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Conclusion à L’Eglise et l’école – perspectives prolétariennes (Pivert, 1932)

22 septembre 2009

L’un d’entre nous en avait mis en ligne il y a quelques années un chapitre, La Commune et l’effort prolétarien, sur un site syndical.

Nous avons essayé de découvrir, pour quelques époques particulièrement instructives, le lien qui rattache d’une part le phénomène religieux, les institutions cléricales, les besoins des classes dirigeantes et d’autre part, le phénomène laïque, le mouvement scientifique et les aspirations des classes révolutionnaires. Le problème de l’éducation s’est trouvé si intimement mêlé aux considérations relatives à la lutte des classes qu’il semble difficile de nier cette tendance naturelle d’une société à former la génération qui va la remplacer en fonction d’un certain « continu » social. En plus des acquisitions permanentes de l’expérience, l’enseignement transmet un certain nombre de valeurs provisoires qui seront souvent des obstacles au progrès de l’humanité. La laïcité, l’enseignement laïque digne de ce nom est d’abord un choix entre le permanent et le provisoire, une résistance spontanée aux idéologies qui ne s’imposent pas nécessairement. Pour ce choix, pour l’orientation de cette résistance, une base, un système de références s’imposent : c’est le prolétariat qui doit le fournir. Laissons à d’autres la croyance en un idéal qui aurait une valeur absolue, éternelle, immuable. Notre méthode nous permet d’affirmer que toute idéologie a une origine sociale, la nôtre comme les autres. Mais la nôtre prétend traduire aussi exactement que possible une évolution profonde. C’est l’histoire de toutes les grandes hypothèses que le prolétariat vit, dans sa doctrine socialiste. Partir des faits scrupuleusement observés, construire un système interprétatif qui les relie, découvrir, grâce à lui, de nouveaux faits inaperçus tout d’abord, et compléter ensuite, à mesure que s’enrichit l’investigation, le système d’explication primitif. Des lignes simples peuvent, à ce régime, apparaître, vues de plus près, singulièrement plus complexes qu’on ne l’imaginait, des pans vétustes du système primitif s’écroulent soudain sous la poussée d’une expérience ou d’une observation ; mais c’est pour laisser surgir quelque chose de plus vaste, de plus hardi, de plus conforme aux progrès de la pensée et à la richesse de l’expérience.

Ainsi de la méthode socialiste. C’est par l’efficacité des résultats que la science justifie ses méthodes et ses postulats. C’est par l’efficacité de sa prise directe sur la réalité sociale que le marxisme justifie les siens.

Car si les événements historiques ont été vus sous un angle suffisamment grand, si leur processus a laissé découvrir une sorte de loi générale d’interprétation, alors, dans l’action individuelle et collective, l’efficacité de nos efforts sera maximum. Et nous démontrerons par là même aux antimarxistes qui s’obstinent à ne pas vouloir comprendre, qu’il nous est possible de faire l’histoire dans la mesure où nous avons su insérer notre influence dans la direction où l’histoire s’engage.
Dans la société où le capitalisme se révèle pourvoyeur de guerre et de chômage, à une époque où des millions et des millions d’êtres humains sont jetés dans la misère ou massacrés sur les champs de bataille par le seul jeu d’un monstrueux régime d’exploitation, les principes essentiels d’une laïcité telle que nous l’avons définie apparaissent bien comme une sorte de « catégorie mentale » du prolétariat révolutionnaire. En elle se retrouve l’esprit d’indépendance, la réaction contre l’autorité, le besoin de justice et de raison de la vieille civilisation grecque. En elle se symbolise tout l’effort des travailleurs en lutte continuelle contre les forces de la nature et les iniquités sociales. En elle se réfugie le véritable optimisme humain, réaliste et scientifique, diamétralement opposé au pessimisme chrétien qui ne peut pas imaginer l’homme en dehors d’un gendarme pour le punir ou d’un prêtre pour l’absoudre. En face d’une société corrompue, d’une classe bourgeoise qui revient à la religiosité et au mysticisme, qui n’a plus confiance dans la valeur de l’intelligence humaine et qui se blottit peureusement, abdiquant toute dignité, à l’ombre des églises et des hiérarchies ecclésiastiques, oui, la classe ouvrière demeure le seul support de la laïcité, la seule sauvegarde du libre examen.

Elle sera d’autant plus fidèle à ce rôle historique qu’elle appliquera plus rigoureusement, à l’extérieur comme à l’intérieur, les règles chaque jour plus impérieuses de la méthode marxiste.

A l’extérieur, c’est-à-dire qu’elle prendra conscience de sa constitution en classe international, en lutte permanente contre un monde qu’elle doit renverser. La laïcité étendue à cette échelle consistera pour le prolétariat à cribler scrupuleusement tous les apports de l’histoire ou du milieu. La notion de patrie sera soigneusement subordonnée à celle de classe, comme la notion de province l’a été un jour à celle de Nation.

Les influences religieuses resteront à la porte, comme reflets des besoins sociaux des classes ennemies. L’attitude socialiste en face de la religion peut se comparer à l’attitude socialiste en face de la petite propriété : La lutte directe, l’expropriation de celle-ci ou la persécution de celle-là sont en marge de toute la doctrine socialiste. Mais l’indifférence n’est pas non plus absolument conforme aux perspectives prolétariennes. Le socialisme a le dessein d’interpréter une certaine courbe des événements; de l’analyse du passé et du présent, il croit pouvoir déduire, par extrapolation, des formes d’avenir. Ainsi, viendra sans
doute l’heure où le petit paysan propriétaire lui-même éprouvera le besoin de rejoindre spontanément la production collective, meilleure utilisatrice de son travail. Ainsi viendra aussi l’heure où les représentations religieuses imposées à son enfance feront place, spontanément, dans l’esprit du travailleur, à des aspirations plus élevées, plus adéquates, plus riches d’expérience personnelle ou collective.

Et si, ce qui est possible, quelque chose dans le mouvement ouvrier doit ressembler un jour à une sorte de phénomène religieux, on peut affirmer dès maintenant que rien ne permettra de reconnaître en lui le dessein des religions primitives, féodales ou capitalistes. Le prolétariat, en tant que classe, doit se nourrir, comme une cellule vivante, dans le milieu où il évolue et des matériaux historiques dont il hérite mais comme la cellule, il doit commencer par démolir tous les éléments dont il fait sa substance pour reconstruire un édifice protoplasmique absolument original.

A l’intérieur, c’est-à-dire que cette classe ouvrière n’atteindra vraiment la pleine conscience de son rôle, la pleine connaissance de ses devoirs que si elle est unifiée et si, conformément aux exigences de « la laïcité » elle institue une libre circulation des idées et des conceptions entre tous les travailleurs qui la composent. « Démocratie intérieure », telle est l’expression synonyme de cet aspect de la laïcité. On ne sera pas surpris de constater que là encore, les mots ne prennent leur sens profond qu’appliqués au donné prolétarien.

Nous ne nous dissimulons pas que la notion de laïcité n’est pas habituellement entendue dans un sens aussi large, aussi osé, peut-être.

Mais c’est parce que nous croyons en deviner les liaisons sociales, c’est parce que nous pressentons l’importance des luttes prochaines, autour de ce sujet, et en liaison avec la lutte menée par le prolétariat, que nous n’hésitons pas à faire cette extension.

Les années qui viennent seront l’occasion d’un conflit de plus en plus aigu entre ceux qui souhaitent un enseignement neutre, c’est-à-dire, en réalité, conservateur, et ceux qui souhaitent un enseignement laïque, c’est-à-dire, nécessairement, libérateur.

Nous n’avons pas examiné un seul instant l’hypothèse d’une prise du pouvoir par le prolétariat. En ce cas, le système d’éducation serait nécessairement déterminé par les circonstances. Nous nous bornons à exprimer le résultat de nos observations dans l’état actuel de la lutte des classes. C’est relativement à ces données que nous avons formulé des conclusions précises en faveur d’une laïcité intégrale.

Nous voulons qu’on nous rende ce témoignage qui en aucun cas nous n’acceptons d’imposer à l’enfant un dogmatisme quelconque, même le nôtre. Il nous suffit d’obtenir un enseignement impartial, scientifique, respectueux de l’enfant. Il nous suffit d’obtenir un enseignement prolongé jusqu’à 16 ans; notre confiance est telle en la vertu d’une véritable éducation laïque que nous n’aurons ensuite en tant que militants, qu’à tourner les yeux, que nous aurons largement ouverts à l’école, vers les réalités de notre société détraquée pour éveiller la flamme socialiste dans les consciences ouvrières.

Nos adversaires, même lorsqu’ils tentent de le dissimuler, ont un objectif très clair. Le nôtre ne l’est pas moins… Ce seront les jeunes, les jeunes vers qui, la propagande catholique s’oriente systématiquement, les jeunes vers qui nous allons, nous aussi, avec allégresse; ce seront les jeunes qui nous départageront ! Soyons sans inquiétude ! Les jeunes iront de plus en plus vers le socialisme, celte jeunesse de l’Humanité libérée.

Marceau Pivert

Contre le courant

14 avril 2009

La Bataille socialiste ouvre une chaîne sur Youtube en commençant avec la vidéo de présentation du DVD de Contre le courant, film tourné par le P.S.O.P. en 1938, édité avec le N°116-117 des Cahiers du CERMTRI en 2005.

