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Lettre à Monatte (Marie Guillot, 1914)

11 août 2014

Centenaire 1914-1918

Saint-Martin d’Auxy, 29 décembre 1914.

Cher ami,

Je reçois votre manifeste.

Je suis bien d’accord avec vous quant aux fautes commises par le Comité confédéral. La dernière est peut-être de toutes la plus formidable. — Est-ce que des révolutionnaires éclairés ne savent pas que la classe ouvrière, plus que toute autre, paye les frais de la casse; est-ce qu’il ne doivent pas comprendre qu’un pays comme l’Allemagne ne s’anéantit pas et que la guerre ne peut qu’exaspérer les défauts de son esprit public, si tant est que les Allemands soient plus aveugles que nous — : faire la révolution, libérer un peuple de la tyrannie — à coups de canon, c’est toute l’idéologie de 1793 qui reparaît là. On sait à quoi ça aboutit — Les Allemands sont bons pour se libérer eux-mêmes ; et la paix mettra de meilleurs armes en leurs mains que la guerre — Faisons donc notre travail qui est de développer nos organisations de lutte et laissons donc nos voisins faire le leur — On dit: ne pas abattre l’Allemagne, c’est lui laisser la possibilité de prendre une revanche — Admettons l’Allemagne abattue (pourra-t-elle l’être plus que la France en 70, et peut-on empêcher une nation qui a la volonté de vivre, de renaître de ses cendres) oui, admettons — les chances de guerre ne seront nullement diminuées, elles seront seulement déplacées: le centre sera à Petersbourg et Londres, au lieu d’être à Berlin et Vienne — Il y a encore de beaux jours pour le désordre capitaliste. Et le meilleur moyen et le plus rapide — malgré sa lenteur extrême, d’éviter les guerres, c’est de tuer la société capitaliste, c’est d’instaurer un régime de justice sociale où les rivalités économiques seront remplacées par des calculs économiques internationaux.

Quand je lis ce que l’Humanité fait digérer à ses lecteurs — mais, croyez-le, tous ne le digèrent pas, et les comptes se feront — j’en gémis sur la nouvelle mentalité socialiste — c’est le retour à la brutalité ancestrale: rossons-les et tuons-les pour leur porter la liberté — On se demande: est-ce démence, sottise, ou.. chauffe ?

Le devoir des organisations ouvrières était de tout mettre en œuvre pour préparer la paix: on y aura déjà assez de mal — Et nous ne devions pas décourager les neutres dans leur effort d’humanité et de clairvoyance ouvrière.

— Peut-être, un neutre dont on ne se préoccupe pas assez, le choléra, viendra-t-il mettre tout le monde d’accord. Et au printemps, peut-être verrons-nous se signer une paix du choléra, comme durent la signer Turcs et Bulgares — Mais voilà, nous pourrons compter nos pauvres gars.

Quant aux causes de la guerre et aux responsabilités, il est prématuré d’en parler: elles sont au fond d’ordre économique, je le sais — et chaque pays porte son fardeau — Tout sera tiré au clair après quelques années de paix — Et notre devoir sera d’en informer largement la classe ouvrière pour lui faire comprendre que, comme toujours, c’est elle le dindon de la farce, farce atrocement tragique.

La C.G.T. aura besoin d’une forte purge. Et il ne faut pas que Merrheim et les autres vous imitent; il faut à l’intérieur, de bons pilotes pour parer le mieux possible.

Votre démission, utile pour attirer l’attention des groupes — doit rester unique; il suffira aux autres camarades d’approuver vos raisons — du moins, c’est mon avis — Ne noyons pas tout, le travail de sauvetage serait impossible.

Mes amitiés à votre femme et à vous-même. A quand ce Conseil ? c’est l’épée de Damoclès qui ne se décide pas à tomber…

J’avais perdu votre adresse de la rue des Mignottes.

Cordialement.

Marie Guillot.

Marie Guillot

Voir aussi:

Intervention de Gilbert Serret au Congrès de la C.G.T. (1938)

25 août 2013

Camarades, c’est au nom de la minorité révolutionnaire, dispersée au sein de la C.G.T., que je m’exprime ici.

Je tiens à déclarer tout d’abord que nous voterons contre le rapport financier de la C.G.T. et contre le rapport moral. Nous ne pouvons pas admettre le rapport financier qui nous est présenté, non pas que nous contestions l’exactitude des additions et des soustractions du trésorier, mais parce que nous désapprouvons de la façon la plus formelle l’emploi des fonds.

Voici, camarades, à ce sujet, des faits précis qui, j’en suis persuadé, s’ils étaient connus des cotisants de base, soulèveraient leurs protestations unanimes. Sachez que sur 54 millions de dépenses au cours de ces deux ans et demi il n’a été versé que 409.000 francs pour venir en aide aux camarades grévistes, soit 7 fr. 50 pour 1.000. Et cela en une période d’intense activité gréviste! La disproportion fabuleuse entre les possibilités financières de la C.G.T. et l’aide à nos camarades grévistes est une infamie!

Je dis, camarades, que le contraste est encore plus saisissant quand on apprend que 404.000 francs ont été versés au R.U.P., à cette organisation qui, sous prétexte de lutter contre la guerre, a fait une propagande en faveur de la guerre! (Applaudissements.)

Donner à ceux qui préparent la guerre de demain la même somme que l’on a donnée pour les grévistes me paraît être la condamnation la plus terrible que l’on puisse prononcer contre la gestion financière de la C.G.T. (Protestations et applaudissements.)

Je suis particulièrement scandalisé aussi quand je vois que les appointements du seul appareil de la C.G.T. s’élèvent à francs et les frais de délégations à 1.527.000 francs; quand je vois qu’on a versé francs pour le film chauvin La Marseillaise, alors qu’il n’a été donné que 500 francs aux pauvres petits orphelins de « l’Avenir social ».

Je m’élève ici avec force contre les centaines de milliers de francs qui ont été versés à l’emprunt de la Défense nationale, contre les 7.300.000 francs versés au Peuple, fermé aux non-conformistes, illisible et pas lu, les 2.437.000 francs versés à Messidor l’organe le plus belliciste que l’on puisse imaginer à l’heure actuelle. (Applaudissements et protestations.)

UN DÉLÉGUÉ. Cochon!

SERRET. On vient de me traiter de cochon. Je sais pertinemment de quel côté de cette salle on nous lance des injures. Je tiens à bien préciser que les injures ne nous ont jamais fait lâcher prise. Nous avons été minorité dans l’ancienne C.G.T.U., les menaces ne nous ont pas fait abandonner notre position. (Brouhaha.)

LE PRÉSIDENT. Si vous voulez permettre à l’orateur de s’exprimer, faites un peu de silence, on entendra ses déclarations.

SERRET. J’aborde maintenant la question du rapport moral. Nous affirmons tout d’abord la nécessité pour la C.G.T. d’en venir à la pratique d’un syndicalisme révolutionnaire, d’un syndicalisme lutte de classe. Nous considérons, aujourd’hui plus que jamais, que le capitalisme a fait faillite en tant que système économique. Il n’est plus capable aujourd’hui que d’apporter la misère et la souffrance aux classes laborieuses. Son rôle progressif est fini. L’heure est venue de travailler de toutes nos forces à le renverser et s’il le faut je crois que ce sera nécessaire à le renverser par la violence révolutionnaire. Mais au préalable, il est nécessaire de bander l’énergie du prolétariat. Il est nécessaire de lui donner conscience de sa mission historique et confiance en sa force. Il est nécessaire, par une saine éducation et par la pratique de l’action syndicaliste, de galvaniser sa volonté révolutionnaire.

C’est dire qu’il faut empêcher à tout prix que la démoralisation gagne la classe ouvrière, démoralisation due aussi bien à la pratique du réformisme qu’à la subordination du mouvement syndical au mouvement politique. En ce qui concerne ce dernier point, affirmons sans plus attendre qu’il est indispensable de repousser ces manœuvres qui ont pour objet d’assurer la domination du parti dit communiste (il faut appeler les choses par leur nom). (Protestations) la domination de ce parti sur la classe ouvrière pour faire de celle-ci l’instrument de la politique étrangère de la castocratie soviétique, qui a usurpé la Révolution d’Octobre. (Bruits.)

Camarades, quand nous aurons réalisé cette propagande préalable, il faudra se lancer dans la lutte directe contre le régime, dans les manifestations de rue et, par la grève et les occupations d’usines, aller vers le renversement du Capitalisme. La C.G.T. doit donc rompre immédiatement et sans délai avec cette pourriture électorale qu’on appelle le Front Populaire. (Protestations et applaudissements.) Nous considérons que le mouvement syndical se déshonorerait s’il continuait une seconde de plus à participer à cette comédie infecte, qui nous a conduits à la situation actuelle extrêmement grave du point de vue matériel et qui a failli nous mener à la guerre en septembre dernier.

Camarades, laissez-moi vous dire l’extrême responsabilité qui pèse sur les épaules des dirigeants de la C.G.T., car c’est eux qui ont tenu le Front Populaire sur les fonts baptismaux. Ce sont ses chefs, effrayés par la magnifique combativité ouvrière de juin 1936, qui ont freiné et réprouvé les occupations d’usines; c’est le Parlement unanime qui a condamné cette magnifique forme de l’action ouvrière. Mieux encore, c’est un secrétaire confédéral, Frachon, faisant suivre son nom de son titre de « secrétaire adjoint de la C.G.T. », qui publiait, dans l’Humanité, les lignes ahurissantes que voici :

Nous disons aujourd’hui aux ouvriers, avec la même franchise, que le prolongement .de l’agitation gréviste, que la continuation de l’occupation des usines les desserviraient.

Sous le titre « Une décision de la C.G.T. pour l’issue favorable des conflits en cours », l’Humanité du 16 juillet déclare:

Après une conférence avec le gouvernement issu du Front Populaire, le Bureau confédéral se prononce, avec des garanties précises pour les grévistes, en faveur de l’évacuation des lieux de travail.

Et voici un chef du Front Populaire, Jacques Duclos, condamnant la grève, donnant le coup de grâce à la splendide lame de fond qui, en juin 1936, surgit des profondeurs du prolétariat; ce fut le commencement de la débâcle, un des premiers gestes qui ont transformé le Front Populaire en « frein populaire ». Duclos déclarait, en effet, dans l’Humanité:

C’est pourquoi, sans vouloir renoncer à aucune forme de lutte, y compris la grève, nous considérons qu’en raison de leur force, de l’existence d’une C.G.T., d’une Chambre de Front Populaire et d’un Gouvernement issu de la majorité de cette Chambre, les ouvriers peuvent faire triompher leurs revendications non seulement sans recourir à l’occupation des usines mais même sans faire la grève.

C’est ainsi, par la renonciation à la grève et aux occupations d’usines, que l’on a préparé la Pause, laquelle a précédé la capitulation du mouvement syndical devant les politiciens du Front Populaire.

Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, le Front Populaire, dès sa formation, s’était enfermé dans le cadre du régime capitaliste et; ce faisant, il se condamnait à une action stérile, à la démoralisation des travailleurs, à l’échec le plus cinglant, pour aboutir en fin de compte au Front national, au Front de la réaction sociale!

