1939-06 Le PSOP et le trotskysme [Pivert]

Le P.S.O.P. et le trotskysme

Marceau Pivert

Paru dans Juin 36 du 9 juin 1939.

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Un des résultats les plus clairs du premier Congrès National du P.S.O.P. réside dans la position du Parti à l’égard du Trotskysme.
Nous entendons par là un système de conceptions politiques et de méthodes d’organisation dont Léon Trotsky et la IV° Internationale sont les représentants qualifiés. Quant au langage couramment employé par les staliniens pour brouiller les cartes et contrarier la clarification nécessaire des courants politiques qui circulent dans l’avant-garde du prolétariat, nous ne les craignons pas ; il est entendu que tous les non-conformistes, nous-mêmes, le POUM, les socialistes de la tendance Deixonne et peut-être même Maurice Paz ou Faul Faure ! sont des « trotskystes » (naturellement agents de Franco ou de la Gestapo !… Nous ne le craignons pas, mais nous le négligeons parce qu’il n’a aucune valeur pour l’analyse des tendances à laquelle nous devons consacrer quelque attention).
Quelle est donc l’attitude du P.S.O.P. à l’égard des thèses et des méthodes de Léon Trotsky et de la IV° ?
On peut la résumer en quelques mots : si le trotskysme veut bien se dépouiller des prétentions à l’hégémonie ; s’il peut admettre que l’état actuel du mouvement ouvrier international exige un effort de collaboration confiante entre tous les éléments qui ont courageusement rompu avec le social-patriotisme et le national communiste ; s’il abandonne les méthodes fractionnelles, le noyautage commandé de l’extérieur, les moyens de pression et de corruption ou de dénigrement systématique destiné à isoler ou à développer tel ou tel militant qualifié pour la circonstance de « centriste » en vue d’une opération analogue à la préparation d’une « citronnade », alors comme courant politique, le trotskysme peut et doit trouver place au sein du PSOP, considéré comme le foyer de libre recherche et l’instrument d’action collective de l’avant-garde révolutionnaire.
Mais si le trotskysme se révèle incapable de faire cet effort sur lui-même ; s’il se présente au seuil du P.S.O.P. ou au sein de ses fédérations comme le détenteur unique des vérités sacrées, comme le maître qui commande, impose, fustige, corrige et dicte ses volontés ; s’il entre dans l’organisation et travaille de manière à dégoûter, à démoraliser, à faire fuir les militants révolutionnaires qui ne pensent pas comme lui, s’il apparaît comme le cousin germain du stalinisme, alors, oui l’incompatibilité éclate et la preuve est faite que le trotskysme par ses méthodes d’organisation est décidément inassimilable à un parti démocratique où le jeu des tendances exige un minimum de communauté dans les moyens d’action et les principes d’organisation.
Après quelques mois d’expérience commune « rentriste » du POI, en sommes-nous donc arrivés à cette conclusion ? non ! Nous n’avons pas le droit de prononcer à ce sujet un jugement définitif. Nous saluons au contraire avec joie les efforts remarquables dont certains militants ex-P.O.I. ont fait preuve pour travailler loyalement en militants du P.S.O.P., acceptant sa charte, sa structure, ses règles, ses décisions de majorité et s’engageant à les appliquer sans réticences. Par contre, certains résultats obtenus dans quelques régions, et surtout les preuves que nous avons d’un travail fractionnel poursuivi avec des éléments extérieurs au Parti nous ont amenés à prendre certaines précautions. Tel est le sens de la motion préalable votée sans discussion par le Congrès National et qui invite les militants qui ont poursuivi leur travail fractionnel après leur adhésion à cesser immédiatement.

