Naville (1904-1993)

Pierre Naville

Militant et essayiste français trotskyste puis « Nouvelle Gauche ».

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TEXTES:

NECROLOGIE

Pierre Naville, chercheur engagé

PIERRE NAVILLE, écrivain révolutionnaire, membre du groupe surréaliste et père fondateur de la sociologie du travail, vient de mourir à Paris à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Dernier témoin, ou presque, d’une époque où « la poésie avait réponse à tout », le vieux savant disparaît à un moment où la valeur des sciences humaines est durement mise à l’épreuve par la crise des sociétés modernes.

Son père, banquier genevois, lui assura une enfance dorée. Après avoir suivi les cours de l’Ecole alsacienne, il connut à la Sorbonne Georges Politzer et Henri Lefèbvre, qui ont chacun joué un rôle majeur dans les épousailles de la pensée marxiste et du communisme français. L’itinéraire de Pierre Naville est différent. Membre du groupe d’André Breton, il devint, en 1925, codirecteur avec Benjamin Péret de la revue « la Révolution surréaliste ». Le temps de trois numéros, et brûlant ce qu’il a adoré, il s’oppose au « pape » du mouvement, sur la question de l’engagement politique. Lui-même s’inscrit en 1926 aux Jeunesses communistes, puis adhère au Parti. Il fut ainsi envoyé à l’usine Farman de Boulogne-Billancourt, pour y aider ses camarades. Ses efforts pour convaincre ses amis surréalistes d’entrer « au service de la Révolution » furent, par contre, couronnés de succès. Au printemps 1927, les adhésions d’Aragon, d’André Breton, de Paul Eluard, de Benjamin Péret et de Pierre Unik lui procurèrent une grande satisfaction. A cette époque, il clamait à qui voulait l’entendre que « les querelles d’écrivains » l’intéressaient moins que « la flamme de la révolution » (cf. « Mieux et moins bien » en 1927).

Refusant, au début de l’année 1928, de condamner Trotski, mais participant activement à la fondation de la 4e Internationale, il est exclu du PCF. Dès lors, il accompagne souvent le révolutionnaire russe dans ses voyages à l’étranger et restera de conviction trotskiste jusqu’à la fin de ses jours. Il est fait prisonnier en 1940 puis est libéré pour cause de maladie grave en 1941. Très influencé par la psychologie du comportement (béhaviorisme), il affirme que l’inconscient mis au jour par Freud n’a rien à voir avec le surréalisme. Une polémique l’opposa d’ailleurs, après la guerre, à Jean-Paul Sartre qui écrit de lui dans « Situation VII » (pages 142-143) : « Quand il monte à la tribune, on a le sentiment de voir trottiner un monolithe (…). » Pierre Naville a sauvé son esprit critique de chercheur scientifique en fondant, avec Georges Friedmann, « la sociologie du travail », traitée en deux tomes (Armand Colin, 1962). Il avait auparavant réglé les comptes entre son passé et son avenir dans « le Nouveau Léviathan », ouvrage en huit volumes, dont le premier porte en titre « De l’aliénation à la jouissance ». Son esprit curieux s’est aussi intéressé à l’art de la guerre. Il a notamment fait paraître aux Editions de minuit le « De la guerre », de Clausewitz, dont Denise Naville, sa compagne, fut la traductrice. Un grand intellectuel d’avant et d’après guerre vient de s’éteindre.

ARNAUD SPIRE. (L’Humanité du 28 avril 1993)

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