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Mattick: une vie communiste

20 janvier 2016

Traduction par nos soins d’un article de Felix Baum paru dans The Brooklyn Rail (déc. 2015/janvier 2016). Quelques courts extraits de la biographie de Mattick par Roth seront traduits en français dans le prochain numéro de Critique sociale.

Le mot « communisme », qu’on avait cru discrédité à jamais par l’expérience en Russie et dans ses pays satellites au XX° siècle, semble bénéficier d’un retour en grâce ces dernières années avec le retour des crises économiques et des luttes sociales à travers le monde. Des conférences sur « l’idée du communisme » attirent du monde, des livres d’auteurs se réclamant communistes comme Alain Badiou et Slavoj Žižek trouvent des lecteurs et l’attention des médias. Mais le plus souvent ce retour (limité) ne semble pas poussé par un véritable désir de retrouver le contenu émancipateur du mot comme dans les écrits de Karl Marx et les mouvements du XIX° siècle. Les maîtres-penseurs (*) Badiou et Žižek préfèrent se poser en enfants terribles (*), défendant le maoïsme et flirtant avec la terreur bolchevique, réaffirmant précisément une tradition avec laquelle le « communisme » du XXI° siècle devrait rompre.

Dans sa nouvelle biographie de Paul Mattick, travailleur d’origine allemande émigré aux États-Unis en 1926 qui devint l’un des plus important critiques radicaux de son temps, Gary Roth parle d’un courant largement oublié du XX° siècle qui a dès le début rompu avec les caricatures étatistes du communisme dans lesquelles sont encore les intellectuels de gauche médiatiques. [Gary Roth, Marxism in a Lost Century. A Biography of Paul Mattick (Brill, 2015).] Notant que cette histoire relève d’ « époques révolues où une classe ouvrière radicalisée constituait encore un espoir pour l’avenir », Roth évite la mélancolie et la nostalgie, cherchant à justifier son travail dans une reconfiguration récente « de la population mondiale en une vaste classe ouvrière s’étendant aux classes moyennes dans les pays industrialisés et aux travailleurs agricoles sous-employés partout ailleurs ». Tout en étant loin de constituer une offensive soutenue et cohérente contre les conditions existantes, quelques luttes récentes de cette classe, notamment les “square movements” qui se sont propagés de l’Afrique du Nord vers l’Europe et Istanbul, montrent une auto-organisation horizontale, sans dirigeants, une action de masse directe contre les forces d’État, un intérêt pour les occupations qui relève bien moins de la tradition léniniste que ne le dit Roth mais plus du communisme de conseil, sans en exagérer pour autant les ressemblances. [1]

Né en 1904 dans une famille de la classe ouvrière de Berlin, Mattick chemine vers ce courant pendant les bouleversements de la fin de la Première Guerre mondiale, quand il était encore un adolescent. Alors que le rôle infâme du Parti social-démocrate allemand (SPD) dans cette période (notamment son implication dans l’assassinat de ses anciens membres Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht par les Corps francs) est largement reconnu, même par les historiens libéraux, le radicalisme ouvrier de ces années-là est resté une affaire de spécialistes. Même en Allemagne, beaucoup à gauche ne savent quasiment rien du KAPD, le Parti communiste-ouvrier qui rompit avec le Parti communiste nouvellement fondé (KPD) quand celui-ci abandonna son abstentionnisme initial et son boycott des syndicats traditionnels. Surfant sur une vague d’agitation prolétarienne, ce parti a été capable d’entraîner vers lui une majorité de militants du KPD, ce dernier devenant une organisation croupion transformée lentement mais sûrement en annexe locale des bolcheviks victorieux en Russie. Bien que fascinés au début, non seulement par l’Octobre rouge mais aussi par le rôle qui jouèrent les bolcheviks, les communistes de conseils prirent bientôt une distance critique vis-à-vis de l’U.R.S.S., y voyant l’établissement d’un capitalisme d’État sous contrôle strict du parti unique. Opposant l’activité auto-dirigée des travailleurs à la dictature du parti, ils ont compris que les conseils qui étaient apparus en Russie en 1905 étaient non seulement une forme de lutte sous le capitalisme, mais aussi le germe d’une nouvelle société sans classe sous contrôle direct des producteurs, et ont fait de l’abolition du salariat leur cri de ralliement.

C’étaient ces perspectives de base, forgées dans le feu de luttes qui étaient parfois à la limite de la guerre civile, qui ont façonné les activités et les écrits de Mattick jusqu’à la fin de sa vie. En suivant Mattick dans les grèves d’usine, dans ses activités comme militant de l’organisation de jeunesse du KAPD et dans sa vie personnelle, Roth dresse un portrait coloré du milieu entourant le KAPD et les Unionen qui ont compté plusieurs centaines de milliers de membres au début des années 20, ainsi que des cercles d’intellectuels d’avant-garde qui gravitaient autour de revues comme Die Aktion.

Avec le fléchissement des luttes et le déclin rapide du KAPD, Mattick décida de partir aux États-Unis en 1926. Il était ici, à Chicago, pour le second évènement majeur de sa vie militante. Tandis qu’il continue d’écrire pour la presse radicale en Allemagne et, lisant, se forme en autodidacte sur les questions théoriques pour devenir bientôt un auteur exceptionnel, il se lie aux I.W.W. (Travailleurs industriels du monde) et à la communauté socialiste allemande émigrée. Là encore, Roth redonne vie à un milieu d’une époque révolue, celui de travailleurs politisés et de leurs organisations secouées de querelles et scissions constantes. A partir de 1932, Mattick ayant perdu son travail à l’usine Western Electrics, a participé au mouvement des chômeurs à Chicago. Il a décrit plus tard ces années comme les meilleures de sa vie, celles où il pouvait militer à plein temps. Il est intéressant de lire la description que donne Roth de ce mouvement, qui contraste avec la tranquillité sociale aux Etats-Unis lors de la dernière crise. Bien que moindre que l’effervescence sociale en Europe après la Première guerre mondiale, le mouvement des chômeurs radicaux auquel a participé Mattick se caractérisa par des formes d’action directe qui combinaient l’entraide matérielle et l’activisme politique:

The unemployed began to use abandoned storefronts for their own purposes. Locks were broken, and the stores became meeting places, with chairs taken from deserted movie houses. Mattick estimated that there were some fifty or sixty such locales in Chicago [ … ]. Mimeograph machines were installed for the production of leaflets and movement literature. Paper was contributed by those still employed, who stole office supplies from their workplaces. [ … ] Gas lines were tapped without setting off the meters [ … ] Makeshift kitchens were set up in the storefronts and meals cooked around the clock.

Cependant, ces tendances les plus radicales furent déjouées par les organisations de chômeurs des partis de gauche plus grands, tandis que le développement de l’aide sociale et de l’emploi public dans l’administration Roosevelt amenait une éclipse finale du mouvement d’ensemble.

Avec un groupe de communistes de conseils à Chicago, Mattick a commencé à publier la revue International Council Correspondence (ICC) en 1934, rebaptisée plus tard Living Marxism et enfin New Essays. Avec Karl Korsch (un ancien membre du SPD et du KPD, celui aurait enseigné le marxisme à Bertolt Brecht) Mattick en a été le principal contributeur en textes. Mettant l’accent sur les développements contemporains comme la Grande Dépression et le New Deal, la guerre civile espagnole et la montée du fascisme et du nazisme en Europe et débattant de questions théoriques plus générales, ICC est un excellent exemple de critique sociale indépendante sans affiliations universitaires ou à un parti , produite par quelques intellectuels précaires et des théoriciens autodidactes comme Mattick. Avec de nombreuses traductions de textes des radicaux européens, ICC a également servi de pont entre l’Amérique et le vieux continent à une époque de rivalité impérialiste accrue. [2]

Pendant les mêmes années, Mattick a eu des relations plutôt difficiles avec l’Institut de Francfort (Frankfurt Institute of Social Research) en exil. L’Institut, surtout connu par ses plus célèbres membres Max Horkheimer, Theodor Adorno et Herbert Marcuse, lui a commandé une analyse détaillée du chômage et du mouvement des chômeurs aux États-Unis mais a répugné à la publier, sans doute parce qu’elle exposait clairement une orientation marxiste que l’Institut se pressait désormais de minimiser afin de ne pas compromettre son statut aux États-Unis. Cette analyse lucide fut publiée pour la première fois en 1969 par un petit éditeur allemand et ne fut jamais traduite en anglais. Les relations entre Mattick et l’Institut de Francfort durant les années de guerre font partie des sujets pour lesquels une étude plus approfondie que celle qui peut l’être dans le cadre d’une biographie serait intéressante. Alors que certains membres de l’Institut commencèrent à travailler pour l’Office of Strategic Services, apportant des analyses du fascisme nazi à l’appareil d’État américain et contribuant donc à l’effort de guerre de celui-ci, Mattick appartenait à une petite minorité de radicaux qui rejetaient les deux bords, pour la Seconde guerre mondiale comme pour la première.