Voir aussi:

  • La note de lecture dudit N° des Cahiers du CERMTRI parue dans La Révolution prolétarienne N°748.

Le numéro avec le DVD peut être commandé pour 10 € + 1,40 € de frais de port au C.E.R.M.T.R.I., 28 rue des Petites-Ecuries 75010 Paris.

Pourquoi nous quittons le Parti S.F.I.O. (1938)

20 mars 2009

Extrait des Cahiers rouges N° 12 (juin-juillet 1938).

Beaucoup ne comprennent pas, ou feignent de ne pas comprendre. Expliquons-nous donc clairement.

1° La question de la Seine

Cette question a joué un rôle important dans les événements qui nous ont amenés à notre décision, parce que nous étions solidaires de Marceau Pivert et de ses camarades, mais elle avait surtout une valeur d’indication, de symbole en quelque sorte.

En effet, si on laisse de côté la lettre privée (et d’ailleurs innocente) de Marceau Pivert, lettre dont l’utilisation suffit à disqualifier la Commission des conflits, nos camarades ont été frappés (d’une suspension sans appel) pour l’envoi d’un tract à l’intérieur du Parti, alertant les militants, en vue d’un prochain congrès, sur les dangers de la tentative faite par Léon Blum en mars dernier.

C’est un cas-type de la suppression de la démocratie à l’intérieur du Parti, de l’interdiction de la libre critique. Et cela est déjà d’une importance très grave.

Passons sur certaines… anomalies: des camarades ont été frappés alors qu’ils n’avaient été entendus que comme témoins! Quand on est décidé à empêcher l’expression de certaines idées, on ne s’embarasse pas de scrupules de ce genre.

Mais la Fédération de la Seine s’étant presque unanimement déclarée d’accord avec son bureau et ayant demandé la suspension des sanctions jusqu’au Congrès, la Fédération est dissoute vingt-quatre heures après, sans aucune tentative de conciliation; cas unique dans l’histoire du Parti!

Le but de l’opération est clair: décapiter la G.R. avant le Congrès de Royan, lui enlever 433 mandats qui pourraient, comme cela s’est déjà fait, mettre le Secrétaire général en difficulté.

Et pour être sûr qu’on sera bien débarrassé de ces gêneurs, on ne se contente pas d’exiger, pour entrer dans la nouvelle Fédération, un serment de soumission à la décision de la Commission des conflits, mais on refuse d’admettre le serment de ceux qui sont connus comme G.R.!

C’est ce qui permettait à la Fédération de la Haute-Vienne, où il n’y a pas de tendance G.R., de parler, dans sa motion d’une « volonté d’épuration systématique« .

On pouvait espérer, après cela, que le Congrès de Royan s’insurgerait contre ces méthodes; mais la bureaucratie avait bien pris ses précautions.

A notre désir de conciliation répondit une volonté réelle de laisser hors du Parti la Fédération de la Seine, dont on fit le procès (et en quels termes!) sans que ses représentants soient admis à se défendre.

Blum se lamenta, mais ne voulut rien faire. Arnol, Lebas, et Paul Faure furent aussi violents que possible, P. Faure reconnut que depuis longtemps il voulait exclure la G.R. La motion de conciliation de la Haute-Vienne et celle du Doubs ne furent même pas mises aux voix, et la motion du Nord, refusant toute mesure d’amnistie, obtint la majorité.

Dès ce moment on pouvait prévoir la suite, d’autant plus que la question avait été nettement posée par Blum sur le terrain politique. Il était évident pour tous que les sanctions disciplinaires n’étaient qu’un prétexte juridique pour se débarrasser d’une opposition politique gênante.

2° La question politique

Malgré tout, les délégués de la G.R. participèrent jusqu’au bout aux discussions, pour ne laisser échapper aucune possibilité de redressement du Parti sur le terrain politique.

Certes, nous ne demandions pas au Congrès d’adopter les thèses de la G.R., mais nous lui demandions au moins de renoncer à toute tentative d’union nationale, conformément au voeu de la quasi-unanimité du Parti. (La Fédération des Alpes-Maritimes avait, à l’unanimité, voté un ordre du jour dans ce sens, et de nombreuses fédérations en avaient fait autant.)

Or, non seulement Blum voulut à toute force faire approuver ses tentatives de « Rassemblement national » ou d’ « unité française« , mais il refusa obstinément de s’engager pour l’avenir ou de laisser poser la question au Congrès; il alla même plus loin dans son discours, déclarant qu’un gouvernement de Front populaire était impossible, et que le Parti ne pouvait revenir au pouvoir qu’à la faveur de circonstances exceptionnelles permettant la constitution de ce gouvernement d’ « unité française » auquel il ne renonçait pas. En attendant, soutien du gouvernement Daladier tant que le grand gouvernement d’unité française n’est pas possible.

Et comme si cela n’était pas suffisant, Blum annonça aux délégués, dont beaucoup n’en croyaient pas leurs oreilles, qu’en cas de guerre le Parti ne refuserait pas d’entrer à nouveau dans l’union sacrée!

On comprend les félicitations sincères des journaux de droite. Jamais, en effet, le parti socialiste n’avait été aussi « sage ». On comprend aussi l’enthousiasme de certains zyromskistes qui soulignent avec complaisance que Blum accepte la plupart des idées de Zyromski en politique extérieure, et en fait accepter, à la majorité du Parti, toutes les conséquences.

Ce qu’on comprend moins, c’est l’étonnement de certains vrais socialistes devant notre attitude. Que leur faut-il de plus? Quand donc auront-ils compris?

3° Les possibilités de redressement

Certains se bercent encore de l’espoir de travailler, à l’intérieur du Parti, au redressement nécessaire. Nous devons leur dire, avec la franchise que nous devons à de bons camarades, que c’est là un espoir complètement illusoire.

Nous avons nous-mêmes lutté, tant que nous avons pu le faire, dans le Parti. Nous avons pu constater que les militants les plus sincères, ou bien s’éloignaient du Parti et abandonnaient toute action, ou bien se laissaient peu à peu endormir et cédaient parfois, eux aussi, au chantage permanent au péril extérieur.

Les réactions spontanées, très vives au moment de la capitulation devant le Sénat, se sont peu à peu émoussées dans le Parti. La tentative « de Thorez à Reynaud » avait heurté tout le monde; aujourd’hui, ceux mêmes qui avaient critiqué le « Front des Français« , formule communiste, acceptent l’ [« ]unité française« , présentée par Blum.

Tous ont pu constater comment la bureaucratie du Parti se débarrassait de ceux qui devenaient gênants. Et tous ont pu constater que la tendance zyromskiste, en dépit d’une opposition de façade et de revendications démagogiques, se rallie, en fait, à la politique de Blum dirigée vers l’union nationale.

Ceux qui voudront défendre le socialisme traditionnel, fondé sur la lutte des classes, à l’intérieur du Parti, seront vite conduits à l’indiscipline ou s’épuiseront en luttes stériles.

Après l’escamotage du Conseil national de mars, notre dernier espoir résidait dans le Congrès de Royan. Ce Congrès a montré que le Parti était incapable de se redresser lui-même, de tirer les leçons de l’expérience, de se dégager de l’emprise de certains « chefs ».

Pour nous, la question, est tranchée. Le Parti S.F.I.O., complètement enlisé dans le parlementarisme, est incapable de s’arrêter sur la pente où se sont engagés les autres partis sociaux-démocrates.

C’est un devoir impérieux pour nous de renoncer à toute complicité avec ceux qui entraînent le Parti, et avec lui, une partie de la classe ouvrière, vers la catastrophe, même s’ils ne s’en rendent pas compte.

Nous le faisons avec un grand déchirement de coeur, car nous aimons le Parti, malgré toutes ses fautes. Mais ce qui est le plus grave, ce n’est pas de commettre des fautes, c’est d’être incapable de les reconnaître, c’est d’y persévérer.

4° Les tâches de l’avenir

On a essayé de nous retenir avec une insistance qui ne ressemblait guère à l’attitude qu’on avait eue envers nous dans le passé. Et on nous a dit que nous reviendrions dans trois mois ou dans un an.

Nous reviendrons dès que le Parti S.F.I.O. aura retrouvé son attitude vraiment socialiste, conforme aux principes essentiels de sa charte. Et nous nous gardons bien, par des polémiques acerbes ou des querelles de boutiques, de retarder d’un seul jour l’unification totale du prolétariat sur la base de la lutte de classe, de l’action révolutionnaire.

En attendant de pouvoir faire ce que d’autres n’ont pas pu ou pas voulu faire, nous avons une tâche immédiate à laquelle nous ne pouvons nous dérober: rallier tous ceux que les événements de ces dernières années avaient découragés et éloignés de l’action, rallier ceux qu’avaient déçus et écoeurés les déviations des partis prolétariens, entretenir et ranimer chez eux la flamme révolutionnaire, développer la résistance à l’union nationale et à l’union sacrée.

Nous quittons le Parti socialiste parce que nous sommes socialistes et que nous sommes décidés à le rester.

