov
A. Voronsky
V. Smirnov
E. Bosch
I. Byk
V. Kossior
F. Lokatskov

Complètement d’accord avec l’analyse de la situation économique. Je considère comme très dangereux actuellement un affaiblissement de la dictature politique, mais il est indispensable d’éclairer la situation. Une conférence est tout à fait indispensable.

Koganovich
Drobnis
P. Kovalenko
A. E. Minkine
V. Yakovleva

Complètement d’accord avec les propositions pratiques.

B. Eltsine

Je signe avec les mêmes réserves que le camarade Boubnov.

L. Levitine

Je signe avec les mêmes réserves que Boubnov, bien que je cautionne ni le ton ni la forme, et suis d’accord avec la partie pratique de cette déclaration.

I. Paludov

Je ne suis pas complètement d’accord avec la première partie qui évoque la situation économique du pays, laquelle est grave et nécessite un examen approfondi, mais le Parti n’a pas produit jusqu’ici de meilleurs leaders. Sur la question de la vie interne du Parti des éléments substantiels de vérité sont énoncés et il est essentiel de prendre des mesures urgentes.

F. Sudnik

Une Réponse to “1923-10 Déclaration des 46”

  1. lucien Says:

    Courrier reçu:

    Bonjour camarades,

    Vous aviez publié sur votre site une traduction de seconde main (depuis
    l’anglais) de la déclaration des 46 de 1923 (
    https://bataillesocialiste.wordpress.com/1923-10-declaration-des-46/ ) –
    je vous signale donc une nouvelle version, traduite depuis le texte
    russe : http://www.marxists.org/francais/4int/ogi/1923/ogi_19231015.htm

    Camaradement,

    S***

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