D’un côté, cette position semble logique, comme le rappelle Roth:

Under the banner of anti-fascism, the Communist Party embraced Roosevelt and the New Deal, egged forward the country’s economic and military policies, and found a new audience among intellectuals and professionals for whom Russia offered a means to appreciate the accomplishments of state planning. The more patriotic the party became, the more members it attracted.

D’un autre cependant, elle semble s’être basée sur des notions problématiques, comme celle d’une tendance générale vers l’État autoritaire, une incompatibilité générale du capitalisme et de la démocratie, conduisant à l’idée que l’issue de la guerre ne ferait aucune différence. « Si Hitler gagne, il est vrai (écrit Mattick dans le numéro de l’hiver 1941 de Living Marxism) qu’il n’y aura ni paix, ni socialisme, ni civilisation, rien que la préparation de plus grandes batailles à venir, pour une destruction à venir. Mais s’il y a victoire des « démocraties », la situation ne sera pas différente ». Cela s’étendra à une équation entre le système des camps de concentration nazis et la politiques des Alliés en Allemagne occupée: impressionné par des rapports d’amis et de la famille en Allemagne sur la pénurie dramatique de nourriture (et se référant au camp de Bergen-Belsen), Mattick écrit dans une lettre que si les nazis ont privé de nourriture une minorité à Bergen, les Alliés ont mis presque toute la population à ce régime.

En même temps, il faut le dire, la discussion sur la guerre et le fascisme dans Living Marxism et New Essays était très complexe; la revue a été l’un des rares endroits où des esprits indépendants pouvaient tenter de se confronter à une situation déconcertante et inconnue. Korsch, par exemple, notait que le slogan de la Première guerre mondiale « A bas la guerre impérialiste ! » avait désormais perdu son ancienne force révolutionnaire, quand il correspondait aux tendances des isolationnistes bourgeois, tandis que le slogan « Défaite de son propre pays » était devenu la pratique politique de cette importante fraction de la classe dirigeante de divers pays européens qui préférait la victoire du fascisme à la perte de sa domination. La note un peu triomphaliste par laquelle termine Korsch – ce n’est ni la Grande-Bretagne ni la « démocratie » mais le prolétariat qui est le champion de la lutte de l’humanité contre le fléau du fascisme – s’est avérée un vœu pieux. Mais il est hors de portée de cette note de lecture d’approfondir ces questions. Dans les paragraphes qui leur sont consacrés, Roth, qui semble partager le point de vue de Mattick, ne parvient pas à mon avis à régler le problème.

En tout cas, la fin de la Seconde guerre mondiale n’a pas donné lieu à de grands bouleversements sociaux comme l’avait fait la précédente. Dans la période d’après-guerre, Mattick s’est abstenu la plupart du temps d’activité politique, se retirant temporairement avec sa femme Ilse et son fils Paul dans la campagne du Vermont. Pourtant, c’est pendant cette seconde partie de sa vie qu’il est finalement apparu comme l’un des principaux penseurs de l’émancipation sociale inspirés par Marx, justement en rejetant à peu près toutes les variétés de marxisme académique ou encarté de l’époque. Plus important encore, Mattick a repris la théorie des crises de Marx qui était démodée pendant les Glorieuses quand la plupart des marxistes croyaient que la gestion par l’Etat de l’économie avait apporté une éternelle « société d’abondance »en neutralisant la tendance du capitalisme à la crise. Le principal travail de Mattick, Marx et Keynes, publié en 1969, a dissipé ces illusions avant qu’elles ne deviennent indéfendables, et lui a assuré un lectorat plus large. Ayant raconté (parfois un peu trop en détail) les difficultés de Mattick à faire publier ses textes, Roth a aussi évoqué son succès posthume, notamment en Europe de l’Ouest, où certaines parties de la Nouvelle Gauche qui n’avaient pas d’appétences néo-bolcheviques ou maoïstes ont développé une Mattick-mania pendant quelques années. Des événements comme mai 68 à Paris et les luttes autonomes des travailleurs en Italie ont fourni un terrain fertile pour une redécouverte de la tradition du communisme de conseils dont Mattick était l’un des rares partisans vivants.

En suivant Mattick à travers ce « siècle perdu », Roth livre un riche récit d’une tradition radicale qui, après une certaine renaissance dans les années 60 et 70, est de nouveau tombée dans l’oubli. La biographie exclut naturellement un examen en profondeur des questions politiques et théoriques en jeu. Roth déclare explicitement qu’il ne veut pas mettre l’accent sur le travail théorique de Mattick parce qu’il voit « peu de raisons de résumer un travail qu’il vaut mieux lire dans l’original » (et dont des parties importantes peuvent se trouver sur internet aujourd’hui.) Pourtant, dans certains cas, les contours et la signification contemporaine de cette théorie auraient pu être rendus plus clairement, tandis que certains détails biographiques semblent plutôt dispensables. Pour les lecteurs qui se sentent inspirés à poursuivre la lecture dans les écrits de Mattick et de ses camarades, les points forts du livre l’emportent de loin sur cette lacune.

Felix Baum

Notes:

[*] en français dans le texte (Note du traducteur de la BS)

[1] Voir l’entretien avec Charles Reeve en 2012 (Note de la BS)

[2] Greenwood Press a réédité les textes des trois revues dans leur intégralité en 1970 dans une édition en six volumes aujourd’hui épuisée. L’auteur ne semble pas connaître leur mise en ligne récente sur internet.

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La collection Raya Dunayevskaya

19 août 2015

Lorsque Raya Dunayevskaya fit don de ses archives à l’Université d’Etat de Wayne, elle demanda à organiser elle-même sa collection et à ce que l’accès en soit ouvert à tous. Le nouveau site http://rayadunayevskaya.org/ présente désormais en ligne cette collection, pendant que le site du journal qu’elle avait fondé, News & Letters, a mis en ligne ses 60 ans d’archives.

Cette collection, avec plus de 17.000 pages, constitue une ressource de premier ordre. On y trouve, par exemple, des correspondances avec Natalia Trotsky, Jean Malaquais, Maximilen Rubel, Castoriadis, Marcuse, Onorato Damen et G. Munis.

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Yoshimasa Yukiyama, Raya Dunayevskaya et Charles Denby (1969)

Sommaire:

PART ONE: Birth and Development of State-Capitalist Theory

Volume I 1941-1947 — Beginnings of State-Capitalist Theory (in the Workers Party)
Volume II 1947-1951 — From the “Interim Period” to the Final Split from the Socialist Workers Party
Volume III 1949-1955 — From the Miners’ General Strike to the East German Revolt; From the Appearance of Differences in the Johnson-Forest Tendency to the Historic Reemergence of Marx’s Humanism
Appendix I Leon Trotsky: Letters, Conversations, Unpublished Documents

PART TWO: Creation of Marxist-Humanism as Organization — News and Letters Committees — and as Theory for Our Age

Volume IV 1955-1958 — Laying New Theoretical and Practical Foundations, Culminating in Marxism and Freedom, from 1776 Until Today
Volume V 1959-1964 — The Emergence of a Third Afro-Asian, Latin American World and a New Generation of Revolutionaries Also in the U.S.
Volume VI 1964-1968 — As Against Decadent Capitalism on the Rampage, New Stages of Mass Revolt
Volume VII 1968-1973 — Objective Crises Compelling Theoretic Clarification of Revolution, Culminating in the Work Around Philosophy and Revolution
Volume VIII 1973-1975 — Philosophy and Revolution as Book, as Characteristic of the Age
Volume IX 1976-1978 — Forces of Revolution as Reason; Philosophy of Revolution as Force
Volume X 1979-1981 — What is Philosophy? What is Revolution? How the Revolutions of Our Age Relate to Those Since Marx’s Age: Rosa Luxemburg, Women’s Liberation, and Marx’s Philosophy of Revolution
Appendix II “Two Worlds” Columns by Raya Dunayevskaya, 1955-1981
Volume XI 1981-1985 — Dialectics of Revolution: American Roots and World Humanist Concepts
Volume XII Retrospective and Perspective — The Raya Dunayevskaya Collection, 1924-1986

SUPPLEMENT

Volume XIII Raya Dunayevskaya’s Last Writings, 1986-1987 — Toward the Dialectics of Organization and Philosophy
Volume XIV The Writing of Raya Dunayevskaya’s “Trilogy of Revolution,” 1953-83: The “Long, Hard Trek and Process of Development” of the Marxist-Humanist Idea
Volume XV 1983-1985: From the Marx Centenary Year to Women’s Liberation and the Dialectics of Revolution, and from Reagan’s Invasion of Grenada to Raya Dunayevskaya’s Work on “Dialectics of Organization and Philosophy”

Lettre manuscrite de Maximilien Rubel à Raya Dunayevskaya (1959)

Voir aussi en français:

Le mouvement de monopolisation aux Etats-Unis (1903)

22 juillet 2015

Début de l’article de Charles-Albert Maybon paru dans La Grande Revue, vol. 25 (février-mars 1903). Chargé de mission par le Ministère du Commerce, ce fonctionnaire produit ici une étude intéressante qui cite plusieurs fois les socialistes américains.