S. BROUSSAUDIER.

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Voir aussi:

Le voyage en URSS de Marceau Pivert en 1956 (1)

24 avril 2008

Au mois d’avril 1956, Marceau Pivert participe à une délégation du Parti socialiste qui se rend en Union Soviétique à l’invitation du Parti communiste soviétique. Source: Centre d’histoire sociale du XX° siècle

1ère partie: à Moscou, 28 avril-8 mai 1956

Notes et photos de Marceau Pivert

28 avril

Arrivée à Moscou à 20h–23h le 28. Réception à l’aérodrome, par le camarade Chepilov, directeur de la Pravda, premier suppléant au Soviet Suprême, directeur de la Pravda (51 ans, ulcère à l’estomac mais théoricien dur du marxisme-léninisme). Enorme afflux de projecteurs et de récepteurs, journalistes, photographes, télévision, etc. Texte de bienvenue et réponse de Pierre Commin à reproduire.

29 avril

Mise au point du programme des visites
de 10h30 à 14h ; Réception et séance d’information au Soviet de Moscou : Président Bobrovokov ( ?) assisté de tous les chefs de service : Direction technique ; Budget ; Logement ; Industries et finances ; des députés du Soviet de Moscou, (un contremaître d’imprimerie ; une ouvrière-perceuse dans une usine ; un ajusteur)
Allocution de salut ; liens profonds unissant les peuples pacifiques France URSS ; renforcement de l’amitié entre nos peuples.
Présentation de la délégation par Pierre Commin : Remise de trois albums. Projecteur, Photo, ciné.
Le soviet de Moscou établit son budget, applique les lois socialistes, protège les droits des citoyens sur territoire de la ville.
Les 813 députés au Soviet de Moscou sont élus pour deux ans à raison de 1 pour 600 habitants. Ils siègent quatre sessions par an. Ils établissent les plans annuels de développement de la ville, le budget, l’enseignement, l’assistance médicale, l’urbanisme, les aménagements, ils élisent leur Exécutif et désignent les Commissions permanentes, responsables des différents services.
L’Exécutif se compose de 25 membres ; il siège et agit pendant l’intervalle des sessions ; les commissions, au nombre de 12, se réunissent une fois par semaine. Des députés appelés activistes (militants), non-membres de l’Exécutif, participent aux séances de travail. Chaque commission est en liaison avec les organismes d’usagers correspondants. (Ex. Commission culturelle, en rapport avec groupes théâtres, parcs repos, etc, dont les suggestions sont étudiées. Si c’est nécessaire le problème posé est soumis à l’Exécutif.
Le soviet de Moscou construit des habitations, des moyens de transport, etc. En 1956, il dépensera 3400 millions de roubles pour la construction. Les projets sont répartis, étudiés par l’Institut d’Architecture, et mis en œuvre par les entreprises assurant la production des matériaux. Briques, carreaux, béton. Etc. 70% des matériaux sont fournis par les entreprises de Moscou, coopératives artisanales et entreprises locales.
Une autre commission s’occupe des magasins, restaurants, approvisionnement, cantines, entreprises de distribution.
Une autre de la santé publique, des hôpitaux, crèches, polycliniques, une autre de l’Enseignement, une autre des transports, métro, tramways, trolleybus, camions, usines d’entretien et réparation.
Le territoire de Moscou est divisé en 25 arrondissements gérés par un soviet local élu par la population et qui désigne aussi un Exécutif local. Tous les problèmes concernant l’arrondissement sont de son ressort : Exécutif, Commission, directions, budget… chaque année le soviet de Moscou établit son projet de budget en tenant compte des propositions des soviets locaux, dans le cadre d’un plan de développement prévu pour 10 ans (1951 à 1960).
Ainsi les projets comportent la construction de 9 millions de mètres carrés d’habitations. Dès à présent la moyenne de 2 millions par m2 par an est dépassée. 400 écoles sont prévues : actuellement les écoliers doivent faire les classes de demi-temps : une demi-journée pour un groupe et l’autre demi-journée pour un autre, faute de locaux. Chaque groupe scolaire comporte un effectif de 880 élèves.
Pour les hôpitaux, on a prévu 21000 lits (on en a installé 9000 en 5 ans). Même prévision dans le domaine des canalisations, qui investiront 1 milliard 500 millions de roubles : on va installer le gaz de manière que 70% des carburants employés soient remplacés par du gaz, ce qui assainira d’autant l’atmosphère de la ville et économisera le transport de charbon.
Des salles de cinéma, des piscines, une patinoire artificielle, des blanchisseries et entreprises diverses de services publics sont aussi prévues.
Les relations entre les électeurs et les députés au soviet sont quotidiennes ; il y a 30000 militants actifs dans toutes les commissions, 500 députés aux soviets locaux, 800 députés au soviet de Moscou.
La ville est en développement constant ; les habitants sont en contact direct et étroit avec leurs représentants.
Les recettes du budget sont assurées par les industries et les commerces gérés directement par les Soviets, ainsi que par les services publics, dans la proportion de 75 à 78% ; le reste est fourni par le budget national.
Pour la santé, l’enseignement, la sécurité sociale, 45 % des dépenses. (1 milliard 200 millions de roubles), 20% rien que pour la santé. La stabilité du budget est assurée par sa base économique : toutes les entreprises doivent être rentables.

Question : Cette organisation est-elle la même partout ?
Réponse : Oui, partout, en conformité avec la Constitution de l’URSS. Seules, les dimensions des agglomérations modifient la composition des assemblées.
Question : Il y a donc des élections tous les deux ans ?
Réponse : Oui.
Question : Quelles sont les conditions pour être candidat ?
Réponse : Une seule : participer activement à la construction, au travail d’organisation de la vie municipale.
Question : A quel âge ?
Réponse : A 18 ans.
Question : N’importe qui peut être candidat ?
Réponse : Oui, s’il jouit de tous les droits, nulle autre condition.
Question : Y a-t-il plusieurs listes en présence ?
Réponse : Oui, cela se produit dans une entreprise ; il y a campagne électorale, et le meilleur est élu comme candidat à la candidature. Il y a donc parfois plusieurs candidatures.
Question : Cela s’est-il produit la dernière fois ? Quand ?
Réponse : Oui, cela s’est produit, en décembre 1954.
Question : Il peut y avoir plusieurs candidatures avant le jour de l’élection, mais au moment du scrutin ?
Réponse : Alors, il n’y a plus qu’un candidat par circonscription, mais au cours de l’élection, on peut encore ajouter d’autres noms.
Question : Comment se fait alors la campagne électorale ?
Réponse : C’est le candidat désigné qui fait des réunions et rencontre des électeurs.
Question : Si je ne suis pas d’accord avec cette candidature, puis-je me porter comme candidat en face officiel ?
Réponse : Oui, vous le pouvez.
Question : Le fait s’est-il produit ?
Réponse : Oui : les statistiques des résultats électoraux locaux le montrent…
Question : Comment sont établies et vérifiées les listes électorales ?
Réponse : Il n’y en a pas : chaque citoyen se présente, muni de ses pièces d’identité et reçoit une enveloppe dans laquelle il peut placer, en isoloir, son bulletin de vote. Le secret du vote est assuré.
Question : Les élus reçoivent-ils un traitement ?
Réponse : Non : les membres des soviets reçoivent leur salaire à l’entreprise où ils travaillent, sauf le président et le secrétaire, qui sont permanents. En outre, ils circulent gratuitement sur les transports en commun. (Le Président du Soviet de Moscou est devenu Président de la République).
Question : Quel est le rôle des députés « activistes » ?
Réponse : Ce sont des militants dévoués, qui n’ont pas plus de droit que les autres. Une commission se compose de 11 à 13 membres, plus ces députés activistes.
Question : Les séances du Soviet sont-elles publiques ?
Réponse : Oui, les portes sont ouvertes.
Question : Combien de temps durent les sessions ?
Réponse : Elles sont courtes, et ne durent que quelques jours parce qu’elles sont minutieusement préparées à l’avance.
Question : Qui désigne les activistes ?
Réponse : Personne. Ce sont des volontaires qui viennent de leur initiative propre.
Question : Quels sont les moyens employés pour accroître les recettes ?
Réponse : Les dépenses doivent être conformes au budget. Exemple : L’augmentation du réseau de Caisses d’Epargne en raison de l’accroissement des revenus de la population. La répartition des Caisses a été étudiée par 63 députés qui ont décidé deux grandes constructions.
Question : Qui décide de la rentabilité des entreprises ?
Réponse : Chaque arrondissement, qui a son budget autonome, mais dans un cadre de prévisions de l’administration générale : depuis 20 ans, jamais le budget n’a été établi sans subir des rectifications venant de la confrontation avec les propositions locales. Ex : Des instituteurs demandent la création d’un camp pour les pionniers. Accordé.
Question : Comment se fait la ventilation des budgets aux différents étages ?
Réponse : Si un budget d’arrondissement est en déficit, c’est le soviet de Moscou qui assure la compensation.
Question : Quand il y a un désaccord entre arrondissement et cité, qui arbitre ?
Réponse : Il n’y a jamais un tel désaccord (plusieurs conseillers protestent). Les soviets d’arrondissements ont de grands pouvoirs ; ils peuvent entreprendre des travaux de 2 millions de roubles ; mais les services publics sont municipalisés ou même nationalisés. C’est le soviet de Moscou qui établit le plan d’urbanisme et qui contrôle l’exécution.
Question : Pour les 78% de recettes, qui fixe le prix ?
Réponse : C’est l’Etat, pour un grand nombre de produits, mais les produits locaux ont des prix fixés par la ville.
Question : Il peut y avoir des contradictions entre les besoins d’investissements, de capital fixe et ceux de la consommation. Qui détermine le taux de répartition ? Qui définit la Politique économique ? Es-ce que les intéressés sont appelés à donner leur avis sur le sujet ?
Réponse : il n’y a pas de contradiction, mais seulement différenciation : pour ce qui concerne l’ensemble du pays, c’est le soviet de la République ; pour ce qui concerne Moscou, c’est le soviet de Moscou. Je dois ajouter que depuis 18 mois, les pouvoirs du soviet de Moscou par rapport à la République sont plus larges. Nous avons intérêt à voir se développer notre agglomération. 20 à 22% de notre budget nous sont encore fournis par l’Etat, qui, lui aussi, a intérêt à notre développement (D’ailleurs le camarade Krouchtchev a été d’abord président du soviet de Moscou). Dès à présent toute installation d’une nouvelle industrie à Moscou est interdite : nous sommes de véritables maîtres de tout ce qui concerne Moscou.
Question : Combien de documents budgétaires publiez-vous chaque année ?
Réponse : un budget prévisionnel est adopté par l’Exécutif ; il est soumis à la session du soviet ; on l’exécute ; on fait des comptes rendus trimestriels.
Question : L’Etat exerce-t-il un contrôle ?
Réponse : Oui, chaque ministère exerce un contrôle.
Question : Quel est le temps qui s’écoule entre une décision de construction et la mise en route de travaux ?
Réponse : Dans le cas d’un projet-type bien préparé, il faut au moins un mois ou 6 semaines. Un an après la décision de construire des logements, on emménage.
Question : Surface allouée par habitant ?
Réponse : Précision difficile, peut-être 10 à 12 mètres carrés.
Question : Y a-t-il le chauffage ?
Réponse : Oui, chauffage central et tout confort.
Question : Comment sont attribués les logements ?
Réponse : Les demandeurs s’adressent au Soviet d’arrondissement : on fait une enquête sur place ; on tient compte du lieu de travail, des priorités…
Question : Quelle est la proportion du salaire consacrée au logement ?
Réponse : de 3 à 4 % du salaire.
Question : Combien y a-t-il d’élèves, en moyenne par classe ?
Réponse : de 30 à 35 élèves par classe.
Question : Avez-vous assez de lits d’hôpitaux ?
Réponse : Oui en raison de l’amélioration considérable de l’état sanitaire de la population de 1940 à 1956, trois fois moins de tuberculose : on projette la disparition des hôpitaux en forme de sanatoria.
Question : D’où vient le gaz ?
Réponse : de la région de la Volga : par des pipe lines.
Question : Quels organismes se chargent des mutations et besoin de main-d’œuvre ?
Réponse : il y a au soviet de Moscou, une direction chargée de cela. Elle doit assurer les besoins d’ingénieurs, en rapport avec l’Université, ceux des nouvelles entreprises, par le centre d’apprentissage, enfin, un système réalise la coordination entre les besoins de spécialistes et l’accroissement de la productivité, qui peut libérer la main-d’œuvre : on tient alors compte des désirs exprimés par le travailleur.
Question : Est-il libre de choisir son nouvel emploi ?
Réponse : Oui. Pour les 5 prochaines années, il nous faudra 200 000 nouveaux travailleurs à Moscou : de nouveaux immeubles sont nécessaires pour les loger, de nouveaux techniciens pour les encadrer.
Question : Population de Moscou ? Nombre de fonctionnaires municipaux…
Réponse : 5 millions d’habitants. 2000 fonctionnaires soit 0,2% de la population active.

