1958 Révolution et contre-révolution en Afrique du Nord [Pivert]

Paru dans la Revue socialiste en juin 1958 avec cette note: N.D.L.R. — Notre ami nous avait remis en avril cet article déjà ancien pour qu’il fût publié dans la revue. Sur notre demande il récrivit le dernier chapitre « Comment en sortir », pour tenir compte des développements en cours et actualiser sa conclusion. Les événements ont été plus rapides que nous, et elle pouvait paraître déjà dépassée huit jours après avoir été écrite. Mais la pensée de Marceau Pivert n’était pas à la merci d’un épisode de la lutte. Ces lignes, datées du 25 mai, ont donc un caractère de testament politique qui les rend plus précieuses et émouvantes..

Combien il a douloureusement ressenti les événements de ces dernières semaines ! Le 25 mai, il écrivait la fin de son dernier article pour la Revue Socialiste, où il savait que, quelles que fussent les différences de pensée, il ne comptait que des amis. Déjà s’annonçait cet abandon de tout un pays qui a constitué l’abdication, au moins momentanée, de la démocratie française. Et néanmoins il ne désespérait pas : la phrase finale de son article montre à quel point l’amour de la liberté et le sentiment de la fraternité entre les malheureux de tous les pays s’unissaient en lui comme deux aspects d’une même pensée dominante. Nos lecteurs la retiendront comme le cri suprême du militant socialiste qu’a été constamment Marceau Pivert :

« C’est par la liberté pour ceux qui en ont le plus besoin, les exploités et déshérités de partout, et par leur solidarité internationale sans défaillance que l’on sauvera la liberté, rétablira la paix et écrasera définitivement les forces d’exploitation, de violence et de guerre, qui viennent de se démasquer en France, après avoir été encouragées à Alger ».

I. — RAPPEL DES DONNEES ESSENTIELLES

a) Historiques : Pendant cinq siècles, du VII° au XIIe, les populations venues de l’Orient arabe et vivant en Afrique du Nord, furent les dépositaires et les agents de transmission d’une brillante civilisation, en fait les véritables éducateurs de tout l’Occident encore barbare. L’Islam constitue une vaste communauté de 400 millions d’individus : la France colonialiste a régné sur 25 millions d’entre eux… Elle ne veut pas lâcher les 9 ou 10 millions qu’elle a pu asservir en Algérie depuis moins de 130 ans.

b) Ethniques: Le colonialisme a lontemps utilisé les oppositions ethniques secondaires entre les Berbères et les Arabes, surtout au Maroc.

Les Berbères sont les autochtones authentiques de cette région du Maghreb : ils représentent environ 1 % de la population tunisienne, 29 % de la population algérienne, 42 % de la population marocaine : ils ont résisté à toutes les tentatives d’assimilation, d’où qu’elles viennent. Populations agricoles et d’origine inconnue, elles sont organisées en tribus fédérées et ont gardé leur civilisation, influençant même les envahisseurs arabes venus d’est en ouest à partir de 647 (comme les Grecs l’ont fait pour les Romains).

c) Politiques : De même que ie réveil du Japon féodal et son entrée dans le circuit de l’industrialisme moderne sont les résultats des coups de canon de la flotte américaine cherchant à ouvrir ce pays médiéval au marché mondial, de même le réveil des populations musulmanes d’Afrique du Nord, leur volonté d’indépendance, leur homogénéité politique, sont les conséquences directes de la révolution française et de l’expédition d’Égypte: l’accoucheur du monde islamique, c’est Bonaparte. Les Karl Marx et Engels de ce prolétariat colonial sont Dejemal ed Dinel Afohni (1839-1897) et Mohamed Abdo (1849-1905).

Premier congrès arabe : Paris 1913. Premier congrès musulman : Genève 1913. « L’Etat musulman n’est pas un territoire, mais une communauté de famille, un lien de sang, une communauté de foi ». (Fondement malékite du droit public musulman).

d) Economiques et sociales :

Sur cette toile de fond, voici maintenant les conséquences de l’exploitation colonialiste :