*

Je suis chargé d’expliquer au vu et au su de tous, de nos amis, de nos adversaires, de nos sympathisants d’aujourd’hui, de nos adhérents de demain, le sens de cette décision du Congrès, en liaison avec le rapport politique approuvé par l’immense majorité du Parti.
Nous considérons en effet que le Parti révolutionnaire qui manque à l’heure actuelle au prolétariat de ce pays, de même que l’Internationale révolutionnaire qui devra, elle aussi, se forger à travers les évènements qui se préparent, ne peut être qu’une organisation sensible aux transformations profondes qui s’accomplissent présentement dans le sein même des masses populaires.
A la conception du PARTI CHEF, sorte d’état major centralisé, qui prépare dans le secret des conspirations, l’action révolutionnaire, nous préférons la conception d’un parti largement ouvert sur le mouvement réel des masses et ménageant à l’avant-garde révolutionnaire toutes les possibilités de contact direct avec des couches plus larges du prolétariat ouvrier et paysan.
Notre choix est mûrement réfléchi : il engage l’avenir du Parti, la forme même de la révolution et la méthode de construction du socialisme qui ne sera pas autoritaire mais libertaire.
La première conception a été celle des fondateurs de la 3° Internationale. Elle était peut-être inévitable. Elle a peut-être traduit les exigences les plus impératives d’un moment historique particulièrement décisif : « chassez de vos organisations tous les éléments centristes ! » C’est encore celle de Trotsky qui ne peut admettre dans son organisation que des affiliés acceptant comme un dogme, c’est-à-dire sans discussion, la référence systématique aux principes élaborés dans les quatre premiers Congrès de l’I.C. Notre conception du Parti est toute différente. Et nous ne sommes encouragés à la modifier lorsque nous observons les résultats obtenus par le trotskysme tant en ce qui concerne « le regroupement de l’avant-garde » que le travail de liaison entre celle-ci et le mouvement ouvrier. En face des ruines accumulées par la dégénérescence social-démocrate et par la pourriture opportuniste du stalinisme, une attitude honnête doit commencer, selon nous, par une critique impitoyable de tout ce qui a substitué à l’expression des volontés du prolétariat révolutionnaire une volonté bureaucratique ou opportuniste ou une religion quelconque.
Avec Rosa Luxembourg, nous pensons que « les grands mouvements populaires ne sont pas provoqués par les recettes techniques prises dans la poche du Parti ».
Après elle, nous pensons que « l’heure historique exige chaque fois les formes correspondantes du mouvement populaire, et qu’elle se crée elle-même de nouvelles formes, improvise des méthodes de lutte inconnues auparavant, examine et enrichit sans se soucier des prescriptions du parti, l’arsenal du peuple »
C’est pourquoi, dans cette période de recul formidable du prolétariat, nous considérons notre jeune Parti, né de la résistance à la guerre et à l’union sacrée, comme le lieu de convergence de toutes les forces prolétariennes décidées à remonter le courant.
Aucune de ces forces, aucune des tendances existant au sein du mouvement ouvrier, aujourd’hui, en juin 1939, (ni les ex-socialistes S.F.I.O., ni les ex-communistes, ni les ex-trotskystes) ne peut prétendre renfermer dans son sein toute la lumière et toute l’énergie du prolétariat provisoirement désorienté. Mais toutes doivent apporter quelque-chose de spontané, de sain, de libre à l’élaboration d’une politique commune. Toutes doivent être attentives aux manifestations de reprise du mouvement de classe, se lier à lui, le comprendre, l’éclairer.
Aussi, dans le cadre de notre Charte constitutive, qui garantit à tout militant la libre expression de ses opinions, chacun doit prendre sa part de travail commun, sans sous-estimer ni mépriser l’existence des autres éléments.
Notre tâche est immense, mais nous pouvons l’entreprendre avec confiance. Car nous y associons tous ceux qui viendront à nous en hommes libres et parmi lesquels, tout naturellement, en dehors de tout sectarisme, les meilleures conceptions servies par les meilleurs militants seront librement choisis par les meilleurs combattants.

Marceau Pivert

 

[avec nos remerciements au site Ensemble]

 Le 1° Congrès du PSOP (1939)

 

3 Réponses to “1939-06 Le PSOP et le trotskysme [Pivert]”

  1. Trotsky and his Critics. A Review. | Tendance Coatesy Says:

    […] Le PSOP et le trotskysme. Marceau Pivert. Juin 36. 9th of June. 1939. “s’il abandonne les méthodes fractionnelles, le noyautage commandé de l’extérieur, les moyens de pression et de corruption ou de dénigrement systématique destiné à isoler ou à développer tel ou tel militant qualifié pour la circonstance de « centriste » en vue d’une opération analogue à la préparation d’une « citronnade », alors comme courant politique, le trotskysme peut et doit trouver place au sein du PSOP. » […]

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  2. Raising Atlantis? Review: The Two Trotskyisms Confront Stalinism. Edited Sean Matgamna. Workers’ Liberty. 2015. | Tendance Coatesy Says:

    […] (22) Le P.S.O.P. et le trotskysme. Marceau Pivert Juin (Journal) June, 1939 […]

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  3. Raising Atlantis? | The Two Trotskyisms Says:

    […] (22) Le P.S.O.P. et le trotskysme. Marceau Pivert Juin (Journal) June, 1939. One should note however that for modern Trotsksyist writers the problems that arose in this encounter (in the wake of the Front Populaire and its impasse) were everything and everybody’s fault but the Trotskyists. Unfortunately this has included Broué :  P. Broué, N. Dorey. Critiques de gauche et opposition révolutionnaire au front populaire (1936-1938). La crise sociale de 1938. (1966) […]

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