« La Société bourgeoise moderne qui a fait jaillir le prodige de ces puissants instruments de production et d’échange, — c’est le sorcier impuissant à maîtriser les puissances souterraines qu’il a évoquées » Marx et Engels (1847).

Tout l’effort économique du Nouveau-Monde est maintenant orienté vers la monopolisation. La même tendance se remarque bien à des degrés divers dans tous les pays industriels, mais elle n’a pas rencontré aux Etats-Unis les obstacles auxquels elle se heurte dans les vieilles nations européennes. Elle n’y a pas eu à briser les formes subsistant de structures sociales antérieures, et dans une période relativement courte, l’association capitaliste, amenée par les mêmes causes qu’eu Europe, a atteint une expression beaucoup plus parfaite, et, on peut le dire, le summum de son développement.

Tandis que l’Europe en est encore à l’état anarchique des Sociétés par actions, ou tout au plus aux ententes temporaires ou partielles entre producteurs, toute l’industrie et tout le commerce américains sont en voie d’être gouvernés par un petit nombre de monopolistes. J’ai pu constater qu’aux Etats-Unis personne n’est indifférent à ces faits: certains s’en émeuvent ou même s’en inquiètent, d’autres s’en réjouissent ; tout le monde s’y intéresse et souvent avec passion.

Mais la portée de ce mouvement dépasse les bornes de l’Union: à tout esprit préoccupé des problèmes économiques et sociaux, cet ordre de fait paraît apporter, sinon des éléments de solution complète, du moins des données expérimentales qui peuvent permettre l’approximation.

Un moyen d’exposer et de mettre en lumière ces données est, je crois, de dépeindre l’attitude de la population américaine vis-à-vis de la puissance monopolisatrice, de montrer comment elle se mêle à ce mouvement, de tracer, pour ainsi dire, en simple enregistreur, la courbe des actions et des réactions produites par l’introduction de cet élément, le monopole, dans la vie économique de toutes les classes de la société.

N’envisageant le point de vue philosophique de la question qu’autant qu’il sera indispensable de le faire, je voudrais surtout par des faits, par des observations, par des citations soit de lettres personnelles, soit de conversations, soit d’articles de journaux ou de revues, apporter des matériaux pour une étude approfondie de ce mouvement et de ses résultats probables…

Le monopole tend à supprimer la libre concurrence, un régime nouveau tend à s’établir, voici des documents qui, mieux que de longues dissertations, aideront à se faire une idée exacte de cette phase transitoire dans l’évolution économique.

Avant d’entreprendre l’exécution de ce programme, il est nécessaire d’entrer dans quelques détails sur la forme que prend le mouvement de monopolisation. Je le ferai à larges traits, m’occupant seulement de ce qui est mais non sans chercher à quelles causes, à quelles influences il faut rattacher les phénomènes étudiés.

LE TRUST

La forme la plus complète de la concentration capitaliste est le trust. Tout le monde en a entendu parler ; nos journaux s’habituent à signaler la formation des nouveaux trusts; mais il faut feuilleter quelques journaux américains pour se rendre compte de la place que prend dans chaque numéro la rubrique trust. Nous verrons plus tard qu’il n’y a pas dans ce fait, comme on pourrait le croire de prime abord, l’unique désir de renseigner exactement les lecteurs sur le mouvement croissant de trustification. Pour le moment, constatons en passant l’influence sur la langue de ce mouvement ; des mots nouveaux se créent, des acceptions nouvelles s’élaborent : trustification, consolidation, amalgamation, combination, agregation, confederation, etc., voilà des vocables qui rendent tous l’idée d’union, de fusion dans le but de monopoliser les moyens de production et d’échange.

C’est ainsi que la concentration des capitaux et le développement du machinisme restent les deux faits cardinaux du mouvement colossal de la trustification, mais ils sont accompagnes d’une foule de petits faits et de détails, à première vue sans importance, qui jouent leur rôle dans le mouvement et qui sont tous connexes.

Mais voyons comment le trust est pratiquement réalisé.

A l’origine, le trust consiste essentiellement en la fusion, l’agrégation, l’amalgamation d’entreprises concurrentes en une Société unique administrée par des trustees [1].

Aujourd’hui, le mot trust a pris dans le langage ordinaire une acception plus large: il désigne toute ligue constituée dans le but de gouverner, de contrôler, comme disent les Américains, les prix et les salaires.

Il comprend donc dans cette acception, tous les faits d’accaparement ou de spéculation que l’on appelle aussi cartels, pools, syndicales, understandings, agreements… etc. Mais il importe de signaler que le trust proprement dit possède un caractère de permanence que n’ont pas ces diverses associations, forcément précaires à cause du but spécial qu’elles se proposent d’ordinaire.

Les trusts étendent leur action au champ tout entier de la production depuis les marchandises de première nécessité (farine, lait et beurre, charbon, sucre, café, pétrole… etc.) jusqu’aux objets de luxe (glaces, pianos, porcelaines… etc.); en un mot « the necessaries, comforts and luxuries of life ». Ils régissent aussi le marché des produits nécessaires à l’industrie, outils, machines de toutes sortes, clous, cordages… etc.

Dans certains cas, ils sont, pour ainsi parler, nationalement complets, c’est-à-dire qu’ils sont les maîtres du marché dans tout le territoire du pays, ou, en d’autres termes, qu’ils en ont chassé la concurrence ; le trust du pétrole (Standard Oil Company), celui du sucre (American sugar refining Company, comprenant la Glucose refining Company), celui des produits chimiques (Acid and Chemical Company), celui des viandes de boucherie et de conserve (Chicago parking and provision Company) … etc. en sont arrivés à ce point. Il en est qui tendent même à former des monopoles internationaux, à étendre la trustification au delà des limites de l’Union ; la Standard Oil Co avec Rockefeller et les Rothschild de Vienne et de Londres, le nouveau trust de l’acier formé en mars 1901 par J. Pierpont Morgan et qui englobe sept puissantes entreprises, le trust du papier et d’autres encore tendent à régir les prix du marché mondial.

On comprend quels immenses capitaux doivent représenter de telles colossales entreprises. On trouve chroniquement dans les journaux américains des listes sans fin des trusts récents ou déjà vieux de quelques années; des totaux suivent ces listes et représentent des sommes formidables. Mais les journaux qui font ces calculs – en général, les journaux démocrates – ont leurs raisons que nous auront à rechercher tout à l’heure. Ces raisons n’existent pas pour certaines feuilles françaises qui, cependant, se livrent aussi a ce petit jeu; on y parle des milliards de francs que l’on trouve en additionnant les capitaux des différents trusts. Il y a du reste de grands écarts entre ces chiffres : la fortune totale des trusts varie, suivant ces dires, de dix à cinquante milliards. De tels résultats qui, du reste, pourraient frapper l’esprit s’ils étaient d’une exactitude, non point même rigoureuse, mais seulement suffisante, sont soumis à deux principales causes d’erreurs.

La première, c’est la surcapitalisation (over-capitalization); il n’est pas un trust dont le capital versé soit égal au capital social et il est impossible de connaître exactement dans quelle proportion varie cette différence, on pense que c’est environ de 3 à 7, c’est-à-dire que le capital social varierait du triple au septuple du capital versé; c’est déjà une jolie marge. D’autre part, un certain nombre d’entreprises qui n’ont pas l’importance des grands trusts, — si considérables qu’ils ne peuvent se dissimuler, — peuvent être en réalité truslifiées sans que le public s’en doute. ll est vrai que, dans certain États, les trusts sont taxés [2], ce qui semble permettre de fixer exactement leur nombre; mais tous les trusts ne se sont pas soumis à cette formalité. En résumé, comme le dit un auteur:  » à cause du caractère privé et même absolument secret de plusieurs combinaisons, il est impossible de constater avec un suffisant degré de certitude leur nombre total et le chiffre complet des intérêts qu’ils représentent » [3].

De pareilles estimations sont par conséquent toujours très approximatives; et, d’ailleurs, d’exactes statistiques seraient-elles possibles que l’importance considérable des capitaux engagés n’en serait guère plus évidente. Et cette simple constatation nous suffit largement à dégager un nouveau caractère du mouvement du trustification.

En effet, l’un des plus remarquables résultats de ce mouvement a été d’opérer la séparation du capital et de l’entreprise qui autrefois, étaient toujours réunis; la fonction de direction était inséparable du titre de capitaliste, ainsi que jadis, pour employer une comparaison frappante, « la fonction de gouvernement était impliquée dans un titre de noblesse». L’industriel ou le commerçant propriétaire d’une entreprise personnelle, voit cette entreprise absorbée pour la formation d’un trust; de directeur de son entreprise, il devient actionnaire du trust, car, en échange de son apport (usines, machines, stocks de matières premières…) il reçoit des actions du trust.

Un exemple très net est donné par les faits qui ont présidé à la constitution de la Standard Oil Co. L’acte de Société de ce trust à son origine comprenait parmi les contractants membres de quatorze Sociétés (corporations ou limited partnerships) qui faisaient abandon de leur avoir en faveur du trust moyennant un certain nombre de certificates. Et parmi ces membres de ces quatorze Sociétés étaient compris non seulement les actionnaires, déjà purs capitalistes, mais aussi les chefs d’entreprise qui devenaient ainsi des porteurs de certificats du trust. Il arrive aussi que ces chefs d’entreprise, doués de grandes connaissances techniques prennent place dans la direction du trust, surtout lorsqu’il s’agit d’un trust industriel; mais ils sont alors de vrais employés du trust et reçoivent à ce titre des appointements en raison de leurs services. Mais ce cas est relativement rare et le devient de plus en plus; de plus en plus la direction générale du trust est purement chargée des intérêts financiers et la direction technique est entièrement entre les mains de purs employés salariés non-actionnaires.

Le divorce tend donc à devenir complet entre la direction et la propriété de l’entreprise, à mesure que l’importance de l’entreprise croît et qu’elle absorbe un plus grand nombre d’intérêts particuliers. Cette conséquence du mouvement de concentration va si loin que tel homme, autrefois directeur d’une usine, peut devenir intéressé à plusieurs entreprises différentes; et même un trust formé pour monopoliser une branche quelconque peut s’engager dans des entreprises non seulement connexes à celle qu’il exploite, mais n’ayant même aucun rapport avec elle.

C’est ainsi que de la Standard Oil Co, qui nous offre encore un exemple général, dérivent une foule d’industries qui, à leur tour, en absorbent d’autres. On me signalait à New York l’American Smelting and Refining Co (Compagnie américaine de fonderie et d’affinage) qui se formait en mars 1809 et se trouvait sous la dépendance de la Standard Oil C0 (controlled by Standard Oil C0 money); elle absorbait onze concerns différents de Chicago, de Kansas City, du Colorado, etc.

Que ressort-il de ces faits ? C’est que l’action du capital s’universalise de plus en plus pendant que la direction technique se spécialise. De telle sorte que « la classe capitaliste, délivrée de tout travail par ses directeurs, passe, grâce à l’action du trust, de la condition de différentes compagnies possédant des industries particulières à l’état d’un corps unique possédant l’industrie ».

Ainsi, la trustification n’est pas un mouvement industriel distinct; elle est, en dernière analyse, un mouvement purement financier.

Elle est, comme il est dit plus haut, le produit le plus parfait de l’association capitaliste, ou, si l’on préfère, la forme la plus complète, parce qu’elle est la plus productive, de la concentration des capitaux.

LE TRUST ET LES CLASSES DE LA SOCIÉTÉ

Le mouvement de monopolisation étant ainsi caractérisé dans ses grandes lignes, voyons comment l’envisage la population américaine.En étudiant les arguments de ses partisans et de ses adversaires, nous arriverons à le mieux connaître et nous pourrons nous faire une idée exacte de sa signification véritable. « La classe capitaliste, dit Daniel de Leon [4], s’efforce à garder le trust pour son usage personnel; la classe moyenne veut le briser…; la classe ouvrière cherche à le conserver, à le perfectionner, à l’ouvrir à tous [5]. » 

Ces quelques lignes résument assez fidèlement l’attitude de la population américaine vis-à-vis de la puissance du monopole. Il resterait à montrer par des faits qu’elle est véritablement ainsi et d’expliquer ensuite pourquoi elle est ainsi.

Pour ce qui regarde la classe capitaliste, il va de soi qu’elle comprend l’intérêt qu’il y a pour elle de garder à son service et à son profit la formidable puissance du trust. Elle en tire d’inépuisables bénéfices et en accroît sa force de classe dirigeante. Elle en assure sa suprématie de classe par la toute-puissance de l’argent, et l’on sait que, dans la libre République des États-Unis d’Amérique, plus encore que partout ailleurs, l’argent est le grand maître: il fait les lois, et, dans une certaine mesure, crée l’opinion publique. Il n’y a pas à s’étonner dès lors, comme on va le voir, que les capitalistes défendent le régime transitoire de la trustification, ni non plus que d’autres capitalistes l’attaquent par des manœuvres hypocrites qui n’aboutissent qu’à consolider sa domination politique, économique et sociale. Ces derniers abusent ainsi la classe moyenne et donnent une apparente satisfaction aux intermédiaires, aux détaillants qui se meurent des trusts. La productivité plus grande et à meilleur marché qui résulte de la trustification est en effet plus défavorable au petit commerce qu’au consommateur lui-même et le moment n’est pas loin où la classe moyenne, aux États-Unis, succombera fatalement devant le développement du trust. Elle le sent, et se révolte sans s’apercevoir de la contradiction de sa conduite: elle s’insurge contre le développement du capitalisme et veut cependant conserver le régime capitaliste dont elle meurt.

Il paraît utile d’envisager en détail cette conduite de la classe moyenne, de montrer son retentissement sur la conduite politique du pays; il y a une morale à tirer de ces faits dont les classes de tous les pays peuvent faire leur profit.

Après avoir déterminé quelles sont les manières et les raisons d’agir de la classe moyenne, ou petite bourgeoisie comme nous disons communément en France, il ne sera pas sans intérêt de rechercher pourquoi la classe ouvrière veut, ou, plus exactement, doit vouloir conserver et perfectionner l’instrument qui donne la mort à la classe moyenne.

C’est ainsi que je désire montrer en raccourci les luttes dont les trusts sont l’occasion sur le théâtre politique et économique actuellement restreint à la scène du Nouveau Monde.

LE TRUST ET LA CLASSE MOYENNE

Tant que dure le régime de la libre concurrence, la classe moyenne vit sans soucis et sans craintes. Elle achète des marchandises au producteur et profite de l’escompte; elle établit son prix de détail supérieur au prix du gros suivant maintes circonstances diverses: espèce de marchandise, genre de clientèle, situation de la boutique et valeur locative, etc. La rémunération du capital engagé, d’abord, et des soins d’achat et de vente ensuite, est complètement assurée par l’escompte qu’a consenti le marchand en gros; toute la différence du prix de gros au prix du détail est donc entier bénéfice. Mais arrive le trust: les conditions changent. L’opération, qui consiste essentiellement à se charger de marchandises depuis la production jusqu’à la consommation et qui est le propre du détaillant, est soumise dès lors à la direction réelle du trust, plus puissant capitaliste. Le trust, qui a monopolisé la production, qui, sur ce champ, a détruit la concurrence peut, s’il lui plaît, refuser tout escompte et même élever le prix de gros. Le détaillant, obligé d’en passer par la, ne peut, lui, élever le prix de détail qui a déjà atteint le maximum du pouvoir d’achat de ses clients; s’il tentait cependant de le faire, il verrait diminuer sa vente. D’autre part, il arrive souvent que le trust, bien qu’élevant le prix de gros, interdise au marchand d’élever le prix de détail et ne livre sa marchandise qu’à la condition que cette interdiction soit respectée. Le détaillant est donc pris entre l’enclume et le marteau: le prix de détail fixe et le prix de gros sans cesse croissant; il doit périr. Il résistera d’autant plus longtemps qu’il aura plus de réserves; et le caractère de la lutte est ainsi nettement déterminé: e’est un conflit de capitalistes où les petits doivent succomber les premiers,  les moyens ensuite, jusqu’à ce que les grands subsistent seuls.

On le voit donc par ce rapide exposé : la classe moyenne parait condamnée à disparaître. Les seules raisons de sa persistance ont peu de force et sont faciles à définir: 1° la tendance qu’ont les classes inférieures à s’èlever et à s’imaginer trouver l’indépendance dans l’cxploitation d’une petite entreprise commerciale; 2° la facilité de gérer ces entreprises qui ne demandent le plus souvent ni connaissances spéciales ni instruction technique ; il a la clientèle assurée parmi les gens (petits employés ou ouvriers par exemple) qui n’ont pas assez d’avances pour faire des approvisionnements ni assez de place pour les loger; ils sont les acheteurs au jour le jour qui constituent la plus grosse clientèle du détaillant.

On voit combien sont plus puissantes les forces qui tendent à détruire le petit commerce. Nous signalerons même, puisque c’est un fait dont on peut voir des exemples en France, que la troisième raison de persistance qui paraît la plus importante, est aussi battue en brèche par les associations coopératives de consommation et les grands magasins.

Telle est la situation de la petite bourgeoisie aux Etats-Unis: la classe tout entière sent le danger qui la menace mais ne le comprend pas. Elle ne sait, ou du moins elle ne peut prendre exactement conscience des causes de sa ruine imminente. Elle connaît cependant son impuissance sur le terrain économique; elle n’essaie pas de lutter contre la puissance des trusts par des moyens économiques, mais elle essaie de lui résister par des moyens d’ordre politique. Elle a même confiance en la valeur de ces moyens, encore qu’une expérience, vieille déjà de plusieurs années, eût dû la détromper et l’édifier sur la valeur de pareilles armes.

Du reste, à l’origine même de son action, est une contradiction que nous avons déjà signalée : elle nous offre, comme dit un auteur, « le comique spectacle d’une classe mourant de la concurrence et réclamant son maintien ». Le régime de la conccurence, sans pitié pour les faibles, la tue et elle s’efforce à maintenir ce régime qui, jadis, l’a faite riche, sans s’apercevoir que les conditions économiques ont changé. Et, toute une classe de politiciens exploite cette erreur; nous n’allons pas jusqu’à dire que tous les politiciens qui crient : guerre aux trusts, dupent consciemment la petite bourgeoisie. Mais ils sont politiciens, ils font de la politique un pur métier  et sont par conséquent obligés de tenir compte de l’opinion publique, et sont par conséquent obligés de tenir compte de l’opinion publique.

trusts

Notes:

 1. Remarquons que le mot trust, dans cette acception nouvelle de Société monopolisant un commerce ou une industrie, est attaché à la signification du mot trustee, administrateur de la Société, investi de la confiance des sociétaires. Il est donc abusif de dire, comme on a accoutumé de le faire, que trust, monopole, est une acception directe du mot trust qui signifie confiance et, par extension, charge, garde.

2 C’est au moment de la discussion des premières lois anti-trusts que certains États, pour augmenter leurs ressources, promulguèrent une loi spéciale donnant asile aux trusts moyennant une redevance fixe; un très grand nombre de trusts sont ainsi incorporés (après dépôt de leur acte de Société) dans le New-Jersey, quel que soit d’ailleurs leur siège réel; d’autres sont incorporés dans le Delaware, le Kentucky, l’ohio, le Minnesota, etc… On estime que cette taxation rappoirte annuellement au New-Jersey environ 3 millions de francs.

3. Lucien Sanial. — The Socialist Almanack, 1900

4. Daniel de Leon, ancien professeur d’histoire diplomatique dans une Université de l’Etat de New-York. est un des leaders les plus marquants, sinon le plus marquant, du parti socialiste américain. Son autorité de théoricien marxiste, ses qualités d’agitateur et son talent d’organisateur en font une des figures les plus intéressantes de tout le socialisme américain depuis son origine. Son respect des principes, sa sévérité à l’égard des socialistes amateurs, ses campagnes contre les trades-unions non socialistes lui ont fait une réputation d’intransigeance bornée qu’il ne mérite certainement pas. Quoi qu’il en soit, son caractère a été. l’une des principales causes de la scission survenue dans le parti socialiste anméricain en juillet 1899. On a rapproché bien a tort cette scission de celle qui divisa le parti socialiste français après l’affaire Dreyfus et l’avènement de M. Millerand au ministère du commerce. S’il y a quelques rapports entre elles, ils ne sont qu’apparents et, du moins l’on n’a pas eu en France un spectacle analogue à celui que donnèrent les anti—deleonistes attaquant à main armée les bureaux du Peuple. D’ailleurs. d’après ce que j’ai pu lire, les revues et les journaux français furent très faussement informés sur les « incidents » et les véritables causes de cette scission.

5. The socialist view of the trust, by Daniel de Leon. The Independent, march 1897.

 

Socialist Labor Party 1876-1991: a short history

20 Mai 2014

Une histoire du Parti ouvrier socialiste d’Amérique (en anglais):

slp-history

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Pendant une des périodes charnières de l’évolution sociale des États-Unis, le Socialist Labor Party (Parti socialiste du travail) eut une influence considérable sur les révoltés de la nouvelle terre promise. Fondé en 1875, à la suite de la crise économique de 1873-74, le parti fut dirigé par le théoricien marxiste Daniel DeLeon (ancien professeur de Droit à l’Université Columbia) du début des années 1890 jusqu’en 1914. Sous son impulsion, le S.L.P. a prôné la révolution sociale et le syndicalisme d’industrie. Le S.L.P. comptait la présence de nombreux intellectuels parmi ses membres, aux côtés des travailleurs. Leur influence rayonnait sur toute la gauche d’avant la Première Guerre mondiale. C’est par opposition au S.L.P. que le Socialist Party sera fondé en 1901. En 1905, DeLeon est un des fondateurs des Industrial Workers of the World (I.W.W.), mais des dissensions provoquent la scission des I.W.W. Les I.W.W. de DeLeon organiseront en 1913 la grande grève de Patterson, dans le New Jersey.

Le S.L.P. a marqué l’histoire du mouvement syndical et socialiste aux ÉtatsUnis et la publication de ce livre permet d’en retracer les différents aspects. Plus qu’une introduction à l’histoire du Socialist Labor Party, le livre de Girard et Perry est un document historique en soi. Les auteurs sont des  militants, donc partie prenante du mouvement. C’est cependant avec une objectivité surprenante — peut-être due au fait qu’ils ont quitté l’appareil du parti à la suite de divergences avec la direction, bien que toujours fidèles à l’orientation générale du mouvement — que Girard et Perry exposent les activités, analysent les idées et les figures marquantes du parti au cours d’un siècle. L’ouvrage nous livre ainsi un tableau clair et saisissant d’une mouvance essentielle de la gauche nord-américaine.

Entre le syndicalisme révolutionnaire et une sorte de léninisme avant la lettre — pouvons-nous dire DeLeonisme ? —, le S.L.P. et son histoire montrent les contradictions d’une gauche naissante du début du siècle jusqu’aux tendances actuelles des mouvements sociaux et politiques. La tension entre la volonté démocratique et le dirigisme n’a jamais été résolue par le S.L.P. Le grand mérite de cet ouvrage est d’exposer ces tendances, sans complaisance ni fioritures. L’iconographie est abondante et recherchée. Cela fait de cette publication un ouvrage de référence indispensable.

Dans l’actuel désarroi de la classe politique nord-américaine représentée par les deux grands partis démocrate et républicain, il arrive de plus en plus souvent qu’un appel soit lancé pour la création d’un labor party. Cela serait-il suffisant pour combler le vide laissé par un monde politique qui veut ignorer les besoins des travailleurs ? Les difficultés d’une telle entreprise et les défaillances possibles de ce projet sont mises en évidence par l’expérience du S.L.P. Ne serait-ce que pour ces raisons, ce livre fournit des éléments de réflexion pour anticiper du bien fondé de solutions alternatives à une classe politique en décomposition.

En outre, il fournit une bibliographie et un index, cite les bibliothèques et les archives où consulter des matériaux sur le S.L.P., donne les listes des responsables du S.L.P., les candidats aux élections présidentielles, les congrès nationaux et les adresses des comités du S.L.P. Concis dans sa forme, cet ouvrage s’avère une contribution intéressante à notre connaissance du socialisme nordaméricain et peut servir de base à une recherche plus approfondie.

Larry PORTIS

(Note de lecture de ce livre parue dans Le Mouvement Social n° 170, janvier-mars 1995)

Voir aussi:

Une page d’histoire… les I.W.W. américains

24 avril 2014

Article de 5 pages au format pdf publié en juin 2001 par l’ex-Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen:

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Voir aussi:

La vie et les luttes de Jack le tueur de géants

18 février 2014

Paru dans Floréal du 14 août 1920.

LA VIE ET LES LUTTES
DE JACK LE TUEUR DE GÉANTS
BUCHERON DES MONTAGNES ROCHEUSES

Les Etats du Nord-Ouest de l’Amérique possèdent  les plus immenses forêts du monde. Toute la région  montagneuse des États de Montana, de Washington,  d’Idaho, de l’Orégon et du Nord de la Californie est  couverte de cèdres et de sapins qui atteignent des  proportions extraordinaires et se suivent sans interruption pendant des centaines de kilomètres.

Cette richesse incalculable est entièrement entre les mains de quelques trusts de gros industriels, qui non  seulement ont établi leur monopole sur toute l’exploitation des forêts, mais exercent sur le pays une véritable domination féodale. Banques et fabriques, bateaux et chemins de fer sont en leur possession et  policemen, prêtres, fonctionnaires, juges et journalistes sont à leur solde.

Voici, d’après un rapport publié par le Ministre du  Commerce aux États-Unis, des chiffres qui peuvent  donner à nos lecteurs une idée de la puissance de ces  grands trusts américains.

Six groupes d’industriels, comprenant seulement  1.802 partenaires, monopolisent l’exploitation des  coupes de bois, qui, évaluées en planches mises bout à  bout, représentent une longueur de 237.500.000.000 de  pieds, ces planches ayant un pied de large et un pouce de profondeur. Le rapporteur s’est amusé à calculer  que cette quantité de planches suffirait à bâtir un  pont flottant entre New-York et Liverpool, épais de  2 pieds et large de 8 kilomètres.

L’un de ces groupes d’industriels forestiers, composé seulement de 5 membres, monopolise à lui seul une exploitation représentant 1.208.000.000 de pieds de planches mises bout à bout, c’est-à-dire 8 0/0 de toutes les coupes des États-Unis.

Il va sans dire que ces trusts, dont les membres comptent parmi les plus chauds « patriotes » américains, surent admirablement tirer parti des circonstances créées par la guerre. Dès le jour l’Amérique décida de prendre part à la guerre, le prix du bois de charpente monta de 1.600 dollars à 11.600 dollars les mille pieds. Et avec cela la plus grande partie des planches livrées à l’État étaient inutilisables, si bien que, pour en donner un exemple, sur 21.000 pieds de planches de sapin fournies à une fabrique du Massachusetts, 400 seulement purent être employés.

Opposée à ces petits groupes d’industriels qui accaparent aussi impudemment les richesses de la nature et savent si bien mettre à profit les cataclysmes mondiaux, se dresse l’innombrable armée des bûcherons sans laquelle les barons des forêts, aujourd’hui encore plus puissants que des rois, ne seraient que de pauvres hères.

Parmi ceux-ci, le charpentier qui travaille sur place, dans des chantiers et fabriques, est assimilable aux ouvriers de fabrique en général. Conscient de sa qualité de travailleur et de la force que donne le nombre, il s’organise méthodiquement et suit pas à pas l’évolution de sa classe.

Mais le bûcheron qui travaille dans les forêts est une race à part. La vie au grand air, exposée à toutes les intempéries, dans un pays il pleut souvent a torrents pendant six mois sur douze, l’obligation continuelle de changer de place au fur et à mesure que le travail s’achève, créent à celui que les Américains ont baptisé du nom de Lumber-Jack the Geant Killer (Jack des Bois le tueur de géants) un physique et une mentalité d’un ordre tout spécial.

Constamment en contact avec la nature, il acquiert la dignité et l’indépendance du sauvage, et ces qualités se trouvent rehaussées encore du fait que les migrations continuelles auxquelles il est obligé l’empêchent de fonder un foyer et le libèrent des liens matrimoniaux.

Le sentiment d’immensité que lui donne la forêt, les dangers auxquels l’expose son métier qui le force à grimper à des hauteurs vertigineuses, le caractère d’aventure crue revêt sa vie de nomade, donnent au bûcheron des Montagnes Rocheuses tout ce qu’un Walt Whitman aimait dans l’homme.

Mesurant quotidiennement son courage et son adresse aux produits de la nature, il sent en quelque sorte que c’est à lui que la forêt appartient. Il réalise à chaque moment toute l’absurdité qu’il y a à faire des ressources de la nature la propriété privée de quelques particuliers. Il ne peut nourrir en son cœur que mépris et haine pour celui qu’il enrichit de son travail, et fatalement, la volte contre les injustices de la société capitaliste naît en lui.

A cela s’ajoute qu’il a peut-être plus que tout ouvrier le sens de la collectivité. Au travail comme au repos, il est toujours en contact avec ses camarades. S’agit-il d’abattre un arbre, de transporter un tronc géant, c’est en groupe qu’il travaille et il est rare que sa besogne l’isole. Il mange à la même table, dort dans la même baraque que ses compagnons. Le  seul foyer qu’il ait est le Syndicat des Bûcherons où il aime à se rendre lorsque son travail l’amène à proximité d’une ville. Et c’est alors en lectures et en discussions avec ses camarades qu’il passe ses soirées.

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Rien d’étonnant à ce que, trempé de cette façon et pareillement conscient de la solidarité qui l’unit à ses camarades, le bûcheron du Nord-Ouest des États-Unis ait préféré s’exposer à toutes les persécutions plutôt que de renoncer à la « carte rouge » de son Union, qui est pour lui le symbole, le fétiche grâce auquel il sortira de l’esclavage le tiennent les barons de la forêt.

Mais voyons comment il a obtenu cette carte rouge et quelle est sa situation aujourd’hui vis-à-vis des grands « intérêts » de l’industrie forestière.

Vers la fin du siècle dernier, les bûcherons et charpentiers étaient encore taillables et corvéables à merci.

Ils restaient 10, 11 et jusqu’à 12 heures par jour à la tâche, pour le salaire dérisoire de 2 dollars. Mais, dès les premières années de ce siècle, ils s’incorporèrent à la Western Union (Union de l’Ouest) qui devint plus tard l’American Labour Union et lorsque fut fondée, en 1905, l’Union of Industrial Workers of the World (des Travailleurs industriels du Monde), l’American Labour Union s’affilia à elle.

Quelques années plus tard, en 1912, les bûcherons et charpentiers étaient assez nombreux pour former à eux seuls une grande Union et faire partie intégrale des I. W. W. sans avoir à passer par l’American Labour Union.

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Dès lors, les barons de l’industrie forestière, comprenant la puissance formidable qu’allaient devenir les ouvriers, employèrent tous les moyens dont ils disposaient pour les empêcher de s’organiser.

La lutte prit un caractère d’acharnement extraordinaire.

Depuis 1912, les grèves ont succédé aux grèves et chaque fois la répression a sévi avec la même brutalité. Les conflits entre patrons et ouvriers aux Etats-Unis revêtent une violence toute particulière du fait que les foules vendues aux trusts et excitées par la grande presse se tournent contre les travailleurs. Quand les bûcherons se mettent en grève, elles organisent de véritables chasses à l’homme, traquant les grévistes dans les bois, les cernant et les lynchant ensuite avec les plus grands raffinements de cruauté. Il est d’usage en pareilles circonstances de déshabiller la victime, de la fouetter jusqu’au sang, puis de l’enduire de goudron et de la rouler dans la plume.

Après cela, on la déchire, on l’écartèle, la brûle vivante ou la pend aux arbres, selon l’inspiration du moment.

Les grèves de 1912, 1916, 1917 furent des années mémorables dans l’histoire des bûcherons et charpentiers. Celle de 1917 surtout, qui revendiquait la journée de huit heures, prit des proportions énormes.

Déclanchée au début de l’été, elle se répandit de forêt en forêt comme un incendie. Immédiatement les magistrats qui avaient permis aux grands trusts de faire aux dépens de l’Etat les profits les plus frauduleux pendant la guerre, sans prendre de sanction contre eux, se mirent en devoir de sauver « l’Etat en péril » et de grands jurys de business-men patriotiques furent institués tout exprès pour trancher le litige.

Pendant quelques jours, il semblait que tout fût perdu pour les grévistes. Le heurt avait été terrible.

Toute la soif de sang des foules fut réveillée. Les ouvriers furent goudronnés, roulés dans la plume, pendus et écartelés par douzaines. On arrêta des centaines de militants, et de militantes, on en déporta des milliers. Et le bruit de chaînes des travailleurs qu’on conduisait en prison semblait rivaliser avec celui des régiments en marche partant en guerre.

Mais finalement, les trusts furent vaincus. La privation et la force brutale forcèrent, il est vrai, les grévistes à reprendre le travail. Mais ils continuèrent la grève dans les chantiers et forêts. Une fois les huit heures de travail révolues, l’un d’eux donnait un retentissant coup de sifflet et tout le monde cessait de travailler. Les patrons furent obligés de céder.

Mais les barons forestiers sont mauvais joueurs.

Furieux de leur défaite, ils ont juré de se venger.

Aussi continuent-ils journellement à faire arrêter, déporter ou emprisonner des ouvriers sur le moindre soupçon. Et les foules continuent leurs lynchages.

Souvent il suffit d’avoir exprimé de la sympathie pour les I. W. W. pour être trouvé pendu le lendemain matin à un arbre du voisinage. L’une après l’autre, toutes les Maisons syndicales des Bûcherons sont prises d’assaut et détruites par des bandes d’apaches qu’instigue la police.

C’est ainsi qu’à Centralia, dans l’Etat de Washington, le 11 novembre 1919, lors d’une fête populaire en l’honneur de l’armistice, le cortège qui s’était formé pour célébrer la cessation des hostilités contre l’Allemagne se rua sur la Maison syndicale des Bûcherons, et, en ayant chassé les occupants qui étaient tranquillement en train de lire ou de discuter entre eux, les pourchassa jusque dans la forêt, ou les mena en prison. La foule était prise d’une telle rage de tuer que, même lorsque les hommes furent sous les verrous, elle ne se calma pas. Elle passa la nuit à hurler autour des murs de la prison et, par un hasard étrange, l’obscurité s’étant faite subitement dans la ville, elle arriva à pénétrer dans la prison où elle tortura ou acheva ses victimes. L’une d’elles, Wesley Everest, prise à tort pour le secrétaire du Syndicat de Centralia, fut emmenée la nuit dans l’automobile d’un des grands industriels. Après qu’on lui eut arraché les organes sexuels, on le pendit à un pont de chemin de fer. Ces messieurs semblaient d’ailleurs prendre un plaisir tout spécial à ce genre d’occupation, car ils s’amusèrent tout un temps à faire danser le pendu dans le vide tout en allongeant ou raccourcissant la corde qu’ils lui avaient passée au cou. On voit d’ici le spectacle encadré par les beaux arbres de la forêt et éclairé par la lumière blanche et criarde d’une automobile Ford dernier modèle.

Mais, quelles que soient les persécutions que l’on fait subir à nos camarades, ils restent aussi fervents qu’ils l’étaient. Bien plus, chaque nouvelle injustice perpétrée contre eux ne fait qu’accroître leur ardeur.

A peine une de leurs Maisons de réunion est-elle détruite qu’ils la reconstruisent. Et, en attendant qu’elle soit de nouveau sur pied, ils se réunissent la nuit dans les bois, la carte rouge des I. W. W. en poche.

Assis au pied de leurs grands arbres, ils se concertent sur l’action à suivre, sur les meilleurs moyens de propagande, et, tout en rêvant à une société meilleure, ils chantent en sourdine des chants révolutionnaires.

ALIX GUILLAIN.

Daniel de Leon (Kristen Svanum, 1935)

16 janvier 2014

Article dans International Coucil Correspondence N°6 (1935). Kristen Svanum était un dirigeant et organisateur de grèves des IWW, d’origine danoise.

There has of late been a tendency by Intellectuals who during the present crisis have discovered the revolutionary movement to join with the Socialist Labor Party in its cult of Daniel De Leon. While these intellectuals remain very skeptical towards the S.L.P. they wax quite lyrical about the revolutionary abilities and potency of De Leon even going so far as to name him an or the American Marx or Lenin. This is quite unjust to the S.L.P. that has ceased to be a factor in the revolutionary movement due to its devotion and loyalty to the theories and personality of De Leon. Such injustice is, of course, a matter of small importance but a distortion of revolutionary theory making a Marx or Lenin out of such shoddy material as De Leon is much more serious; not because De Leon’s importance in American revolutionary tradition is heavy enough to allow a reinterpretation of his theories and activity to have any influence on the class struggle, but because it is an index of the confusion existing in revolutionary theory, and if not countered by a correct analysis is a contributary cause towards making confusion twice confounded.

Frederich Engels’ conception of De Leon must have been quite different. When Lucien Sanial and De Leon visited him in England, his sole comment to a friend in the United States was, « they did not impress me much. »

The alleged greatness of De Leon is usually based on his conception of industrial unionism and his uncompromising stand against any reformist compromise. It is unfortunate for the former premise that the refusal of the credentials committee to seat him at the 1908 convention of the I.W.W. was due to the fact that he was a member of, and a delegate from, a craft local (the clerical workers) and had consistently refused to transfer to an industrial union local in spite of the insistence of the General Executive Board of the I.W.W. that he do so. During the discussion of the credentials committee’s report, in which De Leon was permitted to participate, it was brought out by De Leon himself that this was to him not just a question of expediency – preference for representing a numerically stronger local – but of principle, i.e. that according to De Leon the organization of industrial unions should commence with the organization of craft locals.

This attitude of De Leon amounted, in practice, to demanding that the I.W.W. retrace the steps of the A.F. of L. before starting out on its own proper career, and was the decisive factor swinging many of De Leon’s former supporters against him. As Tom Powers, a delegate from New England, put it: « No one but De Leon himself could convince me that De Leon does not understand industrial unionism, – but he has done it. « 

The idea prevalent that it was the political action clause that was the issue of this convention is merely a deduction from the fact that after the withdrawal of the De Leon supporters from the convention, the political clause was struck front the I.W.W. preamble; but this was merely a result of the anti-political faction being in control after the withdrawal of the De Leonites, not the cause of this withdrawal.    .

De Leon’s second claim to revolutionary fame is even more shaky;- to examine it, it is necessary to go back to the time of his entrance in the S.L.P., and the discussion then raging on the « who pays the taxes » problem. On this question, De Leon and his supporters held that the workers do not pay any taxes. This stand was superficially considered more revolutionary. When the opposing faction contended that the question of taxes should furnish one of the main planks in the party’s platform and be considered separately, any revolutionist must agree with De Leon that this was only a red herring to draw the workers off the revolutionary trail; but, when examining the grounds on which the De Leonites took this stand, the question then assumes a sinister significance.

De Leon’s argument was that under capitalism wages are determined by the law of value of labor power. The workers are therefore unable to improve their conditions under capitalism, and vice versa the capitalists are unable to cut their wages, tho law of value overriding all such subjective notions. From a theoretical point of view, this is changing the Marxist conception of the class struggle into a conception of society as ruled by « iron immutable » laws. This is net dialectic materialism, but metaphysical materialism; not the Marxist conception of historical materialism, but the bourgeois conception of economic determinism. It is a complete repudiation of the subjective factor, reducing the human element in the class struggle to nothing; reducing social science to the same elements as natural science. In practice, it means the cessation of all struggle except the struggle with immediate revolutionary results. This degrades the revolution to the level of a miracle; for if the wage level is decided by factors outside the determination of capitalists and workers both, then the struggles, whether defensive or offensive, about wages, hours, etc., must be just that much waste of effort.

Incredible as this may seem, this was the attitude of De Leon and this is the attitude of the S.L.P. today. The position, briefly stated, is this: nothing short of a revolution can improve the position of the working class. The two methods for accomplishing this were, according to the S.L.P., political and economic action, but these two concepts were narrowed down to become mere shadows of their original selves.

Political action was, In the main, defined as parliamentarism; but a stern attitude was taken against the Socialist Party program of reforms to be gained by such methods. Elections were simply thermometers registering the « revolutionary temperature ». When the proper degree, a majority’ vote, was gained, the workers « would, assume power but not through their elected parliamentary representatives. This task was left to their economic organizations: the Industrial unions. What were these unions in the meantime to do? Merely organize and keep it readiness for their historical mission? A program as narrow as this f can, of course, not be carried through with perfect consistency; but the S.L.P. came very close to this « ideal ». On the whole, S.L.P. candidates have honestly set forth at elections that, If elected, they could accomplish nothing; so, too, the W.I.I.U. organizers hold that unions can accomplish nothing for the workers. The result has, of course, been that there has been very little response from the mass of the working class. Only those very susceptible to revolutionary propaganda can respond to a message as severely academic as this. The only measure of success that the S.L.P. has been able to gain has therefore been to isolate within its ranks a small number of people highly susceptible to revolutionary propaganda, and thereby to restrain them from actively participating in any mass struggle.

Corresponding to these theoretical and strategical shortcomings is an equal deficiency in tactical principle. De Leon’s opposition to the anti-political faction with the I.W.W. was not an opposition to opportunism and compromise, but against the « advocates of physical force ». To his notion, political (read parliamentary) action plus industrial unionism made any actual physical struggle unnecessary. The class struggle could therefore be carried on « on the civilized plane » with peaceful electioneering, organization and propaganda work. De Leon’s tactical principle therefore became an extreme of legalism and pacifism, and anyone failing to worship these fetiches were simply branded as « enemies of the working class » and agents provocature.

The functions of a revolutionist joining the S.L.P. and adhering strictly to De Leon’s principles were limited to a narrow sort of propaganda with no practical participation in the daily struggles of the workers, nay even disdaining these struggles and deprecating the necessary outbursts of violence of an offensive or defensive character incidental to them. The theoretical, strategical and tactical principles advocated by De Leon thus made revolutionists coming under their influence not only abstain from participation in the actual class struggle, but eve., made them into a counter-revolutionary force trying to canalize the spontaneous struggles of the workers into sterile channels.

The functions of a revolutionary movement 1s, of course, extremely limited. It does not furnish the motive power of the social revolution but only gives direction to it, and this even within narrow limits. The working class would, even if no revolutionary movement existed, revolt against the oppressive conditions that the capitalist system imposes on it. In the absence of a revolutionary movement such revolts would be empirical, tentative, blundering. The revolutionary movement furnishes not only a record of such revolts, but, by analysis, establishes not only a connection between them by linking them historically to the past and discerning the relationships between the apparently disconnected struggles of the present, but, more Important yet, sees the aim towards which the struggle Is leading.The revolutionary movement is thus the central sensory and reasoning apparatus of the working class. And as it is impossible for a man to add an ounce of power to his bodily strength by the use of his mind and senses, so it 16 likewise impossible for the revolutionary movement to Increase the revolutionary force of tile working class. But a well-craned mind and perfect coordination of nerve and muscle cannot only utilize the muscular power of a man to ever better advantage, it can even, over a period of time, by suitable training increase bodily strength until tasks hitherto impossible can be conquered. It is likewise impossible for the revolutionary movement to accomplish any Immediate increase in the revolutionary force of the working class.What is can do is to lead It into the most useful channels and thereby increase its effectiveness; to change it from a blind, instinctive, spontaneous, into a conscious, reasoned, deliberate struggle, not only for immediate redress of grievances but showing a path to the final aim – the rule of the working class as a transition to a classless society. Under such direction the revolutionary force of the working class would not only be better utilized, but would grow by continuous and rational exercise until it became adequate for its final aim.

De Leon’s theory declared the actual class struggle senseless. His strategy would turn it into useless channels, his tactics would offer it as a sacrifice on the altar of legalism. De Leon never ceased to be a university professor in spirit; practical life had to be simplified into simple ab3tractions; the class struggle to be conducted within an academic, petty-bourgeois frame-work; and before all, no violence; let us be strictly legal. As all other reformists, he forgot that only one thing can make a revolution legal — its success.

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Constitution de la Workers’ International Industrial Union (1915)

31 août 2013

Les syndicats proches du Socialist Labor Party « deléoniste » étaient en conflit avec la branche principale des I.W.W. (à Chicago) et formaient depuis 1908 l’I.W.W. de Détroit. En 1915 ils prennent le nom de Workers’ International Industrial Union (W.I.I.U.). Sa Constitution reprend l’essentiel des déclarations de principe des I.W.W. tout en  précisant par exemple qu’elle « condamne le sabotage et autres pratiques puériles comme sans utilité pour la classe ouvrière ».

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Voir aussi:

Lucien Sanial (Longuet, 1927)

12 août 2013

Paru dans Le Populaire du 27 janvier 1927.

La mort frappe rudement dans la « vieille garde » du Socialisme international, plus particulièrement de l’autre côté de l’Atlantique. Il y a quelques semaines, c’était le grand animateur, le glorieux prisonnier de la bataille anti-guerrière, E.-V. Debs, qui s’en allait. Aujourd’hui, c’est l’ancêtre du mouvement, celui qui constituait le dernier représentant du premier socialisme américain -€” Lucien Sanial.

Ce vétéran s’en est allé le janvier dernier. Il était âgé de 91 ans et jusqu’aux jours ultimes de sa longue existence il avait tojours lutté pour l’attranchissement de la classe ouvrière. Né en France en 1835, fils d’un médecin, élève de Polytechnique, puis de Fontainebleau, il ne tardait pas à s’expatrier vers ces Etats-Unis, dont la jeune vitalité attirait son esprit aventureux. C’était au moment de la guerre de Sécession, qu’il s’installait à New-York, comme correspondant du « Temps », pour lequel il suivit la lutte dramatique entre Nordistes et Sudistes.

Mais bientôt il évoluait vers les mouvements sociaux d’avant-garde. C’était d’abord le socialisme agrarien de Henry-George qui l’attirait. Il prenait une part importante à sa retentissante campagne pour la mairie de New-York en 1886.

Mais l’ « impôt unique » sur le sol lui parut bientôt une panacée tout à fait insuffisante. Et lorsque dès 1887 un « parti ouvrier socialiste » était constitué à New-York par Daniel de Léon et Hugo Vogt, Sanial était au premier rang de ses animateurs. De 1887 à 1896 dans toutes les batailles livrées contre Gompers au sein de la Fédération américaine du Travail, puis chez les « Chevaliers du Travail », Sanial jouait un rôle important, aux côtés de de Léon.

Mais bientôt l’âpreté de la lutte menée par le « de léonisme » contre les dirigeants du syndicalisme provoquait une forte reaction parmi les militants socialistes. Victor Berger, E.-V. Debs, Morris Hilquit se dressaient contre de Léon, et fondaient le Parti socialiste. Dans cette scission, Sanial fut tout d’abord aux côtés de Daniel. Et je me souviens, lors de sa venue en France en 1901, de ses imprécations contre les « Kanguroos ».

Mais bientôt l’atmosphère lui parut irrespirable au sein d’une fraction où l’on voyait déjà se manifester les méthodes fanatiques et brutales que le bolchevisme devait bientôt pousser jusqu’à leurs conséquences ultimes. En 1905, Sanial adhérait au Parti socialiste des Etats-Unis. Il lui est resté fidèle jusqu’à son dernier soupir.

Jean LONGUET.

sanial

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La lutte de 25000 ouvriers du caoutchouc à Akron (1913)

10 août 2013

Publié dans L’Humanité du 28 juin 1913.

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Ces temps derniers, les Etats-Unis ont vu. ‘toute une série de grandes grèves aux péripéties dramatiques. Successivement ce furent les luttes émouvantes de Lawrence; de Paterson, dans le New- Jersey; de la Virginie occidentale enfin, où la bataille des mineurs continue et est suivie avec un intérêt passionné par tout la prolétariat des Etats-Unis.

Moins tragique, mais cependant d’un haut intérêt, a été la grande grève des ouvriers du caoutchouc de la maison Goodrich and Co, à Akron, dansl’Ohio.

800 pour cent de bénéfice !

D’immenses usines y ont été construites, qui couvrent 75 arpents et n’occupent pas moins de 25,000 ouvriers. Les hauts barons du caoutchouc, auxquels elles appartiennent, ont réalisé des bénéfices formidables dans ces dernières années: leurs dividendes atteignent jusqu’à 800 pour cent en 1912 ! En revanche, les salaires des ouvriers sont restés misérables.

Organisés par les militants socialistes de cet ardent Etat de l’Ohio, et notamment par les camarades Midney et Bessemer, sous les auspices de l’organisation économique révolutionnaire les « Industrial Workers of the World », les ouvriers de Akron soumirent leurs revendications à leurs patrons. Ils se heurtèrent à un refus orgueilleux et brutal. Ils décidèrent alors de déclarer la grève, au nombre de 18,000, puis de 20,000, réclamant: 1° la journée de 8 heures; 2° la suppression du travail aux pièces; 3° la suppression du système Taylor; 4° une augmentation de 25 % des salaires.

La grève se déroula pacifique et formidable, donnant lieu à de magnifiques démonstrations.

Spirituelle réponse ouvrière

Au bout de plusieurs semaines, le directeur général des usines, M. Shaw, déclara, suivant le refrain, connu « que si cette grève continuait plus longtemps, les patrons transporteraient ailleurs leur industrie. »

Loin de se laisser intimider par cette menace classique, un certain nombre de jeunes ouvriers grévistes ainsi que le montre notre cliché y firent la réponse la plus spirituelle en promenant à travers la ville de vastes pancartes portant ces mots:

On demande de l’aide pour transporter l’usine Goodrich. Oh Shaw !̃

La dernière exclamation a un sens ironique bien anglo-saxon.

Ajoutons qu’après cinq-semaines de lutte cette grève s’est terminée par un compromis dans lequel les ouvriers ont obtenu dans une large mesure satisfaction.

J.-L

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