1. — L’Algérie est conquise entre 1830 et 1834 : 25.000 propriétaires français se partagent 2.400.000 ha. (100 ha. de moyenne) et 550.000 propriétaires algériens se partagent 9.200.000 ha. (1,5 ha. de moyenne) : il y a d’autre part une poussée démographique qui a doublé la population arabo-berbère depuis le début du siècle (120.000 à 10.000 par an): la moitié de la population actuelle n’a pas encore vingt ans; résultat: au début du siècle, chaque musulman algérien dont la nourriture est basée sur les céréales, disposait de quatre quintaux par an ; aujourd’hui il n’en a plus la moitié : le colonialisme cultive la vigne et, en ce moment même, derrière la guerre et la mobilisation de 500.000 jeunes soldats, les gros colons français font 45 milliards de superbénéfices sur le vin (qui a doublé de prix à la consommation en France depuis un an)…

Moins d’un million de Français, parmi lesquels 15.000 gros colons, disposent de toute la puissance économique, politique et financière de la presse, de la banque, de la grande propriété foncière et immobilière, des transports, des représentants élus, des Gouverneurs, de la police, de l’armée, de la haute administration, régnent sur près de 10 millions de travailleurs algériens : parmi eux, six millions de pauvres fellahs (paysans) n’ont pas 19.200 fr. de revenu annuel pour vivre, et un demi-million de prolétaires s’expatrient en France : la structure sociale est donc celle d’un sous-prolétariat misérable livré sans défense à une féodalité capitaliste et terrienne importée, qui se bat pour conserver coûte que coûte son domaine d’exploitation.

2. – La Tunisie est soumise au colonialisme français (et plus précisément au début, à la Société Marseillaise du Crédit Foncier) depuis 1881 ; entre cette date et 1892, une cinquantaine de capitalistes acquièrent 443.000 ha. (16 propriétaires possèdent 416.000 ha.).

En 1937, quatre sociétés anonymes détiennent 23 % de la propriété française. Il y a environ 240.000 Européens pour 3.250.000 habitants. Mais le 1/5° seulement des terres est cultivé. La situation économique est exactement aussi catastrophique qu’en Algérie ; cependant la conquête d’une indépendance relative permet au moins à Bourguiba de poser clairement à l’opinion mondiale les vrais problèmes.

3. — De même, le Maroc est soumis à la domination colonialiste française depuis 1912, mais il a reconquis une relative indépendance au prix de luttes et de sacrifices sanglants. Là vivent environ 325.000 Européens pour 8.500.000 habitants, mais si, en quelques années, les Européens ont édifié d’immenses fortunes, il n’y a encore qu’environ un huitième (900.000 ha.) de terres cultivées (sur 7.530.000 ha.), et l’état de misère est lamentable, alors que le sol et le sous-sol sont riches.

II. — LA SITUATION EN ALGERIE AU MOMENT DE LA LIBERATION DE LA FRANCE

a) Colonisation : Sur 26.153 colons européens, 8 % possèdent moins de 10 ha.; 2,24 % de 10 à 50 ha. ; 15,5 % de 50 à 100 ha. ; 73,4 % plus de 100 ha.  Exemple : le Domaine Dusaix : 18.000 ha. ; la Compagnie Algérienne : 100.000 ha. (Banque Union Parisienne Mirabaud) ; la Compagnie Genevoise : 25.000 ha. Une centaine de gros viticulteurs (400.000 ha.) produit presque exclusivement pour l’exportation 20 millions d’hectolitres.

Le mécanisme de l’exploitation colonialiste est d’ailleurs généralisé et lisible comme dans un livre, dans ces deux chiffres:

Valeur d’une tonne de marchandises exportées : 20.300 fr. Valeur d’une tonne de marchandises importées : 76.512 fr

Et, naturellement, tous les bénéfices réalisés, ou à peu près, sont investis ailleurs que dans les pays colonisés ; la loi du talon de fer capitaliste s’impose à la marchandise-travail : les salaires agricoles de 300 fr. sont courants, encore actuellement ; ils étaient de 1 fr. à 1 fr. 50 par jour de 1871 à 1914, de 4 à 8 fr. par jour entre 1914 et 1935 ; de 12 fr. par jour en 1941 ; de 130 fr. par jour en 1947 (alors que dans la Métropole le salaire minimum vital était fixé à 7.500 fr. par mois).  Enfin, toute la grosse colonisation, qui était en majorité pétainiste, avait confisqué les bonnes terres et refoulé les malheureux fellahs (surtout les Kabyles à qui on a volé 2.630.000 ha. après l’insurrection de 1871), vers, les mauvaises terres des Hauts Plateaux et des Djebels. pas de lois sociales pour les serfs !

L’industrialisation est limitée à l’extraction minière :

Au cours de la seule année 1945-1946, la Compagnie des Phosphates de Constantine augmente ses bénéfices de 136 %.

Les Phosphates du Kouif appartiennent au Groupe de Peyer- rimhoff qui règne sur les houillères ; lui fut secrétaire du Gouvernement Général d’Algérie, contrôla Dourges, la Sarre et la Moselle, la Truyère, le Crédit National et fut président ou administrateur de 30 grands trusts.

Les mines de fer de l’Ouenza appartiennent au Groupe Rotschild, l’un des représentants les plus authentiques de la haute finance internationale, dont M. René Meyer est l’expression politique : c’est celui-ci qui « exécuta » le gouverneur général Yves Chataigneau, à cause de sa politique trop favorable aux masses musulmanes; c’est lui qui « exécuta » Pierre Mendès-France, en raison de sa politique en Indochine et en Tunisie… Tout est donc clair.

Les mines de fer de Beni-Saf et du Zaccar sont entre les mains de la Banque Mirabaud (nickel, cuivre, Pennaroya-Bor, Ports, Affrètements,l’un des groupes qui contrôlent l’économie algérienne…).

Résultat : on paie en 1946, 3.000 fr. par mois le mineur de fond (7.500 fr. en France), 150 fr. par jour le maçon spécialisé dans la restauration des mines romaines de Djemila… Et à Alger, on paie alors une paire de petits ciseaux exactement le prix d’un quintal de fer de Beni-Saf.

b) Capital humain: la mortalité infantile est, à cette époque, de 60 à 70 % chez les musulmans. Il y a 128 médecins de colonisation pour une superficie grande comme la France ; 64 hôpitaux auxiliaires (moyenne : 15 lits) ; 400.000 victimes annuelles de la tuberculose; 30 % der la population sans école… Certes, des investissements publics vont améliorer certains aspects de ce paysage effrayant entre 1945 et 1955 : 50 % seront fournis par la métropole : des barrages, des écoles, des hôpitaux, des routes, des ports, des vaccinations méthodique… Mais la pieuvre colonialiste suce le sang de ce peuple. Les Banques et groupes d’affaires Hottinguer, Vernes, de Neuflize, la Banque de Paris et des Pays-Bas, la Banque d’Indochine, les Borgeaud, Blachette, Alain de Serigny, Schiaffino (Transports), les filiales de Saint-Gobain, de Pechiney, des Huiles Lesieur, des Ciments Français contrôlent le charbon, le manganèse, le zinc, le fer, le pétrole, les phosphates, le liège, l’alfa, les agglomérés, le agrumes, le tabac… et même des colonialistes de second ordre ont empêché Y. Chataigneau de développer les frigorifiques qui auraient mis en réserve, en temps d’extrême sécheresse, les moutons condamnés à l’abattage : on les vend alors pour presque rien ît des marchands des Alpes qui les engraissent et les revendent pendant que les fellahs meurent de faim…

Toutes ces bouches avides de profiteurs de la misère d’un peuple s’entendent à merveille : les subventions vont dans leurs poches : en 1954 : 42 milliards aux Européens, 2 milliards aux Algériens à 1.800 calories (France : 3.000) et et qui accroissent leur nombre à 25 % (France 7 %), pour l’ « équipement». La presse est entièrement sous leur contrôle, et c’est pourquoi elle parle en maîtresse : « M. Robert Lacoste doit demeurer ministre résidant en Algérie ». (« L’Echo d’Alger », M. Alain de Serigny, 26 mai 1957).

Et tout le monde s’incline… Et Robert Lacoste, socialiste, bombe le torse : « Vous voyez, je suis là… toujours là… ». Il est trop évident que le « capital humain » qui « intéresse » ces grands féodaux et leurs agents d’exécution est d’abord le « capital docile, soumis, servile, des beni-oui-oui ! Reste à savoir ce qu’en pensent les exploités, ceux qui réclament, plus encore que « du plomb ou du pain » comme les premiers canuts lyonnais de 1832, un minimum de dignité et des droits élémentaires qu’on leur a toujours refusés.