Camarades, le Front Populaire parlementaire que nous ne confondons pas avec le Front Populaire de combat voulu par les travailleurs n’a absolument rien fait! Le pain est plus cher que jamais, la liberté est fort contestée à l’heure actuelle, quant à la paix, vous savez ce que nous avons failli avoir! Nous avons été en particulier, de par la volonté de certaines fractions du Front Populaire, à quelques millimètres de la guerre. Et si la guerre avait éclaté nous aurions assisté à l’écrasement total de toutes les revendications populaires, à la suppression de toutes nos libertés et couronnement tragique! à l’extermination du prolétariat. Par la grâce des staliniens, de la C.G.T., des socialistes et de la réaction radicale, nous avons failli avoir la guerre la plus atroce qu’on puisse imaginer, la plus formidable duperie qu’on puisse concevoir. Et cela, après avoir promis aux prolétaires le Pain, la Liberté et la Paix!

Il est donc nécessaire de rompre avec cette formation de trahison qu’est le Front Populaire; il est nécessaire de la dénoncer et de remplacer son programme électoral par un programme conforme aux intérêts des travailleurs; il est nécessaire de substituer à la duperie et à l’inaction politicienne l’action virile d’une C.G.T. s’inspirant de la lutte des classes.

Camarades, un programme et une méthode s’imposent donc. Je dirai même qu’après les déclarations de Paul Reynaud et la publication des décrets-lois, ce programme et cette méthode s’imposent plus que jamais.

Nous assistons à une agression de très large envergure de la part du Gouvernement d’un homme que les staliniens appelaient au pouvoir certain 14 juillet et de la part d’une bourgeoisie à laquelle les grèves de 1936 donnèrent le frisson de la peur, contre les classes laborieuses de ce pays.

Le plan Daladier-Reynaud d’asservissement des travailleurs et de consolidation du régime bourgeois se caractérise:

1° par l’anéantissement de toutes nos conquêtes sociales;

2° par la surexploitation de la classe ouvrière, des paysans, des artisans et des petits commerçants;

3° par une course aux armements sans précédent dans l’Histoire.

J’attire votre attention sur ceci en plus des 20 milliards pour le budget de la guerre il y aura, l’an prochain, à solder 8, 10 ou 12 milliards pour payer la préparation à la guerre de septembre dernier; il y aura ensuite 25 milliards, d’après Reynaud lui-même, pour préparer la guerre de demain, c’est-à-dire que l’an prochain nous aurons à verser, à suer 5o à 55 milliards pour la préparation à la guerre!

Ce programme du Gouvernement devrait dresser dans un mouvement de révolte la totalité de la classe ouvrière.

Et qu’il nous soit permis d’affirmer, à ce sujet, que le plan Daladier-Reynaud ne saurait être condamné seulement pour ses décrets de servitude et de misère. C’est aussi et en même temps contre les odieux crédits militaires qu’il réclame que nous devons nous dresser. Il faut se lever contre la totalité de ce programme et en particulier contre les crédits qui sont destinés à préparer la boucherie de demain et qui, dans une large mesure, motivent les décrets-lois.

Au plan gouvernemental, nous devons opposer un programme simple et clair répondant au désir et à la volonté des ouvriers. Nous entendons que soient respectées toutes les conquêtes ouvrières; nous entendons que ces conquêtes soient élargies encore et consolidées.

Et pour faire reculer,la bourgeoisie, une vigoureuse et rapide riposte s’impose par les manifestations, la grève et l’occupation des lieux du travail.

Mais attention, camarades, quand je dis grèves, je n’entends point parler de ces grèves partielles, sauvages, qui ont éclaté ces temps derniers. II ne faut pas -laisser partir, paquets par paquets, des Fédérations ou des Syndicats. Ce que nous voulons, pour faire reculer le Gouvernement et la bourgeoisie, c’est une action d’ensemble, une grève générale et englobant non seulement les travailleurs des usines, mais encore les travailleurs des transports, les cheminots, les postiers, les fonctionnaires. Ce qu’il faut, c’est une réplique formidable qui dresse l’ensemble du prolétariat contre la bourgeoisie. Voilà ce que nous voulons! Mais, pour que la C.G.T. soit puissante, pour qu’elle soit à même d’entreprendre cette action, il est nécessaire tout d’abord de lui donner confiance en elle- même. Et cette confiance n’existera réellement que dans la mesure où la C.G.T. sera à l’abri des influences extérieures, où la C.G.T. ne sera pas inféodée au parlementarisme, d’une part, et, d’autre part, colonisée par le parti stalinien. (Protestations.)

Il est absolument indispensable de se garder de ces deux dangers qui menacent le mouvement syndical. Nous n’admettons pas la collusion de la C.G.T. avec les Gouvernements bourgeois et leurs institutions; nous condamnons les Comités et les Cours d’arbitrage; nous ne voulons pas que la C.G.T. participe au Conseil national économique, organe de la bourgeoisie; ni au B.I.T., organe du capitalisme international. Nous ne voulons pas non plus que la C.G.T. soit colonisée par le parti stalinien.

Sur cette colonisation, le camarade Froideval, ce matin, a insisté longuement. Il a raison; c’est un chancre qu’il faut extirper, sinon le mouvement syndical en crèvera. La C.G.T. d’aujourd’hui subira le triste sort de la C.G.T.U. d’hier. Elle sombrera dans le sectarisme et l’impuissance jusqu’au moment où elle ne sera plus qu’un cadavre puant que la bourgeoisie méprisera. Voilà ce qu’il faut éviter à tout prix.

Cette domestication apparaît sous plusieurs aspects. (Brouhaha.) D’abord, c’est la conquête des postes dirigeants. On s’efforce, à la faveur de la naïveté de la masse, de conquérir les postes syndicaux et lorsqu’on détient ainsi ces postes syndicaux on a la possibilité de tenir les ouvriers. Inexpérimentés et confiants, les ouvriers sont alors aisément trompés, bernés, dévoyés. On peut ainsi, à la faveur de cette possession des postes syndicaux, asservir la C.G.T. à la politique stalinienne. Cela, nous ne le voulons pas, nous ne le permettrons pas, parce que c’est profondément dégradant et extrêmement dangereux pour le mouvement syndical d’être le jouet des agents de l’U.R.S.S. stalinisée. Lorsque la fraction stalinienne détiendra la majorité des postes de la C.G.T., la colonisation vous apparaîtra alors dans toute sa nocivité.

Relisez le discours et les directives de Dimitrov, dans l’Humanité d’hier!  Moi qui suis un ancien minoritaire de la C.G.T.U. (Bruits.)

UN DÉLÉGUÉ. – On le sait!

SERRET. – Je tiens à le répéter, même si cela peut faire honte à ceux qui ont trahi l’idéal révolutionnaire commun. Moi qui ai connu et combattu la subordination de la C.G.T.U. au P.C., je vous dirai qu’à la veille de tous les Congrès, l’Internationale communiste envoyait des ukases auxquels se soumettaient servilement les tenants de la « ligne » communiste. Ainsi, on violait la démocratie syndicale de la façon la plus cynique, on décourageait, on dégoûtait les camarades ouvriers, tous ceux qui n’étaient pas asservis au parti stalinien. La maison devenait inhabitable.

Si vous n’y prenez garde il en sera bientôt de même pour la C.G.T. Après les manœuvres tortueuses et hypocrites viendront les brutalités physiques, vous entendez bien! Vous serez discrédités, déshonorés, injuriés, atteints en vous-mêmes, dans votre personne. Il faudra ou bien plier et vous soumettre ou bien subir en permanence la calomnie car, sachez-le bien, la doctrine stalinienne n’a de comparable que la doctrine des Jésuites. (Brouhaha, protestations, sifflements.)

La domestication du mouvement syndical se réalise d’une autre manière, plus indirecte que la précédente. Des secrétaires syndicaux, fédéraux et confédéraux qui jouissent, du fait de leur situation syndicale, d’un prestige légitime, militent ensuite dans leur organisation politique, écrivent dans les journaux de leur parti et même se présentent comme candidats à la députation, au « députanat » pour reprendre l’expression de Gustave Hervé. On les voit utiliser au profit de leur parti le prestige qu’ils ont conquis dans l’action syndicale, on les voit en particulier donner leur temps et leur effort, temps et effort payés avec nos cotisations syndicales, à un parti politique.

Il faut, dans les circonstances présentes, réagir avec fermeté. Il faut interdire à tout fonctionnaire de Syndicat, d’Union, de Fédération ou de Confédération, qu’il soit rémunéré ou non, de militer de quelque façon que ce soit dans une organisation autre que l’organisation syndicale. Si vous ne prenez pas ces mesures énergiques, les staliniens se « foutront » complètement de toutes vos motions, de votre charte. Ils seront patelins et conciliants jusqu’au jour où ils seront les maîtres ‘incontestés; alors ils proclameront le rôle dirigeant du parti sur les organisations syndicales. (Protestations.)

Certains camarades, dans la salle, en ont marre de m’entendre. J’en suis infiniment heureux. -S’ils ont marre de moi, qu’ils soient bien persuadés que nous, nous avons marre aussi de ceux qui ont trahi l’idéal révolutionnaire dont ils se sont réclamés pendant quinze ans.

J’en arrive, camarades, à la question de la guerre. (Exclamations.)

Nous avons eu, non pas la surprise, mais la douleur de constater que le bellicisme, le chauvinisme, avaient fait de singuliers ravages dans la C.G.T. Je dis que ce n’est pas avec surprise que nous avons constaté cela, attendu que depuis une .certaine déclaration de M. Staline nous savions très bien que le parti qui se réclame le plus bruyamment du mouvement ouvrier avait tout trahi, avait tout abandonné de son passé. (Protestations.)

Permettez-moi, pour ceux qui contestent ce que j’exprime ici. de faire quelques citations. Je les tirerai notamment de cette petite brochure, qui est d’ailleurs introuvable parce que passée- au pilon, et dans laquelle l’un des grands chefs du Front Populaire, le secrétaire général du parti communiste français, déclarait Les communistes ne croient pas au mensonge de la défense nationale en régime capitaliste. Par tous les moyens ils lutteront contre le déclenchement de la guerre impérialiste et au cas où, malgré leurs efforts, la guerre éclaterait, les travailleurs, suivant l’exemple des bolchevicks et de Lénine, n’oublieraient pas la résolution de Stuttgart de 1907, qui recommandait d’utiliser la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. Détachons du même texte, qui date de trois ans seulement,. cette affirmation non moins nette :

L’ennemi est dans notre propre pays, le cri de lutte de Karl Liebknecht reste celui des communistes. Ici, ajoutait Maurice Thorez dans son discours à la Chambre des Députés, je veux répondre à l’affirmation que Léon Blum a produite à cette tribune selon laquelle les travailleurs de France se lèveraient pour résister au fascisme.

Écoutez, camarades. la réponse de nos donneurs de leçons, écoutez ce que déclarait Thorez, le 15 mars 1935, alors que le fascisme était instauré en Allemagne (brouhaha), alors que Mein Kampf était connu depuis longtemps. Thorez, le leader de ceux qui, aujourd’hui, me chahutent parce que je rappelle certaines vérités gênantes, ripostait à Blum en ces termes :

Nous ne permettrons pas qu’on entraîne la classe ouvrière dans une guerre dite de défense de la démocratie contre le fascisme. Nous rappeFerons aux travailleurs l’erreur tragique de Nous leur dirons « En Allemagne, on a conduit les prolétaires à la guerre contre le tsar en disant qu’il fallait défendre, contre le tsar réactionnaire, les conquêtes d’un pays plus avancé dans la voie du progrès, par conséquent dans la voie du socialisme. » Ici, en France, on a dit « Il faut défendre la République contre Guillaume II, il faut défendre le pays le plus démocratique contre l’empereur réactionnaire. » (Brouhaha.)

Dans la salle. – Unité ! Unité ! Unité  !

SERRET. Et Maurice Thorez, en conclusion. (Brouhaha.)

JOUHAUX. Camarades, nous sommes ici pour discuter le rapport moral et l’activité de la Confédération Générale du Travail. (Applaudissements.)
Quelles que soient les formules dont on se sert à cette tribune, entendez-les, nous les entendons, nous qui sommes plus visés que vous. (Applaudissements.)
Par conséquent, nous vous demandons de faire acte de délégués qui, ayant entendu, pourront réfléchir et décider en connaissance de cause. (Applaudissements.)
Nous ne sommes pas ici une réunion publique; nous sommes un Congrès. Nous demandons à chacun de conserver ses opinions particulières pour mieux apprécier les critiques qui peuvent être faites. (Applaudissements.)

SERRE. – Je termine donc la conclusion de ce paragraphe, qui n’est pas de moi, qui est formulé par quelqu’un de respectable, de respecté à l’égal du Dieu Soleil, Staline, qui règne sur un sixième de l’univers!…

Je déclare très nettement que les communistes ne laisseront pas propager un pareil mensonge, une telle illusion.

Puisque aussi bien je suis dans les textes sacrés, voulez-vous que j’apporte à cette tribune l’opinion émise par les secrétaires confédéraux, actuellement en fonction, qui s’appellent Frachon et Racamond, au Congrès confédéral de 1933, alors qu’Hitler était au pouvoir, que l’on connaissait ses intentions et son programme et que Mein Kampf était écrit? Ils disaient, dans une résolution qui fut adoptée:

Les dirigeants réformistes cela s’adressait à Jouhaux et à l’ancienne C.G.T. sont également des soutiens précieux de la bourgeoisie dans la préparation matérielle et morale à la guerre, non seulement ils mènent une lutte acharnée contre le Comité d’Amsterdam de lutte contre la guerre, mais ils participent directement à la campagne d’excitation chauvine, poursuivant ainsi leur politique de défense nationale et d’union sacrée.

Il y a même mieux, écoutez, ils disaient ceci qui est tout à fait actuel:

C’est ainsi également qu’il faut expliquer la position des réformistes dans la lutte contre le fascisme. Leur mot d’ordre de défense des pays de démocratie contre les dictatures n’a d’autre objet que de servir les intérêts de l’impérialisme français contre l’irnpérialisme allemand, en utilisant la haine légitime des masses françaises contre le fascisme.

A la lumière de ces textes saints, de ces textes sacrés, qu’il me soit permis de dire que je ne comprends pas, ou plutôt que je comprends trop, l’attitude actuelle de ceux qui ont adopté le drapeau tricolore, qui ont collé la Marseillaise à l’Internationale, qui ont tendu la main à l’Église et redoré son blason, qui ont essayé de réaliser le Front des Français avec M. Paul Reynaud, en août Permettez-moi de vous rappeler que ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, voudraient nous donner, à nous qui sommes restés fidèles à notre idéal, une leçon de pacifisme. Non! Nous ne l’acceptons pas. (brouhaha) et malgré vos criailleries, je persisterai à dire ce que vous disiez autrefois, ce que vous avez proclamé pendant de nombreuses années. Je dirai, malgré vous, mais avec toute la classe ouvrière et paysanne de ce pays que nous ne voulons pas la guerre, que nous ne la voulons en aucun cas, même si elle se présente sous le masque de la lutte des démocraties contre le fascisme; nous n’acceptons pas la politique poursuivie par la C.G.T. nous trouvons inacceptables les dérogations aux 40 heures en faveur de la défense nationale; nous trouvons écœurant qu’on brise une grève parce qu’elle pouvait nuire à la défense nationale; nous trouvons intolérable que la C.G.T., qui avait refusé d’examiner au Congrès de Toulouse la motion Biso sur la guerre, se soit permis d’envoyer un ukase aux U.D. pour les empêcher de prendre une position différente de la position du bureau confédéral; nous trouvons inadmissible qu’on suive la politique de fermeté, car la politique de fermeté c’est, si vous êtes francs, la politique qui, en définitive, nous conduit directement à la guerre, c’est la réédition du vieil adage nationaliste si vis pacem, ¢ara hélium. La politique de fermeté exige des armements. Vous savez que les armements pèsent presque exclusivement, pour ne pas dire exclusivement, sur le dos de la classe ouvrière. La politique des armements est incompatible avec une politique sociale en faveur de la classe ouvrière.

De plus, cette politique de fermeté nécessite la recherche d’alliances. Or, ces alliances, oit les trouverez-vous? Vous acceptez l’hypothèse d’une guerre antifasciste et vous ferez alliance avec l’Angleterre, qui est la nation la plus férocement colonialiste qu’on puisse imaginer? Vous voulez faire l’alliance avec la Pologne qui est fasciste? avec la Roumanie qui est fasciste? avec la Yougoslavie qui est fasciste? Singulier front des démocraties!

Si vous acceptiez cette politique, si vous alliez jusqu’au bout, vous feriez donc, camarades, la plus monstrueuse politique qui consiste à s’allier à une forme du fascisme pour combattre un autre fascisme.

Au surplus, même en supposant que tout ceci soit réalisé, qu’arriverait-il? C’est que le jour de la déclaration de guerre vous seriez obligés de vous mettre sous la botte de l’état-major et du capitalisme français qui n’admettraient pas que la classe ouvrière use de ses libertés. Vous vous mettriez par conséquent sous la botte du fascisme français pour combattre le fascisme allemand!

Mieux encore, camarades, rendez-vous compte Dans une pareille guerre, que se passerait-il? Vous n’auriez pas devant vous Hitler, Gœbbels ou Goering; devant vous, dans les tranchées, vous trouveriez les prolétaires allemands; par vos avions vous iriez bombarder des villes peuplées de femmes allemandes, d’enfants, de travailleurs comme vous. Vous participeriez par conséquent à cette monstrueuse duperie qui consisterait à réaliser l’écrasement du prolétariat allemand et français au nom précisément de la libération allemande et française. Vous rééditeriez l’erreur tragique de 1914, lorsque nos .aînés partirent pour défendre la liberté, le droit et la civilisation, alors qu’ils édifiaient sur les ruines du monde le plus sanglant des impérialismes, le plus féroce des nationalismes.

Cette politique-là, nous ne la voulons pas; nous n’en voulons à aucun prix. Nous ne voulons pas marcher pour maintenir dans l’État bourgeois tchécoslovaque une minorité nationale dont Péri, il n’y a pas bien longtemps, réclamait le rattachement à l’Allemagne. Nous ne voulons pas sacrifier des millions d’hommes pour régler des conflits impérialistes. A ce propos, faut-il donc que je rappelle qu’après une certaine grève de Strasbourg, certains dirigeants communistes ici présents au bureau confédéral affirmaient, pour l’Alsace et la Lorraine, le droit de se séparer de la France et de réintégrer l’Allemagne de Hitler! (Bruit.) Que ceux qui, hier, étaient d’ardents antipatriotes et antimilitaristes ne viennent pas contester ce que nous affirmons nous en avons la preuve matérielle!

Nous disons que nous ne voulons pas sacrifier l’avenir de l’humanité pour des colonies, que nous ne voulons pas sacrifier l’avenir du prolétariat pour la nation, pour la patrie et le reste, nous ne voulons pas être les sénégalais de Staline nous ne voulons pas sacrifier notre vie, ni pour un impérialisme matériel, ni pour un impérialisme intellectuel contre l’impérialisme russe. (Bruits divers.) Les injures que l’on me prodigue ici ne m’arrêteront pas, soyez-en bien persuadés! Nous disons, camarades, qu’au cours de ce mois de septembre, si la C.G.T. n’avait pas trahi la mission que lui a confiée le prolétariat, au lieu de rester placide tout d’abord et ensuite d’appuyer par son journal Messidor et par ses déclarations, la poussée belliciste, elle aurait dû lancer un avertissement à tous les gouvernements et en particulier au nôtre; elle aurait dû organiser dans le pays ce que nous avons fait à quelques-uns, dans des conditions très difficiles manifestations publiques, meetings, manifestations de rue; elle aurait dû, au surplus, organiser une grève générale de démonstration contre la guerre elle aurait dû faire toute cette action que nous avons tenté de réaliser. C’est notre gloire et notre fierté d’avoir essayé de la faire et c’est votre honte de ne l’avoir pas engagée avec nous.

Camarades, il faut en revenir à l’antimilitarisme qui est aujourd’hui abandonné, à l’internationalisme prolétarien. Nous devons proclamer que les prolétaires n’ont plus de patrie; que, pour nous travailleurs, il n’y a qu’une frontière, celle qui sépare les travailleurs internationaux du capitalisme international; pour nous, il n’y a pas de frontière entre l’Allemagne et la France, il n’y a pas entre ces deux peuples de raison de s’entretuer. Nous ne pouvons pas accepter une guerre qui, sous le masque de la liberté, serait le massacre des peuples.

Nous ne voulons plus, camarades, revoir à l’avenir l’erreur tragique que la C.G.T. a failli commettre en septembre. Nous disons qu’elle doit condamner toutes les guerres impérialistes sans exception. Pour barrer la route à la guerre, nous devons organiser la propagande antiguerre, nous devons déclarer que pour faire reculer la guerre il faut préparer et réaliser la grève avec occupation d’usines, il faut redoubler d’efforts dans la bataille contre le capital et ses soutiens; nous devons affirmer notre fidélité à la résolution de Stuttgart qui disait que si la guerre éclatait néanmoins le prolétariat international devait intervenir pour la faire cesser promptement en la transformant en guerre de révolution.

Camarades, j’en ai terminé. Je me permettrai, en conclusion, de lire les deux motions suivantes, l’une sur l’indépendance du syndicalisme et l’autre sur la  guerre. Elles émanent de la Commission Exécutive des Métallos de la Société Française de Radio et le Syndicat de l’Enseignement de l’Ardèche les a acceptées.

Sur l’indépendance dtc syndicalisme. Le Congrès affirme à nouveau la raison d’être du syndicalisme l’action de classe pour la disparition du patronat et du salariat. Il se déclare pour l’indépendance du syndicalisme à l’égard des partis politiques, de tous les groupements extérieurs (franc-maçonnerie et autres), des gouvernements, des Etats, contre la défense nationale.

Cette indépendance s’étend aux coalitions politiques telles que le Front Populaire. En conséquence, il se prononce pour l’interdiction à tous les échelons du mouvement syndical du cumul des mandats syndicaux avec les mandats politiques ou fonctions dirigeantes dans les partis, ainsi que les délégations syndicales dans les organismes du patronat et de l’Etat.

Opposé à la mainmise de toute bureaucratie dans le mouvement syndical, au gaspillage et à l’arbitraire qui en résultent, il s’affirme pour la réduction du nombre des permanents et leur non-rééligibilité.

Attaché en fait et non en paroles au respect de la démocratie syndicale, à la liberté d’expression et de représentation des tendances dans les organes et organismes syndicaux, il reconnaît

– le droit d’existence des minorités;

– la représentation de celles-ci dans les différents organismes de direction et de contrôle;

– l’utilité des tribunes libres dans tous les bulletins et journaux syndicaux;

– la représentation directe des Syndicats aux Congrès départementaux, fédéraux et confédéraux;

– la souveraineté des assemblées syndicales de base, en particulier pour le déclenchement et la conclusion des actions revendicatives.

Ces conditions réalisées sont la garantie de l’unité dans la C.G.T.

La C.G.T., libérée de la tutelle des Partis, de l’Etat et de la bureaucratie paralysante, s’affirme résolue à lutter sur son terrain spécifique pour les revendications urgentes des salariés :

– Défense du pouvoir d’achat par l’échelle mobile des salaires, traitements, pensions, retraites et allocations de chômage;

– Retraite pour les vieux travailleurs et constitution d’un fonds national de chômage à charge du patronat et de l’Etat;

– Maintien et extension des avantages acquis, conventions collectives, congés payés, droits des délégués d’atelier, etc.;

– Respect intégral des 40 heures, contre toute dérogation ou récupération et pour la généralisation de la loi à toutes les industries et administrations;

– Pour le contrôle ouvrier sur la production, contrôle sur l’embauchage et le débauchage, abolition du secret commercial;

– Contre l’arbitrage obligatoire, le « Statut moderne du Travail », la réquisition;

– Pour la reconnaissance du droit syndical et de grève aux fonctionnaires;

– L’exercice du droit de grève sans restrictions

– La défense du droit d’asile, le soutien de l’action des travailleurs immigrés et coloniaux, la reconnaissance du droit syndical à ces travailleurs;

– La solidarité effective à l’égard des victimes de la répression capitaliste, gouvernementale et administrative.

Le Congrès de la C.G.T. se prononce contre tout plan de collaboration de classes;

– Pour la rupture avec le Front Populaire;

– Pour un programme d’action ouvrière aux traditions et aspirations du syndicalisme de lutte de classe.

Contre la guerre. Considérant que le militarisme, le fascisme et la guerre sont les produits naturels du capitalisme et de la concurrence impérialiste, que la lutte contre la guerre est inséparable de la lutte de classe contre le capitalisme, qu’il revête une forme démocratique ou fasciste.

Le Congrès rappelle :

– Que la lutte contre le capitalisme dans notre propre pays suscite et renforce la lutte de classe dans les autres pays;

– Que la lutte contre la guerre est indissolublement liée au principe de l’internationalisme prolétarien;

– Que la défense nationale est la défense des intérêts capitalistes et que la sauvegarde des libertés ouvrières et leur élargissement ne peuvent être assurés que par le maintien et l’élargissement des conquêtes sociales;

En conséquence, il déclare :

Que toute tentative visant à entraîner les travailleurs dans une guerre impérialiste, sous les prétextes de défense nationale ou de défense des démocraties bourgeoises contre le fascisme, doit être combattue énergiquement

D’autre part, considérant :

– Que la préparation à la guerre conduit à la réduction progressive des libertés jusqu’à leur suppression par la mobilisation;

Le Congrès confédéral se prononce :

– Pour l’accentuation des luttes revendicatives et notamment contre toute heure supplémentaire pour la « défense nationale »;

– Pour la libération des peuples coloniaux et sans accepter ni justifier la servitude militaire;

– Pour la réduction immédiate du temps du service militaire et pour l’amélioration du sort des encasernés;

Il dénonce les phrases trompeuses sur le « désarmement général et simultané » et sur la tenue d’une Conférence des Gouvernements capitalistes capables de régler pacifiquement leurs antagonismes insolubles. Comme le montre la faillite de la S.D.N. ce désarmement et cette procédure pacifique sont, en effet, incompatibles avec l’exploitation de l’homme par l’homme.

La lutte contre la guerre et le fascisme se confond avec la lutte pour la révolution sociale; elle ne sera menée dans tous les pays que par une Fédération syndicale internationale et des Centrales syndicales ayant un programme révolutionnaire et réalisant ainsi une véritable unité syndicale internationale.

Cette unité ne saurait se comprendre avec des organisations soi-disant syndicales directement inféodées à l’Etat.

La C.G.T. fera reculer la guerre en affaiblissant le capitalisme et, se refusant à toute guerre. impérialiste, elle déclare que. pendant et après la mobilisation, la lutte de classe continue.

nantes38

Voir aussi:

Grève générale réformiste et grève générale révolutionnaire (CGT, 1903)

20 octobre 2011

Brochure de la Commission des grèves et de la grève générale de la CGT, disponible au format pdf. Merci à Romuald.

Cliquer sur l'image pour ouvrir le pdf (5,32 Mo)

Griffuelhes est mort (Dunois, 1922)

26 août 2011

Article d’Amédée Dunois dans l’Humanité du 1er juillet 1922.

Griffuelhes est mort hier matin dans le petit village de Saclas (Seine-et-Oise) où il était allé se reposer auprès de son vieux camarade Garnery, l’ancien secrétaire de la Fédération de la bijouterie. Il n’avait guère plus de quarante-sept ans. Sa mort prématurée attristera tous ceux qui, amis ou adversaires, savent quel rôle considérable a joué Griffuelhes pendant les dix années de sa vie militante et quels éminents services il a rendu au prolétariat.

Le nom de Griffuelhes restera indissolublement attaché à la période héroïque du mouvement ouvrier. Venu jeune à Paris, il adhéra d’abord à une organisation blanquiste et fut même, en 1900 je crois, candidat au conseil municipal de Paris. Mais le socialisme électoral ne faisait point son affaire. Ouvrier cordonnier, c’est dans le syndicat de sa profession qu’il trouva le milieu propice où sa personnalité allait pouvoir se développer à l’aise. Dans la lutte contre la corruption millerandiste, il se distingua assez vite, pour qu’à la fin de 1902, au retour du Congrès de Montpellier où s’était réalisé l’unité ouvrière, il fut élu secrétaire de la Confédération générale du Travail.

Et dès lors, sept années durant (1902-1909) la vie de Griffuelhes se confondra avec celle de la C.G.T. Il en fut plus que le chef, il en fut l’âme. Il avait des dons extrêmement remarquables d’intelligence, de volonté et de commandement. Une énergie un peu sèche, mais puissante, était en lui, animant l’acte et la parole. L’ascendant qu’il exerçait fut bien souvent décisif; ceux qui en ont subi une fois le prestige, ne s’en sont jamais complètement affranchis.

Griffuelhes quitta le secrétariat confédéral en février 1909. Niel qui le remplaça, imbécile et faiseur, ne put tenir que quelques mois et céda la place à Jouhaux – qui alors… qui depuis…

Griffuelhes rentra dans la vie privée, mais avec, dans le cœur, la nostalgie brûlante de l’action. En 1912 il fondait la Bataille syndicaliste qu’il abandonna au bout de quelques mois. Il tenta de créer, l’année suivante, l’Encyclopédie syndicaliste dont quatre fascicules seulement parurent. La guerre surgit, Griffuelhes, hélas ! fut alors du mauvais côté de la barricade. Sa haine de la social-démocratie allemande l’entraînait… Il collabora à la Feuille (celle de Paris hélas ! non celle de Genève). La Révolution russe, sous sa forme bolchevique, le rendit enfin à lui-même. Je ne sais rien du voyage qu’il fit récemment en Russie; mais je sais qu’à la différence des hommes qui, dans la C.G.T. unitaire, se réclament le plus volontiers de lui – les Verdier, les Besnard, les Quinton – il était un partisan déterminé de l’adhésion sans réserve à l’Internationale syndicale rouge.

Il restera pour nous, ses amis d’il y a quinze ans, le Griffuelhes des congrès de Bourges, d’Amiens et de Marseille, le Griffuelhes de la grande bataille des huit heures, le Griffuelhes du syndicalisme révolutionnaire… Mon cœur se serre en écrivant hâtivement ces lignes. Je me dis que la vie n’a pas été équitable à Griffuelhes, qu’il eût pu donner davantage, qu’il eût désiré davantage et que le destin a contrarié jalousement et sa capacité et son désir. Je me dis qu’il en a, dans l’intimité orgueilleuse de son cœur, amèrement souffert. Et je m’incline avec mélancolie devant la tombe prématurément ouverte du militant révolutionnaire dont j’ose dire ici, anticipant sans hésiter sur le jugement de l’histoire, qu’il a été un moment de la conscience prolétarienne française.

Amédée DUNOIS.

Voir aussi:

Discours de Marcel Valière au Congrès de la CGT (1946)

15 décembre 2010

Discours de Marcel Valière au XXVI° congrès de la CGT. Une première mise en ligne d’un texte incomplet avait été faite il y a quelques années par le site Ensemble (minorité du SNUipp) d’après L’École émancipée du I° février 1995. Nous l’avons révisé et complété d’après Front ouvrier de l’époque (beaucoup plus complet sauf deux lignes coupées) et la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975) qui se réfère au compte-rendu sténo du Congrès. (Les variantes donnent lieu à quelques notes). [cf. pdf du texte paru dans Front ouvrier en 1946]

Je suis mandaté par un certain nombre de sections départementales du Syndicat des Instituteurs pour voter contre le rapport moral présenté ce matin par Benoît Frachon [1]. Je voudrais, non pas m’en excuser, mais m’en expliquer. Je me bornerai cependant à ne relever que quelques points du rapport moral qui mériteraient de l’être.

A la libération, la classe ouvrière pouvait abattre le patronat [2]

Au lendemain de la Libération, à laquelle la classe ouvrière a tant contribué, d’énormes possibilités sociales s’offraient aux travailleurs organisés. Rappelez-vous, camarades, la défaite militaire du fascisme et la chute du régime vichyssois pouvaient être suivies d’une refonte complète de notre régime économique et social. Si le syndica­lisme et les partis ouvriers impulsaient une politique har­die, vigoureuse et révolution­naire, la libération nationale pouvait être le prélude de la libération sociale. Le moment était favorable. Le soutien essentiel du capitalisme, à savoir le fascisme, était écrasé. Notre bourgeoisie, profondé­ment divisée et donc affaiblie, son armée de classe pratique­ment inexistante, les trusts venaient de subir une lourde défaite qui les rendait vulné­rables. L’Etat bourgeois et sa bureaucratie étaient ébranlés jusqu’à leurs bases. Des élé­ments d’un nouvel État populai­re s’étaient formés : les Comi­tés de libération, les FFI, les Milices patriotiques. Un peu partout des initiatives surgis­saient en faveur de la gestion ouvrière. La CGT sortait de la clandestinité et devenait l’orga­nisation la plus puissante de ce pays. Ses possibilités apparais­saient comme immenses, il lui suffisait de coordonner les ini­tiatives éparses, de les ras­sembler, de les impulser et de donner une doctrine cohérente à ses innombrables militants livrés à leur seul instinct de classe. Comme en 1936, plus qu’en 1936 peut-être, tout était possible, si la Confédération comprenait son rôle [3] car le patronat de droit divin était déconsidéré, désorienté ou démoralisé.

Au lieu de cette politique de classe, conforme à ses buts statutaires et aux possibilités exceptionnelles du moment, nous avons vu la CGT s’endor­mir dans l’euphorie patriotique, sacrifier ses intérêts profonds à l’unanimité nationale, collabo­rer au sein du CNR avec des hommes et des partis qui, la suite l’a montré, avaient pour dessein, moins d’abattre le fas­cisme, que d’instaurer un pou­voir personnel et de replâtrer l’édifice capitaliste. Nous avons vu la CGT apporter son appui aux gouvernements successifs, collaborer avec un parti du patronat, sous prétexte qu’il était patriote. Nous l’avons vu se rallier au programme du CNR, à celui de la délégation des gauches et renoncer au sien propre. Loin de jeter à bas sans délai les privilèges oppresseurs, la direction confé­dérale, sans distinction de ten­dances, s’est limité à des démarches auprès des ser­vices gouvernementaux mal épurés] [4] ou non épurés, et sa position est résumée par la formule : « Travailler d’abord, revendiquer ensuite ».

Où cela mène-t-il ? Les semaines, les mois passent ; la bourgeoisie surmonte son désarroi. La classe ouvrière perd son dynamisme. Le grand patronat, resté maître des leviers de commande, freine la reprise économique ; les tra­vailleurs sous-alimentés, écra­sés par un marché noir plus flo­rissant que jamais, voient s’amenuiser inexorablement leur pouvoir d’achat tout en s’exténuant à gagner la bataille de la production dans le cadre du capitalisme.

Le blocage des salaires c’est l’abaissement du pouvoir d’achat des masses [5]

Comment, camarades, se présente aujourd’hui la ques­tion capitale des salaires dont on ne parle pas assez à cette tribune [6]. Elle se présente de façon angoissante. J’ai cherché vainement dans le rapport confédéral qui traite de ce pro­blème, des chiffres précis mon­trant l’affaissement considé­rable du salaire réel, la dégrin­golade continue du pouvoir d’achat. Le rapport est muet sur ce point et ce silence est significatif. Autant ce rapport s’étend avec complaisance sur des points secondaires, autant il se tait lorsqu’il s’agit de chif­frer le recul du niveau de vie des travailleurs. Des rensei­gnements officiels, il ressort que l’indique du coût de la vie a passé de 100 à 850 entre 1938 et décembre 1945, cependant que celui des salaires passait dans le même temps pénible­ment de 100 à 350. Cela signi­fie pratiquement que le pouvoir d’achat des travailleurs a été réduit de près de 3/5°, exacte­ment de 57%.

De février à novembre 1945, alors que les salaires n’ont subi aucune augmentation substan­tielle, les prix des principaux produits de consommation ont subi une hausse de 70% et je parle des prix officiels. Sacri­fices à sens unique, bien entendu. Notons que parallèle­ment, le patronat a accru ses profits. Alors qu’en 1938 les profits s’élevaient au tiers de la masse monétaire en circula­tion, en 1945 ils sont montés à près de la moitié.

Dans de telles conditions, décréter le blocage des salaires comme l’a fait le gou­vernement Gouin, c’est décré­ter que la classe ouvrière, après avoir fait les frais de la guerre, doit faire ceux de la reconstruction. II paraît que le gouvernement actuel est un gouvernement ami. Dans les paroles peut-être, dans les actes non, et les actes seuls comptent. Le blocage des salaires et traitements avec un pouvoir d’achat officiellement diminué de 57% par rapport à 1938, alors qu’une nouvelle bourgeoisie de mercantis et de trafiquants s’enrichit sur la misère générale, alors que des milliards ont été dépensés pour massacrer les Indochinois dési­reux de se libérer, alors que des dizaines et des dizaines de milliards continuent de dispa­raître dans le gouffre de l’armée, alors que les marges bénéficiaires des intermé­diaires restent scandaleuses, ce blocage des salaires et trai­tements renforce la position patronale et constitue avant fout un acte anti-ouvrier.

Le blocage des prix que l’on nous promet toujours n’est qu’un leurre. On nous l’a promis cette fois encore naturellement, tout en augmentant parallèlement le tabac les chemins de fer, etc. Le ministre lui-même y croit-il au blocage des prix ? Certaine­ment pas. Mais du moment, n’est-ce pas, que les militants syndicaux y croient, on fait semblant d’y croire ; le but n’est-il pas atteint ? Semer les illusions et la division parmi la classe ouvrière.

Eh bien ! non, nous ne mar­chons pas, pas dans cette tromperie dont les travailleurs – et eux seuls – font les frais. Nous savons que les salaires resteront bloqués, puisque les patrons y ont intérêt, tandis que les prix continueront de monter en dépit des pieuses homélies gouvernementales. Nous savons que cette politique se traduira par une diminution nouvelle du pouvoir d’achat, par une misère accrue, et ce n’est pas parce que c’est un gouvernement soi-disant ami qui la pratique, que les organi­sations syndicales doivent l’accepter. On juge un arbre à ses fruits et un gouvernement aux conséquences de sa poli­tique. Accepter le blocage des salaires, ce serait, de la part du mouvement syndical, trahir sa mission qui est et reste la défense des revendications immédiates indépendamment des partis et des hommes au pouvoir.

Revalorisation du salaire minimum vital garanti par l’échelle mobile des salaires [7]

Par une lutte revendicative résolue, la CGT doit mettre un terme à l’abaissement du niveau de vie des travailleurs. Il convient, en premier lieu, d’exi­ger un salaire minimum suffi­sant. Puisqu’en février 1945 la CGT posait la revendication de 23 francs de l’heure pour le manœuvre, soit 4 000 francs mensuels, et que le coût de la vie depuis s’est élevé de 70 %, c’est 39 francs de l’heure, soit 6 800 francs mensuels qu’il faut réclamer maintenant.

Ce minimum vital revalorisé doit s’accompagner de garan­ties quant à la stabilité du pou­voir d’achat ainsi obtenu. Libres à certains de faire confiance au gouvernement pour bloquer les prix ; nous préférons, quant à nous, récla­mer, pour atteindre ce but, deux moyens différents effi­caces : d’abord, l’échelle mobi­le, ensuite le contrôle ouvrier des livres de comptes.

Nous ne faisons pas de l’échelle mobile une panacée universelle, mais nous estimons qu’elle consti­tuerait un palliatif sérieux à condition d’être basée sur des indices de prix établis mensuel­lement par des commissions paritaires et qu’elle serait un élément efficace de stabilisa­tion du coût de la vie.

Bloquer les salaires et laisser les prix vagabonder, voilà la politique du gouvernement tripartite. Bloquer rapidement les prix en surveillant leurs mouve­ments et en réglant sur eux la marche des salaires, voilà la seule position ouvrière pos­sible.

Le contrôle ouvrier des prix de revient et des bénéfices patronaux par l’accroissement du pouvoir de gestion des Comités d’entreprise et l’aboli­tion du secret commercial serait une autre mesure effica­ce pour stabiliser le coût de la vie.

Revalorisation du mini­mum vital, échelle mobile et contrôle ouvrier nous parais­sent être les trois bases essentielles de la politique que la CGT doit prendre en matière de salaires.

Bilan du mot d’ordre confédéral « Produire » [8]

Venons-en au problème de la production. Voilà 18 mois que le mot d’ordre confédéral est : produire, produire. Avec un ensemble touchant, ministres et secrétaires confédéraux, députés et secrétaires fédéraux entonnent l’hymne à la produc­tion. A entendre leur refrain, on pourrait croire, ma foi, que la classe ouvrière se complaît dans une douce oisiveté en vivant, sans doute, de ses rentes. C’est aux ouvriers, en effet, et non aux patrons que ces discours s’adressent. Et c’est au nom de cette politique de production que l’on freine ou que l’on condamne depuis la libération tous les mouvements revendicatifs de la classe ouvrière.

Par un effort gigantesque, les mineurs, dans les conditions de travail les plus mauvaises, ont presque atteint la production de charbon de 1938 [9], mais il faut constater que la part de charbon réservée à l’industrie varie entre le tiers et la demie de ce qu’elle était avant guerre. Ce qui signifie que la consommation du charbon assume les besoins courants, mais qu’elle est incapable de propulser une large reprise de l’industrie française. La stagnation de consommation de charbon dans l’industrie démontre le marasme de la production industrielle. Quelques chiffres puisés à la bonne source (j’appelle bonne source les services mêmes de Marcel Paul et d’André Philip) feront apparaître plus clairement ce marasme.

La production de fonte atteint 35 % de son niveau d’avant la guerre, d’acier 45%, de locomotives 26%, de wagons 20%. Stagnation complète dans la production de ciment, d’engrais azotés. Sous-production également dans le domaine des textiles.

Malgré que [10] la classe ouvrière ait suivi avec discipline les mots d’ordre de production de la CGT, la reprise reste donc plus aléatoire que jamais. Nous sommes en régime capitaliste et c’est ce que certains ont trop tendance à oublier.

Les paysans fournissent à la collecte des cuirs et peaux 72 % du tonnage d’avant la guerre mais la production du cuir ne s’élève qu’à 52 %. Où passe la différence de 22 % ? Vous savez où. Même constatation quand on étudie le circuit qui passe de la production de cuir à celle de la chaussure.

Le service de statistiques a publié des indices d’activité industrielle. En posant l’indice 100 en janvier 1945 il a calculé l’indice mensuel du chiffre d’affaires et celui du salaire horaire moyen de l’ouvrier travaillant dans les branches considérées.

De janvier à juillet 1945 l’indice du chiffre d’affaires passe de 100 à 222, celui du salaire horaire de 100 à 153. Ainsi il apparaît que si la production industrielle stagne, le chiffre d’affaires grossit considérablement; ce qui signifie que les prix s’élèvent beaucoup plus vite que l’accroissement de la production. L’argument du Bureau confédéral, selon lequel plus la production s’élèvera plus les prix diminueront, tombe. Dans le système capitaliste, les patrons ne recherchent que les profits, et toute production se transforme beaucoup plus en bénéfices qu’en augmentation du pouvoir d’achat ouvrier. De plus, l’augmentation relative plus forte des prix anéantit toute hausse des salaires.

Mais si, ne bornant pas notre examen à l’indice général du chiffre d’affaires, nous en venons à l’indice du chiffre d’affaires dans chaque branche industrielle,; nous ferons d’importantes constatations:

De 100 en janvier 1945 l’indice passe en juillet 1945 pour la production des métaux à 391, pour la sidérurgie à 457, pour la fonderie à 406, pour l’automobile à 271, pour le textile à 170, pour l’habillement à 153, pour l’industrie du cuir ainsi que pour la fabrication des chaussures à 142.

Ainsi ce sont les industries les plus concentrées, celles où les trusts dominent qui voient leur chiffre d’affaires faire des bonds énormes, alors que les industries où domine la petite production voient leur chiffre d’affaire opérer une progression beaucoup plus lente. Une conclusion s’impose: tous les efforts de la classe ouvrière, tous les sacrifices n’aboutissent qu’à accroître les bénéfices des trusts. Il y a donc un vice dans la politique de la CGT puisque, pour le moment, « la lutte production » conçue à la façon du Bureau confédéral, loin d’être une forme de lutte contre les trusts, n’aboutit pratiquement qu’à les renforcer. [11]

M. Henry Ford demande aux chefs syndicalistes de veiller au rendement

J’ai ici une citation extraite d’un journal que je voudrais vous laisser le soin de deviner. Je vais vous la lire sans indiquer l’auteur, voulant vous laisser la surprise:

 » Nous sommes persuadés (et toute la population, les ouvriers en particulier seront de notre avis) qu’un terrible danger vous menace si la production n’augmente pas dans de larges proportions… Nous croyons aussi que la seule route qui nous conduira vers la paix et la prospérité est celle du travail. Travaillons pour produire en laissant de côté toute autre considération. C’est le premier devoir des chefs syndicalistes que de veiller au maintien du rendement ».

Reconnaissez, camarades, que ces paroles sont tout à fait semblables à celles que l’on entend dans la bouche des responsables actuels de la C.G.T. et que vous trouveriez normal que je les aie extraites d’un organe syndical.

Je dois dire que la citation est tirée d’un éditorial du Figaro et qu’elle reproduit des paroles de M. Henry Ford, le grand maître des trusts des États-Unis.

Le premier devoir des chefs syndicalistes n’est pas de veiller au maintien du rendement, il est de veiller à ce que le bien-être et la liberté des ouvriers qui les mandatent, ne soient pas encore une fois foulés au pied par une nouvelle nationalisation capitaliste.

D’autre part, proportionner le salaire au rendement, ce n’est en rien résoudre les problèmes de la production, car ceux-ci sont moins un problème qu’un problème d’organisation et de lutte contre le patronat. D’autre part, je m’étonne que notre C.G.T. abandonne son opposition traditionnelle aux salaires au rendement; tous les méfaits de celui-ci ont été dénoncés depuis bien longtemps. Le salaire au rendement permet toutes les manœuvres patronales, introduit la division dans les rangs du mouvement ouvrier et, en définitive, se retourne contre les ouvriers.

Comment assurer la reprise ?

Entendons-nous bien, camarades, nous ne disons pas qu’ils sont mal posés par la CGT, nous disons, nous, que la lutte pour la reprise passe par la lutte contre le capitalisme et qu’il faut engager le combat pour un plan ouvrier de production élaboré par la CGT et exécuté, sous contrôle ouvrier. Et pour répondre au camarade me demandant des conclusions pratiques, je lui dirai que le congrès des instituteurs, à Noël, a demandé comme plan ouvrier de production:

1. l’expropriation des industries-clés et la nationalisation du crédit sans indemnité ni rachat, sauf pour les petits actionnaires;
2. le contrôle effectif de la production, de l’emploi qui en est fait, des commandes, de l’embauche et de la comptabilité par les délégués des travailleurs dans les comités d’entreprise ayant voix délibérative;
3. l’établissement d’un plan commun de la production par coordination aux échelons locaux, départementaux et nationaux de ces comités d’entreprise;
4. le soutien et le développement des coopératives de production, d’achat ou de vente, dans les milieux artisanaux et particulièrement l’agriculture, en collaboration avec la CGA;
5. l’orientation de la production et son accroissement vers les œuvres de paix et de première nécessité;
6. la revalorisation des salaires et des traitements, et l’amélioration des niveaux de vie des masses laborieuses;
7. le prélèvement sur la fortune acquise et la confiscation des biens des traîtres.

La politique confédérale désarme la classe ouvrière devant le patronat [12]

Toute autre politique syndicale va à l’encontre du but poursuivi. Les besoins non satisfaits des masses laborieuses risquent de les retourner contre la CGT si celle-ci persiste dans son orientation actuelle. La puissance de la CGT lui confère de lourdes responsabilités dans le marasme actuel. Les ouvriers syndiqués se découragent et sont démoralisés par la vanité de leurs efforts: ils n’ont jamais tant peiné et si mal vécu; leur sort n’a jamais été aussi précaire alors que la CGT n’a jamais été aussi forte en effectifs. Gare à la désaffection des masses envers une organisation syndicale qui s’obstine à soutenir ou à ne pas combattre des gouvernements incapables d’assurer une reprise parce qu’ils ne veulent pas lutter contre le capitalisme.

Les paysans peuvent, eux aussi, se retourner un jour contre les dirigeants de la CGT pour leur dire:  » Vous avez de beaux communiqués de victoire dans la bataille du charbon, dans celle de l’acier, des textiles, etc. mais pour nous, il n’y a pas de machines agricoles ni d’engrais. Vous avez si bien abattu les trusts qu’ils n’ont jamais fait autant de bénéfices ».

Aurions-nous la mémoire courte au point d’avoir oublié qu’une des raisons maîtresses qui ont facilité l’accès au pouvoir de Mussolini et d’Hitler a été la carence du mouvement ouvrier ?

La France, actuellement, est dans un état qui rappelle par plusieurs côtés celui de l’Italie et de l’Allemagne après la première guerre mondiale.

Même exaspération des luttes partisanes, même impuissance des partis au pouvoir à sortir le pays de l’ornière, même prolifération de la bureaucratie, même misère des transports et de la production, même fuite ou dissimulation des capitaux, même fiscalité dévorante, même faiblesse de la monnaie, même dégoût du pays à l’égard des luttes électorales. Et surtout, même incapacité des organisations syndicales et des dirigeants syndicaux à préconiser des mesures novatrices, révolutionnaires et à les faire entrer dans les faits, même incapacité à abattre un régime historiquement condamné; même impuissance de leur part à maintenir et à améliorer le standard de vie ouvrier, à provoquer l’enthousiasme de la classe ouvrière; même souci de leur part de limiter l’action syndicale à des délégations, à des démarches, à la politique de présence et d’écarter l’action directe des masses elles-mêmes.

C’est ainsi, le passé est là pour le confirmer, que l’on prépare le terrain au fascisme ou au pouvoir personnel d’un Bonaparte quelconque. [13]

Seule l’action contre le Patronat et l’Etat

[Camarades, je n’ai pas la prétention de convaincre personne, j’ai simplement la prétention d’exécuter un mandat syndical].[14] Il est temps pour la CGT de modifier son orientation et ses méthodes d’action.

Pour réaliser le programme ouvrier de reconstruction dont j’ai donné tout à l’heure les grandes lignes, il est vain de compter sur la seule politique de présence.

Seule l’action résolue et hardie contre le patronat, patriote ou non, et son État peut, en protégeant les conditions de vie des travailleurs, sauver le pays de l’immense catastrophe économique et financière qui avance à grands pas.

Seule une action résolue et hardie de la CGT, en y comprenant la grève qui reste l’arme la plus efficace pour résister à l’offensive des trusts, permettra aux larges masses laborieuses des villes et des campagnes de surmonter la démoralisation qui s’insinue devant les échecs et les déceptions qui constituent le terrain le plus sûr à une renaissance non française mais fasciste. [15]

La CGT ne doit pas appuyer un gouvernement où, sous couvert de tripartisme, siègent les représentants des trusts. Ainsi que l’a déclaré le Congrès des Instituteurs:  » le syndicalisme doit donner son plein appui à une coalition, dans le pays et au gouvernement, des partis ouvriers, à condition que l’action de ces partis reste conforme au plan établi par la CGT et que celle-ci conserve son droit de contrôle et d’action autonomes ».

Tout cela suppose un mouvement syndical sain, c’est-à-dire une CGT indépendante et démocratique. Je ne reviendrai pas sur les décisions du CCN de septembre qui ont provoqué des remous au sein de notre centrale.

En conclusion, nous demandons avec force au congrès de prendre conscience du fait que le capitalisme a fait faillite, qu’il n’apporte plus désormais aux travailleurs que la misère, la souffrance, le chômage et la guerre, et qu’il faut, non le renflouer, non prolonger son agonie, mais l’abattre. Il faut donner au prolétariat conscience de sa mission historique de fossoyeur de la bourgeoisie, il faut lui rendre sa confiance en lui-même et en son destin révolutionnaire. La pause n’a que trop duré. Il faut répondre « non ! » sans tarder, à la question cruciale: est-ce à la classe ouvrière de faire les frais de la reconstruction après avoir fait ceux de la guerre ? Il faut traduire dans une résolution sans équivoque et par des actes concrets cette soif de changement qui anime les travailleurs, éternelles victimes des divers impérialismes qui se disputent le monde. Pour empêcher la démoralisation de gagner la classe ouvrière, démoralisation provoquée aussi bien par la pratique du réformisme que par la subordination du mouvement syndical au mouvement politique, la CGT doit faire confiance aux méthodes d’action directe et de lutte de classe:; elle doit rester fidèle à sa raison d’être: l’action de classe pour la disparition du salariat et du patronat.[16]

Notes de la BS:

[1] La version de l’EE de 1995 et la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975) remplacent notamment Benoît Frachon par « le camarade Frachon ».

[2] Sous-titre absent de la version de 1995.

[3] La version de 1995 remplace « rôle » par « devoir » et arrête là la phrase, puis ajoute un sous-tire « Une occasion manquée » au paragraphe suivant.

[4] La version Front ouvrier de 1946 est coupée pour la partie entre crochets. La version de 1995 s’appuie donc ici sur un document d’origine plus complet, probablement la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975).

[5] Sous-titre absent de la version de 1995 (celle-ci introduit un peu plus loin un sous-titre « Non au blocage des salaires ! » juste avant « Dans de telles conditions, décréter le blocage… »).

[6] Nous avons gardé cette phrase selon la version de 1995. (1946: « Comment se présente la question capitale des salaires ? »).

[7] Le sous-titre est ici: »Reprendre l’offensive » dans la version de 1995.

[8] Le sous-titre est ici: « Produire d’abord, revendiquer ensuite ? » dans la version de 1995.

[9] Le compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975), précise ici un interruption d’un délégué: « Ils l’ont dépassée. »

[10] remplacé par « Bien que » dans les versions de 1975 et 1995. Qui n’a jamais rencontré un prof qui lui disait par académisme que « malgré que » n’est pas du bon français ? (ce qui est pour le moins discutable, on le rencontre par exemple chez André Gide, prix Nobel de littérature en 1947).

[11] La version de 1995 qui avait coupé les paragraphes précédents précise ici: (Vives protestations).

[12] Le sous-titre est ici: »Ne pas démoraliser les travailleurs » dans la version de 1995.

[13] Le compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975), précise ici: « (Huées du Congrès) ».

[14] La phrase entre crochets est une précision du compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975)

[15] Le compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975), précise ici: « (Le Congrès proteste vivement et interrompt l’orateur) ».

[16] Le compte-rendu sténographié des débats, d’après la brochure « Notre ami Marcel Valière » (1975), précise ici: « (La conclusion de cette allocution a été interrompue à diverses reprises par les protestations du Congrès) ».

Impressions d’un délégué (Louis Bouët)

1 novembre 2009

Source: A. Rosmer/ Le mouvement ouvrier pendant la guerre (1936) (p. 359-361). Première publication internet en 2006 dans la brochure du courant Ensemble Les syndicalistes et la Première guerre mondiale. Instituteur, Louis Bouët devait militer après guerre dans la Majorité fédérale de la Fédération unitaire de l’enseignement (oppositionnelle dans la CGTU) puis dans la tendance École émancipée (qui reprit le nom de la revue dont Bouët avait été le gérant).

J’étais à la Conférence confédérale du 15 août 1915, au titre de délégué suppléant de l’Union des Syndicats de Maine-et-Loire, en désaccord pour la première fois avec le délégué titulaire, Bahonneau, secrétaire de l’Union, influencé par Jouhaux qui venait assez souvent à Angers-Trélazé. C’est Loriot qui est intervenu au nom de la Fédération de l’Enseignement, plus en socialiste qu’en syndicaliste car il avait assez peu milité dans les syndicats, et il se trouvait pris de court, défendant une cause qui était la sienne depuis la veille au soir seulement.  Nous réagîmes avec vigueur lorsque Luquet (des Coiffeurs), qui présidait, traita notre camarade d’Aliboron à cause de sa manière « d’enseigner l’histoire » ! Loriot venait de rappeler les congrès socialistes et les résolutions contre la guerre.
Des autres interventions, je me rappelle celles de Frossard, sur une question de procédure et dans notre sens; de Bourderon, difficile à suivre avec ses phrases restant en route, emberlificotées, mais s’affirmant tout de même avec nous pour finir; de Péricat, un peu filandreux lui aussi, nettement pacifiste néanmoins; de Merrheim (que j’entendais pour la première fois) qui fit certes la meilleure intervention, situant dès ce moment-là les responsabilités de Poincaré, celles de l’Angleterre, se prononçant pour la reprise des relations internationales entre socialistes.
Pour la première fois sans doute, Jouhaux, dans son discours, parla de « réalisations » (!?) qu’il opposait à l' »agitation vaine ». Keufer et Saint-venant parlèrent aussi pour la continuation du massacre, ce dernier se basant sur les malheurs de la population du Nord envahi.
Je me souviens, lors du vote, des exclamations qui accueillirent Chasles (Union d’Indre-et-Loire) votant avec nous parce qu’il y avait à Tours un bon noyau de pacifistes: « L’imbécile, disait-on au pied de la tribune, il est en sursis d’appel ! » Il l’était en effet, au titre de je ne sais plus quelle coopérative. Je le revis un peu plus tard; il était complètement retourné…
La veille, nous avions tenu notre Congrès fédéral dans la petite salle de la rue de la Grange-aux-Belles. Toute la journée, nous avions discuté avec Hélène Brion et Loriot, qui sortaient les clichés courants de la guerre du droit, de la justice, de la barbarie allemande, etc. J’avais avec moi, pour les combattre, Lafosse, Marie Guillot, Marie Mayoux, Raffin (du Rhône), etc. Le soir, nous battions, à une forte majorité, les jusqu’auboutistes de notre Bureau fédéral : Hélène Brion, secrétaire par intérim, et Loriot, trésorier. Aussitôt après le vote, Hélène Brion déclara en substance: « je m’incline devant la majorité, et j’appliquerai fidèlement les décisions du congrès en faveur de la propagande pacifiste. » Elle tint en tous points sa promesse, se classant dès ce jour dans la minorité du Comité confédéral.
Loriot fit une déclaration dans le même sens. « Je m’incline également, dit-il, devant la majorité, et, si vous m’y autorisez, je défendrai le point de vue de notre Fédération demain, devant la Conférence. Le fait aura d’autant plus d’importance que j’étais jusqu’à maintenant avec la majorité du Parti et avec l’état-major confédéral. » Nous acceptâmes, non sans quelque hésitation, nous réservant d’intervenir si cela devenait nécessaire; mais il n’y eut rien à redire à l’attitude de Loriot, ni ce jour-là ni plus tard.

*
**

En ce qui concerne la Fédération et l’Ecole Emancipée, mes souvenirs sont très précis. Dans les trois premiers numéros de la revue (octobre 1914), on avait publié successivement des articles de Rebeyrol (de la Gironde), de James Guillaume et de Laisant, que nous considérions comme l’anéantissement de notre oeuvre. L’article de Loriot (à part une ou deux phrases, celles que Renaudel lui rappelait par la suite) était plus acceptable. Ce n’était pas pour cette besogne que nous faisions vivre l’Ecole Emancipée, rédigeant la « Vie scolaire » à quelques-uns. Nous avons aussitôt, ma femme et moi, envoyé une réponse un peu vive, rappelant à Laisant et à James Guillaume leur passé, déclarant que nous ne les comprenions plus, et que nos chemins seraient désormais divergents.
Quelques jours plus tard, Lafosse nous écrivait que nous n’étions pas les seuls à protester, que d’autres, et notamment Marie Guillot et les Mayoux, je crois, avaient écrit également, mais que les épreuves soumises à la censure avaient indigné l’autorité militaire qui suspendait la revue… et le numéro ne parut pas ! Lafosse ajoutait que Audoye et lui s’employaient à faire paraître la revue sous un autre titre, mais que notre son de cloche ne serait jamais admis par la censure. Je répondis sans délai: « Si nos articles ne peuvent paraître, supprimez les articles guerriers. » Ainsi fut fait… Les premiers numéros de l’École, puis de l’Ecole de la Fédération, étaient réduits à la « partie scolaire » où l’on supprimait jusqu’aux extraits de La Bruyère, de Victor Hugo ou de Maupassant contre la guerre. Nous nous sommes pourtant enhardis peu à peu à refaire une « partie pédagogique », puis « corporative », puis « sociale », mais jamais le son de cloche belliciste ne se fit entendre désormais. Et dès 1916, notre premier désaccord avec Mayoux est venu de là: il voulait la liberté absolue, même au risque de travailler exclusivement pour la guerre.

vie scolaire

1912: deux ans avant le ralliement d'une majorité de la CGT à l'Union sacrée

Rassemblement à Paris le 26 juin pour la libération des syndicalistes iraniens emprisonnés

23 juin 2009

En diffusant cette info sur notre site nous ne dissimulerons pas que le choix mondial d’un vendredi, et le choix national d’un midi, ne sont pas fait pour réunir un maximum de monde, ni que les organisateurs ne sont pas « anticapitalistes » (la CSI étant même une caricature de l’accompagnement à la sauce du « travail décent »). Pour autant, le syndicat Vahed des chauffeurs de bus de Téhéran, l’IASWI, le PCOI ou le Syndicat des dockers d’Irak soutiennent cette initiative et tant le contexte (occasion de manifester notre solidarité) que le mot d’ordre de libération des militants ouvriers emprisonnés en Iran ne peuvent qu’inciter toutes celles et tous ceux qui le pourront à se rassembler vendredi devant l’ambassade d’Iran à Paris .

Libérez les militants syndicaux iraniens

Communiqué de la CGT

Face à l’arrestation de centaines de militants syndicaux lors du rassemblement du 1er mai à Téhéran et les dizaines de militants poursuivis, traînés devant les tribunaux et emprisonnés pour avoir milité afin de créer des organisations syndicales indépendantes, 4 organisations syndicales internationales (la CSI et les internationales de l’enseignement, des transports et de l’alimentation) ont décidé, avec le soutien d’Amnesty international, de faire du 26 juin une journée mondiale de solidarité pour les libertés et les droits syndicaux en Iran.

Les organisations syndicales françaises CFDT, CFTC, CGT et FO affiliées à la CSI ainsi que l’UNSA, la CGC, la FSU et Solidaires, afin d’exiger l’arrêt de la violence à l’encontre des travailleurs, la libération sans condition de tous les militants syndicaux emprisonnés et le respect des libertés démocratiques appellent à un rassemblement le 26 juin à 12 h 30 devant l’Ambassade d’Iran (place d’Iéna – métro Iéna -).

Nous demandons aux organisations CGT de la région parisienne de faire le maximum pour assurer une bonne présence CGT.

Montreuil, le 22 juin 2009

Voir aussi:

Motion guesdiste sur la loi des retraites (1911)

17 février 2009

S.F.I.O.
Résolution sur la loi sur les retraites ouvrières
(9 juillet 1911)

Motion de la majorité de la Seine adoptée au Conseil national du 9 juillet 1911 par 88 voix contre 52. La loi sur les retraites ouvrières (18 sous par jour après 65 ans, par capitalisation) entrait en application. Guesde et Lafargue se retrouvaient aux côtés de la CGT en opposition commune à ladite loi (*), soutenue en revanche par le groupe parlementaire et la droite du parti (qui déclarèrent « qu’il n’appartient pas au Conseil National d’abroger ou de modifier les décisions d’un Congrès »). On voit dans ce texte les guesdistes défendre  l’unité d’action dans les luttes avec la CGT. Source : Encyclopédie socialiste syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière (Quillet, 1912). [pdf ]

Le Conseil National déclare que chaque fois qu’il s’agira d’une question ouvrière, le Parti socialiste agira d’accord avec les résolutions de la Confédération générale du Travail ;
En ce qui concerne les retraites ouvrières, affirme le droit intégral à la retraite de tous les travailleurs, y compris les compagnes de salariés occupées au soin de la famille.
Considérant les justes critiques qui ont été apportées contre la loi dite des retraites ouvrières ;
Considérant que le Congrès de Nîmes a décidé d’ouvrir une campagne immédiate de propagande socialiste pour l’amélioration de la loi ;
Considérant que le socialisme ne saurait se dispenser d’associer sa protestation à celle de la classe ouvrière, notamment sur les cinq points suivants :
1° Contre les versements obligatoires ;
2° Contre la capitalisation ;
3° Contre le taux ridicule de la retraite ;
4° Contre l’âge d’entrée en jouissance ;
5° Contre le rétablissement du livret ouvrier ;
Considérant que les organisations syndicales continuent leur campagne ;
Le Conseil National demande aux militants, aux élus, aux sections, aux fédérations du Parti d’appuyer de toutes leurs forces la protestation ouvrière et paysanne.

Note:

* La CGT refuse les versements ouvriers et appelle notamment à refuser de fournir les renseignements nécessaires pour l’établissement des carnets de retraite.

retraites1910

Voir aussi:

Idéologie syndicaliste (Séverac, 1913)

15 février 2009

Chapitre extrait de Le mouvement syndical, par J.-B. Séverac, volume de l’Encyclopédie socialiste.

A. — Deux tendances. — « Groupés en Syndicats et Associations de Syndicats, les travailleurs réfléchissent au pouvoir qu’ils commencent à acquérir en commençant à s’unir ; ils élaborent une théorie sociale nouvelle, affirmant la valeur éminente de l’action syndicale : le syndicalisme. Mais les uns voient surtout dans l’action syndicale le moyen de détruire la société présente : leur philosophie, c’est le syndicalisme révolutionnaire ; les autres voient surtout dans l’action syndicale le moyen d’améliorer immédiatement la condition de la classe ouvrière : leur philosophie, c’est le syndicalisme réformiste ». La distinction que marque ainsi Félicien Challaye au commencement de son étude pénétrante du Syndicalisme révolutionnaire et syndicalisme réformiste, s’applique à des tendances plus qu’à des groupes bien définis ou qu’à des doctrines aux contours bien nets.
La classe ouvrière avait déjà un certain nombre d’opinions sociales au moment où elle s’est tournée vers l’action syndi-cale. Elle était ou mutualiste, ou libertaire, ou socialiste, et socialiste de telle école ou de telle autre. Elle a tout naturellement commencé par avoir de l’organisation ouvrière la notion qui cadrait avec ses opinions antérieures; elle a, tout’naturellement aussi, songé d’abord à utiliser le Syndicat en vue de ces opinions, sans lui attribuer une vertu propre; elle lui demandait, par exemple, un appui matériel ou tout simplement y faisait une propagande plus aisée.
Certes, cette conception du Syndicat n’a pas complètement disparu ; mais on peut dire que depuis le Congrès de Nantes, elle ne tient plus une place décisive dans le mouvement ou-vrier en France.

Que s’est-il passé ? La pratique syndicale, d’abord serve d’idéologies qui lui étaient extérieures, leur donne maintenant une orientation. C’est elle, à son tour, qui utilise et qui crée.
Cette action de la pratique sur les notions n’est d’ailleurs pas achevée : elle est en train de se poursuivre ; elle ne peut même que se poursuivre lentement à cause des résistances des idéologies anciennes et de la force de certaines traditions. Il n’est donc pas surprenant qu’au lieu de cette conception unique, à laquelle conduit certainement l’action syndicale, nous en trouvions encore deux et assez distantes l’une de l’autre pour que leurs défenseurs se tiennent pour des adversaires sinon pour des ennemis.
Donnons-en les principaux traits en commençant par celle qui a été élaborée la première.

B. — Le syndicalisme réformiste (*). — Suivant la conception réformiste, le but essentiel de l’organisation ouvrière est d’améliorer la condition des travailleurs sans briser les cadres sociaux actuels. Diminution de la journée de travail, augmentation des salaires, amélioration de l’hygiène, suppression du travail aux pièces, telles sont les principales tâches qu’une action syndicale concertée et soutenue devra accomplir.

Cette action évitera tout ce qui pourrait ressembler à de l’agression ou du désordre. Elle se fera le plus pacifiquement possible. Les différends entre patrons et ouvriers doivent être réglés à l’amiable, ou au moins faut-il, avant de recourir à la grève, avoir épuisé tous les moyens de persuasion. La grève, d’ailleurs, ne doit être déclarée que quand on a la quasi-certitude de la victoire, car rien n’est redoutable pour l’organisation ouvrière comme une grève aboutissant à un échec : effectifs et courage baissent ensemble. Il faudra donc être en mesure de résister longtemps grâce à des caisses bien pleines alimentées par de fortes cotisations, attendre le moment le moins favorable pour le patron et, pour cela, bien connaître l’état de l’industrie, se ménager des amitiés efficaces, en un mot, ne rien laisser au hasard.
Dans sa résistance aux revendications ouvrières, le patronat a l’aide incomparable de l’Etat. Or, il dépend de la classe ouvrière de diminuer l’importance de ce secours, en obtenant une législation du travail moins imparfaite et dont les mailles plus serrées contiendront mieux l’arbitraire patronal. Les Syndicats doivent donc avoir des représentants dans toutes les institutions touchant à la législation ouvrière : ils auront des délégués au Conseil supérieur du Travail, où les lois ouvrières sont préparées, et dans les Conseils de prud’hommes qui les appliquent ; ils seront les collaborateurs actifs des inspecteurs du travail et, s’il en est besoin, il les contraindront à faire leur devoir ; ils se serviront enfin du Parlement où ils tâcheront de faire envoyer les hommes dont les idées et les programmes concordent le mieux avec les intérêts de la classe ouvrière.
Le Syndicat, d’ailleurs, n’est pas seulement un organisme de résistance et de lutte. Il peut être le dispensateur d’un certain nombre de services, auxquels les réformistes attacheront un très grand prix : secours de chômage, de maladie ou de décès, subsides de grève ou de voyage, œuvres diverses de mutualité, écoles ou cours professionnels, etc..
Telles sont les grandes lignes de la conception réformiste de l’action syndicale. Le point de vue de la défense professionnelle est son point de vue essentiel.

C. — Le syndicalisme révolutionnaire (**). — La tendance révolutionnaire est plus complexe que la tendance réformiste.

De plus, elle s’est exprimée par une littérature dont l’abondance, la richesse et la variété permettent de dire que le syndicalisme révolutionnaire a été l’occasion d’un incomparable mouvement d’idées.
Nous ne saurions donc prétendre donner ici, en quelques lignes, la suffisante exposition d’une ample philosophie de l’action. Nous nous contenterons d’en indiquer les principales thèses, sans nous préoccuper de leurs origines.

1° La lutte des classes est à la base du syndicalisme révolutionnaire. Les ouvriers doivent prendre conscience de leurs intérêts communs et transformer en conflit voulu l’opposition réelle des classes. Tous les efforts pour rapprocher les classes, atténuer le conflit ou masquer sa profondeur sont et condamnables et vains.

2° L’État moderne a pour fonction de défendre la classe capitaliste dans sa lutte contre la classe ouvrière. Il le fait, quelle que soit sa forme et même si c’est la forme démocratique, qui ne crée qu’une illusion, d’ailleurs dangereuse, d’égalité» La lutte contre l’État est donc le corollaire de la lutte contre le capitalisme.

3° La lutte des partis politiques sur le terrain parlementaire ne saurait avoir une grande vertu. Les partis, en effet, sont des agrégats d’éléments hétérogènes qui n’ont entre eux que le superficiel lien d’une communauté d’opinions ; ils ne sauraient donc être comparés aux classes. De plus, la lutte parlementaire a nécessairement pour terme l’accord après le marchandage ; elle rapproche donc au lieu d’opposer ; elle est enfin indirecte.

4° L’étude de la législation ouvrière montre qu’elle est ou inutile ou inappliquée. Admettre le contraire serait concevoir une protection efficace des travailleurs par l’État, ce qui est absurde.

5° A l’action indirecte des luttes électorales, la classe ouvrière doit préférer l’action directe, qui consiste en la pression faite sur le patronat et les Pouvoirs publics par les organismes de classe du prolétariat : Syndicats et Unions de Syndicats.

6° Cette action peut prendre un très grand nombre de formes : grèves, manifestations, sabotage, boycottage, label, etc., La plus efficace est la grève, même quand elle échoue, car elle est une école d’énergie et de solidarité, à condition d’être menée avec audace.

7° La lutte de chaque jour doit augmenter d’ampleur et d’acuité jusqu’à ce qu’elle se transforme « en une conflagration que nous dénommons grève générale et qui sera la révolution sociale » (***).
Telles sont les principales thèses du syndicalisme révolutionnaire. Il est aisé de voir qu’elles forment un système cohérent, dont l’idée centrale est la conquête du monde par un prolétariat révolutionnaire et agissant (****).

Notes


(*) Les principaux représentants sont Keufer (de la Fédération du Livre), Coupat (des Mécaniciens), Renard (du Textile), Guérard (des Chemins de fer).

(**) Les principaux représentants sont V. Griffuelhes, Pouget, Yvetot, Delesalle.  L’expression la plus haute et la plus compréhensive des idées syndicalistes  révolutionnaires est due aux plumes de Lagardelle, Sorel I et Berth.

(***) Victor Griffuelhes, L’Action Syndicaliste, p. 26.

(****) On trouvera plus loin, au chapitre consacré au fonctionnement et à l’activité de la C. G. T., les ordres du jour, résolutions, motions, etc., présentées dans ses Congrès sur les principaux problèmes de l’action ouvrière. Ces textes sont le complément indispensable du rapide exposé qui vient d’être fait.

1909responsables-syndicauxOrateurs syndicaux à Méru en 1909

cgt-maison-des-fedes-1913Maison des fédérations de la CGT en 1913

Rejeter l’accord CGT-MEDEF

25 avril 2008

C’est à l’unanimité que la Commission exécutive confédérale (CEC) de la CGT du 16 avril 2008 a décidé de ratifier la « position commune » avec le MEDEF sur la « représentativité » des organisations syndicales. Fait notoire et politiquement significatif, excepté l’accord sur la formation professionnelle, c’est le premier accord que la CGT signe depuis… 1970. La CEC considère ce texte comme un point d’appui « pour que s’instaure en France une véritable démocratie sociale ». Rien que ça ! Mais surtout, elle y voit le moyen de renforcer le « poids institutionnel de la CGT ». Nous sommes au cœur du problème dans la droite ligne des repères revendicatifs confédéraux qui préconisent « une consultation effective et loyale [souligné par nous] des partenaires sociaux tout au long du processus législatif. »

D’entrée de jeu la « position commune » intègre les organisations syndicales dans le cadre indépassable « des évolutions actuelles de la société et de ses composantes économiques et sociales » (article 1). De plus les signataires s’engagent au « respect des valeurs républicaines » et au refus de « tout intégrisme » (article 1). Certes ces notions sont suffisamment vagues pour être consensuelles. De quelle République parle-t-on ? De celle de la concurrence libre ou non faussée ou de celle de la libération sociale. Un jour la notion d’intégrisme ne recouvrira-t-elle pas la lutte de classe quand cette dernière menacera la société d’exploitation ?

Un syndicalisme d’experts

Pour la CGT, il s’agit ni plus ni moins que du passage d’un syndicalisme de mobilisation, de construction d’un rapport de forces à un syndicalisme de délégation, institutionnel et de lobbying, en un mot un syndicalisme d’experts dissocié de la réalité et de la vie des travailleurs. Bref, un syndicalisme d’accompagnement, à la mode de la Confédération européenne des syndicats.

La « position commune » représente une entrave à la constitution et à l’activité indépendante des syndicats. Elle introduit la remise en cause de la section syndicale d’entreprise, le seul acquis qui reste de la grève générale de Mai 68. Un syndicat n’aura droit de cité dans l’entreprise qu’après s’être présenté à des élections et avoir – pour le moment – obtenu 10% des voix. En sachant que le cycle électoral est de quatre ans, pendant ce temps-là il ne sera pas possible de désigner un délégué syndical et après ce dernier devra figurer sur la liste des candidats. La « position commune » introduit le cumul des mandats et pire la confusion entre délégué syndical et délégué du personnel (DP). La « représentativité » à la sauce MEDEF-CFDT-CGT exclut les salariés des petites entreprises (pas de DP), les précaires et bien sûr les chômeurs. Cerise sur le gâteau, désormais la « représentativité » devient temporaire puisqu’elle est remise en jeu à chaque élection. Comme le dit Madame Parisot, tout est précaire : l’amour, le travail, pourquoi pas la représentativité syndicale.

Une dépendance financière

Finalement, la seule raison « valable » pouvant justifier la ratification de la « position commune » par la CEC est celle du financement de ce que l’article 15 nomme les « missions syndicales » comme si un syndicat était un service concourant au bon fonctionnement de l’entreprise. Avec l’article 1.5 les signataires ont décidé de s’en remettre l’autorité de l’Etat pour fixer les critères de la certification de leurs comptes. Et l’article 16 demande respectueusement « aux Pouvoirs publics de faire procéder à un recensement exhaustif de l’ensemble des financements existants. » Voilà les organisations syndicales entrées dans l’ère de la dépendance financière réglementée vis-à-vis de la bourgeoisie. Celle-ci ayant besoin d’experts syndicaux qualifiés, elle ne rechigne plus à les rétribuer.

Enfin, subrepticement, l’article 17 instaure « dès à présent » la possibilité de « dépasser le contingent conventionnel d’heures supplémentaires. » Outre que cela alimente la machine infernale du Président, il préfigure la fin de la durée légale hebdomadaire de travail, tout comme un récent rapport du Conseil d’analyse économique auprès du Premier Ministre envisage la fin du SMIC.

Sarkozy approuve, les militants s’y opposent

Voilà ce que le Président en personne salue bruyamment dans Le Monde du 18 avril 2008 en considérant que « cette méthode est un succès » car ajoute-t-il « pour expliquer et mener à bien les réformes dont notre pays a besoin, nous devons le faire en partenariat étroit avec ceux qui représentent les intérêts des salariés et des entreprises. »

Voilà ce que tout syndicaliste de lutte de classe rejette sans hésitation. Comme la Fédération CGT de la chimie, la « position commune » est rejetée par tout militant CGT attaché à son organisation indispensable pour faire reculer l’offensive conjointe du MEDEF et du Président. La représentativité syndicale ne se marchande pas contre des appointements pour faire tourner un lourd appareil bureaucratique, elle se construit dans l’action syndicale permanente et indépendante du patronat et du pouvoir.

Ne laissons pas la direction confédérale dénaturer totalement notre CGT. Exprimons-nous avec force et conviction dans nos syndicats. Il est possible de battre la direction confédérale comme nous l’avons déjà fait pour le non au traité constitutionnel européen.

Prométhée