Louzon (1882-1976)

Robert Louzon


Des grains de sables se sont glissés dans la vie bien huilée de ce fils d’une famille de la bourgeoisie parisienne, enrichie lors de la vente des biens nationaux: la lecture d’Eugène Sue qui incite le jeune lycéen de Janson-de-Sailly à parcourir le Paris populaire avec son intime ami (et qui le restera toute sa vie) Robert Debré, l’émotion qui se transforme en révolte devant la misère, l’affaire Dreyfus qui les bouleverse et où ils perdent leurs illusions sur la justice républicaine, la fréquentation des milieux socialistes allemanistes, la lecture de l’étonnant Père peinard d’Emile Pouget qui l’amène au syndicalisme d’action directe.

Après son doctorat en droit sur la propriété des mines en France et un diplôme de l’Ecole des mines, Louzon est ingénieur dans des mines espagnoles puis devient directeur de l’usine à gaz de saint-Mandé. Il croit à l’importance de la technique et de la connaissance économique mais il est persuadé que les intellectuels bourgeois, comme lui, doivent aider la classe ouvrière dans son combat révolutionnaire en l’éclairant sur les mécanismes de l’économie et non prétendre diriger le mouvement ouvrier. Ami d’Hubert Lagardelle, il écrit dans Le Mouvement socialiste des articles… contre les intellectuels. Robert Louzon, orphelin de bonne heure et libre de sa fortune, peut manifester très concrètement ses sympathies. Il achète, en 1907, pour 110 000 francs, l’immeuble du 33 rue de la Grange-aux-Belles qu’il apporte en actif dans la Société Griffuelhes et Cie pour loger la CGT. La direction du gaz ne peut guère garder ce directeur d’usine qui offre un siège à une organisation syndicale et le révoque. Il est désormais tout à fait libre de dénoncer le trust du matériel des usines à gaz dans La Vie ouvrière.

Son activité de journaliste économique est militante, il n’est jamais rétribué pour un article et n’écrit que dans des revues comme La Vie ouvrière et La Révolution prolétarienne qui correspondent à ses engagements. Ses centaines d’articles sont informés, démystificateurs, paradoxaux, pour expliquer les rouages compliqués de l’économie, défendre l’inflation, combattre le mythe de la propriété, analyser les crises et l’impérialisme, en marxiste solide et peu orthodoxe. Il est fidèle au syndicalisme révolutionnaire, voyant dans le premier communisme les possibilités d’un parti vraiment ouvrier, rétif dès 1924 à la bolchevisation, dénonciateur des crimes et des mensonges staliniens et des déplorables conditions de vie des ouvriers et paysans soviétiques.

Robert Louzon s’engage très tôt dans la lutte anticolonialiste. En 1913, propriétaire d’une exploitation agricole en Tunisie où il expérimente des méthodes d’agriculture moderne, il se lie avec les militants du destour. Après la Première Guerre mondiale (qu’il fait, comme capitaine de zouaves, sans états d’âme, contrairement à ses amis Monatte et Rosmer, pour lutter contre le militarisme allemand), il assure le secrétariat de la Fédération communiste tunisienne et la direction de son journal, puis celle d’un journal en langue arabe, vite interdit. Condamné en 1922 à six mois de prison et à l’expulsion, il s’installe sur la côte d’Azur qui devient son port d’attache et où il vit de ses rentes puis de son capital. Pendant plus d’un demi-siècle (à l’exception de l’Occupation), il écrit sans cesse.

Dans les années1930, pacifiste, il est néanmoins partisan d’une lutte, même armée, contre le fascisme. Après un voyage au Maroc, pour tenter d’empêcher le recrutement des Marocains par les franquistes, il s’engage dans l’armée républicaine dont il est un des plus vieux combattants et, à son retour en France, s’emploie à aider les républicains espagnols mais aussi les émigrés italiens et allemands. Pour faciliter de délicates démarches, il arbore même sa Légion d’honneur octroyée pendant la guerre. Cela ne l’empêche pas, en 1939, de signer le tract “Paix immédiate”. Après un premier non-lieu, il est arrêté au début de 1940 et envoyé au camp de Bossuet en Algérie dont il est libéré en 1941. Il n’est plus qu’un spectateur inquiet et attentif jusqu’à la reparution de La Révolution prolétarienne, dont il remplit bien des colonnes et suscite souvent polémiques et même crises quand il se déclare en 1951 du parti américain ou quand il affirme violemment ses convictions pro-arabes et anti-israéliennes. Parallèlement il est le rédacteur, l’imprimeur, l’administrateur des Etudes matérialistes. Il reste fidèle à ses engagements pour l’indépendance des peuples coloniaux et contre le totalitarisme soviétique. La Yougoslavie de Tito l’intéresse et il y fait plusieurs voyages. La Chine le fascine et il fête ses quatre-vingt-dix ans à Pékin. Il meurt le 22 septembre 1976 à Antibes, son dernier article sur le néo-turgotisme est paru en février 1975.

Cet homme paradoxal, au physique à la G.B. Shaw, au mode de vie peu conformiste, à l’insatiable curiosité, aux amitiés multiples dans les milieux les plus divers, n’a apprécié son argent, ses diplômes, ses connaissances que pour la totale liberté qu’ils lui donnaient pour défendre un socialisme qui ne revête pas “les masques conscients ou inconscients de la contre-révolution”.

Colette Chambelland.

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Voir:

  • Hommage à Robert Louzon (Révolution prolétarienne n°626, octobre 1976)

TEXTES: