1947-06 L’Europe socialiste [Pivert]

3 documents:

  • Exposé de Marceau Pivert sur l’idée de l’Europe socialiste à la Conférence internationale pour les États-Unis socialistes d’Europe (Paris, 21 et 22 juin 1947)
  • Annexe 1: Réponse de Marceau Pivert au questionnaire des cahiers socialistes. Décembre 1948
  • Annexe 2: Rapport de la deuxième conférence internationale pour les États-Unis socialistes d’Europe (Paris, 21 et 22 juin 1947)

Exposé de Marceau Pivert sur l’idée de l’Europe socialiste (1947)

Rapport de la Conférence internationale, Paris (Juin 21&22, 1947), Rapport de la deuxième conférence internationale pour les États-Unis socialistes d’Europe (Paris, 21 et 22 juin 1947)

Le mouvement en faveur des Etats Unis Socialistes d’Europe a pris naissance en pleine guerre et a été interprété par la seule organisation ayant alors la possibilité de s’exprimer librement, l’Indépendant Labour Party Britannique. Par son groupe parlementaire, sous l’inoubliable direction de James MAXTON, par sa presse et ses brochures, cette avant garde socialiste clairvoyante a traduit les exigences d’une société qui court au suicide et les aspirations de tous les travailleurs demeurés fidèles à l’internationalisme prolétarien.

En février 1947, à Londres, l’idée de la solution socialiste des problèmes internationaux posés à l’échelle européenne avait déjà largement dépassé le cercle étroit des milieux socialistes révolutionnaires qui avaient maintenu leurs liaisons, tant bien que mal, à travers les terribles difficultés de la contre-révolution nazie fasciste et de la guerre. Des syndicalistes, des coopérateurs, des pacifistes, des écrivains, des résistants, des rescapés, des camps de la barbarie hitlérienne, des représentants des grands peuples de couleur, des socialistes de diverses tendances se joignaient aux pionniers de l’idée socialiste européenne.

En juin 1947, à Paris et à Montrouge, le cercle des protagonistes de la Fédération des Etats Unis Socialistes d’Europe et de la planification socialiste de ses industries clés s’est encore considérablement élargi. C’est le compte rendu des travaux de cette deuxième conférence qu’on trouvera ci-dessous. Nous caractériserons brièvement l’esprit commun à toutes les activités qui s’y sont retrouvées.

1°) les militants de toutes tendances qui se réclament principalement du mouvement ouvrier (syndicaliste et socialiste) et qui ont, pour la première fois depuis la fin de la première guerre mondiale, établi un contrat fraternel autour d’une tâche commune de propagande ne se résignent pas au partage de l’Europe et du Monde en deux blocs hostiles.

2°) ils ne résignent pas non plus à la perspective ni à la fatalité d’une troisième guerre mondiale qui entraînerait le chaos et la ruine de toute la civilisation sur la planète.

3°) ils ne se placent pas sur le plan de la politique de puissance, des combinaisons diplomatiques, des équilibres de forces militaires, des zones d’influence ou des points stratégiques. Au contraire tous se placent sur le plan de l’intérêt commun à tous les travailleurs, à tous les hommes civilisés et qui sont tous solidaires, qu’ils le veuillent ou non, dans la recherche d’une solution constructive à opposer ensemble une fausse solution destructive de la violence armée et de la guerre.

4°) tous postulent qu’au delà des positions prises par les gouvernements, les états-majors, les bureaucraties et la plupart du temps en dehors de toute consultation démocratique des masses, il y a cependant les éléments d’une conscience publique universelle qui, si on sait la mobiliser, obligera les dirigeants à modifier le cours des événements qui nous conduisent à la pire des catastrophes.

Ces postulats communs définissent les limites mais aussi le vaste domaine du Comité International d’Etude et d’Action pour les Etats Unis Socialistes d’Europe.

Nous nous proposons de propager l’idée de l’Europe socialiste, d’étudier les conditions de sa réalisation de combattre les déformations, conscientes ou non, qui tendraient à nous confondre avec les partisans d’un bloc ou de l’autre. Nous faisons appel dans notre effort à la solidarité des travailleurs américains et nous essaierons d’associer à notre entreprise les travailleurs des pays de l’Est Européen, ainsi que les travailleurs russes eux-mêmes, si malheureusement isolés du reste du monde.

Nous soulignons surtout la nécessité pour tous les travailleurs européens de se retrouver et de se définir eux-mêmes, s’ils veulent échapper aux terribles dangers d’une colonisation ou d’une autre.

Et quant au reste, nous faisons confiance aux hommes de bonne foi, aux militants syndicalistes et socialistes eux-mêmes qui devront orienter leurs organisations vers cette perspective commune. S’ils n’y parvenaient pas, non seulement l’Europe serait définitivement déchirée et asservie mais le socialisme ne serait plus qu’un rêve généreux rejeté bientôt enveloppé dans son linceul de pourpre où dorment les dieux morts.

Il aurait tout simplement laissé passer son heure au cadran de l’histoire.

[source: http://www.ena.lu ]

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ANNEXE 1:

Réponse de Marceau Pivert au questionnaire des Cahiers socialistes

Les cahiers socialistes. Décembre 1948, n° 22; 5e année, p. 2-3; 14-17.

Questionnaire

1. — Si, à l’ « âge des blocs » où nous nous trouvons, vous tenez pour périmés politiquement, économiquement et militairement les cadres des nations européennes, qu’aimeriez-vous leur substituer et que pensez-vous possible qu’on leur substitue ?

2. — Comment entendez-vous le concept « d’Europe » ? Le tenez-vous pour limité géographiquement ou spirituellement ? Quelles nations sont à votre sens européennes ? Quels pays pourraient éventuellement le devenir et à quelles conditions ?

3. — Si vous êtes partisan de la fédération européenne, quelles aspirations vous incitent à la désirer ? Y êtes-vous poussé par vos principes internationalistes ou par de simples considérations économiques ou stratégiques ?

4. — Si l’on veut réaliser la fédération européenne, par où faut-il commencer ? Une simple alliance militaire y peut-elle contribuer ? Ne risque-t-elle pas, au contraire, de donner à chacun et procurer de l’influence à des forces sociales essentiellement nationalistes ?

5. — Une union simplement économique est-elle possible ? Le nombre d’intérêts particuliers que chaque gouvernement national est obligé de protéger rend-il une telle union possible sans une autorité politique fédérale capable de l’imposer ?

6. — Quelle importance attribuez-vous aux divers accords régionaux européens conclus depuis la fin de la guerre ? Les croyez-vous susceptibles de faire un pas concret dans le sens d’une fédération organique de l’Europe ? Considérez-vous Benelux comme un succès ? L’expérience Benelux a-t-elle été entamée comme elle aurait dû l’être ? N’a-t-on pas eu le tort, faute d’avoir instauré une autorité commune capable d’imposer une union immédiate, d’avoir laissé se constituer deux structures économiques différentes qui rendent cette union plus difficile à réaliser qu’elle ne l’était il y a quatre ans ?

Le pacte à cinq est-il en fait autre chose qu’une alliance militaire dans le style classique ?

La conférence des seize a-t-elle vraiment réalisé un plan de coopération économique ou a-t-elle plutôt souligné les rivalités (toute répartition des crédits étant au demeurant décidée uniquement à Washington) ?

7. — Si vous admettez la nécessité première d’une union politique, à qui incomberait, à votre avis, la constitution de celle-ci ? Aux gouvernements ? A l’Union Parlementaire Européenne ? L’initiative doit-elle venir d’un mouvement de masses ?

8. — Admettez-vous que, pour la réalisation de la fédération européenne s’unissent des mouvements politiques antagonistes ?

Quel est selon vous le minimum d’unité de vues requis :

1°) en matière politique
2°) en matière économique et sociale ?

9. — Sur quelles bases estimez-vous que devraient être organisés les domaines coloniaux des divers pays européens au cas où ceux-ci se fédéreraient ?

 

Réponse de Marceau Pivert

Marceau Pivert, le militant bien connu de la S.F.I.O., qui ne s’est jamais départi d’un socialisme radical dont l’internationalisme constitue l’une des pierres angulaires, est actuellement l’un des dirigeants du parti socialiste français en même temps que de l’organisation des « Etats-Unis Socialistes d’Europe ».

Nous devons travailler à la constitution d’une communauté européenne dont l’économie serait planifiée et contrôlée par les travailleurs — et dont les institutions politiques seraient démocratiques et fédératives, chaque collectivité déterminant elle-même librement les fonctions qu’elle entend conserver et les délégations qu’elle consent à remettre à un organisme administratif supérieur : régional, national, fédéral.

L’Europe ne doit pas être une sorte de nation agrandie géographiquement. Elle doit être le centre de cristallisation d’une fédération universelle des peuples libres. Pour remplir cette fonction historique, elle doit d’abord prendre conscience d’elle-même, de ce qui caractérise ses valeurs de civilisation — et créer la base économique correspondante, aussi indépendante que possible des influences impérialistes extérieures. Ce centre de cristallisation n’est pas seulement installé dans le cadre de l’Europe géographique : il doit entraîner avec lui, dans un consentement spontané, aussi bien Dakar que Melbourne ou Ottawa que Bombay ou Saïgon. Notre Europe doit être le lieu géométrique de toutes les forces sociales et de toutes les tendances constructives qui cherchent à associer la technique moderne et la libération de l’homme, l’organisation économique rationnelle et la liberté du citoyen. C’est donc une Europe anti-impérialiste et anti-totalitaire.

Toutes les considérations économiques, politiques, morales, internationales, toutes les inquiétudes et toutes les données des problèmes contemporains relatifs aux valeurs de civilisation dont il faut assurer la préservation, nous conduisent à l’EUROPE. Sans la construction de l’Europe, terre de libre recherche et de création continue dans tous les domaines, tout est compromis de ce qui nous est le plus cher : paix, justice sociale, liberté.

Il ne faut surtout pas commencer par une alliance militaire. D’abord c’est absurde, même du point de vue de la défense « militaire » car il convient d’abord de réaliser la base économique planifiée — ou au moins coordonnée — à partir de laquelle on pourra envisager une défense commune de l’indépendance européenne. Toute construction fédérative européenne subordonnée aux exigences d’une alliance militaire est par ailleurs néfaste, cela est aussi vrai pour l’Est Européen intégré dans le système « défensif » de l’U.R.S.S. que pour l’Ouest, s’il se laisse intégrer dans le système « défensif » des U.S.A. Il n’y aura jamais une Europe si les pays européens se laissent transformer en bases stratégiques d’un bloc ou de l’autre. Il n’y aura que des champs de bataille.

Une autorité politique fédérale est indispensable : certes, il y aura des intérêts lésés dans la construction d’une Europe fédérative. Mais ce seront les intéressés eux-mêmes qui devront démocratiquement, et sous la pression des avantages énormes qui en résulteront pour toute la communauté, envisager les étapes d’adaptation et de transformation de structure; la discipline fédérale devra être librement consentie.

Les efforts régionaux sont autant d’expériences utiles. Ils permettent de mettre en évidence ce qui doit être évité à une échelle plus grande — et ce qui peut réussir… Le principe à protéger est le suivant : toute nation, toute région, toute localité « bien douée » pour produire au meilleur prix, c’est-à-dire dotée de ressources naturelles de techniciens, de composition supérieure, doit être développée et produire au bénéfice de tous, sans servitude ni interruption. La comparaison des résultats, des rendements, des prix de revient, des standards d’existence du travailleur est une question de statistique et d’appareils de mesures — surtout si l’on décide de prendre comme unité de mesure une valeur indépendante de la spéculation — un kilowatt-heure par exemple — et non plus un lingot d’or. Le pacte à cinq n’est pas inscrit dans ce cadre : il est un expédient provisoire dangereux : les socialistes et démocrates doivent corriger d’urgence ce qu’il contient de périlleux pour l’avenir : le postulat militariste. Quant aux conférences des (16 ou des 19) il y a encore beaucoup à faire pour qu’elles atteignent les objectifs d’intégration économique qui commandent le futur de l’Europe. Là doivent s’exercer tous les efforts des socialistes et des syndicalistes européens, qui devraient commencer par se réunir en un Congrès fédéraliste européen en vue d’établir leur PROGRAMME SOCIALISTE EUROPEEN et de mobiliser l’opinion pour l’imposer. C’est là l’objectif essentiel, à l’heure présente du Mouvement pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe.

Toute initiative visant à créer une union politique est à encourager : celle des gouvernements, celle des organisations fédéralistes européennes, celle du Mouvement pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe, celle des Parlements, celle des Syndicats… mais toutes doivent être orientées par les grands partis socialistes (qui ont des représentants dans tous ces milieux) vers la convocation d’une Assemblée Constituante Européenne élue directement par les masses populaires. Une telle convocation à caractère révolutionnaire fait partie nécessairement de la stratégie générale du socialisme international. Elle ne peut intervenir que si le socialisme international est d’abord capable de se présenter comme l’espérance suprême, contre la guerre, contre la misère, contre la dictature, et pour la justice sociale. Ce qui implique, pour commencer, que tous les socialistes européens soient amenés à combiner leur politique nationale avec une perspective internationale. En un mot, il faut que les socialistes se comportent en internationalistes. Donc, ils doivent aborder enfin la tâche décisive de notre époque : la construction d’une véritable Internationale socialiste à la fois démocratique et révolutionnaire.

Des mouvements politiques d’origine et d’inspiration différentes peuvent et doivent s’unir pour réaliser la fédération européenne : les seules limites de cette alliance circonstancielle aussi justifiées et aussi nécessaires que les alliances contractées dans la Résistance, résident dans les principes suivants :

1. — L’Europe doit être indépendante : donc elle ne sera pas construite en collaborant avec les agents des impérialismes extérieurs.

2. — L’Europe doit être démocratique : donc elle ne peut pas être construite avec des éléments totalitaires.

3. — L’Europe doit être planifiée en vue de la satisfaction des besoins de la consommation des travailleurs, donc, elle ne peut pas être construite dans le cadre d’une économie de guerre subordonnée aux exigences de l’alliance militaire avec un bloc. En résumé, toutes les forces favorables à la création d’une Europe libre, indépendante, pacifique, et prospère doivent s’unir et agir ensemble.

Enfin les peuples de couleur sont les meilleurs alliés naturels de l’Europe de demain; celle-ci doit donc répudier à l’avance toute exploitation d’un peuple par l’autre : la Fédération n’a de sens que si elle est constituée par des peuples « libres et égaux en droits ».

Dès à présent, une alliance fraternelle est contractée, dont l’efficacité ne pourra que se développer, entre le mouvement pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe et le Congrès des Peuples contre l’impérialisme. Dans cette alliance réside, dès à présent, le potentiel de rénovation et de libération politique le plus puissant qui ait été jamais constitué, le seul capable d’affronter la dynamique périlleuse des expansionnismes de l’Est et de l’Ouest, le seul capable de fournir au monde une autre solution que celle de la Troisième Guerre.

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ANNEXE 2:

Rapport de la deuxième conférence internationale pour les États-Unis socialistes d’Europe (Paris, 21 et 22 juin 1947)

Conférence de Montrouge
Samedi matin 21 juin

La Conférence est ouverte le Samedi matin 21 juin à 10 heures sous la présidence de Bob Edwards, I.L.P. président du Comité International pour les U.S.S.E.

On note au bureau: —

JOHN MCNAIR (Angleterre).
JEF LAST (Hollande).
WITTE (Grèce).
GIRONELLA (Espagne).
HENRI FRENAY (France).

Quatorze pays Européens sont représentés par des responsables de partis socialistes, des syndicalistes, des pacifistes, des co-opératistes, des déportes, des intellectuels. (La liste des délégués a été donnée un peu plus haut dans la brochure).

Le maire de Montrouge, M. Thill, accueille les congressistes par une allocution de bienvenue.

BOB EDWARDS, I.L.P. après avoir remercié M. Thill, déclara alors la Conférence ouverte et retraça en quelques mots la ligne générale des travaux de ces 2 jours:

« Notre réunion d’aujourd’hui est d’importance primordiale. A ceux qui pensent que nous n’aboutirons pas, demandons-leur de bien regarder autour d’eux les changements qui se sont passés dans le monde ces dernières années.
« Les peuples coloniaux se sont mis en marche vers l’indépendance nationale, première forme de liberté…
« Le pouvoir du capitalisme croule; les banques, les industries-clés échappent déjà en de nombreux pays à la possession des capitalistes classiques… Les peuples de l’Europe, commencent à réaliser et à demander un régime basé sur l’abondance… C’est à nous d’activer et de co-ordiner tous ces mouvements.
« Nous devons d’abord ériger une barrière contre la 3e guerre mondiale que beaucoup de gens jugent inévitable… Nous avons donc aujourd’hui, à nous prononcer sur les perspectives, les possibilités et les chemins d’un socialisme International…
« … Nous aurons par ailleurs à nous occuper des problèmes concrets de l’Allemagne, aujourd’hui objet de la lutte entre les deux grands géants hors d’Europe: U.R.S.S. et U.S.A. — des problèmes tragiques du peuple Espagnol et de la Grèce — c’est à nous de travailler pour que ce mouvement aboutisse au triomphe de la classe ouvrière Européenne. »

DOCTEUR JACQUES ROBIN, Secrétaire général de la Conférence:

« L’ordre du jour appelle la discussion autour du texte général intitulé ‘Les Etats Unis Socialistes d’Europe seul moyen de surmonter la crise économique et sociale et barrage à la 3e Guerre Mondiale. »

(cf. plus bas « Document »)

Je suis chargé de vous apporter quelques suggestions au nom du comité.

Vous avez tous reçu ce texte depuis plusieurs jours. Il ne s’agit pas là d’une résolution, mais dans l’esprit du Comité d’un schéma d’étude servant de base à une discussion générale. Il ne s’agira donc pas d’en peser chaque terme mais de voir ensemble si nous pouvons nous mettre d’accord sur les perspectives générales qui y sont ébauchées.

Dans notre document nous constatons que la polarisation du monde s’effectue à une vitesse chaque jour croissante autour des 2 grands blocs: U.S.A. et U.R.S.S. Les conditions géographiques et démographiques de ces 2 géants, leurs ressources économiques, alliées à la concentration industrielle nécessitée par la dernière guerre, les font devenir les centres de deux immenses organisations.

Mais si l’Amérique garde le schéma extérieur du capitalisme, la Russie par contre est constituée sur une économie planifiée bureaucratique. Leurs intérêts divergents ne peuvent rester longtemps sans s’affronter. Leurs idéologies mêmes portent des drapeaux différents: Liberté pour les Etats-Unis, Justice Sociale pour l’U.R.S.S. Il est facile d’avancer que leur opposition existe déjà; elle conduira vraisemblablement à la 3e guerre mondiale.

En face de cette situation objective, l’immense majorité des participants à cette conférence refuse le dilemme posé. Nous croyons au contraire que le niveau de vie moyen de l’Europe, son passé historique, sa prise de conscience des problèmes lui permettent, sur une base économique viable, de poser hardiment la synthèse entre cette planification économique socialiste que les Etats-Unis repoussent et ces libertés fondamentales de l’homme que l’U.R.S.S. néglige. Nous ne disons pas « 3e bloc »; nous disons si vous voulez « 3e force », mais non pas encore une fois comme une opposition aux deux autres, mais comme résultat d’une synthèse entre les deux termes majeurs.

SOCIALISME ET LIBERTE

Notre texte a eu pour but de montrer que l’organisation d’une Europe est économiquement possible et que la libre association avec les peuples d’outre-mer (que l’histoire a liés au destin de cette Europe) peut poser les premiers jalons du début d’une plus vaste synthèse mondiale.

Mais sur quelle force sociale et idéologique pourra s’appuyer cette synthèse européenne ?

Pour nous, une seule réponse: « Le Socialisme International. » Nous pensons que l’union de tous les travailleurs au dessus des barrières nationales est, dans les conditions actuelles, le seul axe de référence de progressivité de notre société, et le seul barrage effectif encore possible à la guerre atomique.

Mais justement il s’agit maintenant d’en définir les « perspectives concrètes de 1947 », les possibilités, les modes d’action.

Dans cette première étape d’élaboration de principe des Etats-Unis Socialistes d’Europe nous serions heureux que la Conférence se penche sur des problèmes bien concrets. Nous voudrions que vous tous ici nous donniez une réponse claire sur les points suivants :

1. Les conditions historiques de 1947 nous permettent-elles d’inclure de suite la Russie dans cette organisation géographique Européenne ?

2. Quel processus pratique pouvons-nous envisager pour pousser à une organisation socialiste européenne? En un mot, devons-nous gagner chaque état européen au Socialisme ou bien certaines planifications économiques détermineront-elles déjà un noyau autour duquel on pourra édifier rapidement une Europe Socialiste ?

3. Pouvons-nous penser encore, après les échecs des organisations de paix mondiales connues jusqu’ici, qu’une limitation des souverainetés nationales suffira ? Ou bien devons-nous poser le principe formel d’une fédération de peuples et non de gouvernements ?

… Telle était la ligne générale de nos préoccupations il y a quelques semaines encore. Mais les événements sont vite. Et ce mot d’Europe, objet de risée d’hier, est brusquement à la mode depuis quelques jours.

Le général Marshall propose sur le papier un plan d’organisation de l’Europe. Magnifique plate-forme qui peut nous permettre de dégager le processus historique actuel et d’en faire une arme de combat.

… Quel est en effet le sens de cette offre et quelles peuvent en être les conséquences ?

Nous disons que cette offre peut être, soit un instrument servant à mieux diviser encore l’Europe en deux blocs, soit un premier gage d’une organisation de paix du monde.

Nous voyons déjà les bourgeoisies européennes reprendre leurs essais antérieurs de s’organiser sur le plan européen. Si l’offre Marshall est acceptée seulement par les nations qui de jour en jour se polarisent dans le camp américain, elle ne sera qu’une manière habile de réorganiser l’Europe pour le service de l’Amérique.

L’offre Marshall n’a un sens de paix que si elle est acceptée sans conditions politiques et économiques de dépendance — c’est-à-dire, si elle est utilisée par les Européens eux-mêmes sur les bases d’une planification en faveur de l’élévation du niveau de vie des peuples européens et non des bourgeoisies européennes.

Telle est la prise de position du Comité. A vous camarades, de fixer clairement ces perspectives. Je crois que cette proposition Marshall peut être l’occasion pour nos forces socialistes d’apporter nos propres solutions à ces problèmes. Nous aurons fait un grand pas si solennellement nous établissons cela avant la conférence des gouvernements !

Un dernier mot: je suis persuadé que le titre « Etats-Unis Socialistes d’Europe » donnera lieu à nouveau à des controverses. Je redis, que nous prenons ce mot « Etat » dans le sens géographique du terme. Il n’est pas question de donner à ce mot le contenu politique habituel.

Pour terminer, je voudrais souligner notre joie de voir réunis ici des diverses tendances du Mouvement Socialiste. Cette réunion par elle-même est symbolique. Si nous osons parler sans démagogie, si nous osons nous préoccuper de solutions concrètes, alors nous pouvons espérer redonner toute sa plus grande vie au Socialisme International.
Il s’agit d’aller jusqu’au bout de notre action. Vive le Socialisme International ! Vivent les Etats-Unis Socialistes d’Europe !

ZARAMBA (Parti Socialiste Polonais non gouvernemental) :

… Dans cette Conférence placée sous le signe de l’Europe Socialiste unifiée il est nécessaire que la voix des pays européens, où la vie politique est jugulée, se fasse entendre: la voix des pays de la zone d’influence soviétique. L’impérialisme soviétique impose aux pays d’Europe Centrale et de l’Est des gouvernements Soviétiques. C’est uniquement l’occupation militaire exercée dans ces pays par l’U.R.S.S. qui donne à ces gouvernements la possibilité de garder le pouvoir…
Toutes les institutions démocratiques sont détruites. La police de sûreté soviétique agit avec vigueur. Il ne peut être question de parler de socialisme.
… Nous n’avons pas ici à apprécier les conditions le lutte pour la liberté et la démocratie; mais nous devons tirer des conclusions pratiques et poser le principe de l’unité européenne.
… Car aujourd’hui, Pologne, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Autriche, constituent simplement un rempart de défense pour la Russie et ne sont pas des parts de l’Europe. Nous devons d’abord dissiper les équivoques à ce sujet… Ce que nous voulons c’est le travail dans la liberté.
Aucun peuple ne souffre autant du déchirement actuel de l’Europe que ceux qui se trouvent dans la zone d’influence soviétique. Aussi est-ce dans ces pays que l’idée des Etats-Unis Socialistes d’Europe trouve le plus grand retentissement.

ALEXANDRE MARC (Président du l’Union Européenne Fédéraliste) :

« Je vous apporte le salut fraternel de tous les mouvements fédéralistes d’Europe, à la place de notre président le Dr. Brugmans parti précipitamment en Italie.
Ce que je tiens à constater dès le début, c’est que dans les documents qui nous ont été remis les thèses exposées au nom des Etats-Unis Socialistes d’Europe sont identiquement les mêmes que celles que nous soutenons au sein des mouvements fédéralistes. Je dirai, quant à moi, que je n’ai aucun mot de réserve à apporter dans ce débat.
Nous considérons que dans la situation présente, et en présence de ce choc qui paraît inévitable (mais que nous ne devons pas considérer comme inévitable) entre les deux blocs, Américain et Russe, il n’y a pas de meilleure méthode de lutter pour la paix, que de constituer une troisième force.
… Cette force, c’est l’Europe unie, mais l’Europe unie sur quelle base? Eh bien, c’est là que le terme de socialisme peut être, certes, lancé dans le débat. Mais nous avons remarqué qu’il provoquait quelquefois des malentendus, dont voici je crois les deux principales raisons :

1. C’est que le socialisme s’identifie dans l’esprit de beaucoup de gens, avec les partis socialistes.

Or, je crois que je ne blesserai personne ici en disant que nombreux sont les partis socialistes dans divers pays qui ont déçu l’attente des révolutionnaires, les aspirations des masses. Cette déception est telle que l’identification du socialisme avec les partis socialistes risquerait de paralyser pour une part notre effort.

2. La situation économique et sociale est telle en Europe que des couches toujours plus vastes de la population européenne se trouvent en état de prolétarisation avancée mais la conscience de ces couches ne représente pas nécessairement le processus économique avec une nécessité inéluctable; ces couches sont socialistes par leur situation économique et sociale et également par leurs aspirations obscures. Mais elles ne sont pas socialistes dans l’affirmation politique de leurs idées. Ces couches peuvent être influencées par la doctrine chrétienne dont vous savez maintenant l’importance en Europe.
Ces couches sont parfois réticentes devant le socialisme officiel pour des raisons en partie valables et en partie liées à des préjugés.
C’est pourquoi à l’étiquette socialiste, nous avons préféré à l’Union Européenne des fédéralistes le « contenu » Socialiste.
Dans nos congrès, dans nos travaux, dans nos résolutions, nous cherchons à préparer les bases d’une action socialiste réelle: BASE de planification et ce terme n’étant pas hypothéqué par des incidences étatiques, BASE de distribution des matières premières, BASE d’organisation des grandes fonctions économiques européennes et mondiales et c’est cela le contenu socialiste que nous essayons de propager à travers l’Europe par le canal de tous les mouvements fédéralistes qui sont groupés au sein de l’U.E.F. C’est pourquoi un effort comme le vôtre nous paraît particulièrement précieux, car il est évident pour nous, que notre effort fédéraliste ne réussira que dans la mesure où il s’appuiera sur une doctrine économique et socialiste cohérent qui permette de faire de l’Europe une réalité.
Devant une proposition comme la proposition Marshall, quelle peut être notre attitude commune ? Nous sommes convaincus que les gouvernements actuels dans le régime social actuel et dans les cadres politiques actuels, sont incapables d’appliquer une aide efficace à l’Europe sans trahir en même temps certaines des ces valeurs sacrées que nous avons le droit et le devoir de défendre…

CHARLES HERNU (Secrétaire General du groupement travailliste pour les Etats-Unis d’Europe) :

« … Je vous apporte l’accord général de principe de notre mouvement… Nous pensons nous aussi que les Etats-Unis Socialistes d’Europe ne peuvent se concevoir contre la Russie, mais nous devons envisager le cas où elle refuse d’y collaborer.
… Accord global sur le document de base proposé… »

SIMON WICHENE (Secrétaire général de la confédération générale des Internés, Déportés politiques de la Résistance) :

« Je vous apporte ici l’adhésion et le salut amical de la Confédération Générale des anciens internés et déportés de la Résistance, section française de l’union Internationale contre le racisme qui groupe actuellement les représentants de quarante nations mondiales.
… Nous tous, qui avons souffert dans nos camps de l’horrible et récente guerre, sentons très bien que la politique des deux blocs rivaux risque à nouveau de mettre l’Europe et le monde à feu et à sang… Nous sentons également que ce sont les fondements économiques de notre société qui ne permettent plus maintenant d’organiser la paix et le bien-être alors que pendant la guerre ces mêmes pays étaient capables d’organiser toutes les conditions des tueries… J’ai l’avantage d’être à la fois un socialiste, un rescapé des camps et un israélite, et je n’ai pas eu peur de mettre ma main dans la main d’un Allemand, parce qu’il avait souffert comme moi dans les camps.
Nous ne devons pas, malgré toutes les cruautés du nazisme, confondre avec les nazis ceux qui ont lutté et luttent encore contre ceux qui ont préparé le terrain au nazisme bien avant qu’il ne soit lui-même au pouvoir. Voilà notre thèse, voilà pourquoi nous adhérons au mouvement des Etats-Unis Socialistes d’Europe. »

PRUDHOMMEAU (Journal Anarchiste « Le Libertaire ») :

… Nous devons avant tout nous poser cette question: pourquoi les masses semblent-elles indifférents à la création d’un mouvement qui porte en lui cependant les espoirs les plus légitimes de toutes les masses travailleuses de l’Europe ?
C’est la conception même du mot Etat qui doit être expliquée. Les Etats Unis Socialistes oui, mais est-ce que des Etats peuvent être vraiment unis sans abdiquer de ce fait même leur titre et leur caractère même d’Etat et peuvent-ils être alors Socialistes, c’est-à-dire des sociétés sans classes? … Le mot fédéralisme, c’est la correspondance d’une organisation sociale de bas en haut et qui prend son point de départ non pas dans des entités politiques existant aujourd’hui (puisqu’autrement, nous pourrions dire que les Etats Unis Socialistes d’Europe devraient déjà exister puisque des majorités socialistes sont à la tête des principaux gouvernements d’Europe) mais les gouvernements entre eux, sont divisés par des questions qui sont insolubles sur le terrain de la démocratie internationale et que la reconstruction fédéraliste de l’Europe et du monde est quelque chose à reprendre depuis la base jusqu’au sommet.
Or, la base, c’est la personne humaine et l’individu…

LANGKEMPER (Parti Socialiste Hollandais) :

… Il est indispensable que notre appel soit entendu des intellectuels et des techniciens; nous devons montrer à ces derniers que nos solutions sont également celles qui leur permettront de développer le mieux possible leurs techniques… Il est indispensable que nous travaillions en accord avec tous nos amis de la Fédération Européenne; ce n’est pas le temps de disperser nos efforts… Je vous apporte notre accord sur le texte général proposé.

GIRONELLA (Espagne P.O.U.M.):

« … La crise que nous traversons n’est pas seulement une crise de régime: c’est même une crise de toutes les tendances du Socialisme. Et nous ne surmonterons pas la crise de l’Europe sans surmonter la crise du mouvement socialiste.
Jusqu’à aujourd’hui, l’Europe avait une direction: certes c’était la bourgeoisie, le capitalisme; mais toutefois c’était une direction. Le Socialisme représentait un mouvement révolutionnaire contre cette bourgeoisie qui allait peu à peu en se décomposant. Aujourd’hui la décomposition bourgeoise arrive à son extrémité mais justement la question est maintenant de savoir si le Socialisme sera capable de passer d’un mouvement d’opposition à un mouvement constructif capable d’organiser la vie même de l’Europe.
La deuxième grande question pour le socialisme est de poser tout problème d’organisation non plus sur le plan national mais à une échelle plus grande et notamment pour ce qui nous intéresse: l’Europe.
La troisième grande question est de ne pas laisser substituer les Etats bureaucratiques aux Etats bourgeois… Il faut que nous entraînions avec nous dans un mouvement d’ensemble les masses ouvrières, les intellectuels, les techniciens, autrement nous échouerions.
Cependant, un point capital: nous sommes ici un congrès de toutes les tendances socialistes: Ce peut être un signe de force si nous osons alors parler franchement et poser les réels problèmes. »

BALLANTINE (Exécutif d’Indépendant Labour Party) :

« … Il est certes impossible que l’Europe puisse vivre sur les bases qui ont été jetées à Potsdam et à Moscou. Il n’y a aucune raison pour que l’Europe ne puisse pas produire presque tout ce qui est nécessaire à la consommation courante. Mais ceci est impossible tant que l’Europe est divisée. Seule une économie socialiste planifiée peut arriver à ce résultat.
Dans certains coins de l’Europe il y a du charbon et pas de fer, dans d’autres coins il y a du fer et pas de charbon. Actuellement, le système de transport est complètement disloqué. Dans certains coins il y a des hommes sans travail, dans d’autres coins, ce sont les machines qui ne travaillent pas. La solution est simple: essayer de marier les matières premières qui existent encore et marier les techniciens avec les ouvriers dans toutes les usines. Si cela était fait, l’Europe pourrait se suffire du point de vue économique, du point de vue industriel… L’autre grande question est la nécessité du contrôle par les ouvriers.
La solution que nous préconisons est le contrôle technique des ouvriers techniques sur la base planifiée socialiste, mais sur cette base seulement. Le reste est illusoire. »

Fin de la séance du matin.

Séance du samedi après-midi le 21 juin

Président : LUCIEN VAILLANT (Commission Exécutive de la Fédération de la Seine du Parti S.F.I.O.)

A la tribune on remarque :

BOB EDWARDS (I.L.P. Président du Comité U.S.S.E.).
DAGNINO (Parti Socialiste des Travailleurs Italiens).
LEOPOLD (Parti Social Démocrate Allemand).
MARCEAU PIVERT (Parti S.F.I.O.).
JOHN MCNAIR (Secrétaire Général, I.L.P.).
BORDES (Syndicaliste).

GOLDSCHILD (S.F.I.O.) :

« … Je pense que si l’U.R.S.S. ne veut pas s’inclure dans l’Europe, l’Europe sera sans l’U.R.S.S. Il ne dépend pas de nous que l’U.R.S.S. soit incluse dans l’Europe, cela dépend de l’U.R.S.S. seule…
… Nous devrons insister encore davantage sur l’absolue nécessité de penser dans le sens « Europe d’outre-mer. »
… Pour moi dans le projet d’aujourd’hui ce qui m’intéresse avant tout c’est le noyau de départ pour les Etats Unis Socialistes du monde; peut-être le problème est-il déjà de créer la base d’une fédération mondiale des peuples. »

PUIS TCHAKHOTINE (Secrétaire Général de la Confédération Française des Forces économiques et sociales) :

apporte l’accord complet de son organisation.

HENRI FRENAY (ancien ministre, secrétaire général du mouvement « Socialisme et Liberté ») :

« … Dans notre ère atomique, je pense qu’un des problèmes capitaux est de bien faire comprendre aux hommes que les souverainetés nationales qui ont été nécessaires à une étape déterminée de l’évolution historique ne correspondent plus maintenant en rien aux nécessités du moment.
Si nous persistons coûte que coûte, malgré les évidences, alors ne nous plaignons pas de ce qui nous arrivera. Il est clair que c’est grâce à ces souverainetés nationales que peuvent se développer les esprits nationalistes.
C’est ainsi qu’on continuerait à nous faire croire que la sécurité des hommes et des femmes de chaque nation réside dans l’édification d’une ligne Maginot ou Siegfried, qu’on continuerait à nous affirmer que les crédits militaires sont nécessaires pour nous défendre, alors qu’ils n’ont qu’un résultat, soustraire des besoins alimentaires aux différents peuples. Au siècle où nous sommes, je crois qu’on devrait retenir cette formule: L’internationalisme est un devoir.
… Le 2e point qui me paraît capital est de faire rejoindre dans une même lutte, la classe ouvrière, déjà depuis 100 ans à l’avant garde du combat, et tous les cadres, tous les techniciens qui, s’ils ne sont prolétaires dans le sens étroit du terme, ont eux aussi maintenant les mêmes buts: la paix, le socialisme et la liberté. »

FENNER BROCKWAY (Labour Party Britannique):

« … Dans le Labour Party, existe un groupe de camarades de plus en plus nombreux qui demandent à ce que le gouvernement Britannique ait une conception de la politique internationale au dehors de l’U.R.S.S. et des U.S.A. et par contre franchement européenne. Nous devrons prendre contact avec ce groupe pour envisager une action commune.
… Après avoir examiné le très beau document présenté par le Comité, je suis heureux de déclarer mon accord complet avec ce travail.
… L’offre Marshall pourrait conduire facilement à la colonisation de l’Europe et être une manœuvre contre l’U.R.S.S. Par contre si l’on pose les jalons d’une planification socialiste, alors cette offre prend une grande valeur.
… Mais les problèmes urgents sont les problèmes concrets d’organisation industrielle. Nous avons en Europe presque tous les minéraux dans le bassin de la Ruhr. Ce qu’il faut c’est que ces minéraux soient répartis non par les trusts mais par le peuple européen, que ces économies soient socialisées. Il faut que la production de l’Europe centrale soit envoyée dans l’Europe de l’Est, du Sud, du Nord afin que nous puissions établir l’équilibre économique.
Finalement il faut socialiser le charbon de l’Europe; socialisation complète de tous les minéraux et distribution au fur et à mesure des besoins des populations européennes pour éviter les différences de niveau de vie d’un pays à un autre.
Malgré toute la haine que nous avons contre l’oppression, que ce soit l’oppression soviétique, fasciste, nazie ou toute oppression, nous devrons toujours garder notre mentalité internationale.
Nous sommes en opposition à la domination russe aux Dardanelles, nous sommes en opposition à la domination américaine au Panama et au canal de Suez… Le grand problème qui reste, c’est nos relations avec nos frères de couleur dans toutes les anciennes colonies.
Aucun pays n’a le droit de dominer un autre pays. Nous désirons insister d’abord sur l’indépendance complète pour toutes les colonies. Ce sont justement ces colonies qui peuvent nous donner les matériaux premiers qui nous manquent, qui peuvent nous donner une possibilité de vie par nos propres moyens et ainsi nous pourrons faire une économie qui soit européenne.
Sur ces bases, nous pourrons espérer bâtir finalement les Etats-Unis Socialistes d’Europe. »

M. LAVAL (Parti communiste internationaliste) :

« … Je vous apporte d’abord le fraternel salut du Parti Communiste internationaliste, section française de la 4ème Internationale.
… Il n’est pas suffisant de proclamer: ‘nous sommes pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe’ et de penser qu’ils vont naître de notre volonté et de nos espoirs. Le problème se pose ainsi: que voulons-nous faire? Les Etats-Unis d’abord, et le socialisme ensuite? Ou le socialisme d’abord et les Etats-Unis d’Europe après? Nous pensons que la solution est de faire le socialisme d’abord.
… Pour nous, cela signifie dans l’immédiat la lutte contre le chauvinisme. Lutte contre le chauvinisme européen, mais, lorsqu’on est socialiste c’est la lutte aussi contre le chauvinisme en général.
… Cela veut dire en plus, la lutte contre le militarisme. Il faudra donc diriger la lutte contre les crédits de guerre, contre le colonialisme, contre le chauvinisme.
… Je termine par un appel au front unique sur la base de l’anti-militarisme, l’anti-colonialisme et en règle générale contre la bourgeoisie capitaliste qui en fait, empêche dans la réalité, l’arrivée des Etats-Unis Socialistes d’Europe. »

M. MARCEAU PIVERT (Fédération socialiste de la Seine) :

« Je veux simplement mettre au point l’objet de nos travaux et marquer à quel point, en dépit de certaines faiblesses, ils constituent déjà un progrès remarquable par rapport à la dernière conférence, non seulement par le nombre des délégations mais par les analyses et les propositions concrètes qui sont dans vos dossiers et qui sont le résultat d’un travail collectif que nous avons à sanctionner.
Nous sommes tous ici pour essayer de traverser cette première étape qui rencontre des obstacles de toutes natures et qui consiste à mettre côte à côte des idées, à essayer de trouver le langage qui puisse convenir aux camarades de différents pays, qui ont des origines différentes, des idéologies différentes mais qui, tous, ont compris la nécessité de réaliser aujourd’hui l’Europe, et non seulement l’Europe dans le cadre du vieux régime, mais l’Europe socialiste.
C’est déjà là un travail particulièrement pénible et je veux rendre hommage en passant à ceux de nos camarades d’Angleterre qui ont, déjà, pratiquement, fait le point où nous en sommes en France.
… Nous avons déjà fait un pas en avant. Plusieurs camarades journalistes m’ont posé des questions. En deux mots, je précise que nous sommes ici, une conférence chargée de rechercher les idées communes à des camarades de toute l’Europe qui ont conscience des mêmes dangers. C’est donc sur le plan des idées constructives que nous nous réunissons et non pas sur le plan de décisions.
Il y a eu une conférence à Zurich ou des camarades des partis Socialistes se sont réunis. Cette conférence s’est placée au point de vue politique intérieure des partis socialistes.
Nous ne sommes pas à la conférence de Zurich, mais nous ne sommes pas non plus à la conférence d’Amsterdam qui ne pouvait poser le problème tel que nous le posons de la socialisation des colonies européennes et nous ne sommes pas non plus, dans une conférence où des délégués de partis viennent discuter une politique de parti. Je pense que c’est suffisamment clair. Mais je n’ignore pas que le problème est difficile.
Est-ce que notre travail est inutile? Pas du tout. Il est justement le seul possible.
Il n’y a pas de Fédération européenne s’il n’y a pas de révolution socialiste européenne. Il faut poser d’abord le problème de la révolution sociale pour bousculer et détruire les cadres de la vieille économie nationale.
… Chacun travaille dans son organisation, l’un sur le plan syndical, l’autre sur le plan idéologique; tous travaillent dans le but que nous poursuivons. En ce qui concerne la Fédération Socialiste de la Seine, nous nous y associons. Nous considérons que c’est énorme d’avoir prouvé qu’il y a dans tous les pays des travailleurs socialistes, syndicalistes, des techniciens, des intellectuels capables de trouver le langage commun.
Il faut prendre le monde tel qu’il est, la classe ouvrière telle qu’elle est et nous sommes infiniment plus constructifs en faisant cette démonstration aujourd’hui, aux yeux de tous que si nous avions fait des phrases révolutionnaires pour les imposer à tout le monde.
Nous sommes modestes et nous sommes sûrs de notre chemin. Nous irons jusqu’au bout! »

M. LIMON (Franc-tireur) :

« … La proposition de l’heure, c’est le projet Marshall. On vous a parlé des dangers qu’il présente. On nous a dit qu’il n’y a pas de conditions politiques attachées à ce projet.
De quoi dépend la suggestion qu’il y ait ou non des conditions politiques attachées au projet Marshall? Il y a là un rapport, une confrontation entre deux groupes géographiques, les Etats-Unis et l’Europe. Or Les Etats-Unis, ce n’est pas seulement le gouvernement de Washington, les diplomates, c’est aussi les travailleurs des Etats-Unis.
Ne croyez-vous pas que si l’on faisait un appel aux travailleurs américains en disant que leur politique vise une certaine domination impérialiste de l’Europe, nous pourrions arriver à un résultat?
… Par ailleurs, dans les statistiques du texte, les ressources matérielles de l’Europe sont vraiment considérables et peut-être, en chiffres absolus plus élevées que celles de l’Amérique. Mais, si l’on divise les ressources on s’aperçoit qu’ils ne sont pas si élevées qu’on le laisse entendre dans ce projet… Je dis que si les partis socialistes officiels n’ont pas voulu mandater régulièrement, officiellement, les membres de leur parti pour assister à une conférence essentiellement internationaliste dans l’esprit, comme le nôtre, c’est que leur propre esprit n’est pas internationaliste.
Marceau Pivert a dit tout à l’heure, avec juste raison d’ailleurs, il faut constater hélas, que depuis plusieurs années la classe ouvrière, aussi bien en France que dans l’Europe entière, manifeste une certaine impuissance.
Croyez-vous que face à cette impuissance dans un monde capitaliste en putréfaction, c’est-à-dire dans un monde où le capitalisme n’a plus de possibilités de vivre et où la classe ouvrière est impuissante à prendre sa succession, croyez-vous qu’il doit y avoir un vide après le capitalisme en attendant le socialisme? Non, l’histoire ne connaît pas de vide et ce vide a déjà été comblé dans de nombreux pays d’Europe.
Lorsque par exemple on pose la question à nos chers camarades Anglais; pourquoi n’êtes-vous pas du Labour Party? Ils répondent: parce que le Labour Party au gouvernement n’a pas un programme de construction socialiste de l’Angleterre. Croyez-vous que l’on puisse dire en France même, où l’Etat fait les nationalisations, où l’Etat tout puissant s’efforce de contrôler ou désorganiser l’économie, que nous soyons là en présence de pays capitalistes comme nos pères les ont connus avant la première guerre mondiale?
Non, je dis qu’il y a là un phénomène nouveau, d’un capitalisme incapable de vivre.
Ce phénomène c’est que précisément, dans ce rapport d’évolution singulière entre un capitalisme devenu de plus en plus impuissant et un gouvernement ouvrier socialiste n’arrivant pas à conquérir le pouvoir; il y a une troisième force qui se dresse. Nous en avons des exemples déjà dans maints pays d’Europe. Elle est composée par des Etats-majors politiques, par des patriotes démocrates, des syndicats et des partis ouvriers.
… Cette troisième force, c’est l’Etat politique puissant qui domine et la politique et l’économie et la vie privée et sociale de chaque individu. Cet Etat précisément, devient l’apanage de certains états-majors politiques qui sont d’origine sociale diverse suivant le rapport de forces qui existait dans les pays au moment de cette conquête de l’état par cette troisième force.
… Les partis officiels se donnent comme principe, comme conception générale, l’augmentation de la puissance nationale qui n’a rien à voir avec le socialisme ni avec les intérêts de travailleurs.
… Je voudrais attirer votre attention sur l’existence de ce troisième danger et ce danger existe même dans les partis socialistes.

JEF LAST (Hollande — Rédacteur en chef de la revue « De Vlam ») :

« … Nous vivons actuellement dans un jardin zoologique où chaque peuple est enfermé dans un Etat nationaliste. La nationalisation planifiée est complètement contraire à tous les intérêts des hommes. Ce que nous avons besoin c’est une Europe planifiée socialiste. C’est pourquoi la délégation hollandaise donne son plein accord au texte présenté. »

 

*

A ce moment de l’après-midi, le Secrétariat propose la résolution suivante pour base de discussion d’une résolution générale.
Il invite toutes les délégations à en prendre connaissance, à en discuter les termes et à fournir des amendements ou des positions nouvelles:

Voici le texte no. 1 de la résolution générale avant sa discussion:

A la suite de la Conférence tenue à Londres au mois de Février dernier et dans le cadre des décisions qui y furent prises, les participants à la Conférence de Paris pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe, réunis à la Mairie de Montrouge le 21 Juin 1947, ont adopté les résolutions suivantes. Ils décident :

1. De poursuivre et d’intensifier leur action à laquelle les événements actuels confèrent une justification et une urgence accrues.
2. Que l’Europe ne saurait se concevoir sans la totalité des peuples qui appartiennent historiquement à cette communauté. L’Europe a ses frontières aux différentes mers qui la baignent et, dans les conditions actuelles, aux limites occidentales de l’U.R.S.S.
3. Ils en appellent aux formations socialistes, syndicales et aux masses immenses qui attendent le renouvellement des structures politiques, économiques et sociales dans la ligne que trace l’évolution historique pour lutter par tous les moyens contre le principe anachronique et meurtrier des souverainetés nationales, générateur de haine, de misère et de guerre.
4. Ils affirment, une fois de plus, que c’est par le transfert des souverainetés nationales à un gouvernement fédéral que prendra fin l’état d’anarchie politique et économique de l’Europe.
5. Ils déclarent leur opposition à toute forme d’étatisme totalitaire. Aux étatisations bureaucratiques, ils opposent le système des socialisations à la base remettant entre les mains des travailleurs manuels, techniques et intellectuels les clefs et le moteur de l’économie.
6. Devant l’offre d’aide à l’Europe faite par le Général Marshall, ils estiment que c’est aussi nécessaire pour l’Europe à recevoir qu’à l’Amérique à dispenser, ne saurait pas être assortie de conditions politiques avouées ou non. L’Europe qui ne manifeste à personne son hostilité n’accepterait en aucun cas de servir d’instrument à une politique d’hégémonie d’où qu’elle vienne.
Devant le danger de guerre croissant on appelle aux peuples de l’Europe pour prendre conscience de leur unité et apporter à leurs problèmes actuels les deux seules solutions qui s’imposent :
Politiquement : Le Fédéralisme Européen
Economiquement : Le Socialisme Européen.

Puis la discussion générale reprend :

AYME GUERIN (Mouvement Socialiste de l’Abondance) :

« … Le texte qui nous a été remis tout à l’heure m’oblige à apporter des réserves assez importantes.
Tout d’abord, on nous dit: ‘L’Europe a ses frontières aux différentes mers qui la baignent et, dans les conditions actuelles, aux limites occidentales de l’U.R.S.S. Soyons clairs, ce texte exclut la Russie soviétique de l’Europe. Je ne suis pas particulièrement Stalinien. Mais je dis qu’au départ une exclusion de ce genre est indiscutablement un péril. Je prétends qu’il faut inviter la Russie Soviétique.
… Je pense que nous devons aller aux Etats-Unis Socialistes du monde, que ce qui compte pour nous, c’est l’union mondiale; les Etats-Unis Socialistes d’Europe ne peuvent constituer qu’une étape provisoire vers cette union mondiale à laquelle nous tendons.
… D’autre part, il faut remettre aux travailleurs manuels et intellectuels les clés de l’économie.
Là encore, comme étape je l’admets, mais comme étape seulement. Ce ne sont pas les travailleurs qui sont les chefs du régime économique, car le régime économique n’est pas fait pour eux, le régime économique est fait pour les consommateurs.
… La seule solution qui paraît assurer le bien-être humain, c’est l’économie distributive de l’abondance volontairement produite par le progrès moderne. »

CILIGA (Yougoslavie):

« … Nous sommes tous d’accord pour constater que l’Europe a déjà perdu l’essentiel de ce qu’elle avait avant 1939, c’est-à-dire, la position de l’hégémonie mondiale.
… Nous sommes tous d’accord que nous en sommes là par la politique stérile de la bourgeoisie nationaliste, mais, ce n’est pas seulement la responsabilité de la bourgeoisie nationaliste qu’il faut envisager; il y a eu aussi la faiblesse du prolétariat pour opposer une politique constructrice à la politique destructrice de la bourgeoisie.
… Il y a peut-être dans notre programme une clarté insuffisante. Il y a une troisième chose dont nous n’avons pas encore parlé: thèse fondamentale, thèse qui porte un danger qui, par avance, empêche la victoire finale: c’est le caractère ‘défensif’ de notre Europe socialiste. Car n’oublions pas qu’il y a le peuple russe qui veut s’affirmer dans le monde comme une puissance de premier ordre, qu’il y a le peuple Américain qui croit que c’est le XXième siècle qui doit avoir le visage américain.
Si nous nous unissons tous ensemble, devant nous se pose cette question: ‘Voulez-vous combattre activement pour l’union du monde? Est-ce que ces Etats-Unis Socialistes doivent marquer de leur empreinte les autres continents? Ces Etats-Unis rechercheront-ils une synthèse entre les forces des peuples européens, des peuples Russe et Américain? »

JOHN MCNAIR (Secrétaire Général d’I.L.P. Angleterre) :

« … Nous apportons ici l’accord complet de notre parti au texte général de discussion avec toutefois certains amendements de forme que nous déposons au Secrétariat. »

LIBERTINI (Parti Socialiste des Travailleurs Italiens) :

« … Je suis d’accord sur les principes généraux, mais je crois que nous devons passer à quelque chose de plus concret. Par exemple, on ne peut pas concevoir les Etats-Unis Socialistes d’Europe si l’on ne parle pas de la révolution socialiste dans la Ruhr… Le problème est de discuter de la coordination pour un mouvement socialiste en Europe, de la politique du mouvement socialiste en Europe. »

LAMBERT (Front Ouvrier) :

« … Pour ma part, je démens l’impuissance de la classe ouvrière. La troisième force dont on parle n’existe pas en fait. Ce n’est pas autre chose qu’un système d’essence capitaliste.
… Je défends le droit du peuple Allemand, c’est-à-dire la possibilité de définir son propre sort et se défendre contre toute occupation impérialiste.
… Je déclare que la C.G.T. est incapable d’assurer les tâches de construction des Etats-Unis Socialiste d’Europe tant qu’il y aura des hommes sous la direction du parti communiste…
… Je défends le droit pour les peuples coloniaux de disposer d’eux mêmes. »

SOLANO (P.O.U.M., Espagne):

« Nous sentons fort bien à quel point la social-démocratie est tombée. La crise est profonde; nous pouvons essayer de regrouper les avant-gardes qui désirent surmonter cette crise.

… Il faut suivre un plan d’action comme pour favoriser ce rapprochement.

… Considérez qu’une section de la classe ouvrière suit encore le parti communiste; et l’un des points essentiels de notre tâche immédiate doit consister à reprendre au parti communiste les éléments prolétariens qui suivent encore ce parti. Donc, face aux éléments des deux blocs, front commun de toutes les forces qui veulent renouveler le mouvement internationaliste prolétarien. « 

WITTE (parti archéo-marxiste, Grec) :

« Plusieurs organisations Grecques avaient délégué des camarades qui devaient être présents. Ils ont fait tout le nécessaire mais n’ont pas pu obtenir le visa indispensable de la part du gouvernement français.
Je vous communique cela en même temps qu’une protestation contre cette manière d’agir contre un effort commun, un effort pour le bien de toute l’Europe. Des commissions d’étude des questions techniques et d’autres questions très importantes du point de vue général devront être organisées en vue d’une organisation socialiste d’Europe. Nous déclarons que nous sommes disposés à continuer la lutte sur ce terrain en Grèce. »

BRUNET (Cercles Fédéralistes et Communautaires) :

« Une question reste posée: peut-on réaliser les U.E.S.E. avec les Etats satellites de l’U.R.S.S., Pologne, Yougoslavie, Etats-Baltes. La question reste posée par le texte même qui nous est présenté.
Ne croyons pas qu’on puisse actuellement tout au moins, dissocier ces Etats de l’U.R.S.S. elle-même.
Il est un fait important à noter, c’est que les Etats-Unis d’Amérique qui s’opposaient jusque là à l’organisation d’une Europe libre viennent de prendre position, devenant favorable à l’organisation d’une partie de l’Europe libre, ce qui, par conséquent, favorise en Europe un courant socialiste.
Dans ces conditions, la tâche des organisations socialistes pour la réalisation des E.U.S.E. devient forcément prépondérante. »

La discussion générale est alors close.
Le Secrétaire de la conférence, Jacques Robin prend la parole:

« La discussion a été longue. Souvent, malgré le désir exprimé ce matin même, la discussion s’est éloignée des points précis que nous avions proposés. Malgré les divergences accusées, il est magnifique et réconfortant justement, que des camarades de Grèce et d’Angleterre, de Hollande et d’Italie, des syndicalistes, des anarchistes, des fédéralistes, aient pu s’exprimer librement des problèmes du Socialisme.
Nous avons reçu de nombreux amendements à notre proposition de résolution Générale. Avant de vous en donner lecture, je vous rappelle encore que cette conférence ne se propose pas de bâtir un texte dogmatique. Mais au contraire, de construire un texte qui à la fois résume notre accord moyen et puisse devenir une arme constructrice. »

 

*

A la demande de nombreux délégués, vu l’heure tardive, la lecture et le vote sur les amendements est remise au lendemain matin à 12 h.

La séance est levée à 19 h. 30.

*

Document :

Les Etats Unis Socialistes d’Europe
Seul moyen de surmonter la crise économique et sociale et barrage à la troisième guerre mondiale.

[Ce document, élaboré par le Comité d’Etude et d’Action pour les Etats Unis Socialistes d’Europe est destiné à servir de base au travail préparatoire à la Conférence. Il n’est pas présenté comme document immuable et définitif, mais comme moyen d’échange constructif entre le Secrétariat et les divers participants. C’est à ce titre que nous vous l’envoyons. Il sera discuté au cours de la Conférence, le samedi 21 Juin 1947, et cette discussion fournira les éléments de la Résolution définitive que nous bâtirons ensemble à ce moment.]

[…]

Chapitre III
Les Etats-Unis Socialistes d’Europe
Programme, Forces, Moyens

L’Europe socialiste doit concilier une unification économique planifiée avec une démocratie politique et sociale.

1. Les réalisations socialistes distingueront l’Europe du capitalisme Américain.

La première tâche sera de mettre fin à l’incohérence des économies nationales fermées en dressant un plan de production sur la base des besoins d’une consommation préalablement organisée.

La ligne générale sera, sur le plan européen, de:

a) Terminer les réformes agraires qui doivent supplanter définitivement les vieilles structures féodales restantes.

b) Socialiser la production des matières premières industrielles, les industries clés et les différentes structures capitalistes.

c) Harmoniser la production et la consommation.

Une telle transformation européenne :

Mettra fin aux contradictions nationales traditionnelles.

Elèvera le niveau de vie de tous les peuples européens.

Permettra d’organiser une association libre avec les peuples d’outre mer sans crainte de leur part.

Sur le plan pratique d’une première étape, les réalisations suivantes seront nécessaires :

a) Abolir les barrières douanières.

b) Rationaliser les transports.

c) Annuler les dettes entre nations européennes.

d) Créer un système bancaire européen avec monnaie unique.

2. Les pratiques de liberté distingueront l’Europe du totalitarisme Soviétique.

a) Les conquêtes de la science et de la technique offrent à l’homme la possibilité de s’émanciper de l’esclavage économique et social. Mais, en même temps, la centralisation économique et politique nécessaire pour organiser ces conquêtes menace de substituer à la vieille domination une nouvelle forme d’oppression l’Etat totalitaire.

b) Par ailleurs les nationalisations économiques d’aujourd’hui ne sont réalisées que dans les cadres nationaux et capitalistes de la vieille Europe. Elles menacent aussi gravement les libertés humaines en pouvant devenir dans le futur des structures d’oppression totalitaire.

Aussi la démocratie politique doit-elle devenir une vraie démocratie sociale: toutes les forces de production et de consommation doivent être dirigées et contrôlées par la base ainsi que les plans et leurs réalisations.

En effet, seules les socialisations à la base, c’est-à-dire à l’échelle de l’entreprise sont le facteur déterminant de la suppression des classes sans prédominance d’une classe nouvelle. Elles sont en même temps un facteur de paix en laissant les pouvoirs économiques réels, c’est-à-dire les clefs de la guerre ou de la paix entre les mains du peuple lui-même.

Aussi éloignée de la démocratie libérale que de la pseudo-démocratie stalinienne, l’organisation politique et sociale des Etats-Unis Socialistes d’Europe reposera sur les principes suivants :

1. Mettre en place une organisation fédérale démocratique européenne.

2. Simplifier les administrations.

3. Décentraliser au maximum toutes les autres branches de l’activité et prise en charge par chaque collectivité de tous les pouvoirs qu’elle est en mesure d’assumer, ne déléguant aux collectivités supérieures que les pouvoirs qu’elle ne peut réellement exercer.

4. Assurer à toute la jeunesse européenne les conditions d’une préparation technique et universitaire la plus développée possible.

Il sera nécessaire de promulguer :

Une charte des droits communs des citoyens et des peuples européens, qui distinguera :

a) Les libertés individuelles: d’expression; de réunion; de presse; de religion.

b) Les libertés des particularités nationales.

L’internationalisme n’a rien de commun avec l’anti-nationalisme. On ne peut pas méconnaître et minimiser les formes concrètes des cultures et des traditions nationales. Une des grandes richesses de l’Europe est l’immense diversité d’expressions nationales. Sans liberté nationale, les autres libertés signifient peu de choses. Ces libertés, aujourd’hui menacées de tous côtés trouvent leur garantie dans une fédération européenne volontaire, de même que les libertés des hommes ne peuvent être garanties que par une société socialiste démocratique et libertaire.

Position d’une Europe Socialiste Fédérée vis-à-vis des deux blocs:

Si, comme nous en avons la conviction absolue, l’idée de la constitution des Etats Socialistes d’Europe trouve sur notre continent de profonds échos, il est capital que cette idée ne se heurte pas à des méfiances justifiées de l’un ou l’autre des deux blocs et des alliés qu’ils possèdent dans chaque pays européen. S’il devait en être autrement, il est probable que cette idée serait étouffée avant même d’avoir reçu un commencement de matérialisation.

Il est donc indispensable que dans l’esprit de ses promoteurs comme dans leurs propos rien ne puisse permettre à l’un des deux antagonistes de penser que les Etats-Unis Socialistes d’Europe seraient dirigés contre lui.

Il s’ensuit que les Etats Unis Socialistes d’Europe doivent apparaître comme une force économique, politique, idéologique autonome, obéissant à ses propres lois et désireuse d’être non pas un rempart mais un trait d’union entre les deux peuples.

C’est par notre volonté démocratique qu’on peut enlever aux U.S.A. toute justification à leur éventuelle hostilité c’est par notre volonté socialiste qu’on peut en faire de même pour l’U.R.S.S.

Forces:

L’idée de l’unité européenne est aussi vieille que l’Europe elle-même. Il faut souligner comme un symptôme encourageant qu’elle prend en ce moment même une force plus vive que jamais. Cependant il convient de ne pas oublier les enseignements du passé au nombre desquels nous retiendrons les suivants:

1. L’Europe ne se fera pas par la force mais seulement par le libre consentement des peuples. Napoléon et Hitler en ont fait l’expérience.

2. L’Europe ne se fera pas sur la base d’idées généreuses du type de l’Union Paneuropéenne de Kalergi-Briand.

3. L’Europe ne se fera pas sur la base d’une simple structure politique qui laisserait subsister les oppositions de classes ou d’Etats. — Tel le Mouvement Fédéraliste Européen, dressé avant tout sur les aspirations fédéralistes, en dehors réalisations économiques et sociales de base. Tel le Mouvement pour les Etats Unis d’Europe, proposé par Winston Churchill sur le modèle des Etats-Unis d’Amérique, et qui cherche à organiser la bourgeoisie européenne — incapable de garder sa situation dans le plan national — dans le cadre continental.

Pour s’édifier, l’Europe a besoin d’une force sociologique numériquement importante et politiquement consciente.

Or, actuellement on assiste dans l’ensemble des pays européens à une véritable décomposition de la bourgeoisie, classe dominante dans les derniers siècles qui a soutenu l’aventure nazie et qui cherche de toute part à se regrouper.

Et on assiste par ailleurs à une prolétarisation des classes moyennes et à une valorisation technique du prolétariat.

Aussi on doit penser que c’est aux ouvriers, aux paysans, aux techniciens, à la jeunesse qu’il faut demander d’être le moteur puissant du combat qui s’engage. C’est à l’ensemble des travailleurs, au sens le plus large du terme, qu’il faut appeler pour construire les Etats Unis Socialistes d’Europe.

Cependant il est d’une importance capitale que cette action prenne appui sur certaines formations politiques organisées de l’Europe. Dans la carte actuelle des partis, il est évident que seuls les partis socialistes et les syndicats peuvent assumer cette tâche historique.

Comment se fait-il que les Partis Socialistes, aujourd’hui partis dirigeants de nombreux pays européens, n’aient pratiquement pas encore pu assumer ce rôle concret immédiat: la formation des états unis socialistes d’Europe?

Leur absence pratique sur le plan constructif européen paraît liée aux principales causes suivantes:

Leurs contradictions: Leur conception du socialisme est internationale mais leur pratique (due aux besoins d’intervention dans les réalités politiques) est nationale. Ils représentent traditionnellement une force d’opposition à la Société bourgeoise capitaliste et ils ont tendance à conserver ce caractère alors que l’impératif actuel leur commande de devenir une force créatrice en face d’une société bourgeoise qui s’effondre.

Leurs Faiblesses: Ils sont la proie renouvelée des divisions organiques. Ils ne parviennent pas à surmonter leurs complexes d’infériorité, vis-à-vis:

a) des partis staliniens qui eux voudraient faire croire encore à la mystique de la révolution russe alors qu’ils ne sont que les représentants d’une force totalitaire mondiale.

b) des divers noyaux socialistes qui cherchent à pallier aux lenteurs et aux traditions tellement naturelles de tout grand parti organisé.

Leurs manques: Ils ont souvent gardé les vieilles phraséologies et n’ont pas osé repenser les problèmes tels qu’ils se posent dans la réalité historique d’aujourd’hui. Ils ont gardé les vieilles méthodes de travail et de propagande de la période oppositionnelle. Ils n’ont pas compris que les masses attendaient justement d’eux les mots d’ordre pratiques et concrets pour une organisation socialiste apportant la paix et le bien-être.

Nous pensons que la tâche concrète et urgente de ces partis socialistes est de proposer un programme européen de transformations sociales et les moyens pratiques d’y aboutir.

En luttant pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe les Partis Socialistes luttent aujourd’hui pour leur propre existence. L’absence de cette politique socialiste européenne est certainement une des causes principales de la poussée simultanée qui se fait sur les deux ailes de l’éventail politique général, en dehors des partis socialistes:

à droite les partis, derrière lesquels viennent se réfugier ceux qui ne cherchent qu’un barrage à la dictature stalinienne.

à gauche les partis staliniens, derrière lesquels se groupent ceux qui ne cherchent qu’un barrage à la défense de l’U.R.S.S.

Au total:

On peut dire que si l’idée de la fédération socialiste européenne dépendait avant la guerre du socialisme, maintenant c’est le socialisme et tout l’avenir du socialisme qui dépendent dans une large mesure de la formation de la fédération socialiste européenne.

Moyens: Puisque nous posons l’Europe socialiste fédérée comme but, il faut donc penser et agir sur le plan européen.

A cet effet sont nécessaires dans l’immédiat:

Un Comité International d’Etude et d’Action pour les Etats Unis Socialistes d’Europe étudiant en permanence l’ensemble des problèmes posés, établissant l’information sur le plan européen et la liaison avec les Comités similaires créés dans chaque pays.

Des Comités nationaux qui auront pour tâche:

1. De rassembler toutes les énergies isolées et tous les mouvements ou partis qui seraient d’accord avec nos perspectives et désireux de travailler avec nous.

2. De développer par tous moyens appropriés la conscience européenne.

3. De participer aux travaux demandés par le Comité International.

Telle est la première étape à réaliser d’urgence et qui ouvrira les voies au grand combat.

Tâche immédiate; La Conférence pour les états unis Socialistes d’Europe de Juin 1947.

C’est d’elle que nous attendons le premier pas dans la voie du programme que nous venons d’exposer.

Nous souhaitons ardemment qu’à cette conférence soient représentés tous les partis socialistes européens, les autres organisations socialistes ou syndicales, les nombreuses individualités sympathisantes. Nous souhaitons que de cette Conférence se dégage, autour des grandes formations, une volonté unanime de mener avec foi et vigueur la campagne pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe.

C’est de nos forces qu’il dépend que ce vaste mouvement de pensée devienne une force de combat et demain une réalité mondiale et le gage principal de la paix.

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