III. – DIFFERENCIATIONS MAGHREBINES

Pour bien comprendre que la « clé » de la situation de l’Afrique du Nord est  l’Algérie, il faut considérer les différences sociologiques nées de la durée relative de la colonisation :

a) Au Maroc, 44 ans de colonisation ont été basés sur l’alliance de l’impérialisme français avec les formes les plus rétrogrades du féodalisme médiéval: le prototype de  « l’allié » de la France était le fameux pacha-bandit de Marrakech, El Glaoui, maître absolu de ses esclaves, traitant ses paysans plus durement que ne le faisaient les seigneurs de l’an 1000, titulaire d’une fortune colossale, contrôlant la production des olives, le commerce et la traite des blanches, organisateur de festins et orgies inouïs avec les grand pourvoyeurs de maisons closes et les danseuses de boîtes de nuit parisiennes, etc.. etc.

La complicité des généraux Juin et Guillaume, de Laniel et Bidault avait fait de lui le grand électeur du sultan Ben Arafa. Les colons fascistes français avaient massacré les syndicalistes et les nationalistes, occupé la Résidence, dirigé le coup de force des corrompus et des exploiteurs contre un peuple cherchant à se moderniser et à reconquérir son indépendance: ce peuple, grâce à l’Istiqal et à un Sultan moderniste, a finalement imposé sa loi aux énergumènes qui s’étaient arrogé le droit de parler et d’agir au nom de « la France »; l’étape en cours de développement, dans un pays ouvert sur l’Atlantique et sur la Méditerranée, touchant aux confins du Sénégal et du Sahara, c’est l’étape démocratique-bourgeoise d’organisation et de développement industriels au cours de laquelle le mouvement syndical et politique moderne jouera nécessairement un rôle de plus en plus actif (et d’autant plus efficace qu’il aura pris conscience de ses liens de solidarité avec ses autres frères du Maghreb et avec la classe ouvrière internationale).

b) En Tunisie, l’époque féodale est déjà liquidée : 70 ans de promesses et de mensonges colonialistes, de combats sanglants et de crimes ont fait mûrir une véritable révolution démocratique-bourgeoise appuyée par un puissant mouvement syndical conscient de la nature des problèmes modernes qui lui sont posés ; le Mouvement Nationaliste (Néo-Destour) a naturellement réuni toutes les tendances, de Ben-Youssef à Hedi Nouira et soutenu la Cour beylicale au moment de la lutte contre le colonialisme français : la dernière tentative de force de celui-ci, déclenchée par le MR. P. Maurice Schumann, Sous la direction effective dies Puaux, Colonna, Casabianca, l’ambassadeur Hautecloque (15 décembre 1951, janvier-mars 1952 : déposition et arrestation des ministres tunisiens) provoque la résistance armée. On arrive ainsi au ministère Mendès-France, dans une Chambre où l’ « arithmétique parlementaire » (selon l’excuse invoquée par Guy Mollet pour l’Algérie) révèle l’existence de six tendances inconciliables… et une impuissance lamentable. Alors, avec l’appui des voix radicales, socialistes et communistes (et même la caution du maréchal Juin, invité à couvrir de sa présence à Carthage le geste d’un homme de gouvernement), la question tunisienne est résolue à la satisfaction des deux peuples. Entre temps, en décembre 1952, l’une des meilleures têtes syndicalistes tunisiennes, Fahrat Hached, avait été lâchement massacrée par le gang fasciste colonialiste… Mais Habib Bourguiba a fait ses classes de militant dans les prisons et sur les îles, il incarne la volonté de son peuple : le devoir des socialistes dignes de ce nom n’est pas de souligner tel ou tel trait secondaire de son caractère, de le critiquer (d’un endroit d’où l’on ne risque rien)

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ses « chefs » dirigés « d’en haut », iront rejoindre Markos et Rakosi, et les centaines de « chefs provisoires » liquidés par les totalitaires qui « dirigent » faute de mieux (et puisque les masses se laissent faire) le jeu diplomatique au nom d’une « révolution techno-bureaucratique »…