18h à 20h. Réception d’une moitié de la délégation par le syndicat des constructeurs de métro, à son centre de culture.
La camarade, ingénieur, décorée de l’ordre de Lénine.
Le discours de Robert Coutant aux 600 ou 700 ouvriers…
Pas de chant internationale…
21h. Dîner et conversation à l’Ambassade de France.

29 avril (suite)

(jour du retour de B. et K. de Londres) : visite des Chantiers de construction d’immeubles d’habitation : d’un côté, les misérables isbas, les cloisons et toitures rafistolées avec des tôles de boîte en fer, comme dans la zone, de l’autre, les immeubles neufs. Quartier construit entièrement depuis 1950 : maisons de quatre étages. Avenues de 220 logements édifiés en huit mois. Stade. Décision prise il y a un an. Terminé.
La construction par éléments préfabriqués fait tomber de 50% les prix de revient : en brique, il fallait un jour et demi de travail pour 1 m3. Il suffit maintenant de 0,75 jour de travail pour 1 m3.
Salaires des ouvriers monteurs : 1500 à 2000 roubles parfois 3000.
Les blocs sanitaires et les blocs élémentaires de 5 tonnes de ciment.
Chauffage central urbain à partir d’une centrale thermique voisine.
Radiateur, isolants contre le bruit ; sol sableux, mais fondations solides.
Exécution en chaîne des blocs d’immeubles. Finition assez grossière.
Le camarade Goutosov, secrétaire du PC, est ingénieur.
Les pièces ont 6m sur 4m. Loyer 1,40 roubles par m
Visite d’un autre quartier neuf ; rues ; immeubles et maisons de campagne construites après la guerre. Arroseuse et balayeuse municipale.. des queues de ménagères allant chercher du lait.
Une école qui a été construite en 72 jours : il se construit 40 à 50 écoles par an dans la région dépendant du soviet de Moscou.
Un hippodrome (les paris sont autorisés) et un stade sont en projet. Des maisons ont été placées pour élargir l’avenue Gorki : les meubles et même les habitants sont restés dans les appartements pendant ce transfert.
Les rez-de-chaussée sont souvent réservés au commerce, entièrement contrôlé par le Soviet de Moscou, à l’exception de quelques magasins dépendant de ministères. Les magasins coopératifs représentent une faible proportion du commerce total, assuré principalement par des magasins d’Etat.
Mais le mouvement coopératif, bien que contrôlé, a son autonomie administrative, il élit ses responsables.
Comparaison entre les vieux quartiers de Moscou, où les maisons disparates ont été édifiées sans plan, au gré des propriétaires individuels, et les quartiers neufs, planifiés et organisés, par le Soviet de Moscou.
En 1956, il est prévu pour Moscou la construction de 300 000 m2 de surface habitable.
Le sud-ouest de Moscou : un kolkhose a été déplacé pour céder la place à une nouvelle cité résidentielle. (on l’a indemnisé).
Blocs de 300 à 400 logements construits en huit mois.
A proximité, carrières d’argile, donc on fait des blocs de briques de 3 tonnes.. 150 00 m2 ont déjà été construits ainsi, à la chaîne. (La pénurie de grues avait empêché d’utiliser cette technique jusqu’à maintenant). Le plan de construction prévu jusqu’en 1960 s’accomplit avec le même rythme à tous les stades de la chaîne. Le travail est assuré, les crédits sont régulièrement procurés par le Soviet de Moscou. Les grues sont louées par un centre spécialisé : 120 grues pour 5000 ouvriers. Ici, un recoupement intéressant :le loyer de la grue est calculé d’après le salaire de 5 ouvriers qualifiés, ce qui fait 158 roubles par jour. Donc le salaire en question est de 32 roubles par jour. En admettant même 36 roubles par jour, cela fait 900 roubles par mois. Nous sommes loin des chiffres indiqués ci-dessus.
Les ouvriers utilisent mal les machines ; il en faudra 200 000 de plus rien que pour assurer l’exécution des constructions prévues par le plan ; la main-d’œuvre sera trouvée : problème lié à celui du désarmement…
Les planchers sont constitués par des blocs de béton de 6,40 m sur 2 m… Les murs extérieurs sont revêtus de plaques de céramique. Ensemble moderne très propre, des garages sont prévus. Un marchand de pianos ne parvient pas à assurer l’exécution de toutes les commandes qu’il reçoit : on voit la queue formée à sa porte ; plusieurs dizaines de pianos sont commandées chaque jour. Visite d’un appartement : on commence à emménager. Chauffage central par tuyaux dans les cloisons, reliés à la centrale thermique.
Il y aura 200 000 personnes logées dans ce quartier neuf. Les appartements terminés ont été commencés en novembre dernier. Des cours intérieures réservées aux enfants, des stades, des squares ; un bloc réservé au personnel enseignant, au 15e étage.
On construit énormément, maintenant, mais ce n’est pas encore suffisant : un secrétaire du PC est entièrement occupé pour diriger ce secteur essentiel.
Retour par l’énorme gratte-ciel de la nouvelle Université de Sciences : on construit au voisinage un immense complexe sportif : stade olympique, panorama de Moscou. Dans un angle, une vieille église, qui a été respectée à la demande de ses fidèles. Deux autres gratte-ciel se découpent sur le paysage : le Ministère des Affaires Etrangères, et un Hôtel de 1000 chambres qui sera terminé en novembre prochain.

30 avril

Visite au mausolée, au musée Lenine : son cabinet de travail « Lénine, fondateur du Premier Etat Socialiste du monde, chef et maître du prolétariat du monde entier. » (Caractère mystique de la femme qui présente, comme guide, les divers objets ayant appartenu à Lenine). Tout est resté dans le même état que lors de sa dernière journée de travail. L’aménagement est très modeste, mais « chaque objet est un témoignage de l’énorme travail accompli par le chef de la révolution prolétarienne ».. « Ici, dans cette petite chambre de 35 m², des gens de tous les pays du monde, et de toutes les régions de l’URSS, sont venus.. d’innombrables délégations d’ouvriers, de paysans. Et puis ils sont repartis dans leur pays pour construire une autre vie : les hindous en 1918, les Anglais (TUC) en 1920, le PC français en 1921… etc , ont préparé ici, avec Lénine, les rapports et les plans »
Téléphone de l’époque, étagère de livres, dictionnaires, congrès, œuvres de K. Marx et d’Engels.. dictionnaire français-bulgare offert par Dimitrof.. Lénine lisait couramment le français, l’anglais, et l’allemand.
Salle du Grand conseil des Commissaires du Peuple. Fauteuil de Lénine sous cloche de verre. Il y a encore au mur un portrait de Staline : salle séance du conseil des Ministres.
Appartements de Lénine et de sa femme. Cuisine, vaisselle. Bibliothèque. Table chauffante : celle qu’on voit dans le film « Lénine en 1918 » lors du dialogue avec Sverdlov.
Chambre de Kroupskaïa (habitée jusqu’en 1939). Photos de la famille de Lénine : la mère et la sœur de Lénine.
Chambre où dormait Lénine, lit très simple..
Sur la table , un « guide de Moscou révolutionnaire » 1926 (On ne trouve, en ville, aucun plan de Moscou, ici l’édition comporte une carte).
Sur le livre d’Or, des témoignages de sympathie de nombreuses personnalités (Ho-Chi-Minh, 13-7-1955)(Camille Huysman « je l’ai connu : il savait ce qu’il voulait » Pietro NENNI : « avec mon cœur et ma raison ».
Rencontre et conversation avec un groupe de jeunes étudiantes venant de Krasnoiarsk, 4 jours de chemin de fer, et allant étudier la technique forestière dans le Caucase.. Paysannes d’abord craintives, puis animées et rieuses. Elles nous photographient. Autour du Kremlin, dans une enceinte, foule bariolée ,courant ininterrompu de visiteurs montant et descendant les escaliers des diverses églises (avec fresques remarquables). Gros canons. Lamine Gueye essaye d’entrer en conversation avec un groupe de soldats musulmans d’Asie Centrale venant du Tadjikistan (frontière afgane).
La cloche ébréchée de 200 tonnes (XVIIIè)
Cathédrale de l’Annonciation
Le Kremlin : les appartements du tsar (lustre de 1700 kg)
Salle Saint-Georges… 3000 ampoules par uct : 20 essences d’arbres …
Salle du XXe Congrès ; 3000 places. Radio. Traducteurs simultanés. Amplificateurs individuels, là se tiennent les grandes conférences internationales. Deux salles ont été réunies en 1934. Au Présidium et à la tribune, la délégation française socialiste mime une séance hypothétique : le « camarade» Pierre Commin pointe un index vengeur sur les staliniens… Brutelle fait semblant d’étrangler… désordre de gavroches parisiens déchaînés dans un milieu austère.. Les interprètes et membres du CC observent avec réserve nos excentricités..
Encore des salles luxueuses, des peintures, des mosaïques de malachite, des salons dorés et scintillants, et encore un Staline qui nous nargue.. Nous renonçons, épuisés, à la visite du Musée des Armures.

1er mai

Mardi 1er mai : Défilé, carte d’invitation, 5 barrages, avec passeport en main. La musique joue, comme au temps du tsar « Gloire à notre tsar et à notre Russie ». Défilé très impressionnant, peu de militaires, foule massive, coulant comme un fleuve, et organisée par des métiers de scène de grande classe… Incident avec les anges gardiens qui nous entourent : sur l’origine et le fondateur de l’armée rouge… Je ne permets pas qu’on traite de contre-révolutionnaires les premiers compagnons de Lénine et un certain Léon Davidovitch…
Je cite mes références, témoin de l’époque, John Reed, Victor Serge : « Il faudrait commencer par définir ce qu’on met derrière les mots révolution et contre-révolution ». Mon explosion (la seule du voyage) se termine par un silence général. Le lendemain, un professeur d’économie de l’université m’a demandé les références : il ignorait évidemment ces noms et ces œuvres…
Conversation pittoresque avec un vieux révolutionnaire de 1905, qui tenait à nous raconter de A jusqu’à Z les préparatifs du travail clandestin dans son usine, par groupe de trois…
Les membres du C.C. du PC qui nous accompagnent sont Mittin, Ponomarov, Constantinov.
Travail collectif et répartition des visites à faire. Programme établi jusqu’au 3 mai.
14h15 Remise à Georges Brutelle de toutes demandes d’informations sur les cas individuels choisis dans toutes les tendances de l’opposition : communistes, socialistes, syndicalistes.
De 16h à 19h, Repas avec les membres du CC. Toasts…
Georges Brutelle : « Pour nous, le 1er mai a la signification d’une journée revendicatrice internationale de la classe ouvrière, mais jamais elle n’a eu de caractère militaire…
Réponse : Mais ici, nos soldats ne sont que des ouvriers et des paysans en uniforme
Sur le même thème, les répliques fusent de part et d’autre, de plus en plus vives… Et puis détente, et toast…
Pierre Commin : « Si l’unité ouvrière ne dépendait que des toasts de fin de banquets, il y a longtemps qu’elle serait faite… »
Robert Coutant : « Chez nous, l’obstacle principal, c’est le PCF…
Marceau Pivert discute avec la camarade Valentine Liubinova, professeur d’économie à l’université de Moscou « Si, lui demande-il, vous avez jugé sévèrement Noske à cause de son attitude contre-révolutionnaire en Allemagne, comment devons-nous juger Staline, en raison de son attitude contre-révolutionnaire en Espagne… »
Les réponses sont modestes et sans agressivité…
Le professeur d’économie qui m’a demandé des références s’appelle N. Liubinov (sans lien de parenté avec la précédente) : Il a été l’un des collaborateurs de Krassine à Paris, lors des négociations de 1925. Il est l’un des experts du gouvernement pour les relations internationales et le Commerce Extérieur.

Soir du 1er mai, sortie libre avec Robert Verdier et Oreste Rosenfefeld, qui nous fait découvrir l’envers des maisons de belle façade, les cours intérieures, les flaques d’eau et boîtes à ordures, les vieux immeubles délabrés… la boucherie à forte odeur, la queue pour déguster des glaces… Feu d’artifice, réjouissances…
Devanture d’un magasin de fourrures : 1500 roubles.
2 mai

Visite d’une caserne : celle du 3ème régiment d’Infanterie de la Division « Tamagne » ( ?) formé en 1918.
Le Commandant vient prendre le petit-déjeuner avec nous.
Trajet d’une cinquantaine de kms.
Histoire des faits d’armes du régiment, depuis la lutte contre Denikine jusqu’à la grande guerre nationale : Smolensk, Caucase, Sébastopol, Prusse orientale… Ses récompenses: 3338 décorés… 5 héros de l’U.S. Continue à se perfectionner et à participer à la construction du socialisme, en s’inspirant des décisions du XXe Congrès…

Question : Quelle est la durée du service militaire, pour l’infanterie ?
Réponse : trois ans
Question : Les recrues sont de la région ?
Réponse : Cela dépend : l’affection dépend de leur spécialité, sans tenir compte de la distance du lieu d’origine.
Question : Régime des permissions ?
Réponse : Cela dépend de la bonne conduite et des conditions familiales, et non pas d’une décision de principe ; les permissions ne sont pas attribuées après un délai déterminé.
Question : Un mauvais soldat peut donc rester longtemps sans permission ?
Réponse : Oui, cela est possible, mais malgré tout, il peut avoir quelques heures de permission.
Question : Répartition du temps entre préparation militaire et instruction générale ?
Réponse : Il y a 6 heures d’études par jour, plus 2 heures de préparation individuelle.
Quelle est la conception de la culture du soldat ?
Réponse : Chaque compagnie a son programme politique et culturel : pour le remplir, il y a diverses méthodes : conférences, cours politiques, causeries, loisirs culturels.
Question : Est-ce que tous les soldats participent à ces cours ?
Réponse : Non, ces cours ne sont pas donnés en même temps à tous.
Question : Y a-t-il des illettrés ?
Réponse : (légèrement scandalisée) Aucun illettré : Tous savent lire et écrire en arrivant au corps.
Question : Il doit cependant y avoir des différences de niveau ?
Réponse : Les uns doivent suivre 5 ou 6 classes ; les autres moins.
Question : Quelle est l’échelle de punitions ?
Réponse : Selon le règlement de discipline, toute infraction doit être sanctionnée : cela commence par un entretien avec le délinquant ; la discipline est basée sur la conscience des soldats ; les sanctions sont d’abord des mesures éducatives, et ne sont punitives qu’exceptionnellement.
Question : Quelles sont ces mesures ?
Réponse : Des entretiens personnels, puis, à l’échelle d’une petite unité (escounde). Puis devant la section : un régime de grande exigence à l’égard des subordonnés constitue à nos yeux une mesure éducative.
Question : Quelles sont les sanctions punitives ?
Réponse : Le blâme public, les arrêts pour 24h, ou pour plusieurs jours.
Question : Par exemple, si j’ai un fusil sale, combien ?
Réponse : Dans ce cas, on fait refaire le nettoyage.
Question : Si je récidive, combien ?
Réponse : Même dans ce cas, il n‘y a pas d’arrêts.
Le colonel nous questionne alors à son tour sur les punitions dans nos armées, sur sa composition sociale, sur le système de formation des officiers… Saint-Maixant, Saint Cyr, Polytechnique…
Question : Quelles sont les soldes ?
Réponse : Pour le soldat, 30 roubles par mois. Pour le sous-officier, 100 roubles et pour l’officier, « les soldes sont calculées non seulement d’après le grade, mais aussi d’après la fonction ; elles varient donc, mais constituent des sommes permettant de vivre au niveau matériel et culturel correspondant.
Question : Comment se font les promotions ?
Réponse : Après le service de 3 ans, les bons soldats et les sous-officiers, qui ont été sélectionnés à cet effet, sont dirigés sur les écoles militaires moyennes, et ils peuvent ensuite s’engager volontairement dans l’armée comme officiers d’active.
Question : Que devient le soldat qui a terminé son temps de service ?
Réponse : Il peut obtenir des grades subalternes jusqu’au grade d’adjudant.
3 mai

Visite à l’université.
Dans un énorme building comprenant 148 amphithéâtres, 1000 laboratoires, des logements pour 600 étudiants, des cinémas, des magasins, des polycliniques, une piscine, au 9e étage de la plus ancienne université de Russie, nous sommes reçus par le recteur.
Rappel des traditions d’échanges culturels entre nos deux pays.
Tout récemment, plusieurs savants français sont venus faire des conférences.
Et le doyen de la Faculté de Mathématiques de Moscou, Kolma Gorov ( ? ) est revenu de la Sorbonne avec le titre de Docteur honoris causa.
D’autres échanges auront lieu.
Présentation des savants et professeurs présents :
Géologie : Sirgulev ( ? )
Chimie : ( ? )
Doyen adjoint de la Faculté de chimie : Vorognan ( ? )
Le secrétaire du Parti : Sekalovsky ( ? )
Maurice Deixonne dirige l’entretien, dans ce « temple de la justice sociale et de la liberté.. la science est internationale… rapprochement encore plus serré.

Question : Recrutement des étudiants ?
Réponse : Jeunes gens et jeunes filles ayant fait des études complètes à l’école de 10 ans. S’ils ont le baccalauréat, ils sont admis de droit. Il y a exceptionnellement des concours d’admission dans certaines spécialités ; ceux qui ont mérité la médaille d’or en fin d’école de 10 ans en sont dispensés. Priorité est donnée à ceux des candidats qui ont fait plusieurs années de stage pratique dans la production, même si les résultats de leur examen sont inférieurs.
Deux formes récentes de préparation : cours du soir, après les heures de travail ; et cours par correspondance. En fin de scolarité, chaque année, ces élèves reçoivent un congé payé d’ un mois.
Question : L’examen du baccalauréat vous donne-t-il satisfaction ?
Réponse : Oui, quant au niveau de culture générale. 90 % des étudiants sont bien notés.
Question : L’entrée dans les facultés exige-t-elle une connaissance particulière du marxisme-léninisme ?
Réponse : Il n’y a pas de marxisme-léninisme dans le programme d’enseignement secondaire. (Le professeur Alexandrov confirme). Il n’y a d’ailleurs pas à proprement parler d’enseignement politique dans l’enseignement secondaire ; même l’histoire du PC russe et de la Révolution russe ne constitue pas une matière spéciale : on les évoque à l’occasion en cours d’histoire. Donc le baccalauréat et les médailles d’or ne sont décernés qu’en fonction des études et du programme de l’enseignement secondaire.
Question : Comment est déterminée l’orientation des études : par voie d’autorité ou par choix volontaire ?
Réponse : Il y a les deux : selon les goûts et capacités de l’étudiant, mais il y a un plan d’admission qui limite le nombre de places vacantes.. Dès avant l’admission à l’Université, les futurs étudiants sont invités à venir visiter celle-ci, nous leur expliquons la nature des sciences qu’on y enseigne, des recherches, des applications ; « Je leur dis : pour devenir un savant, il faut travailler beaucoup et pour cela, aimer son métier, donc il vous faut choisir la spécialité que vous aimerez. Cela est très important ! A partir de la 7ème classe, les élèves du secondaire sont ainsi appelés à entendre des conférences d’initiation, par nos spécialistes.
Question : Comment dirigez-vous les courants de formation ?
Réponse : Chaque Faculté a un plan d’admission, mais le nombre des bourses n’a aucun rapport avec les conditions d’admission. A partir du premier septembre prochain, il ne sera plus perçu de droit d’immatriculation à l’université. Il y avait une procédure assez bureaucratique : chaque étudiant touchait une bourse sur laquelle 10 % étaient prélevés pour frais de scolarité
Question : Montant de ces frais ?
Réponse : 400 roubles par an de droits d’inscription, mais rien à payer pour les examens.
Question : Frais d’entretien de l’étudiant ?
Réponse : La bourse, de 550 roubles par mois permet de vivre très décemment car les loyers et les restaurants sont bon marché.
Question : Proportion des boursiers ?
Réponse : 95 % des étudiants sont boursiers : les autres 5 % n’ont pas de bourse parce qu’ils travaillent mal. Cependant, si, parmi eux, certains sont sans ressources, on peut venir en aide par des fonds spéciaux : l’organisation syndicale, aussi, leur consent des prêts. Toutes les bourses sont entières.
Question : Y a-t-il une indemnité compensatrice de manque-à-gagner ? un pré-salaire ?
Réponse : Non, mais on tient compte de cela dans le fait que la bourse est un peu supérieure au salaire qu’aurait reçu un ouvrier non-qualifié. Il y a aussi des majorations de bourses pour les meilleurs, des bourses de doctorat.
Question : Activités sportives ?
Réponse : Beaucoup de sport, le programme d’éducation physique et de sport est obligatoire sauf pour les dernières années. (C’est bien dommage dit le professeur Alexandrov, qui voudrait qu’on rende obligatoire la culture physique aux étudiants des dernières années ; pas du tout réplique le géologue). En fait 80 % des étudiants poursuivent une activité sportive.
Question : Quel est le prix du loyer d’une chambre d’étudiant ?
Réponse : Pour tous ceux qui n’ont pas de chambres en ville, nous offrons ici des chambres à 21 roubles par mois. (Avant la révolution, dit l’académicien Alexandrov, je payais 25 roubles par mois, sur un budget de 60 roubles ; maintenant, 21 roubles sur un budget de 550. Et moi dit Oreste Rosenfeld, je vivais avec 25 roubles par mois en 1910-1912, et je payais un loyer de 5 à 6 roubles).
Question : Combien faut-il pour les repas ?
Réponse : 5 roubles pour un bon dîner. Soit 200 roubles par mois.
Question : Discipline ?
Réponse : Entretien avec le doyen ; ou le professeur ; blâme ; privé, puis public ; avertissement, enfin sanction suprême : exclusion.
Question : Organisation des étudiants, représentativité ?
Réponse : Il y a un Conseil des Etudiants, un syndicat des étudiants, qui sont en contact permanent avec l’administration. De très nombreux étudiants font partie des Jeunesses Communistes. Il y a, en outre, de nombreux cercles d’affinités artistiques scientifiques, et sportives..
Question : Y-a-il un Conseil de discipline avec représentation des étudiants ?
Réponse : Non, pas de conseil de discipline (Alexandrov ajoute : mais il n’y a jamais eu lieu de cas grave de sanction disciplinaire qui n’ait été approuvé par les étudiants).
Question : L’émulation est-elle collective ou individuelle ?
Réponse : Les étudiants reçoivent des majorations de bourses s’ils travaillent bien. Ils reçoivent aussi des félicitations officielles. C’est surtout le rôle de l’opinion publique des étudiants qui compte le plus.
Question : Autres récompenses ?
Réponse : Billets de théâtre ; maisons de repos (par services sociaux).
Question : La tendance est-elle vers l’augmentation du nombre d’examens ?
Réponse : Non, vers la réduction.
Question : Le professeur dicte-t-il ses cours ?
Réponse : Cela dépend ; la majorité des professeurs ne les dicte pas. Il y a des cours polycopiés, imprimés, des manuels : nous y veillons : plus de 300 manuels ont été publiés ces derniers temps.
Question : Est-ce que l’on contrôle la présence des étudiants aux cours ?
Réponse : Oui, mais à partir de l’an prochain, on ne le fera plus.
Question : Est-ce que l’on condamne toujours l’apolitisme et l’objectivisme dans l’enseignement ?
Réponse : On ne peut vraiment parler d’apolitisme dans l’enseignement supérieur : un professeur ou un étudiant travaille bien ou travaille mal..
Question : Y aurait-il plusieurs manières de concevoir, par exemple l’enseignement des mathématiques ?
Réponse : L’essentiel n’est pas dans l’enseignement de ces sciences, mais dans l’attitude de l’enseignant envers sa science. Si les sciences, qui ont pour objet l’étude de la nature, n’avaient rien à voir avec le monde réel, alors, nous devrions nous considérer comme purs sportifs. Ce n’est pas seulement par plaisir que j’enseigne, c’est en raison d’une conception matérialiste que je m’efforce de faire admettre par mes élèves (d’inculquer à). Et je considère comme bonne des méthodes qui y contribuent.
Question : Croyez-vous que les grands novateurs, les Mirkovsky, Bobatchevsky, Einstein, aient conçu comme vous leur travail de recherche ? Et leur originalité même n’a-t-elle pas été à l’origine de progrès utiles à toute l’humanité ?
Réponse : (C’est l’académicien Alexandrov qui prend la relève) Je représente l’un des domaines les plus abstraits des sciences mathématiques, la topologie, l’analyse combinatoire, la théorie des ensembles ; en fait ces recherches ne semblent pas comporter d’application ; elles ne sont cependant pas isolées des autres sciences, pas plus que les géométries non-euclidiennes. Mais je ne crois pas qu’un mathématicien ait à se préoccuper des conséquences de ces recherches.
Question : Le même problème se pose peut-être d’une manière plus délicate en biologie ? Est-ce qu’on impose, dans ce domaine, une doctrine officielle au sujet des caractères acquis? Ou bien, est-ce qu’on laisse à chaque savant le soin de diriger sa recherche comme il l’entend ?
Réponse : C’est votre deuxième version qui correspond à la réalité (Professeur Valrony) : chaque savant a le droit de professer sa doctrine ; la majorité pense que les caractères acquis se transmettent par hérédité.
Question : Mais des décisions politiques n’ont-elles pas influé sur les recherches, condamné des doctrines, éloigné des savants ?
Réponse : Je les ignore.
Question : Il n’y a pas eu de décisions politiques ?
Réponse : En Août 1948, c’étaient des scientifiques qui en discutaient.. alors, oui, un certain alignement s’est opéré. Mais les minorités ont conservé leur manière de voir.
Question : vous avez célébré avec raison les libres-penseurs comme Giordano Bruno qui sont tombés victimes du dogmatisme de l’Eglise catholique. Admettez-vous aussi qu’un savant, parfois, peut avoir raison seul contre tous ?
Réponse : (assez gênée) Je pense qu’en effet, dans les questions scientifiques, la vérité n’est pas le résultat d’un vote à la majorité, mais seulement les résultats d’une étude minutieuse de la nature et de l’expérience.
Question : Les étudiants sont-ils toujours obligés de déguster l’étude du matérialisme dialectique ?
Réponse : Oui, cette étude existe encore.
Question : Quel est le traitement d’un professeur à l’université ?
Réponse : Pour un professeur chef de chaire et docteur : 6000 roubles, s’il est sans chaire : 5500 roubles.
Question : Quelle est la répartition des Facultés ?
Réponse : Sciences : 6 facultés, 9000 étudiants, au Centre même : Mécanique et Mathématique ; Géologie ; Physique ; Chimie ; Biologie (ces trois dernières dans des bâtiments séparés).
Lettres ou Humanités dans les vieux bâtiments de la ville : 7500 étudiants, Histoire ; Lettres ; Philologie ; Droit ; Economie ; Philosophie… et journalisme, soit 6 facultés…
En plus de ces 16500 étudiants, il y a 1500 « agrégatifs » et 5500 étudiants en cours du soir et par correspondance (23500 en tout)
Question : Origine sociale ?
Réponse : Difficile à déterminer : il y a des changements de catégories ; mais plus de la moitié des étudiants sont de famille ouvrière ou paysanne.
Question : Proportion des jeunes gens et des jeunes filles ?
Réponse : Egalité, aussi bien qu’égalité de droits.
Question : Comme l’enseignement secondaire n’est pas gratuit, n’y a-t-il pas une sélection par l’argent ?
Réponse : Non, car il s’agit d’une somme modique ; 200 roubles par an, que doivent payer les élèves du secondaire, mais cette somme ne sera plus exigée à partir de l’an prochain.
(Réflexion d’Oreste Rosenfeld : ce détail est intéressant car en 1947, on m’avait tenu de longs discours pour me démontrer l’utilité de ce droit d’écolage à faire payer par les élèves du secondaire)
Question : Y a-t-il beaucoup de Jeunesses Communistes et cela intervient-il ?
Réponse : Il y en a beaucoup mais cette affiliation ne joue aucun rôle.
Question : La qualité de membre du Parti figure-t-elle encore sur les cartes d’identité des étudiants ?
Réponse : il y a très peu de membres du Parti parmi les étudiants.
Question : (O.R.) J’ai vu en 1947 une carte d’étudiant délivrée pour l’accès à la bibliothèque. La mention « Appartient-il au Parti ?» y était imprimée.
Réponse : Il y a sans doute encore des camarades qui aiment beaucoup ce genre de questionnaire, mais cela ne joue pas ici ; d’ailleurs, en tant que recteur, je puis dire que je ne suis pas membre du Parti.
Question : Répartition des 9000 étudiants ès sciences, par discipline… ?
Réponse : Physique : 2000… le plus fort effectif…
… Visite des laboratoires et collections de géologie, géographie, minéralogie, histoire de la terre. (Cristaux fluorescents…) de l’amphithéâtre de géologie, d’un laboratoire de pétrographie fluviale qui a sa propre bibliothèque.. Tout cela, neuf (1953) et moderne…
Bibliothèque centrale pour la géologie : salle de 2000 places ; théâtre, 800 places (Utilisé tous les soirs)
Dans deux tours proches, 148 appartements pour les professeurs
Piscine ; salles de danse… occupées par des groupes d’étudiantes.
Il y a 7 étudiants français (connus du Dr Train) rencontre fortuite de l’un d’eux, savoyard, faisant une thèse sur le contrat collectif Louis Belmont ( ? )

3 mai (suite)

Visite d’une usine à pâtisserie, confiserie, chocolaterie. 3000 ouvriers dont 2000 femmes (usine fondée il y a un siècle par un français)..L’ingénieur en chef gagne 3000 roubles plus des primes de 20 à 25 %. Les manœuvres de base, 600 à 700 roubles. Trois équipes continues par 24h : deux de huit heures, et une, la nuit, de 7 heures, payée comme huit (trois séances de détente de 20 minutes : gymnastique spécialisée pour augmenter la souplesse des articulations, donc le rendement)
Congés payés : les cadres, un mois ; les ouvriers, 2 à 4 semaines.
Syndicat et PC, arbitrage obligatoire, œuvres sociales, services médicaux, jardin d’enfants etc.
4 et 5 mai

Visite à l’ambassade – Rencontre au kremlin avec N.K

Visite, avec Robert Verdier, de l’Ambassadeur du Liban Excell Abdallah Najjar, ami de Yves Châtaigneau. Informations intéressantes pour faire le point. « Les pays arabes n’iront pas très loin dans leur campagne contre la France ; partout on sait faire la distinction entre le peuple de la France et l’impérialisme français ; il faut trouver la solution en Algérie. Cela dépend du gouvernement français ; pas de complications internationales en vue ; ce fut une bêtise monumentale des réactionnaires français que de rechercher avec le Liban une alliance militaire ; c’est cela qui a tout cassé. Heureusement les paroles de Christian Pineau ont eu au Moyen Orient un grand retentissement ; il y a en ce moment chez les Russes une volonté extrême de se rapprocher de la France ; ainsi, l’intention d’aller à Bonn caressée par B. et K. a été soumise à l’examen du gouvernement français. L’atout de la France réside dans le rayonnement de sa culture ; sur la situation en URSS, grand prestige de Joukov, homme très modeste et sans ambition ; grand malaise dans la paysannerie des kolkhoses… (tout cela, confidentiel)

Au lieu du programme prévu pour le vendredi 4 mai (visite d’un camp de déportation), nous sommes invités à une discussion au Kremlin.
Travail préparatoire collectif de la délégation, qui répartit les tâches, certains problèmes délicats seront posés par Pierre Commin en tête à tête avec N.K.

Vendredi 4 mai à 16 heures au Kremlin :

intégralité de la conversation en PDF

6 mai

Visite de la ville. Musée de l’Ermitage. Institut Smolny. Vaisseau Aurora Ballets. Visite d’usine et de jardin d’enfants… Rencontre avec les touristes français. Perspective Newsky. Rencontre d’un étudiant komsomol, d’un comptable membre du PC et un peu éméché… Visite du métro…

Note sur le soviet municipal

7 mai

[Suite de la visite de la ville]

Visite de l’usine Mikoïan de pâtisserie, biscuit, confiserie… bonbons vitaminés. Production de 190 tonnes en 24 heures. S’est agrandie (3 fois plus grande). Améliore chaque année son processus technologique par de nouvelles machines. Matières premières contrôlées par laboratoire. Bactériologie, chimie, etc. Conditions sanitaires et hygiène des ouvrières et ouvriers très surveillées. 75% à 80% des 2000 travailleurs de cette usine sont des femmes. Trois équipes dans un seul atelier continu ; salaire d’après la qualification sans distinction de sexe. Jardin d’enfants (3 à 7 ans) près de l’usine, et dépendant d’elle. Réfectoire, repas complets ; dispensaire polyclinique avec 5 médecins. Bibliothèque du personnel.
Production : tableau des performances : photo des meilleurs ouvriers 131%, 203% de la norme… Travail aux pièces 18 à 25 roubles par jour pour 26 jours par mois. Tout le monde dépasse la norme. Travail à la chaîne, mais avec des différences de rythme et de rendement : l’ouvrier n’est pas lié à une chaîne, mais seulement à un court segment ; si une ouvrière désire augmenter la rapidité de rotation, on lui donne satisfaction ; on compte ½ heure de battement avant la mise en route pour le nettoyage de la machine ; déjà, elle peut gagner là 10 à 15 minutes…
C’est le Ministère des produits de consommation qui gère cette usine, qui dépendait de toute l’URSS il y a deux ans et qui est transférée maintenant à la seule RSFSR ; pour la production prévue : Gosplan. Pour l’exécution : Russie. L’affectation des matières premières et fournitures est obligatoire pour certaines denrées (ex. cacao, ou sucre, obligatoirement par administration de l’épicerie en gros de Leningrad) mais pour d’autres, comme les fruits, il peut y avoir des offres libres d’autres services désignés par le Ministère.
André Philip : Si le plan est dépassé d’où viennent les ordres d’affectation ?
Réponse : On avertit le Ministère, qui peut ou ne peut pas écouler.
A.P. : Délais de la réponse ?
Rép. : On peut téléphoner et, s’il y a accord, avoir la réponse en 2 ou 3 jours. S’il … , par contre, il faut fournir des explications, cela peut être plus long.
A.P. : Utilisez-vous vos machines à leur pleine capacité de production ?
Rép. : Nous pourrions produire davantage ; mais nous ne pouvons le faire car les contingents de « cacao de baobab » qui nous sont attribués ne proviennent pas de l’URSS ; ils dépendent donc des échanges extérieurs, en particulier avec la France (observation très intéressante lorsqu’on sait que certains pays de l’Union française ne trouvent pas à écouler leur cacao…).
A.P. : Y a-t-il des possibilités de relations commerciales directes entre les entreprises lorsqu’il y a dépassement des normes de production ? Pourriez-vous par exemple, avec vos surplus, acheter des machines plus modernes à une autre entreprise ?
Rép. : Oui, cela se pourrait, et depuis 6 ans, nous en avons le droit et l’avons fait plusieurs fois, en traitant de gré à gré sans passer par un ministère ; mais ce ne serait pas possible, par exemple, pour le sucre.
A.P. : Comment s’effectue l’échange dans ce cas ?
Rép. : Avec de l’argent seulement.
A.P. : D’où vient cet argent ?
Rép. : Il y a diverses sources de financement :
a) Les crédits d’investissements qui nous sont affectés par le ministère.
b) Des prêts d’Etat destinés à favoriser la petite mécanisation : il suffit que les effets économiques de celle-ci soient utiles pour qu’on nous accorde des crédits sans intérêt.
c) L’entreprise elle-même peut avoir un excédent de trésorerie ; une sorte de précompte car ses bénéfices permettent de constituer un fonds de réserve : pas de bénéfice, pas de réserve ; ce fonds de réserve est autorisé dans les limites de 5% du chiffre global des salaires : l’autre moitié va aux primes, constructions et améliorations techniques.
A.P. : Qui détermine le bénéfice ?
Rép. : Le comptable de l’entreprise.
A.P. : Une partie va-t-elle à un « fonds de la République » ?
Rép. : oui, une fraction va à l’entreprise dans les limites des 5% du volume global des salaires ; le reste va à la République. En outre, en plus du fonds de l’entreprise, il y a un fonds de roulement, géré par le ministère, pour faire face à tout ce qui concerne l’achat et la vente. (il s’élève en ce moment à 26 millions de roubles, mais on pourrait l’augmenter s’il y avait en vue des achats de cacao)
Question : Quel est le pourcentage entre salaires et bénéfices ?
Réponse : Il n’est pas possible de le calculer : les salaires ne représentent qu’une fraction minime du mouvement de fonds : ce sont les matières premières qui coûtent le plus cher.
Pierre Commin : Pouvez-vous préciser les chiffres : matières premières, salaire, amortissement du matériel ?
Réponse : Chiffre d’affaires : 650 millions de roubles pour 1956. Bénéfice (différence entre prix de revient et prix de vente) : 6%
Q. : Comment calculez-vous l’amortissement ?
R. : Par des annuités fixes.
Q. : Montant des salaires ?
R. : 1 300 000 roubles par mois, soit 15 à 16 millions par an. (donc le fond de l’entreprise ne peut pas dépasser les 5% de ces 15 ou 16 millions de roubles).
Q. : Payez-vous l’impôt sur le chiffre d’affaires ?
R. : Non, seuls doivent le payer ceux qui échangent les produits et au premier stade de commercialisation. Nous livrons au prix de gros, mais consentons une ristourne de 1.10 % (sans doute pour le paiement de cette taxe ?)
Q. : Est-ce que cette différence de 1 à 1.2 % consentie au détaillant constitue son bénéfice ?
R. : Le prix de gros étant de 100 roubles, le prix de détail est en effet 101.1 roubles. ( ??? mais les vendeurs au détail ont un salaire ??)
Robert Coutant : 2000 ouvriers à 75 ou 80% de femmes ; y a-t-il des apprentis ?
Rép. : Une école de 2 ans, mais aussi des stages de 6 mois peuvent suffire pour certaines machines ; une école complémentaire est chargée de cet apprentissage ; mais on pratique aussi le combinat d’une ouvrière expérimentée avec une apprentie ; à l’école, 4 heures d’études et 4 heures de pratique. Allocation prime supplémentaire d’habillement. Les salaires les plus bas (2e catégorie) sont de 18 roubles par jour pour la norme, mais avec les primes, cela atteint généralement 130%, soit 24 roubles. Prix des repas : 3 roubles pour 3 plats. Les normes sont établies par un spécialiste normalisateur (démonstrateur). Elles sont discutées par le comité d’usine et la direction : parfois des désaccords sont arbitrés (commission des conflits). L’ouvrier peut faire appel ; cas très rare.
Robert Coutant : Sanctions pour retards ? Règlement d’atelier ?
Réponse : Un retardataire récidiviste est assez rare : on examine ses excuses. Chez les hommes, cela se produit le lendemain de la paye : avertissement public. Si c’est un ouvrier qualifié, tribunal de ses camarades ; Blâme social. A la troisième fois, nous avons le droit de le licencier ; mais auparavant, on lui supprimait les primes à l’émulation : celles-ci n’existent plus depuis 3 ans.
Robert Coutant : Le carnet de travail existe-t-il encore ?
Réponse : Oui, mais on n’y porte plus de punitions.
R.C. : On ne met rien sur le carnet ; 15 jours de préavis lui sont payés, il peut trouver du travail ailleurs si c’est dans le délai de moins d’un mois, cela n’a aucune conséquence. Il n’y a qu’au cas où il serait plus longtemps sans travail que cela pourrait avoir des conséquences pour sa retraite.
Suit un exposé des lois sociales en France, demandé par la responsable syndicale, et qui paraît étonner considérablement tous les ouvriers russes ou responsables présents, au point que la responsable syndicale demande naïvement : Qu’est-ce que vous réclamez donc, maintenant ?
Robert Coutant : et bien, la fin des profits capitalistes et la direction de l’économie…
Question à André Philip : Quel est le pourcentage, en France, pour une usine comme la nôtre, de bénéfice ?
Réponse : environ 6 à 8 %

SUGGESTION A ALBERT GAZIER CHRISTIAN PINEAU
Rédiger une petite brochure, très claire, résumant les différents avantages sociaux accordés aux travailleurs en France, au besoin faire cela avec les dirigeants F.O. Puis, faire traduire et diffuser par les services culturels de toutes les ambassades : en URSS, cette brochure apprendrait certainement bien des choses aux travailleurs… C’est une manière de faire de la publicité qui vaut bien les brochures de tourisme ou les conférenciers réactionnaires…

Contacts avec les gens de Leningrad : André Philip, Marceau Pivert. Georges Altman, Pierre Lochat : avec deux gosses ; avec un étudiant, avec un membre du PC un peu éméché.

[Pivert devant le char blindé de Lénine]

8 mai

Visite au Grand Rabbin

Retour à Moscou : Visite au rabbin avec Pierre Lochac et G. Altman sur les 6 millions de Juifs massacrés par Hitler, 3 millions habitaient le territoire soviétique. A Odessa, 1 seul survivant sur 250 000…
Aucune manifestation d’antisémitisme… Salut aux démocrates et socialistes de France. Refuse de répondre aux questions ayant un aspect politique (le complot des médecins : ce n’est pas de mon domaine) 3 synagogues, une construite par le gouvernement, 40 maisons de prière. Pas de diminution sensible du nombre de fidèles : aux grande fêtes, la foule déborde jusque dans la rue ; réception affable ; on nous montre la « tora », tables de la loi…

M.P.

à suivre…

Voir aussi: