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Intervention de Maurice Dommanget au Congrès de la Fédération autonome des fonctionnaires (1933)

6 juillet 2009

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Quasi-totalité de l’intervention le 19 novembre 1933 d’après la brochure La Fédération de l’enseignement dans les assises syndicales (librairie du Travail). Maurice Dommanget vient saluer la Fédération autonome au nom de la Fédération unitaire de l’Enseignement, bastion minoritaire anti-stalinien au sein de la CGTU.

Les rapports de la Fédération de l’Enseignement et de la Fédération Autonome

Je viens vous saluer fraternellement au nom de la Fédération unitaire de l’enseignement.

Dans les circonstances présentes, il importe que nos organisations, qui ont toujours lutté côte à côte et sans la moindre friction, resserrent plus étroitement encore les liens de la fraternité syndicale. Et ce n’est pas au moment où les mêmes militants qui nous attaquent renouvellent contre vous des critiques désobligeantes et injustes que nous vous laisserons seuls leur répondre. La Fédération de l’enseignement vous a déjà soutenus énergiquement, au péril des injures. Elle a défendu [Michel] Piquemal, celui qui a toujours incarné votre volonté de lutte et votre ferme opposition aux compromis comme aux maquignonnages gouvernementaux et confédéraux. Vous la trouverez encore à vos côtés pour se dresser contre tous ceux, quels qu’ils soient qui, en pleine bataille contre les forbans du capital, s’emploient à jeter la pomme de discorde dans les rangs de l’avant-garde révolutionnaire des fonctionnaires.

Comme vous, nous sommes profondément dégoûtés par toutes ces manœuvres subalternes, ces gestes intempestifs, ces jeux de cache-cache, ces concurrences d’organisations, ces accusations réciproques et sans fin, ces pratiques sectaires, cette propension aux injures qui font de nos organisations des cloaques et remplacent trop souvent la lutte fondamentale contre les exploiteurs et les oppresseurs.

Et si la division de la classe ouvrière, les fautes des uns et des autres, l’apathie des masses et les ruses des chefs nous tiennent séparés momentanément dans des organisations différentes, mêmes intérêts, même origine, mêmes méthodes de lutte, même parenté idéologique, mêmes souvenirs d’action commune nous unissent. Nous devons tenir à cette union, l’une des rares qui subsistent dans l’état de délabrement du prolétariat, parce qu’elle ne constitue pas seulement l’une des garanties du succès de nos revendications immédiates, parce qu’elle est surtout le gage du regroupement des forces syndicales qui s’effectuera nécessairement.

Les aspirations à l’Unité syndicale

Difficultés du problème

Le prolétariat aspire à l’Unité Syndicale ou plutôt au maximum d’unité syndicale et possible dans les conditions actuelles car, en ce domaine, comme dans les autres, il n’y a qu’une chose absolue, c’est le relatif.

Le prolétariat a raison d’aspirer à l’Unité Syndicale. la preuve, c’est qu’aucun de ses chefs adversaires de cette unité n’a le courage de s’affirmer en ce sens: tous ont recours à des roueries. Mais, camarades, attention! Dans le domaine de notre activité, il n’est pas un champ qui soit autant semé de fondrières et hérissé d’obstacles. Il n’est pas une formule qui charrie autant d’idées troubles. Il y a notamment une certaine conception mécanique, statique, absolue, abstraite, simpliste, – trop simple – de l’Unité syndicale qui fait à cette aspiration plus de tort que de bien. Une centrale syndicale se forme par tout un processus, toute une série de phénomènes sur la base d’un certain nombre de conditions objectives. Il ne faut pas sous-estimer la longueur du processus, la « lenteur des accomplissements », comme disait Jaurès. Il faut aussi tenir compte que la classe ouvrière est loin d’être homogène. Elle ne l’est ni socialement, ni idéologiquement. Elle ne l’est pas socialement puisqu’elle comprend des catégories diverses: ouvriers de l’industrie privée, fonctionnaires, agents des services publics, communaux et départementaux, ouvriers agricoles, aristocratie ouvrière, main-d’œuvre étrangère, main-d’œuvre coloniale, main-d’œuvre féminine. Elle n’est pas homogène idéologiquement puisque deux grands courants s’affrontent dans son sein, et puisqu’elle n’est pas encore parvenue à résoudre ses antinomies doctrinales. Dans ces conditions, il ne faut pas croire qu’un beau jour il suffit de se rassembler, de dire et de répéter sur tous les tons: « En avant! Formons une C.G.T. unique » pour créer le nouveau groupement. La chose n’est pas si simple. Une centrale syndicale est un organisme attaché par de nombreux liens à la classe ouvrière. Elle ne se forme pas en un jour. Relisez votre histoire syndicale et vous vous en rendrez d’autant mieux compte.

Contre toute fusion partielle.

Pour le congrès national de fusion

Il ne faut pas croire non plus que parce que tel ou tel syndicat ralliera l’une de deux centrales, la cause de l’unité syndicale y gagnera. Voilà plus de dix ans que ce jeu cruel dure et nous ne sommes pas plus avancés. A chaque opération de ce genre, l’une des centrales s’affaiblit et accumule un peu plus de rancoeur; l’autre se renforce et devient un peu plus exigeante. Le rapport des forces est changé. Mais l’état de division subsiste et au besoin d’aggrave. D’ailleurs, quand une fusion partielle s’opère, c’est bien moins pour réaliser un morceau d’unité syndicale que pour rejoindre la centrale syndicale qui répond le mieux, comme orientation, à l’orientation du syndicat fusionniste. La preuve, c’est qu’ensuite dans la C.G.T. ralliée, le syndicat qui a réalisé la fusion partielle pour son compte s’oppose à toute fusion partielle d’un d’un syndicat de la centrale à laquelle il appartient désormais avec un syndicat de la centrale d’où il sort. Pas de fusion partielle, donc. C’est la fusion globale de tous les syndicats participant au congrès national qui peut seule réaliser l’Unité syndicale et décider de la structure de la nouvelle et unique centrale. On n’a pas encore trouvé d’autre solution; j’entends de solution réellement sérieuse. C’est pourquoi à la Fédération de l’Enseignement nous sommes très attachés à la double formule: Pas de fusion partielle, Congrès national de fusion. Nous voyons là, si l’on peut dire, comme les pôles négatif et positif de l’Unité syndicale.

La Fédération Autonome doit maintenir sa position actuelle

On vous a reproché votre position d’autonomie. On vous a fait grief de vouloir jouer un rôle de charnière. Et moi, camarades, je vous félicite d’être restés fidèles à vos origines, d’être restés à l’écart des luttes fratricides des deux centrales syndicales, d’avoir cherché à recoller les deux grands tronçons du mouvement syndical de ce pays. En un temps où tous reconnaissent la nécessité de l’Unité syndicale et où personne n’entrevoit sa réalisation à brève échéance, je dis qu’il est précieux pour l’avenir du mouvement syndical d’avoir à sa disposition comme levier d’unité une force de quarante mille membres en dehors et au-dessus des deux groupements rivaux.

On veut, paraît-il, vous obliger à choisir entre la collaboration de classes que représente la C.G.T. et la lutte de classes que symboliserait uniquement la C.G.T.U. Mais, camarades, ce choix qu’on vous propose est une injure. Il y a longtemps que vous l’avez fait. Pour qui vous prend-on? C’est parce que vous luttiez contre les pratiques de collaboration de la C.G.T. et de la Fédération des Fonctionnaires que vous avez été frappés d’ostracisme. Et toujours vous avez dénoncé avec vigueur le syndicalisme de pistonnage, d’abdication, d’arrivisme, de soutien électoral, de confusion, qui a fait si bien les affaires de la Bourgeoisie. D’autre part, vous avez toujours marqué votre sympathie pour le syndicalisme de lutte, de combat et d’idéal révolutionnaire que représente, malgré ses erreurs et ses fautes, la C.G.T.U.

Il paraît que l’heure est au ralliement, qu’il faut opter. Je ne vois pas, en ce qui me concerne – et de l’aveu même des dirigeants unitaires – que l’heure soit plus grave qu’il y a quelques années au temps de la radicalisation impétueuse des masses posait, paraît-il, devant les organisations révolutionnaires, la question de la prise du pouvoir. Mais, au fait, les choses se passent-elles d’une façon aussi simpliste: collaboration entière d’un côté, monopole de la lutte des classes de l’autre! Allons donc! C’est de l’enfantillage et cela nous donne une piètre idée du sens politique de ceux-là qui ont énoncé ainsi le problème! Ne sommes-nous pas, nous autres de la Fédération de l’Enseignement, des partisans très fermes de la lutte de classes, et nous l’avons montré à des moments particulièrement difficiles.

Et cependant, ne combattons-nous pas l’orientation actuelle de la C.G.T.U.? C’est que cette orientation correspond, il faut le croire, non à la lutte de classes en général, mais à une certaine conception de la lutte de classes qui implique l’hégémonie d’un certain parti politique. Vous le voyez, il est absurde d’enfermer les syndiqués de la fédération autonome dans un dilemme que des syndiqués unitaires mêmes repoussent.

On prétend qu’il n’y a pas de position intermédiaire entre les deux centrales. Votre existence même depuis six ans, en dépit de quelques dissidences, est précisément une attestation du contraire. C’est quelque chose de significatif que vous vous soyez maintenus entre les deux C.G.T. rivales qui se tiraient à boulets rouges. (…) Vous n’avez point répondu aux risettes intéressées de Japy. Et vous n’êtes pas les seuls puisqu’il existe un nombre respectable de syndicats autonomes dans la classe ouvrière de ce pays. Tous ces faits méritent d’être pris en très sérieuse considération.

Ah! il n’y a point de position intermédiaire! Et moi je dis que votre position correspond – permettez-moi l’expression – à tout un courant qui existe parmi les travailleurs syndiqués, courant qui trouve sa transposition sur le plan politique dans toute une série de groupements qui échappent et entendent échapper aussi bien à l’obédience de l’Internationale communiste qu’à l’obédience de l’Internationale ouvrière socialiste. Le Parti Ouvrier Norvégien qui vient d’obtenir à six mandats près la majorité absolue au Parlement d’Oslo montre que ce courant n’est pas sans portée dans les masses.

Ils sont nombreux, vous le savez bien, ceux qui pour rejeter le syndicalisme apprivoisé, l’amicalisme plus ou moins accentué de la C.G.T. ne s’en refusent pas moins à rejoindre la C.G.T.U. C’est un fait qu’on peut déplorer. Il faut pourtant s’incliner devant son évidence.

D’où vient cette désaffection pour les deux centrales? C’est tout le problème de la déviation du syndicalisme. Je ne saurais l’aborder à cette tribune dans cette intervention cursive. Mais qui ne voit qu’une telle désaffection, dans la situation actuelle, est extrêmement dangereuse?

La crise: aux grands maux les grands remèdes

C’est qu’aucun argument, aucun raisonnement ne saurait dissimuler la faillite éclatante du capitalisme et il importe d’utiliser, d’exploiter à plein ce grand événement.

Le mal, dans toute sa gravité, dans toute son ampleur, est reconnu officiellement par les plus hauts représentants de la société bourgeoise. Tardieu lui-même qui chantait avec une belle inconscience  » l’hymne à la prospérité  » a été contraint sur le cercueil de Briand de reconnaître le drame tragique de notre époque. Caillaux, dans des articles qui ont fait sensation, a montré la société capitaliste prête à sombrer si elle ne recourt pas à la chimère, sur le plan bourgeois, de l’Economie dirigée. Jusqu’au pape qui a dû reconnaître, dans une encyclique célèbre, que tout ne va pas pour le meilleur des mondes créé par Dieu! M. Sarraut enfin, le dernier carabin appelé au chevet de la  » mère malade « , a proclamé dans sa longue déclaration ministérielle  » l’anarchie d’une économie mondiale déréglée « , ce qui est la condamnation expresse du système économique bourgeois. Il a même été plus loin: relisez sa déclaration. Il a rendu indirectement un hommage éclatant au but final et élevé du socialisme. Mais ce grand but implique de grands moyens, de vastes perspectives, des vues audacieuses et neuves, l’abandon des préjugés petit-bourgeois et du crétinisme parlementaire. On chercherait en vain tout cela dans le programme ministériel comme dans les projets financiers qui viennent d’être déposés par le ministre du Budget. On y trouve, par contre, des moyens de biais et de bricole qui traînent dans les bagages des ministères depuis la chute du franc, des procédés misérables de raclure des fonds de tiroir qui donnent une triste idée des capacités financières de nos as du Parlement. On y trouve aussi des tours de passe-passe d’une hypocrisie consommée, des tours de prestidigitation dignes de Robert Houdin, comme la substitution du prélèvement pour les retraites au prélèvement sur les traitements. C’est l’histoire renouvelée de la carpe et du lapin. Là où il faut la pierre infernale et le bistouri du chirurgien, on applique des cataplasmes émollients. Vouloir résoudre de grande difficultés avec des moyens aussi misérables, c’est une entreprise ridicule et vaine!

A la vérité, M. Sarraut sait très bien qu’on ne peut sortir de la crise qu’en sortant du capitalisme. Il n’ignore pas que les conférences économiques mondiales convoquées à grand renfort de publicité par les gouvernants bourgeois ont échoué tout autant que les fameuses conférences du désarmement. L’ancien gouverneur général de l’Indochine a suffisamment d’expérience pour reconnaître qu’à notre époque d’impérialisme et d’interdépendance de toutes les parties du monde, il est vain de vouloir comme il le prétend – et comme le prétendent d’autres – organiser et diriger l’économie dans un seul pays, même en étendant le plan national à l’échelle coloniale. Mais M. Sarraut, ne l’oublions pas, c’est le chargé d’affaires du capitalisme. Il ne lui appartient pas, en dévoilant, en proclamant publiquement les constatations qu’il est amené à faire et qui s’imposent à tous, de nuire aux intérêts de sa classe. Il est donc contraint de cuirasser son esprit devant la dureté des temps. C’est à la classe ouvrière, c’est au monde du salariat, qui n’a rien à perdre que ses chaînes et qui a tout à gagner à la proclamation des vérités subversives, à l’élever à l’intelligence complète de la situation.

De la lutte pour les revendications immédiates

à la lutte pour la réalisation du socialisme

Oui, nous devons nous dresser avec une énergie redoublée et fourbir nos armes contre toute déflation, contre tout arrêt du recrutement, contre la moindre atteinte à nos retraites, contre tout retard dans l’avancement, contre tout renforcement de l’autoritarisme qui, dans la période actuelle, apparaît comme une étape vers le totalitarisme fasciste. Nous devons dénoncer le chantage aux sacrifices qui n’est qu’une odieuse comédie et une insulte aux pauvres gens dans notre société corrompue de noceurs et de repus. Nous devons dénoncer aussi le chantage à la stabilité du franc qui n’a qu’un but: résoudre les difficultés budgétaires sur le dos du prolétariat en cotte et en veston. Nous devons rappeler les gouvernants bourgeois à leurs promesses électorales et faire en sorte que le fameux pressoir, dont l’image saisissante s’étalait sur tous les murs dans le but de capter des suffrages, ne fonctionne pas uniquement pour nous écraser. Il faut faire rendre gorge aux possédants. Il faut prendre l’argent où il est, non plus dans les mots mais dans les faits. Il faut nous débarrasser de la vermine des congrégations économiques. Il faut écraser toutes les vipères de la réaction.

La situation actuelle pose plus impérieusement qu’à aucune autre époque, à travers la moindre lutte partielle le problème de la réalisation du Socialisme. Et le grand malheur, c’est qu’à mesure que les faits posent plus impérieusement ce problème, les socialistes de toutes nuances – et je prends le terme dans son sens le plus large – reculent devant les faits ou se montrent incapables, impuissants devant eux. Ils ont, en tout cas, la fâcheuse tendance à minimiser leur programme.

Je le disais encore dernièrement au cours d’une réunion publique organisée par notre syndicat: il existe aujourd’hui entre l’action quotidienne des salariés et le but ultime qu’ils poursuivent, l’abolition du salariat – c’est-à-dire la réalisation du socialisme, – un rapport plus intime, plus étroit, plus immédiat qu’aux époques précédentes. Par exemple: nous ne pouvons défendre nos traitements sans dénoncer le gaspillage inouï des deniers publics pour la préparation à la guerre, ce qui nous amène, en remontant aux causes, à la question de l’abolition du capitalisme! Nous ne pouvons défendre nos traitements sans riposter aux attaques des Ligues de contribuables, organisations pré-fascistes, ce qui nous entraîne directement sur le terrain de la lutte anti-fasciste. D’autre part, tout maintien, tout développement du niveau de vie des travailleurs est lié à un commencement d’organisation de la production, donc à des mesures socialistes de grande envergure, aux socialisations massives, à l’expropriation des expropriateurs, à l’économie planifiée. Un mouvement purement défensif ne peut mener qu’à l’impasse. Il se briserait nécessairement, inévitablement contre les implacables réalités de l’économie capitaliste. Le seul salut est donc le socialisme qui libèrera la production de ses entraves, donnera la possibilité aux producteurs de consommer suivant leurs besoins, fera l’équilibre entre la production et la consommation, assurera la paix tout en nous délivrant de la peste fasciste. Il faut bien apercevoir la jonction tout à fait remarquable qui s’opère présentement entre le but immédiat et le but ultime, et faire choisir entre un capitalisme sans réforme et une réforme ou plutôt une réformation, une révolution sans capitalisme, autrement dit le socialisme.

La méthode réformiste est condamnée

Lutter contre les effets, c’est se condamner, encore une fois, au piétinement, à la défensive perpétuelle, finalement à la défaite. Allons-nous rouler toujours de budget en budget notre rocher de Sisyphe des traitements? Nous laisserons-nous rogner nos salaires, d’un train budgétaire au train budgétaire suivant? Ce serait un bien mauvais calcul. Dans le dynamisme tragique des événements, il nous faut passer de la lutte contre les effets à une étape supérieure: la lutte contre la causes des effets. C’est le seul moyen de sortir du cercle vicieux, du cercle infernal dans lequel les gouvernants bourgeois nous ont jetés comme suite à la tuerie mondiale dont ils portent la lourde responsabilité. Karl Marx le démontrait en son temps au cours de sa discussion avec Weston. Jamais démonstration ne fut plus vraie.

Le réformisme, la conquête des revendications, la défense des intérêts ouvriers par la voie légale pouvaient encore se combiner avec l’idéologie et l’action révolutionnaire avant la guerre. Les conditions économiques, l’état de stabilité, la situation budgétaire de la Bourgeoisie laissaient une certaine marge de réforme. Aujourd’hui, le réformisme est périmé. Il est arrivé à sa limite extrême, au point mort. Il est au  » cran d’arrêt « , comme le reconnaissait dernièrement un chef socialiste. Il ne peut plus être, ajouterons-nous, qu’un instrument grossier de duperie des travailleurs.

Au surplus, les dimensions, l’ampleur, l’acuité, la répercussion de notre bataille des traitements montrent bien sa portée révolutionnaire. Comme tout mouvement d’envergure, le nôtre ne peut être enfermé dans un moule corporatif étroit, et les leaders de la Fédération des Fonctionnaires ne peuvent dissimuler son caractère politique indéniable. Non seulement par notre pesée, nous contribuons à faire ou à défaire les ministères, mais placés aux avant-postes de l’armée prolétarienne, nous livrons des combats décisifs dont l’enjeu est le salaire ouvrier, la rétrogradation vers le fascisme ou la progression de la classe vers le socialisme.

Notre lutte est donc devenue, par la force même des choses, essentiellement politique, et nous devons prendre nos dispositions en conséquence. Non point en nous enlisant, en pataugeant dans le marécage nauséabond du Parlement… et des Ambassades, mais en restant nous-mêmes!

Nos tâches. Mettons les socialisations à l’ordre du jour

A tout seigneur, tout honneur. Nous sommes les mieux placés pour faire le procès de l’État bourgeois, dénoncer des qualités d’abus, démontrer les rouages monstrueux de l’administration régalienne. Nous ne devons pas laisser le monopole de la lutte contre la gabegie et le népotisme aux journaux et aux organisations réactionnaires. C’est l’un des rôles trop oublié de nos syndicats. Avec l’aide de nos camarades ouvriers, en nous répartissant en de multiples équipes, il conviendrait, pièces et documents en main, de nous jeter dans tout le pays égaré par une presse servile, afin de mettre en accusation subjectivement le Capitalisme et l’Etat bourgeois, son instrument politique, qui s’effondrent objectivement.

Tous nous devons entrer en lice; chacun avec notre spécialité. Les instituteurs pourraient montrer la grande pitié de la plupart des écoles de France alors qu’on jette près de 20 milliards dans le gouffre des divers budgets de guerre. (…)

Toutefois, cette besogne urgente de propagande et de combat pour le redressement d’une opinion publique prostituée n’est que la face négative de la tâche à poursuivre. Nous devons, par un grand effort constructif préparer les transformations profondes, donner confiance aux populations. Nous devons élaborer puis diffuser des projets précis de socialisation, car on ne détruit bien que ce que l’on remplace. Nous devons constituer de nos propres mains, ébaucher dans les grandes lignes les organismes capables de régir la production. Industrie par industrie, administration par administration, branche par branche, nous devons nous atteler à la besogne. Il ne s’agit pas, bien entendu, de se lancer dans la chimère utopique et nous n’entendons nullement abstraire le problème de la construction socialiste des conditions matérielles de la Révolution. Mais il s’agit, face à la solution réactionnaire de la crise par le fascisme, d’apporter la solution concrète, positive et socialiste.

Camarades! il faut le reconnaître: la C.G.T., au sortir de la guerre, sous la poussée des masses, à l’époque où nous militions dans son sein, était entrée dans cette voie constructive. A cette époque, on élabora des projets de socialisation des mines, des chemins de fer, de l’énergie électrique, des postes, etc. Ces projets qui ont paru en leur temps dans la Voix du Peuple, la C.G.T. les laisse dans la boîte aux oublis, ce qui nous donne la mesure exacte du sens de classe et des aspirations socialistes des chefs confédérés. Il nous appartient de reprendre ces projets – ceux aussi de l’Ustica [*] – en les complétant, en les rectifiant, en les adaptant. (…)

Voilà dans quel sens nous devons nous orienter: hardiment, résolument, énergiquement et avec le plus grand sérieux. Et c’est ainsi que nos revendications immédiates et notre but ultime de rénovation sociale se souderont indissolublement, que la réalité et l’idéal se joindront comme deux flammes dans le brasier révolutionnaire. Et du même coup, nous maintiendrons, nous relèverons notre niveau de vie, nous balaierons les dangers de guerre et de fascisme, nous marcherons vers la réalisation du grand but poursuivi par nos vaillants précurseurs: l’émancipation de la classe ouvrière par le triomphe du socialisme.

Note:

[*] USTICA: Union syndicale des techniciens de l’industrie, du commerce et de l’agriculture (ingénieurs, cadres et assimilés)

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Voir aussi:

Idéologie syndicaliste (Séverac, 1913)

15 février 2009

Chapitre extrait de Le mouvement syndical, par J.-B. Séverac, volume de l’Encyclopédie socialiste.

A. — Deux tendances. — « Groupés en Syndicats et Associations de Syndicats, les travailleurs réfléchissent au pouvoir qu’ils commencent à acquérir en commençant à s’unir ; ils élaborent une théorie sociale nouvelle, affirmant la valeur éminente de l’action syndicale : le syndicalisme. Mais les uns voient surtout dans l’action syndicale le moyen de détruire la société présente : leur philosophie, c’est le syndicalisme révolutionnaire ; les autres voient surtout dans l’action syndicale le moyen d’améliorer immédiatement la condition de la classe ouvrière : leur philosophie, c’est le syndicalisme réformiste ». La distinction que marque ainsi Félicien Challaye au commencement de son étude pénétrante du Syndicalisme révolutionnaire et syndicalisme réformiste, s’applique à des tendances plus qu’à des groupes bien définis ou qu’à des doctrines aux contours bien nets.
La classe ouvrière avait déjà un certain nombre d’opinions sociales au moment où elle s’est tournée vers l’action syndi-cale. Elle était ou mutualiste, ou libertaire, ou socialiste, et socialiste de telle école ou de telle autre. Elle a tout naturellement commencé par avoir de l’organisation ouvrière la notion qui cadrait avec ses opinions antérieures; elle a, tout’naturellement aussi, songé d’abord à utiliser le Syndicat en vue de ces opinions, sans lui attribuer une vertu propre; elle lui demandait, par exemple, un appui matériel ou tout simplement y faisait une propagande plus aisée.
Certes, cette conception du Syndicat n’a pas complètement disparu ; mais on peut dire que depuis le Congrès de Nantes, elle ne tient plus une place décisive dans le mouvement ou-vrier en France.

Que s’est-il passé ? La pratique syndicale, d’abord serve d’idéologies qui lui étaient extérieures, leur donne maintenant une orientation. C’est elle, à son tour, qui utilise et qui crée.
Cette action de la pratique sur les notions n’est d’ailleurs pas achevée : elle est en train de se poursuivre ; elle ne peut même que se poursuivre lentement à cause des résistances des idéologies anciennes et de la force de certaines traditions. Il n’est donc pas surprenant qu’au lieu de cette conception unique, à laquelle conduit certainement l’action syndicale, nous en trouvions encore deux et assez distantes l’une de l’autre pour que leurs défenseurs se tiennent pour des adversaires sinon pour des ennemis.
Donnons-en les principaux traits en commençant par celle qui a été élaborée la première.

B. — Le syndicalisme réformiste (*). — Suivant la conception réformiste, le but essentiel de l’organisation ouvrière est d’améliorer la condition des travailleurs sans briser les cadres sociaux actuels. Diminution de la journée de travail, augmentation des salaires, amélioration de l’hygiène, suppression du travail aux pièces, telles sont les principales tâches qu’une action syndicale concertée et soutenue devra accomplir.

Cette action évitera tout ce qui pourrait ressembler à de l’agression ou du désordre. Elle se fera le plus pacifiquement possible. Les différends entre patrons et ouvriers doivent être réglés à l’amiable, ou au moins faut-il, avant de recourir à la grève, avoir épuisé tous les moyens de persuasion. La grève, d’ailleurs, ne doit être déclarée que quand on a la quasi-certitude de la victoire, car rien n’est redoutable pour l’organisation ouvrière comme une grève aboutissant à un échec : effectifs et courage baissent ensemble. Il faudra donc être en mesure de résister longtemps grâce à des caisses bien pleines alimentées par de fortes cotisations, attendre le moment le moins favorable pour le patron et, pour cela, bien connaître l’état de l’industrie, se ménager des amitiés efficaces, en un mot, ne rien laisser au hasard.
Dans sa résistance aux revendications ouvrières, le patronat a l’aide incomparable de l’Etat. Or, il dépend de la classe ouvrière de diminuer l’importance de ce secours, en obtenant une législation du travail moins imparfaite et dont les mailles plus serrées contiendront mieux l’arbitraire patronal. Les Syndicats doivent donc avoir des représentants dans toutes les institutions touchant à la législation ouvrière : ils auront des délégués au Conseil supérieur du Travail, où les lois ouvrières sont préparées, et dans les Conseils de prud’hommes qui les appliquent ; ils seront les collaborateurs actifs des inspecteurs du travail et, s’il en est besoin, il les contraindront à faire leur devoir ; ils se serviront enfin du Parlement où ils tâcheront de faire envoyer les hommes dont les idées et les programmes concordent le mieux avec les intérêts de la classe ouvrière.
Le Syndicat, d’ailleurs, n’est pas seulement un organisme de résistance et de lutte. Il peut être le dispensateur d’un certain nombre de services, auxquels les réformistes attacheront un très grand prix : secours de chômage, de maladie ou de décès, subsides de grève ou de voyage, œuvres diverses de mutualité, écoles ou cours professionnels, etc..
Telles sont les grandes lignes de la conception réformiste de l’action syndicale. Le point de vue de la défense professionnelle est son point de vue essentiel.

C. — Le syndicalisme révolutionnaire (**). — La tendance révolutionnaire est plus complexe que la tendance réformiste.

De plus, elle s’est exprimée par une littérature dont l’abondance, la richesse et la variété permettent de dire que le syndicalisme révolutionnaire a été l’occasion d’un incomparable mouvement d’idées.
Nous ne saurions donc prétendre donner ici, en quelques lignes, la suffisante exposition d’une ample philosophie de l’action. Nous nous contenterons d’en indiquer les principales thèses, sans nous préoccuper de leurs origines.

1° La lutte des classes est à la base du syndicalisme révolutionnaire. Les ouvriers doivent prendre conscience de leurs intérêts communs et transformer en conflit voulu l’opposition réelle des classes. Tous les efforts pour rapprocher les classes, atténuer le conflit ou masquer sa profondeur sont et condamnables et vains.

2° L’État moderne a pour fonction de défendre la classe capitaliste dans sa lutte contre la classe ouvrière. Il le fait, quelle que soit sa forme et même si c’est la forme démocratique, qui ne crée qu’une illusion, d’ailleurs dangereuse, d’égalité» La lutte contre l’État est donc le corollaire de la lutte contre le capitalisme.

3° La lutte des partis politiques sur le terrain parlementaire ne saurait avoir une grande vertu. Les partis, en effet, sont des agrégats d’éléments hétérogènes qui n’ont entre eux que le superficiel lien d’une communauté d’opinions ; ils ne sauraient donc être comparés aux classes. De plus, la lutte parlementaire a nécessairement pour terme l’accord après le marchandage ; elle rapproche donc au lieu d’opposer ; elle est enfin indirecte.

4° L’étude de la législation ouvrière montre qu’elle est ou inutile ou inappliquée. Admettre le contraire serait concevoir une protection efficace des travailleurs par l’État, ce qui est absurde.

5° A l’action indirecte des luttes électorales, la classe ouvrière doit préférer l’action directe, qui consiste en la pression faite sur le patronat et les Pouvoirs publics par les organismes de classe du prolétariat : Syndicats et Unions de Syndicats.

6° Cette action peut prendre un très grand nombre de formes : grèves, manifestations, sabotage, boycottage, label, etc., La plus efficace est la grève, même quand elle échoue, car elle est une école d’énergie et de solidarité, à condition d’être menée avec audace.

7° La lutte de chaque jour doit augmenter d’ampleur et d’acuité jusqu’à ce qu’elle se transforme « en une conflagration que nous dénommons grève générale et qui sera la révolution sociale » (***).
Telles sont les principales thèses du syndicalisme révolutionnaire. Il est aisé de voir qu’elles forment un système cohérent, dont l’idée centrale est la conquête du monde par un prolétariat révolutionnaire et agissant (****).

Notes


(*) Les principaux représentants sont Keufer (de la Fédération du Livre), Coupat (des Mécaniciens), Renard (du Textile), Guérard (des Chemins de fer).

(**) Les principaux représentants sont V. Griffuelhes, Pouget, Yvetot, Delesalle.  L’expression la plus haute et la plus compréhensive des idées syndicalistes  révolutionnaires est due aux plumes de Lagardelle, Sorel I et Berth.

(***) Victor Griffuelhes, L’Action Syndicaliste, p. 26.

(****) On trouvera plus loin, au chapitre consacré au fonctionnement et à l’activité de la C. G. T., les ordres du jour, résolutions, motions, etc., présentées dans ses Congrès sur les principaux problèmes de l’action ouvrière. Ces textes sont le complément indispensable du rapide exposé qui vient d’être fait.

1909responsables-syndicauxOrateurs syndicaux à Méru en 1909

cgt-maison-des-fedes-1913Maison des fédérations de la CGT en 1913

Intervention de Gilbert Serret au congrès de la C.G.T.U. (1933)

7 février 2009

Gilbert Serret, instituteur de l’Ardèche, est secrétaire de la Fédération unitaire de l’enseignement, oppositionnelle.

La dégénérescence des organisations révolutionnaires

— La Fédération Unitaire de l’Enseignement, au nom de laquelle je parle, est dans l’Opposition depuis 4 ans, depuis’ août-septembre 1929.
Très nombreux sont ici les délégués et auditeurs qui ne nous connaissent que par les articles tendancieux de l’Huma et de la V. O. C’est à l’intention de ces camarades que je ferai, en commençant mon exposé, un rapide rappel des raisons profondes qui font que depuis 4 ans nous combattons l’orientation de la C. G. T. U. et de l’I. S. R.
Ce rappel des faits passés ne contribuera d’ailleurs pas seulement à justifier notre position. Il nous permettra aussi d’apercevoir quelques-unes des causes véritables de la situation pitoyable dans laquelle se débat le mouvement révolutionnaire.
Revenons donc aux années 1928 et 1929. Nous voici au 6″ Congrès de l’I. C. et au 10e Plénum de l’Exécutif de l’I. C. (juillet 29). Les instances suprêmes de FI. C. déclarent que nous sommes dans « la 3° période ».
La capitalisme, en tant que système économique, est pourri. La crise qui s’annonce sera la dernière.
Gitton affirme jusqu’au 16 janvier 1931 (Huma) que la crise est « sans issue ». C’est l’ère des convulsions suprêmes; Sons l’effet de cette crise, disait-on, les masses se soulèvent : c’est la radicalisation et l’essor révolutionnaire du prolétariat. Les grèves dépassent le stade corporatif et prennent un caractère politique. La guerre est imminente.

Le problème du pouvoir se pose, en France notamment.

Pour qu’on ne nous accuse point de travestir la pensée exprimée à cette époque par l’I. C. et l’I. S. R., son ombre fidèle, permettez-moi de faire quelques citations. En ce qui concerne la « prise du pouvoir », tout d’abord : Pour être fixés, relisez par exemple le rapport d’activité fait par Gitton au C. confédéral de 29. Relisez aussi les articles de la V. O., signés de Brécot, Legrand ou de tout autre nom de militants responsables. Relisez encore la circulaire du P. C. pour le 1° mai 1930 et vous y verrez que l’on envisageait alors la « lutte décisive pour le pouvoir » ! Mais voici qui est mieux : au  C. confédéral de 29, le délégué de l’I. S. R. déclarait avec la plus parfaite assurance :

« Le problème de la conquête du pouvoir, de la lutte pour la dictature du prolétariat se pose avec force à travers les batailles économiques de plus en plus larges; la perspective de la grève générale, de l’insurrection armée en vue de la conquête du pou-voir s’ouvre devant le prolétariat ».

En ce qui concerne la « radicalisation » et « l’essor révolutionnaire », dont on n’entend plus parler d’ailleurs, nous trouvons des affirmations aussi stupides que les précédentes. Non seulement les journaux communistes, les feuilles unitaires et les militants confédéraux s’efforcent de prouver l’existence de cette radicalisation et de cet essor, mais les dirigeants mêmes de l’I. S. R. se laissent aller à ce sujet à des affirmations d’un ridicule achevé : Dans le numéro d’Août-Septembre 1929 du bulletin de l’I. S. R., le bureau de l’I. S. R. écrit :

« Il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’une grande effervescence règne dans les masses ouvrières, que le mouvement ouvrier en France est entré dans la période d’un nouvel essor révolutionnaire ».

Wassiliev est plus catégorique encore. Au Plénum de l’I. S. R. de décembre 1929 il affirme :

« De tous les pays d’Europe, c’est la France où le processus de la radicalisation de la classe ouvrière est le plus puissant ».

S’appuyant sur cette analyse fausse, absurde, outrancièrement gauchiste, de la situation économique et sociale, l’I. C. et l’I. S. R. lancèrent des mots d’ordre et préconisèrent des méthodes qui ne pouvaient qu’être à leur tour faux, absurdes et outrancièrement gauchistes.

C’est ainsi qu’au Congrès confédéral de 1929 fut proclamé le rôle dirigeant du P. C. Ce fut une véritable folie que d’imposer, dans les conditions de 29, le rôle dirigeant du P. C. dans la C. G. T. U. Il en résulte que, depuis lors, la masse, qui n’est pas communiste, se détourne de la C. G. T. U. communiste et va ailleurs. On aurait dû, il y a 4 ans, ne pas oublier que le rôle dirigeant d’un parti ce n’est pas le parti qui doit le dicter ou le faire dicter par des figurants; c’est la classe ouvrière qui, après l’avoir constaté, le réclame impérieusement. On aurait dû aussi, il y a 4 ans, ne pas oublier que les conditions objectives n’étaient pas mûres pour cette proclamation et que le P.C. de l’époque — comme le P. C. actuel d’ailleurs — n’était pas capable d’assumer convenablement ce rôle dirigeant.
C’est de l’avant-dernier Congrès confédéral que datent la formule et la pratique des « accords permanents sur tous les terrains, y compris le terrain électoral » entre le P. C. et la G. G. T. U. Nous verrons plus loin où devait, en 1932, nous mener cette lourde sottise.
Les « grèves politiques » et la « politisation des grèves » par des hommes politiques du P. C. procèdent aussi de la même erreur. Constatons en passant qu’il n’est plus question aujourd’hui de ces foutaises qui nous valurent de durs mécomptes et de cuisantes défaites. Nous avions donc raison quand nous en dénoncions la sottise et la nocivité.
C’est du C. confédéral de 29 que date surtout l’extension considérable de ce syndicalisme de secte, de ce syndicalisme asservi à un parti politique. Les oppositionnels, depuis cette date, furent et sont systématiquement traqués et chassés de toute fonction syndicale. Ce fut et c’est encore le règne du conformisme le plus absolu, le plus rigide, le plus sectaire.
Un représentant hautement qualifié de la majorité confédérale de l’enseignement écrivait, s’adressant à mes camarades de tendance et à moi-même, en 1930, ceci :

« C’est une question de vie ou de mort pour la C. G. T. U., et son avenir que d’en finir avec vous… Vous êtes autrement dangereux pour la C. G. T. U. que la bourgeoisie puisque vous êtes dans l’enceinte même ».

Ce camarade avouait franchement ce que l’on pensait secrètement dans les sphères dirigeantes : se débarrasser des oppositionnels, épurer la C. G. T. U., en éliminer à coups de .menaces, de manœuvres et d’injures plus ou moins calomnieuses les « gardes blancs », les « protégés de Coty », les « ânes bâtés de l’opportunisme », les « petits bourgeois prétentieux », les « contre-révolutionnaires » que nous étions.
C’est encore du C. confédéral de 1929 que date ce bouleversement total du régime intérieur de la C.G.T.U. Non seulement on insulte les non conformistes, non seulement on sabote les réunions syndicales pour brimer et chasser les opposants, mais encore on voit la démocratie syndicale odieusement foulée aux pieds. Les assemblées syndicales sont de plus en plus rares. Le bureau confédéral aux ordres du P. C. remplace les dirigeants d’U. L. et d’U. R. qui ne s’assimilent pas « la ligne » avec la complaisance voulue. En maintes occasions, un porte-parole du P. C. oblige les membres de la majorité confédérale délégués à un Congrès à violer le mandat formel qu’ils ont reçu de la base. On. voit même des directions syndicales, au lendemain d’un Congrès, solliciter du bureau politique du P. C. des directives pour leur travail corporatif de l’année à venir. Ce qui laisse entendre que l’on se moque des décisions des Congrès soi-disant souverains!
Le verbalisme, l’agitation tapageuse, les vociférations ridicules contre les « social-fascistes » et « autres chiens sanglants du capital », les discours kilométriques sur les larges perspectives, l’abandon du syndicalisme à bases multiples, le désintéressement des menues questions corporatives, l’absence de tout travail d’organisation et d’éducation, le bluff systématique cachant le vide effarant, voilà encore ce que nous a légué le C. confédéral de la 3e période.
Enfin, rappelons que c’est depuis cette époque 1928-29 qu’a été 1° inauguré le front unique exclusivement à la base par les Comités de lutte fantômes et dont les résultats sont totalement négatifs, et 2° abandonnée de façon quasi-absolue l’unité syndicale qui avait fait l’objet d’un si instructif débat au beau Congrès confédéral de Bordeaux en septembre 1927.

Les événements nous ont donné raison

Nous nous sommes vigoureusement dressés contre le cours nouveau que l’I.C. venait d’imprimer à la C.G.T.U. Nous avons crié casse-cou! Nous avons dit, avec l’énergie que confère la certitude d’être dans le bon chemin, que la C. G. T. U. courait à sa perte, que l’I. S. R. et l’I. C. faisaient fausse route, que le mouvement révolutionnaire allait se briser dans de redoutables aventures grosses de conséquences.
Malgré les injures, les menaces, les manœuvres déloyales, les accusations mensongères, les attaques redoublées surgissant de tous côtés, nous avons tenu tête à nos adversaires, nous sommes demeurés fidèles à nous-mêmes, nous ne sommes pas tombés «dans les bras de Chambelland, de Rambaud et de Boville comme l’auraient désiré sans doute les chefs de la majorité confédérale, et aujourd’hui, comme hier, nous luttons pour le redressement du syndicalisme de la C. G. T. U., pour l’avènement d’un syndicalisme de masse, d’un syndicalisme révolutionnaire.
Et les évènements de ces 4 dernières années nous ont, hélas! donné raison contre les dirigeants de la C. G. T. U. et de l’I. S. R. On a dû reconnaître avec nous et après Lénine, qu’il n’y a pas de crise sans issue. On a remisé au magasin des accessoires les formules et les mots d’ordre stupides de la 3° période. On a mis une sourdine aux tapageuses affirmations sur le rôle dirigeant. On a reconnu la nécessité de. la lutte quotidienne pour les revendications immédiates.
Enfin, pour tout dire, on a exécuté des tournants à tour de bras : on a brûlé ce que l’on adorait la veille; dix fois, vingt fois, cent fois, on a renversé la vapeur, réalisé des changements de direction, brutalement, à 180°, on a fait sans préparation et sans mesure les plus étourdissantes pirouettes.
Mais hélas! toutes ces velléités furent vaines! l’I. S. R. et la C. G. T. U. ont continué à descendre la pente qui mène à l’abîme.
Et pour se convaincre du bien-fondé de nos affirmations, il suffit de jeter un coup d’œil autour de soi.

Des millions, des centaines de millions d’êtres humains sont plongés dans la plus affreuse misère. La guerre mondiale accumule ses nuées menaçantes à l’horizon. Le fascisme, depuis dix ans, a conquis l’Italie, la Hongrie, la Pologne, l’Europe centrale. Il vient d’instaurer sa dictature sanglante en Allemagne en écrasant un prolétariat cependant fort et aguerri. Il menace l’Autriche et l’Irlande. Il s’infiltre insidieusement en France et demain l’Europe entière sera peut-être fascisée.
Rappelons en outre qu’aux yeux de tous, même des bourgeois, le système capitaliste, en tant que système, réalise en ce moment la plus retentissante des faillites. C’est dire que les conditions objectives d’une authentique radicalisation des masses sont aujourd’hui remplies. C’est dire qu’aujourd’hui, plus que jamais, les faits économiques et sociaux sont éminemment favorables à l’épanouissement du mouvement révolutionnaire, à l’élévation du potentiel révolutionnaire du prolétariat mondial.
Or, que voyons-nous? En France, les organisations révolutionnaires sont en régression marquée et leur influence décroît. Au XII° Plénum de l’I. C, tenu voici près d’un an, Doriot a affirmé que le P. C avait perdu, en 1932, près de 300.000 voix et qu’il n’avait même pas atteint le chiffre de voix de 1924. Selon le même camarade, les effectifs de la C. G. T. U. sont ceux de la date de sa constitution. Si l’on fixe à 225.000 le nombre d’adhérents à la C. G. T. U. on voit qu’en 6 ans notre centrale syndicale a perdu 300.000 syndiqués! Le C. R. financier de la C G. T. U. que vous avez sous les yeux avoue une baisse formidable des recettes. Pendant cette même période le tirage de l’Huma a « considérablement baissé » ; de 250.000 le chiffre du tirage de 1927 est passé à 150.000 à l’heure actuelle. Doriot avoue encore que toutes les organisations « auxiliaires du P. C. » S. O. I., S. R. I., Amis de l’U. R. S. S., etc, sont en recul et que le mouvement des chômeurs est en régression aussi. Le coopératisme révolutionnaire lui-même recule devant le coopératisme réformiste.
A l’échelle mondiale, la situation est identique ou pire. Au XII° Plénum, le camarade Kostanian avoue : Régression syndicale en Allemagne; en France; 5.400 adhérents seulement en Angleterre; quelques milliers aux États-Unis; de 22 à 25.000 au Japon; en Chine, nos syndicats en sont seulement à « reconstituer leurs organisations » après urne période de désagrégation.
Toujours au XIIe Plénum,, Pianitsky affirme que pendant les 18 mois antérieurs l’influence révolutionnaire parmi les chômeurs est allée en diminuant.

Voilà donc quel est le bilan lamentable pour une période cependant favorable au renforcement numérique et à l’élargissement de l’influence de l’I. S. R.
Le mur qui nous sépare des masses s’élargit sans cesse. Et c’est l’absurde politique de l’I. S. R. qui est responsable de cette triste situation. Pendant ce temps, la classe ouvrière dans son ensemble se replie sur elle-même, désabusée, démoralisée ou amorphe, proie facile pour les bateleurs sociaux-démocrates ou pour les démagogues fascistes.
Et pourtant toute foi, toute ardeur n’est pas éteinte; de belles grèves comme celles de Strasbourg et des bateliers le prouvent. Mais l’orientation, les méthodes et les mots d’ordre de l’I. S. R. et de la C. G. T. U. sont incapables de faire surgir du prolétariat cette confiance, cette foi, cet enthousiasme, cette ardeur qui transportent les foules et leur font accomplir les grands événements de l’histoire.

Les responsabilités de la C.G.T.U. et de l’I.S.R.

Les chefs de l’I. S. R. et de la C. G. T. U. prétendent sans cesse que les échecs, les défaites, les reculs, sont dus non pas à une mauvaise politique, mais à une application défectueuse des directives du centre. Ils affirment avec une audace inouïe que les événements vérifient leurs perspectives antérieures, qu’ils ont vu juste en toutes circonstances, et que si les choses vont mal, la faute en est aux agents d’exécution, c’est-à-dire en fait aux militants de base.
Nous, Fédération de l’Enseignement, nous déclarons que c’est faux! La responsabilité de la douloureuse situation du mouvement révolutionnaire incombe essentiellement à la politique imposée à l’I. S. R. par l’I. C.
Et il faut faire preuve d’une puissance d’imposture peu commune pour oser prétendre que les faits ont sans cesse vérifié les perspectives! Voudriez-vous, camarades du Bureau confédéral, me dire par exemple si vous pensez toujours que la crise est sans issue? Voudriez-vous me dire où nous en sommes de la prise du pouvoir en France?

Ne pourriez-vous pas me préciser dans quelle mesure l’essor révolutionnaire a grandi durant ces 4 dernières années? Enfin, fait particulièrement récent et grave, qu’est-il advenu de vos dérisoires pronostics sur l’impossibilité d’Hitler d’arriver au pouvoir – – pronostics formulés jusqu’à la veille même de l’avènement du national-socialisme?…
En prétendant que vos thèses sont toujours justes, vous vous efforcez de sauver le prestige de votre politique ; vous voulez nous inculquer le dogme de votre infaillibilité. Mais nous ne marchons pas !
Nous avons maintes fois déjà porté le fer rouge dans la plaie. Et aujourd’hui encore nous tenons à marquer nettement à cette tribune l’écrasante responsabilité qui pèse sur votre fausse orientation, vos méthodes déplorables et vos mots d’ordre si souvent maladroits.
La C.G.T.U. sous la coupe du P.C.
Examinons tout d’abord la question de la subordination du mouvement syndical au mouvement politique.
Depuis 4 ans, les syndicats unitaires sont sous la coupe du P. C. et la C, G. T. U. n’est que le pâle reflet du P. C. Des quantités de faits peuvent être apportés à l’appui de cette affirmation que personne d’ailleurs ne conteste.
Toutefois je tiens à rappeler le dernier fait parvenu à ma connaissance, car il est savoureux : Un remaniement du bureau confédéral a eu lieu voici quelque temps. Claveri a cessé ses fonctions. Pourquoi? Je n’en sais rien. Mais ceci n’a pas d’importance. L’essentiel le voici : Frachon secrétaire du P. C, est devenu secrétaire confédéral, et Gitton secrétaire confédéral est devenu secrétaire du P. C.
La sottise la plus lourde de conséquences fut sans conteste la participation de la C. G. T. U. à la campagne électorale de 32 pour le compte du P. C. L’article 7 des statuts confédéraux actuels dit très clairement :

« Nul ne peut se servir de son titre de confédéré ou d’une fonction de la Confédération dans un acte électoral quelconque…
Les fonctionnaires confédéraux et les membres de la C. E. ne pourront faire acte de candidature à une fonction politique; leur acte de candidature implique d’office la révocation des fonctions qu’ils exercent ».

Cet article fut systématiquement violé. La C. G. T. U. se fit le rabatteur politique du P. C. Les fonctionnaires syndicaux furent en très grand nombre candidats, utilisant leurs forces et leur temps pour le compte du P. C, en violation formelle des statuts et sans autorisation aucune de la base, du Congrès de 31 ou même du C. C. N.
La C. G. T. U. en liant ainsi son sort à celui du P. C. lors de la dernière foire électorale a commis une très lourde faute. Les ouvriers d’ailleurs en maintes circonstances lui ont signifié un dur désaveu. A Vienne, Richetta se présente aux suffrages des travailleurs dès le lendemain de la grève du textile qu’il venait de diriger et reçoit un soufflet cinglant. A Fougères, dans des circonstances identiques, Mentec ramasse un nombre de voix dérisoire.
Vous n’avez pas encore compris, camarades de la M. C, que le syndicat par sa composition, par son action, par ses méthodes se distingue totalement de l’organisation politique. Vous n’avez pas compris que si vous voulez que le syndicat soit une organisation de masse il faut que toutes les idéologies syndicalistes puissent s’y trouver, il faut que tout travailleur puisse y respirer à l’aise, il ne faut pas en faire une chapelle communiste ou anarchiste ou socialiste ou trotskiste !

Syndicalisme de secte

La subordination mène au syndicalisme de secte. La subordination provoque les luttes fratricides au sein du syndicat. La subordination, c’est la mort du syndicalisme de masse. A bas la subordination!
C’est cette domination bureaucratique du P. C. sur la C. G. T. U., c’est ce sectarisme forcené, qui rongent notre Centrale syndicale, qui l’affaiblissent au moment où elle devrait grandir, qui la coupent des masses au moment où elle devrait traduire puissamment les espoirs du monde du travail.

Ce sectarisme nous apparaît notamment sous les aspects du dénigrement systématique à l’égard des oppositionnels et des oppositions. Un militant fait-il preuve d’indépendance d’esprit? On s’efforce de le boycotter, on le combat, on le discrédite au besoin et on l’élimine du poste qu’il occupe s’il persiste à ne pas se soumettre aux dogmes et aux rites sacrés de l’Église confédérale. Le sort des camarades d’Armentières et d’un certain nombre de .secrétaires d’U. R., d’U. L. et de Fédérations est là pour nous édifier et… nous laisser prévoir ce qui attend les camarades de l’U. L. de Strasbourg!…. On ne s’attaque pas seulement aux hommes; on s’attaque aussi aux Fédérations qui sont dans l’opposition. En ce qui nous concerne nous tenons à déclarer que vous avez sciemment menti quand vous dites que nous n’avons rien fait pour empêcher le départ de certains syndicats minoritaires. Nous avons fait plus et mieux que vous sur ce terrain-là.
Vous avez pour nous une telle haine de tendances que vous en arrivez à rabaisser notre action dans le mouvement du 20 février dernier. Vous devriez tout de même avoir à ce sujet la pudeur de vous taire, car vous savez bien que les syndicats de la M. C. de l’enseignement n’ont pas fait mieux que nous — au contraire même — car vous connaissez bien la carence coupable du Cartel unitaire, car vous n’ignorez pas non plus que la direction confédérale et certaines fédérations intéressées m’ont pas fait l’action nécessaire.
Pendant les années 1929, 30 et 31 nous avons été copieusement injuriés et calomniés. Nous avons réagi avec «ne vigueur telle que vous avez dû mettre une sourdine à vos insultes. Mais voici qu’à nouveau apparaissent les procédés inadmissibles. Alors que Bergery pouvait s’exprimer longuement à la tribune de Pleyel, notre camarade Aulas, représentant la Fédération de renseignement, ne put parler librement! Dans une assemblée syndicale de la Seine un oppositionnel est saisi à bras le corps et descendu de la tribune. Cinq camarades hongrois, membres du syndicat du bâtiment, sont exclus pour délit d’opinion.
Prenez garde! Si vous persévérez dans cette voie, si Vous faites taire par les manœuvres déloyales ou par la force les oppositionnels, si vous instituez dans la C. G. T. U. des méthodes de brutalité, si vous étouffez la voix de ceux qui ne veulent pas toujours dire « amen », vous n’arriverez qu’à démolir un peu plus notre Centrale syndicale.

Manque de démocratie syndicale, bluff et bureaucratisme

On ne peut pas dire que la démocratie syndicale joue véritablement à la C. G. T. U. En voici deux preuves très récentes : au Congrès d’août dernier de notre Fédération certains délégués membres de la M. C, dans plusieurs votes, se sont emparés des voix d’opposition qu’ils détenaient. Toujours au même Congrès nous avons vu les délégués de la M. C. [majorité confédérale], obéissant au P. C, modifier leur vote en ce qui concerne la préparation militaire supérieure dans les grandes écoles. Mandatés pour s’élever contre cette préparation militaire, ils ont fait exactement le contraire, en plein Congrès, violant ainsi le mandat que la base leur avait donné!
Dans maints syndicats de la C G. T. U. il n’y a que de rares A. G,, auxquelles d’ailleurs n’assistent que très peu de syndiqués! Le bureau, bien souvent on fait c’est la cellule, dirige le syndicat, qui peu à peu, faute de vie, décline et meurt.
Pour cacher ce vide, pour donner l’illusion d’une activité qui n’existe pas, vous en êtes réduits à gonfler démesurément les moindres faits. Vous multipliez systématiquement le chiffre des auditeurs des meetings. Vous bluffez sur les effectifs, sur les résultats obtenus ; vous montez en épingle les plus minces événements. Méthode déplorable qui répugne aux travailleurs, qui discrédite ceux qui l’emploient et qui ne parvient même pas à donner le change. N’oubliez pas que les révolutionnaires authentiques ont le courage de voir la réalité en face, qu’ils repoussent avec indignation la surenchère, le bluff et la démagogie.
Le bureaucratisme est encore une tare de notre mouvement syndical. La bureaucratie est une plaie mortelle car elle empêche les dirigeants de sentir les pulsations de la vie des travailleurs. Le bureaucratisme contribue dans une large (mesure à couper tout contact entre la base et la tête, entre la masse et l’avant-garde.

Le bureaucratisme contribue aussi à déposséder les militants de toute indépendance d’esprit, de tout esprit critique. Le bureaucrate cherche non pas à vérifier si la ligne est juste et à dire qu’elle est mauvaise si vraiment elle est mauvaise, mais bien plutôt à ne jamais s’écarter des directives qui lui sont tracées par en haut. Enfin le bureaucratisme mène à la routine, à la mécanisation, inintelligente, à la paralysie. N’oublions pas que si cette lèpre sévit depuis longtemps dans le camp réformiste elle fait chez nous aussi des ravages.

Les événements d’Allemagne; l’orientation de l’U.R.S.S.

Le sectarisme forcené que nous vous reprochons se manifeste surtout quand nous osons toucher aux principes, aux idées ou aux faits que vous considérez comme sacrés. Vous ne pouvez pas admettre par exemple que nous examinions en parfaite indépendance d’esprit les événements d’Allemagne. Vous ne voulez pas que nous évoquions les erreurs énormes commises par le P. C. allemand. Pour vous, l’I. C. est tabou et sa politique est parfaite en ce qui concerne l’Allemagne. Vous poussez l’intolérance jusqu’à empêcher l’expression d’une opinion non conforme à la vôtre sur ce sujet et, jouant la vertu outragée, vous prétendez que nous apportons de l’eau au moulin d’Hitler ou que nous piétinons les victimes du fascisme. Vous savez très bien qu’autant que vous nous saluons l’héroïsme des travailleurs allemands qui luttent contre Hitler au péril de leur vie. Mais ce que vous ne voulez pas que mous examinions, c’est la question de savoir si FI. G. n’a pas, par une fausse politique, facilité la trahison social-démocrate et ainsi, en fait, favorisé l’avènement de l’hitlérisme assassin.

En ce qui concerne l’U. R. S. S., qu’il est nécessaire de défendre contre toute agression armée des nations impérialistes, vous ne voulez pas que nous nous étonnions de sa politique extérieure, des réceptions grandioses du soi-disant « pacifiste Herriot », de l’accueil de la presse fasciste polonaise à Karl Radek, du prochain voyage à Moscou de Pilsudsky, assassin de communistes, des pactes de non-agression et d’amitié, du régime des passeports intérieurs, de la différenciation systématique des salaires, du travail aux pièces, de la déportation sans jugement de révolutionnaires comme V. Serge, Rakovsky, Riazanov et tant d’autres.
Vous ne voulez pas que l’on professe sur ces questions une autre opinion que la vôtre. C’est de l’intolérance, c’est du sectarisme, c’est du fanatisme.
Comment voulez-vous, dans de telles conditions, avec de telles conceptions, avec un tel régime intérieur, faire du bon travail?…
(Le Président prie notre camarade de s’arrêter.)
— Camarades, je veux respecter strictement la démocratie syndicale; j’ai épuisé mon temps de parole, je coupe ici mon intervention. Nous tâcherons, avec nos camarades de l’Enseignement, de terminer ce que nous avons à dire, car je pense qu’il faut que vous entendiez toutes les voix, tous les sons de cloche. Au sein de la C. G. T. U., il faut que la base, il faut que les minorités puissent s’exprimer. Sinon, vous ne serez jamais un syndicalisme de masse, vous serez un syndicalisme de secte qui, coupé de la masse, tournera le dos à la révolution.

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Voir aussi:

Lettre de Souvarine à Monatte (1921)

9 novembre 2008

Moscou, 9 août [1921]

Mon cher Monatte,
Je regrette bien de n’avoir pas pu t’écrire durant ces dix dernières semaines de séjour en Russie. La vie est si fiévreuse ici, si intense, si riche d’impressions et de révélations que l’on est enchaîné dans un tourbillon dont on a peine à se dégager quand on songe à renseigner Paris. J’ai cependant fait de mon mieux pour garder le contact avec mes amis. Mais les délégués syndicalistes ont été bien coupables de vous laisser dans l’ignorance de ce qui se passait ici. La note de la V.O. à ce sujet n’était pas trop sévère. Les renseignements personnels directs vous eussent été d’autant plus nécessaires que les comptes rendus de Rosta et de Moscou ne valent rien, défigurés qu’ils sont successivement par la sténographie, l’analyse, la traduction et l’impression. Il faut dire que le personnel du Bureau de presse très insuffisant et très mal outillé, a été débordé par l’avalanche des discours, rapports, thèses, amendements, résolutions, bulletins, journaux, etc., à imprimer en quatre langues. Mais il faut vraiment avoir vécu ici ces dernières semaines pour se rendre compte des difficultés de la tâche et des raisons qui font insuffisante l’information sur les congrès. Ce qui est inexcusable c’est l’indolence des délégués qui, au lieu de se mettre le soir au travail pour renseigner leurs mandants, vont au théâtre, au concert, ou sur le boulevard pour chercher fortune. Il faudra que vous teniez le plus grand compte des renseignements qui vous seront fournis sur l’attitude et le travail de chaque délégué ; c’est dans de telles circonstances que l’on voit les hommes à l’œuvre et que l’on a le droit de porter sur eux un jugement.
Tu sais que nous avons eu ici plusieurs de ces vieilles connaissances : Foster, Andreytchine, Tom Mann, Haywood, avec lesquels les communistes travaillent en excellent accord. Haywood et Andreytchine sont d’ailleurs dans le Parti Communiste, ainsi que Robert Minor, également à Moscou.

Les Espagnols (synd. rév.) ont envoyé une délégation très intéressante [*], les Italiens sont malheureusement arrivés après le Congres syndical, dont ils ont approuvé les résolutions. Somme toute, l’opposition synd. rév. est apparue presque inexistante et les raisons en sont évidentes : elle comprenait seulement la moitié de la délégation française, où seul Sirolle faisait figure d’homme représentatif et avec toute l’indécision que tu lui connais et les représentants des « Unions libres » d’Allemagne, combattus par les synd. communistes ; enfin le délégué des I.W.W., particulièrement incompétent, et faisant pauvre figure à côté d’un Haywood, d’un Andreytchine (qui n’avaient pas de mandat). Autrement dit, aucune organisation dans son ensemble, les Espagnols, les Anglais, les Hollandais, puis les Italiens (pour ne parler que des synd. rév.) ayant voté avec la majorité. Dans cette situation, l’annonce de votre protestation a produit un effet… que tu devines. J’ai l’impression qu’elle a été écrite sous le coup d’une grosse déception, et non après un examen attentif des conditions où la résolution du congrès a été adoptée. Car enfin, même si cette résolution vous choque, elle vous choque moins que la politique de Jouhaux et compagnie avec lesquels vous cohabitez dans la C.G.T. pour des raisons d’intérêt supérieur du mouvement ouvrier ? Quand on reste dans une organisation avec Jouhaux (et l’on a raison d’y rester), on peut adhérer à Moscou et rester dans une organisation avec Lozovsky, Haywood, Andreytchine, Foster, Tom Mann, et compagnie, quitte à critiquer le point de vue de ceux-ci. Je ne puis pas croire que vous resterez dans la position : ni Amsterdam, ni Moscou. Il y a une si forte majorité contre votre conception particulière dans l’Int. synd. que vous ne pouvez pas espérer voir Moscou déchirer ses résolutions pour attirer une fraction d’une fraction des syndicats français, et de petites minorités d’Allemagne et d’Amérique. Si personne ne veut rien céder, où est l’issue ?
Au moment où je t’écris, je ne connais que le compte rendu des deux premiers jours de Lille. Sur le congrès de la minorité, nous ne savons rien ici. Peut-être tout ce qui précède est-il déjà caduc et périmé ? En ce cas, j’aurais mieux fait de ne rien dire. Voilà la difficulté de discuter dans les conditions où nous sommes. Il ne me reste que la place de te dire au revoir et de ce fait de présenter mes amitiés à ta femme.
J’espère qu’elle voit ma mère de temps en temps et qu’elle lui remonte le moral.
Cordialement,

Boris Souvarine.

Si ma lettre te parvient, accuse-m’en réception par deux lignes à la Petite Corresp.

Note de la BS:

[*] La délégation de la CNT espagnole comprend notamment Joaquin Maurin et Andreu Nin.

Voir aussi:

Karl Marx et les syndicats (Riazanov, 1923)

29 juin 2008

Article de Riazanov paru dans le Bulletin communiste du 17 mai 1923:

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QUAND Marx fut convaincu que le régime capitaliste ne pourrait être anéanti qu’avec l’organisation révolutionnaire de la classe intéressée et que cette classe était, dans la société bourgeoise, _ le prolétariat, poussé par toutes ses conditions d’existence à la lutte contre le capitalisme — il entreprit d’étudier l’histoire du prolétariat.

Quels éléments forment la classe ouvrière ? Dans quelles conditions historiques se différencie-t-elle des autres classes de la société bourgeoise ? Sous quelle forme s’organise-t-elle en classe distincte ? Cherchant une réponse à ces questions, Marx arriva tout de suite à l’étude des syndicats.
Il est vrai qu’on ne pouvait, vers 1845, trouver des syndicats complètement formés qu’en Angleterre (trades-unions) ; encore n’y étaient-ils point sortis de la phase primitive, relativement diffuse, d’organisation. Les socialistes d’alors les dédaiganient ou nourrissaient à leur égard une grande défiance, les considérant comme une dépense inutile de forces et de moyens. Les savants bourgeois n’y voyaient qu’une initiative de gens ignorants, vouée à l’échec parce qu’en contradiction avec les « lois éternelles » de l’économie politique.
Il fallait une perspicacité géniale pour apercevoir, dans ces faibles embryons du mouvement syndical, les premières cellules de l’organisation de la classe ouvrière. Dès 1847, dans sa polémique contre Proudhon qui déniait toute signification aux coalitions ouvrières, Marx indique pourtant que les syndicats sont un produit aussi inévitable de la grande industrie que la classe ouvrière elle-même. Leur degré de développement dans un pays indique le mieux la place occupée par ce pays dans la hiérarchie du marché mondial.

« C’est sous la forme des coalitions qu’ont toujours lieu les premiers essais des travailleurs pour s’associer entre eux.
« La grande industrie agglomère dans un seul endroit une foule de gens inconnus les uns aux autres. La concurrence les divise d’intérêts. Mais le maintien du salaire, cet intérêt commun qu’ils ont contre leur maître, les réunit dans une même pensée de résistance — coalition. Ainsi la coalition a toujours un double but, celui de faire cesser entre eux la concurrence, pour pouvoir faire une concurrence générale au capitaliste. Si le premier but de résistance n’a été que le maintien des salaires, à mesure que les capitalistes à leur tour se réunissent dans une pensée de répression, les coalitions, d’abord isolées, se forment en groupes, et en face du capital toujours réuni, le maintien de l’association devient plus nécessaire pour eux que celui des salaires »(1).

Les syndicats combattent opiniâtrement les capitalistes. Parfois ils sortent vainqueurs de la lutte, mais alors la victoire leur a coûté cher. Pour en conserver les fruits, ils doivent affermir leur organisation. Le résultat principal de leur action ce n’est pas le succès immédiat, c’est la cohésion croissante de l’organisation. Dans l’action — véritable guerre civile – se rassemblent et se développent tous les éléments indispensables des futures grandes batailles. Peu a peu s’élargit le champ même de la lutte. Elle en arrive enfin à embrasser les milieux les plus actifs de la classe ouvrière. Elle devient alors la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste, or, toute lutte de classes est forcément une lutte politique, c’est-à-dire une lutte pour le pouvoir.
Nous trouvons dans le Manifeste Communiste la même pensée exprimée dans des termes légèrement différents. Examinant le développement historique du prolétariat le Manifeste mentionne son organisation syndicale.
La lutte au prolétariat, dît-il en substance, commence avec son existence. D’abord les ouvriers luttent isolément ; puis ceux d’une même entreprise se groupent ; puis ceux d’une môme industrie dans une localité donnée, s’unissent contre certains exploiteurs. Peu à, peu, des coalitions de plus en plus larges se forment, défendant les salaires. Des associations permanentes sont enfin créées, pour soutenir les travailleurs dans les moments de lutte. active. A une certaine heure, l’organisation professionnelle ou locale devient politique et embrasse toute la classe ouvrière du pays. Après la révolution de 184849, Marx dut s’installer pour longtemps en Angleterre. Il eut ainsi la possibilité d’observer sur place la phase nouvelle du mouvement syndical anglais. Les chartistes, parti politique de la classe ouvrière, avaient partagé la défaite du prolétariat européen. Les ouvriers anglais s’en étaient pourtant remis les premiers. Et, vers 1860, ils recommençaient à combattre énergiquement pour les trades-unions désormais à la tête du mouvement gréviste. Leurs succès provoquaient même un certain engouement en faveur des syndicats, considérés par d’aucuns comme la seule et la plus efficace des formes du mouvement ouvrier.
Marx, à ce moment, étudiait la société capitaliste. Il avait déjà réussi à pénétrer le mystère de l’exploitation bourgeoise et à éclairer le processus de formation de la plus-value (bénéfice). A l’opposé des économistes bourgeois, il avait établi que le salaire n’est que le résultat d’une transformation de la valeur de la main-d’œuvre — ou force de travail — vendue par les ouvriers aux capitalistes. En obligeant l’ouvrier à travailler plus de temps qu’il n’en faut pour récupérer la valeur de la main-d’œuvre achetée, le fabricant reçoit une certaine quantité de plus-value. Entre les capitalistes et les ouvriers une lutte incessante se livre autour de ce travail supplémentaire et des salaires. Cette lutte, pour la diminution de la journée de travail et la conservation des salaires, est soutenue chez les ouvriers par l’organe des syndicats qui leur permettent d’opposer au patronat leur force collective. Mais elle a des limites bien définies, posées par le mécanisme même de la société capitaliste. Tant que la main-d’œuvre reste une marchandise, son prix ne peut s’élever que dans de certaines limites. Et si l’on prend une moyenne — observée au cours d’un certain nombre d’années, pendant, lesquelles la production capitaliste traverse différentes phases de calme, d’animation, de prospérité, de krach, de stagnation — on voit que le salaire ne s’élève jamais au point de permettre à l’ouvrier de se libérer de la nécessité de vendre son travail.

