1948-05 De La Haye à Puteaux [Pivert]

Article paru dans L’Aveyron libre du 29 mai 1948. (Source: http://www.ena.lu/)

par Marceau Pivert

Le congrès à La Haye s’achève sur cette affirmation : « IL FAUT FAIRE L’EUROPE ». Mais il ne dit pas quelle sorte d’Europe il faut faire, ni comment il faut la faire. Trop d’intentions équivoques ont hypothéqué cette audacieuse tentative. Et le jeu des forces sociales qui cherchent à s’affronter dans le cadre de l’Europe n’est pas encore clairement précisé: il s’agit, pour les conservateurs du vieil ordre économique, d’unir leurs fractions de classes dominantes en vue de consolider un pouvoir qui s’effrite et de l’adosser au colosse américain. Cette vue est sans doute progressive par rapport aux Vendéens qui s’obstinent à résister au mouvement général des choses et à cultiver leur égoïsme provincial ou leur grandeur nationale, même au prix de la misère, de la dictature et de la guerre. Mais elle est parfaitement réactionnaire par rapport aux besoins et aux aspirations des démocraties populaires européennes: c’est ce qu’ont dit les fédéralistes de tendance socialiste démocratique, qui ont participé au congrès de La Haye.

Ainsi, un puissant mouvement est en train de se dessiner à travers tous les pays où peut encore s’exprimer une opinion libre, en direction des États-Unis d’Europe ; tous ceux, Staliniens ou gaullistes, qui s’opposent à ce mouvement, sont parfaitement cohérents avec leur postulat fondamental: les antagonismes qui polarisent le monde entre l’URSS et les USA ne peuvent se régler, d’après eux, que par la guerre et la liquidation d’un adversaire par l’autre.

Il devrait y avoir, au sein du Mouvement pour les États-Unis d’Europe, une cohérence idéologique du même type: tous ceux qui préconisent des solutions, constructives, pacifiques, démocratiques, génératrices de bien-être et de liberté devraient s’y retrouver pour forger en commun les instruments économiques et politiques de la révolution européenne.

En fait, de vieux politiciens clairvoyants évitent de poser les vrais problèmes et cherchent à utiliser l’occasion du plan Marshall pour reconstruire une EUROPE MILITARISEE EN VUE DE LA TROISIEME GUERRE. Et il y en a même au sein du mouvement pour l’Europe unie, qui sont disposés à planifier la fabrication des tanks ou des avions plutôt que celle des tracteurs agricoles ou des locomotives. Il y en a aussi qui rêvent de « mettre en valeur » les grands domaines d’Afrique ou d’Asie sans se préoccuper outre mesure des aspirations vers la liberté des populations qui y vivent. Les socialistes savent tout cela. Ils ne sont pas disposés à se laisser utiliser pour le replâtrage d’un régime qui s’effondre. MAIS ILS VEULENT D’ABORD RECONSTITUER LEUR FRONT INTERNATIONAL DE LUTTE BRISE PAR LA GUERRE, PAR LES NATIONALISMES RETROGRADES ET PAR LE STALINISME TOTALITAIRE. Les socialistes ont créé le centre de propagande pour les États-Unis d’Europe précisément pour obliger chacun à se définir, et pour amener les travailleurs à se reconnaître comme solidaires dans la défense de la Liberté et de la paix.

Tel est aussi l’objet de l’initiative prise par le « Comité international pour les États-Unis socialistes d’Europe » qui convoque du 18 au 22 juin à Puteaux, un congrès des peuples d’Europe, d’Asie et d’Afrique. Le délégué à La Haye de ce comité (qui s’est présenté comme une organisation INTERNATIONALE, déjà libérée des préjugés nationaux) notre ami Bob Edwards, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de l’industrie chimique britannique, ouvrira le congrès de Puteaux en saluant les délégués des organisations socialistes, syndicalistes, pacifistes, fédéralistes, démocratiques de toute l’Europe: y compris ceux des nations de l’Europe orientale, dont les socialistes européens dignes de ce nom soutiennent la revendication fondamentale: DROIT A LA LIBRE DETERMINATION SANS PRESSION EXTERIEURE. Y compris les délégués grecs et espagnols, qui refusent de jouer le rôle de pions au service d’une puissance extérieure.

Le congrès des peuples d’Europe, d’Asie et d’Afrique entendra aussi les revendications des délégués des masses indigènes en voie d’émancipation anti-impérialiste. De toutes les parties de l’Afrique, des lointaines régions de l’Asie viendront des représentants qualifiés des peuples longtemps exploités par les capitalistes européens, et qui commencent à se sentir solidaires de la lutte que nous avons entreprise pour une Europe socialiste.

Quand ces peuples, qui représentent la moitié de l’humanité et ceux d’Europe, qui représentent les expériences politiques et techniques les plus anciennes, les volontés révolutionnaires et libératrices les plus denses, auront scellé leur alliance fraternelle pour le socialisme et la Liberté, on pourra mesurer les différences de niveau et de portée historique entre le congrès de La Haye et le congrès de Puteaux.

En attendant, les socialistes de la région parisienne sont fiers de renouveler ainsi les traditions du socialisme international : ils appellent tous les travailleurs conscients des terribles dangers qui menacent la paix et la Liberté à se rassembler d’urgence autour de cet effort pour la reconstruction d’un monde nouveau.

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