Mais alors on comprend beaucoup mieux l’acharnement des calomniateurs du M.N.A. et même cette extraordinaire campagne de « publicité à l’envers », à coups de millions, et de journalistes stipendiés, et même d’ « écrivains » comme ce Francis Jeanson, si justement accroché par Yves Dechezelles (Cf. « La Commune », n° 7), et qui « justifie» l’assassinat des meilleurs militants messalistes (comme dans « Les grands cimetières sous la lune », l’écrivain Bernanos présentait le POUM comme une organisation fasciste). Cette « campagne » (l’enfance de l’art pour les fascistes et les staliniens : affirmez avec force, répétez toujours, et vous créerez un fait !!!…) a touché à ce point les milieux SFIO qu’elle a alimenté dès le début (malgré des avertissements et précisions, auxquelles André Ferrat apportait sa confirmation) la volonté de recherche d’une solution de compromis diplomatique avec le F.L.N. seul: voyages au Caire, à Moscou, à New-Delhi… Tout cela a lamentablement échoué puisque la seule issue était une vision socialiste du problème posé… et qu’on s’y refusait avec arrogance. « Le M.N.A. n’existe pas en Algérie ». Vingt fois cette affirmation a été répétée par les « grands spécialistes » du Parti… Cependant ,citons un fait : à Athènes, en tête-à-tête avec des socialistes syriens du Baath qui nous disaient la même chose, Y. Déchezelles révéla : « Sur les vingt derniers condamnés à mort, exécutés, savez-vous leur appartenance ?  Non ? Eh bien, il y avait douze MNA et huit FLN… Pour un parti qui « n’existe pas » ou qui est « de mèche » avec Lacoste, c’est tout de même curieux »…

La vérité c’est que le M.N.A. est demeuré constamment fidèle à son programme d’origine.  » Seul, affirme-t-il, le peuple algérien, loyalement consulté, est qualifié pour disposer de lui-même… L’émancipation nationale et sociale des peuples du Maghreb comme de tous les peuples victimes de l’exploitation coloniale ne peut pas être octroyée de l’extérieur: elle ne peut être que conquise de l’intérieur, par l’effort propre des travailleurs organisés »…

Ainsi, la révolution anti-colonialiste en Afrique du Nord trouve son interprète authentique dans ce parti qui, à base rigoureusement prolétarienne, revendique avant tout le droit à toutes les libertés fondamentales de l’homme, à toutes les libertés d’organisation, de presse, de propagande, d’activité politique et syndicale, de consultation loyale des populations, de démocratie réelle, d’indépendance de classe et d’autonomie par rapport aux grands blocs stratégiques qui se partagent le monde. C’est sur le mouvement ouvrier, syndicaliste et socialiste non-aligné, non-intégré dans un jeu impérialiste, qu’il compte exclusivement : c’est donc bien l’un des éléments les plus solides, l’une des bases d’attente les plus éprouvées par plus de trente années de persécution ou tentatives de corruption qui n’ont pas entamé sa pureté intransigeante qui, actuellement, existe en Algérie et en France, autour de Messali et du M.N.A. Et c’est pourquoi nous répétons avec plus de force et de conviction encore qu’il y a deux ans : « La liberté des peuples d’Afrique du Nord, la paix en Algérie sont des tâches concrètes, immédiates, auxquelles doivent se consacrer toutes les forces du socialisme démocratique international ».

VI. COMMENT EN SORTIR ?

1. – Cependant les faits sont « durs comme du granit »… et il n’y a pas, à notre connaissance, de théorie générale plus efficace pour les comprendre et y insérer la volonté des hommes, que notre vieille doctrine, plus jeune que jamais, du socialisme démocratique international. La confirmation de son caractère universel, scientifique, et de nécessité historique, est éclatante lorsqu’on observe les révolutions techniques prodigieuses de notre temps, et la plus grande révolution politique de tous les temps, le mouvement d’émancipation des peuples coloniaux, conséquence, précisément, de l’accumulation capitaliste à l’échelle mondiale…

2. – Il y a donc des vérités « chirurgicales » à mettre en évidence pour le mouvement démocratique et ouvrier français: cette direction du Parti que nous avons contribué à porter au pouvoir a eu antérieurement des initiatives heureuses pour la réévaluation de notre méthode au lendemain de la Libération: des semaines d’études, à Meung, en présence même de socialistes d’Europe centrale influencés par le stalinisme, à Saint-Brieuc sur les perspectives de l’Europe socialiste, les journées d’études sur les problèmes de « l’Union française », les comptes rendus de la conférence des socialistes d’Asie (Rangoun) par André Bidet… tout cela aurait dû éclairer la route en face du difficile problème de la décolonisation de l’Afrique du Nord. Hélas, c’est en foulant aux pieds toutes les conclusions de ces travaux d’investigation collective qu’on a fait le lit de la dictature militaire, et préparé la situation tragique qui nous met au bord de la guerre civile, avec des forces démocratiques et ouvrières encore intactes, mais complètement désarmées idéologiquement, et livrées à une double attraction : gaullisme ou « communisme ». Le moins qu’on puisse demander aux hommes responsables, conscients ou inconscients de cette tragédie, c’est qu’ils disparaissent de tout poste de responsabilité dans le Parti.

3. – Il y a heureusement des ressources dans ce Parti, dans la classe ouvrière, dans le pays républicain… et dans le mouvement international qui nous observe avec angoisse. Mais il suffit de voir ce qu’on en a fait jusqu’à ce jour. Si, par exemple, un militant a vu clair, ici (comme notre regretté Louis Caput sur place), dans la situation indochinoise, c’est Oreste Rosenfeld. Et il a dit ce qu’il fallait dire dès janvier 1956 sur l’Algérie… et certains de ses discours, devant l’Assemblée de l’Union Française, bien avant le drame, sont prophétiques. Qu’en a-t-on fait ? Il était responsable de la commission internationale, directeur du « Populaire-Dimanche ». Le Parti a dans ses rangs l’un des plus grands spécialistes des questions méditerranéennes, Ch.-André Jullien, choisi en 1936 par Léon Blum. Qu’en a-t-on tiré ? L’un des meilleurs spécialistes, et probablement le seul ambassadeur d’esprit profondément socialiste, connaissant à fond les questions africaines, balkaniques, du Moyen-Orient, et peut- être aussi mieux que d’autres le sens général de ce qui se passe en Russie: le seul gouverneur général d’Algérie, en tout cas, ayant vu son prestige grandir auprès des musulmans, dans la mesure même où les néo-colonialistes servaient les desseins de la féodalité d’Alger, c’est Yves Châtaigneau. Qu’en a-ton fait ? Pourquoi n’est-il pas ambassadeur au Caire ? Et il y en a bien d’autres, chassés du Parti, comme André Philip, lui qui n’a jamais eu la moindre défaillance en ce qui concerne les valeurs éthiques fondamentales du socialisme… Tout cela doit être demandé aux militants du Parti qui ont, eux aussi, de lourdes responsabilités dans la mesure où ils ont laissé faire ou même acclamé les forces autoritaires et nationalistes et bellicistes dans le parti ; car tout cela prouve qu’on ne peut pas servir à la fois la contre-révoluion et les aspirations permanentes et croissantes des masses déshéritées qui cherchent partout plus de liberté pour conquérir plus de bien-être.

4. – L’idée, absolument fausse, qui a conduit les socialistes allemands dans les bras de Hitler, c’est qu’on peut défendre les institutions démocratiques, créées pendant la période ascendante de la prospérité bourgeoise, sans faire appel à l’ensemble des forces prolétariennes, La « révision déchirante » doit donc être faite dans le Parti si l’on veut sauver les institutions démocratiques, en dehors desquelles il n’y a pas de société socialiste concevable : notre divergence essentielle avec le stalinisme (mais notre sympathie inconditionnelle  à l’égard des travailleurs que nous aurions dû mieux éduquer ne nous en est que plus naturelle) demeure donc:  seulement, c’est du point de vue de la construction d’une démocratie réelle, dans laquelle le travail contrôlera enfin le capital que nous nous plaçons.

5. – Quelles sont maintenant les conclusions pratiques immédiates : est-ce faire preuve de trop d’optimisme que de faire confiance, malgré tout, aux forces républicaines, à toutes les traditions démocratiques qui ont fait le prestige et le rayonnement de notre pays, et, enfin, à toutes les forces ouvrières sans exception pour briser la tentative de putsch gaulliste ? J’ignore comment et quand ces lignes paraîtront, mais j’affirme ici cette confiance : rien n’est perdu si les … hors du Parti que dans ses rangs, mais nous allons les retrouver tous), pour conduire cette bataille jusqu’à la victoire.

Et d’abord, que le gouvernement fasse son métier : qu’il gouverne, frappe sans pitié, de toute ia rigueur des lois républicaines, les traîtres et les factieux : qu’il fasse immédiatement la lumière sur les auteurs du complot; le maximum d’autorité contre les apprentis-sorciers de la dictature et le maximum de liberté d’initiative, de confrontation permanente, dans une tolérance fraternelle sans exclusive, à l’égard des forces démocratiques et ouvrières mobilisées.

Car finalement c’est par la liberté pour ceux qui en ont le plus besoin, les exploités et déshérités de partout, et par leur solidarité internationale sans défaillance que l’on sauvera la liberté, rétablira la paix et écrasera définitivement les forces d’exploitation, de violence et de guerre qui viennent de se démasquer en France,après avoir été encouragées à Alger« .