Peu après 1860, les ouvriers anglais arrivaient à la conviction qu’il était indispensable d’élargir les bases de leur organisation, d’achever et d’affermir la liaison avec les ouvriers étrangers, français et belges d’abord. Le résultat de ces efforts fut la Ire Association Internationale des Travailleurs, à la fondation de laquelle participa Marx (1864)1 Marx eut ainsi l’occasion d’entrer pratiquement et étroitement en contact avec les trades-unions anglaises dont les leaders les plus en vue appartinrent au Conseil Général de l’Internationale. Avec eux participaient au mouvement les membres des anciennes organisations socialistes et politiques, les disciples d’Owen, les chartistes, les cooopérateurs. qui étaient loin de comprendre l’importance du mouvement syndical.
Marx tira parti de ces désaccords et, au cours de l’été dé 1865, fit une conférence sur le rôle des syndicats ou des trades-unions dans la lutte pour l’amélioration des conditions de travail et sur les limites assignées à l’efficacité de leur action (2).
Marx exposa les fondements de sa théorie de la valeur et de la plus-value, exposa les lois qui, dans une société capitaliste, régissent les salaires, les rapports nécessaires entre les prix, les salaires et les bénéfices. Il montra combien étaient puériles les objections des membres du Conseil Général, adversaires du mouvement gréviste et des trades-unions qui le dirigeaient, parce que, disaient-ils, « la hausse des salaires devait forcément avoir pour conséquence celle des prix et ne servait donc à rien. »
Mais, montrant la nécessité du mouvement syndical, Marx s’insurgea tout de suite contre les trades-unionistes enclins à, exagérer le pouvoir de leurs organisations.

« Ils ne doivent pas oublier — disait le créateur du socialisme scientifique — qu’ils ont affaire avec les conséquences et non avec les causes, qu’ils peuvent constituer un frein, mais ne peu-« vent modifier l’orientation du mouvement économique, qu’ils n’apportent que des palliatifs et n’atteignent pas la cause du mal. Ils ne doivent donc pas consacrer toute leur force à cette inévitable guérilla, constamment provoquée par les excès de l’exploitation et les fluctuations du marché. Au lieu d’un juste salaire pour une juste journée de travail, ils devraient inscrire sur leur drapeau cette revendication révolutionnaire : « Abolition du salariat. »

Les syndicats, utiles comme centres de résistance aux exagérations du capital, sont impuissants dans la mesure où ils se contentent de ne faire qu’une guerre de partisans à l’ordre capitaliste. Sans renoncer à cette action quotidienne ils doivent travailler à la transformation de la société capitaliste, faire de leur force organisée un levier de l’émancipation définitive de la classe ouvrière, c’est-à-dire de l’abolition du salariat.

Le premier congrès ouvrier international se réunit à Genève en 1866. Marx écrivit, pour ce congrès, sur la demande du Conseil Général, une motion détaillée sur les syndicats.
Comme ce document nous donne l’exposé le plus complet de sa pensée sur la question, nous le citons ici en entier, d’après l’original anglais rédigé par Marx lui-même (3) :
6. Société ouvrières (trades-unions), leur passé, leur présent, leur avenir.
a) LEUR PASSE :
Le capital est la force sociale concentrée, tandis que l’ouvrier ne dispose que de sa force productive individuelle. Donc le contrat entre le capital et le travail ne peut jamais être établi sur des hases équitables, même en donnant au mot « équitable » le sens que lui attribue une société plaçant les conditions matérielles d’un côté et l’énergie vitale de l’autre. Le seul pouvoir social que possèdent les ouvriers, c’est leur nombre. La force du nombre est annulée par la désunion. La désunion des ouvriers est engendrée et perpétuée par la concurrence inévitable faite entre eux-mêmes. Les trades-unions (association de métiers) originairement sont nées des essais spontanés des ouvriers luttant contre les ordres despotiques du capital, pour empêcher ou du moins atténuer les effets de cette concurrence faite par les ouvriers entre eux. Ils voulaient changer les termes du contrat de telle sorte qu’ils pussent au moins s’élever au-dessus de la condition de simples esclaves. L’objet immédiat des trades-unions est toutefois limité aux nécessités des luttes journalières du travail et du capital, à des expédients contre l’usurpation incessante du capital, en un mot aux questions de salaire et d’heures de travail. Une telle activité est non seulement légitime, elle est encore nécessaire (4). On ne peut y renoncer tant que le système actuel dure ; au contraire, les trades-unions doivent généraliser leur action en se combinant.
D’un autre côté, les trades-unions ont formé à leur insu des centres organisateurs de la classe ouvrière, de même que les communes et les municipalités du moyen-âge en avaient constitué pour la classe bourgeoise. Si les trades-unions, dans leur première capacité, sont indispensables dans la guerre d’escarmouches du travail et du capital, elles sont encore plus importantes dans leur dernière capacité, comme organes de transformation
du système de travail salarié et de la dictature capitaliste.

b) LEUR PRESENT :
Les trades-unions s’occupent trop exclusivement des luttes immédiates. Elles n’ont pas assez compris leur pouvoir d’action contre le système capitaliste lui-même. Néanmoins, dans ces derniers temps, elles ont commencé à s’apercevoir de leur grande mission historique. Exemple, la résolution suivante, récemment adoptée par la grande conférence des différents délégués des trades-unions tenue à Sheffield :

» Cette conférence, appréciant à leur juste valeur les efforts faits par l’Association Internationale des Travailleurs pour unir dans un lien fraternel les ouvriers de tous les pays, recommande très sérieusement à toutes les sociétés représentées de s’affilier à cette Association, dans la conviction que l’Association Internationale forme un élément nécessaire pour le progrès et la prospérité de toute la communauté ouvrière. »

c) LEUR AVENIR :
A part leur œuvre immédiate de réaction contre les manœuvres tracassières du capital, elles doivent maintenant agir consciemment comme foyers organisateurs de la classe ouvrière dans le grand but de son émancipation radicale. Elles doivent, aider tout mouvement social et politique tendant dans cette direction. En se considérant et agissant comme les champions et les représentants de toute la clause ouvrière, elles réussiront à englober dans leur sein les non-society men (hommes ne faisant pas partie des sociétés), en s’occupant des industries les plus misérablement rétribuées, comme l’industrie agricole où des circonstances exceptionnellement défavorables ont empêché toute résistance organisée, elles feront naître la conviction dans les grandes masses ouvrières qu’au lieu d’être circonscrites dans des limites étroites et égoïstes, leur but tend à l’émancipation des millions de prolétaires foulés aux pieds.
Cette motion indique en réalité le point d’arrivée de la pensée de Marx sur le mouvement syndical. C’est en tout cas le dernier document dans lequel il l’ait exprimée.
Nous voyons qu’il y souligne la nécessite, la légitimité et la fécondité du mouvement syndical.
Mais nous voyons aussi qu’il y souligne les limites assignées à cette forme du mouvement ouvrier par la société capitaliste. Rien n’est dit dans cette résolution du rôle du parti politique de la classe ouvrière parce que l’ordre du jour du Congrès de Genève et les circonstances avaient avant tout dicté la motion citée. Il y est d’ailleurs souligné que les syndicats ont le devoir de soutenir tout mouvement social et politique tendant à l’émancipation totale de la classe ouvrière et qu’ils ne doivent pas devenir des organisations « étroites », « égoïstes ». La question de la neutralité syndicale ne s’y pose donc pas. Cette motion n’est pas non plus syndicaliste. Les syndicats ne sont, comme Marx l’avait déjà exposé dans Misère de la Philosophie, que des centres d’organisation de la classe ouvrière, la forme primitive de son organisation de classe et nullement les centres d’organisation, les premières cellules de la future société socialiste. Le mouvement syndical n’est qu’une des formes, un des degrés de l’organisation du prolétariat dont le but est de faire de celui-ci la classe dominante. Ecoles du communisme, étendant son influence à tous les producteurs, les syndicats constituent la base la plus large et la plus solide de la dictature du prolétariat c’est-à-dire du prolétariat organisé en tant que classe dirigeante.

Notes
(1) Karl Marx, Misère de la Philosophie, p. 216-217 de l’éd. française.
(2) Elle a été traduite en français par Ch. Longuet sous le titre: Salaires, Prix et Profits.
(3) Le texte que nous donnons ici est le texte même qui fut lu à Genève, en français, par Eugène Dupont, au nom du Conseil général. Nous rempruntons à l’ouvrage de James Guillaume, l’Internationale. T.IV, p. 332-333.
(4) Cette dernière phrase, que nous rétablissons, a été sautée dans le texte français lu au Congrès de Genève.

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Commentaire de Robert Louzon paru dans le Bulletin communiste du 31 mai 1923:

 

Voir aussi: